Le décès du dictateur à peine annoncé, l’armée togolaise se rappelle une fois de plus au bon souvenir de la population. La hiérarchie militaire catapulte Faure Gnassingbé au sommet de l’Etat togolais en violation flagrante de la loi fondamentale. Ce n’est pas la première fois que les militaires togolais s’érigent en faiseurs de rois dans le pays, mais l’impressionnante longévité du défunt-président et le passif catastrophique de sa gestion du pays n’autorisent plus cette intrusion intempestive des hommes en armes sur la scène politique nationale…
Par Franck EKON.
Le Général Zakary Nandja, le chef d’état-major des Forces armées togolaises (FAT) est réputé pour sa discrétion et sa retenue. Le nom de cet officier supérieur de l’armée togolaise originaire de Bassar (Kabou), ne disait rien aux Togolais jusqu’à ce que la mort de son fils en formation à Saint-Cyr en février 2004 ne le propulse sous les feux de la rampe. Mais ce samedi 5 février 2005, c’est bien lui et quelques autres ayatollahs de l’armée qui ressortent le grand jeu. Le Togo venait à peine d’apprendre la mort de Gnassingbé Eyadéma que des officiers coachés par le général Nandja sortent de leur tanière pour annoncer à une population médusée que l’armée avait choisi de nommer Faure Gnassingbé comme successeur à son géniteur décédé.
Les arguments de vide constitutionnel, d’épouvantail de débordements et les alibis brandis çà et là par la clique des officiers présentent tous les symptômes d’une justification à posteriori d’une manœuvre ourdie depuis que, dans les dédales des casernes, on savait que les jours du général président étaient comptés : le nouveau monarque togolais, à défaut d’être un militaire, doit avoir l’onction des hommes en uniforme. On n’a pas beaucoup de peine à imaginer le processus qui confronte une fois de plus les Togolais à l’aile dure de leur armée. Le général Nandja et son équipe ont certainement repris les cahiers d’exercice de leur tristement célèbre prédécesseur ; le colonel Assila, le général Améyi et d’autres officiers ont aussi en leur temps déboulé comme des fous furieux sur la scène politique togolaise pour mettre entre parenthèses les prescriptions constitutionnelles et décréter le silence dans le pays. L’image d’un général Améyi, vociférant menaces et invectives et justifiant les coups de force de l’armée pendant la conférence nationale est encore fraîche dans les mémoires ; de même que les communiqués vindicatifs serinés à longueur de journée à la radio et à la télévision nationales pendant la transition politique en 1992. Les Togolais ont aussi en mémoire la conspiration dont le général Séyi Mémène fut le maître d’œuvre en faisant arrêter le dépouillement des élections présidentielles de juin 1998 pour proclamer toute honte bue la victoire d’Eyadéma.
La spécificité de cette irruption n’échappe cependant pas aux observateurs de la nouvelle donne politique au Togo : alors que leurs précédentes rodomontades avaient pour but de raffermir la main mise du Général Eyadema sur le pays et de lui renouveler leur fidélité, leur sortie de samedi revêt une signification plus lourde ; la disparition de celui qui claironnait avoir créé « une armée à son image », repose avec acuité le problème de sa succession et les militaires loin d’adhérer à l’idée d’un recadrage démocratique, ont surtout à cœur de pérenniser le statu quo en accentuant le verrouillage d’un système en déconfiture.
Au fond, ce sont les dernières illusions sur la neutralité de l’armée togolaise que Nandja et ses amis viennent de faire voler en éclats. En outre, l’histoire affligeante entre le militaire et le politique au Togo n’offre certes pas de raison de croire au miracle et nombreux sont ceux qui ont toujours négativement appréhendé la perspective d’un après-Eyadéma sous la tutelle militaire. La posture qu’ont adopté ces officiers ne fait donc que confirmer les projections les plus alarmistes. L’option clanique ayant été du vivant d’Eyadema, le maître-mot de la gestion du pays, les dépositaires de son lourd passif misant aujourd’hui sur l’indolence d’une population anesthésiée pour faire le lit d’une néo-dictature.
L’idée que la mort du Général Eyadema puisse constituer une formidable occasion de redorer le blason terni de l’armée ne semble même pas effleurer les auteurs du putsch de samedi. La logique clairement affichée est, une fois encore, celle de la fermeture. Pour la junte de samedi, l’heure est à la parade au nom du nouveau monarque. Le caractère marginal d’une telle décision ne fait cependant l’ombre d’aucun doute, les conditions de vie de la plupart des hommes de troupe étant misérables. En outre beaucoup d’autres officiers silencieux pour le moment n’auront certainement pas goûté à la rhétorique du commando qui a nommé Faure Gnassingbé à la tête du Togo.
La question est maintenant de savoir dans quels délais l’expression courageuse prendra le pas sur la loi du silence….
La rédaction letogolais.com
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