16/04/2024

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Togo : Ce que signifie ABLODÉ

« Apeto diku
Nyowu kluvi dami.
Ga mele asi nye o
Voa me xo ablode »

INTRODUCTION

Il m’arrive d’entendre les compatriotes des miens déclarer, en toute bonne foi : « Mais au juste, Ablodé c’est quoi même ? Ce slogan n’est-il pas caduc au jour d’aujourd’hui ? Ne devrions-nous pas inventer un autre mot d’ordre plus moderne, plus conforme au combat actuel du Peuple togolais ? »

Les présentes lignes visent une humble tentative de réponse à ces interrogations. Et, à cet effet, je me propose de : (i) Emmener le lecteur à revisiter avec moi le corpus de l’histoire des luttes d’auto-libération de notre Peuple depuis la colonisation allemande jusqu’à la veille de l’explosion de la Seconde Guerre mondiale. Et ce, grosso modo ! (ii) Indiquer d’où vient le vocable Ablodé, c’est-à-dire son étymologie ; et comment apparut-il sur sa scène politique togolaise. (iii) Montrer enfin pourquoi, à mon modeste avis, ce mot d’ordre s’avère tout à fait valide… de nos jours. Reprenons donc.

I. LE PEUPLE TOGOLAIS EST UN PEUPLE AMOUREUX ET JALOUX DE SA LIBERTÉ

La longue marche – stricto sensu – du Peuple togolais à sa souveraineté internationale démarra les 11-12 mai 1945, à partir du Palais de Justice de Lomé ; elle prit juridiquement fin le 27 avril 1960 . Mais ce peuple, hormis quelques groupes aujourd’hui résiduels des vrais premiers occupants de notre territoire, se compose de communautés au départ diverses, venues de divers horizons, ayant fui des tyrannies féodales et/ou des contraintes écolo-socio-économiques – pour se blottir dans le corridor dénommé plus tard le Togo. Voilà pourquoi les Togolais se présentent foncièrement pacifistes et pacifiques, amoureux et jaloux de leur liberté. Voilà aussi pourquoi le nationalisme et le patriotisme togolais entamèrent leur gestation dès qu’au lendemain du traité de protectorat signé à Baguida et Lomé les 4-5 juillet 1884, l’impérialo-colonialisme commença à montrer son vrai visage – notamment avec les partages territoriaux artificiels et les cyniques divisions intra-ethniques qui en découlèrent.
En effet, la farouche résistance alors opposée par nos ancêtres aux envahisseurs venus de l’au-delà de la mer provoqua une terrible véritable guerre de conquête que les Allemands baptisèrent pudiquement « opérations de pacification ». Celles-ci affectèrent rudement tous les habitants de notre pays, du sud au nord, de l’est à l’ouest. Elles auront duré dix-huit bonnes années au bout desquelles la population togolaise fut réduite à la moitié ( ! ) de ce qu’elle était à l’arrivée des colonisateurs.

Le lecteur comprendra dès lors aisément que, la Dialectique de la Nature aidant, nos Notables de l’heure eussent jugé nécessaire de soumettre, le 13 octobre 1913, au Dr Solf, alors ministre allemand des colonies en visite au territoire, la requête libellée comme suit :

« Nous, indigènes de Lomé, avons l’honneur de souhaiter la bienvenue à Votre Excellence du cœur.
Votre Excellence peut être assurée que nous considérons cette visite comme un grand honneur.
Nous saisissons cette occasion pour présenter respectueusement à votre attention les affaires suivantes :
(i) une meilleure organisation de l’administration judiciaire ;
(ii) abolition de la punition du port de la chaîne et du fouet ;
(iii) un meilleur agencement des prisons ;
(iv) admission de représentants indigènes au Conseil du gouvernement ;
(v) introduction d’un code de lois pour le pays ;
(vi) réduction des impôts ;
(vii) liberté de commerce pour les indigènes. (…)

Signé : O. Olympio, T. Tamakloe, T. Assa et J. Byll. »

Cette pétition notoirement osée en son temps, l’historien français Yves Marguerat la considère comme l’ « acte de naissance du nationalisme togolais ». Et cette résistance des Togolais à l’oppression impérialo-colonialisme se poursuivit sous des formes variées durant la période de l’entre-deux guerres. Cependant, ce sont les « efforts » et « pénuries » induits par la Seconde Guerre mondiale qui, par leur caractère particulièrement éprouvant, auront véritablement fait éclore le nationalisme et le patriotisme togolais – avec le cri de ralliement : Ablodé.

II. ORIGINE ET APPARITION DU SLOGAN ABLODÉ SUR LA SCÈNE POLITIQUE TOGOLAISE

Oui ! Du fait des affres de la Seconde Guerre mondiale, « le flot montant des peuples de couleur », qui aura quelque peu secoué les empires coloniaux au lendemain de la Grande Guerre de 1914/1918, mais qui se sera achevé tel un feu de paille, va, cette fois-ci, en 1945, se présenter comme une réelle lame de fond structurelle, et donner lieu à une lutte systématique, théorisée, organisée et déterminée. À cet égard le Togo aura pris place parmi les pays avant-gardistes. Assurément.
À ce propos, Sylvanus Olympio dira en effet, dans son mémorable discours circonstanciel du 27 avril 1960 : « Quelque discutables qu’aient été les frontières qui nous furent ainsi attribuées, un sentiment d’unité nationale a pris corps, s’est développé, s’est affermi, s’est imposé. Depuis 1945 et tout spécialement grâce à l’Organisation des Nations Unies, une très vive aspiration à l’indépendance s’est fait jour dans les territoires coloniaux qui, comme le Togo, avaient pris conscience de leur existence en tant que nation. Nous avons l’honneur d’avoir été parmi les premiers à l’affirmer hautement et à demander une modification fondamentale de notre régime politique. Peu à peu nos idées se sont répandues, se sont précisées, et, si d’autres pays ont atteint avant nous le but que nous touchons aujourd’hui, j’ai la conviction que c’est un peu grâce au Togo. »
Et le vocable « Ablodé » aura été le leitmotiv au cours de la longue marche vers l’indépendance, le cri de ralliement, le grondement de l’ « Atopani », c’est-à-dire du tam-tam ancestral… de guerre.
Mais que signifie au juste ce terme « Ablodé » ? Après avoir très longtemps cherché à décrypter l’étymologie de ce mot, en désespoir de cause, je finis en 2000 par mettre la main sur un petit dictionnaire Éwé-Français de la sueur de notre feu Révérend Pasteur Kofi Jacques Adzomada – qui aura présidé des années durant l’Académie Éwé du Togo. Selon ce dictionnaire, « ablo » désigne la rue ou l’avenue, et « ablome » (prononcer ablomé) indique une place publique, un lieu de détente, en somme un espace de liberté… Je compris alors qu’ « Ablodé » est un vieux mot éwé dérivé d’ « ablo » (ou d’ « ablome »). En tout état de cause, nous savons qu’Ablodé veut dire aujourd’hui, de facto : indépendance, liberté (ou libération), affranchissement (d’un esclave), délivrance, paix, tranquillité, démocratie, auto-détermination, Etat de droit, droit de l’homme, souveraineté, Dignité, etc.
Et maintenant comment est-ce qu’Ablodé apparut-il dans l’arène politique togolaise ? Dans les années 1945/1950, notre feu éloquentissime Révérend Pasteur Samuel Ataklo officiait à la Mission Protestante (à la Bremen Mission) de Lomé. Ce fut lui qui, la première fois, utilisa le mot « Ablodé » au cours d’un de ses célèbres prêches – faisant allusion… à la lutte du Peuple togolais pour son indépendance. Allusion qui valut à son auteur des foudres de l’Administration coloniale et colonialiste. Mais, n’en déplût à cette Administration, ses foudres firent, dialectiquement, connaître et populariser l’ « Ablodé ».
Alors, « Ablodé » allait très vite devenir un mot-fétiche, la parole sacrée, quasi mystique, d’une politique d’unité nationale, de justice et de solidarité, qu’une action dynamique du Comité de l’Unité Togolaise (CUT) et un peu plus tard de la JUVENTO, sut véhiculer dans tout le pays et qui recevait l’adhésion unanime de toutes les populations du sud au nord, de l’est à l’ouest.

Notons au passage qu’il n’est nullement surprenant que l’apparition du slogan Ablodé sur la scène politique togolaise fût due à un Rév. Pasteur. Le fait est que le vocable Ablodé figure en maints endroits dans la Bible avec laquelle, le Rév. Pasteur Samuel Ataklo était, de toute évidence, plus que bien familier. La preuve de cette assertion nous est fournie ci-après :

« Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants : ce sera pour vous le jubilé… » Le Lévitique XXV, 10
« Miako fe blaato nu, eye miade gbe fa ablode le anyigba la dzi na anyigbadzitowo kata aseyetsofewoanyese na mi… »

(… « Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont leur cœur brisé, pour procla¬mer aux captifs la li¬berté, Et aux prisonniers la délivrance. » Esaïe LXI, 1
(…) « Edom da, mada gbe le amesiwo fe dzi gba la nu, made gbe fa ablode na gatowo, ne woade ga amesiwo wode ga. »

« (…) avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ». Épitre aux Romains VIII, 21
« Eyata woade nuwowo la nuto ha tso gbegble fe kluvinyenye la me ayi de mawuviwo fe nutikokoe fe ablode la me. »

« Or, le Seigneur est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » Deuxième Épître aux Corinthiens III, 17
« Ke Afeto la anye Gbogbo la ; ke afisi Afeto fe Gbogbo le la, afima ablode le. »

« C’est pour la liberté que le Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. » Épître aux Galates V, 1
« Ablodenyenye nuti Kristo womi ablodeviwo do. Eyanuti mino tsitre sesie, eye migana woade kluvinyenye fe kokuti ko na mi o ! »

« Mais celui qui aura plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui aura persévéré, n’étant pas un auditeur oublieux, mais se mettant à l’œuvre, celui-là sera heureux dans son activité. » Épître de Jacques, 1, 25
« Ke amesi kpo se blibo, si nye ablodese la me, eye wono edzi la, eya manye nyasela si nloa nu be o, ke bon do fe wola, eye woayra eyama le efe nuwowo me. »

« Parlez et agissez comme devant être jugés par une loi de liberté. » Épître de Jacques, II, 12
« Mifo nu ale, eye miwo nu ale, abe amesiwo woatso ablodese la adro vonui ene. »

Au demeurant, voici quelques équivalences de l’Ablodé :
Guinée-Conakry et Mali : Horoya
Kenya et Tanzanie : Uhuru (lire Ouhourou)
Niger : Swaba
Afrique du Sud et Ghana : Freedom

Mais, se demandent d’aucuns, l’Ablodé est-il encore de mise au jour d’aujourd’hui au Togo ?

III. LE MOT D’ORDRE D’ABLODÉ EST ENCORE TOUT À FAIT VALABLE CHEZ NOUS !

Durant la période 1945-1960, le Peuple togolais dut se battre, vaillamment, pour s’affranchir de l’impérialo-colonialisme. Le slogan « Ablodé » se justifiait donc pleinement. Mais voici que l’indépendance si chèrement conquise de haute lutte et solennellement proclamée le 27 avril 1960 fut froidement assassinée au petit matin du sombre dimanche 13 janvier 1963 — par un quarteron de demi-soldes françafricains. Et, depuis lors, de fil en aiguille, le même Peuple se retrouve à l’heure actuelle en train de lutter pour se libérer d’une sorte de colonialisation endogène, opérée par une infime clique de despotes obscurs. Dans ces circonstances, il est évident que le Cri de ralliement « Ablodé » conserve légitimement, totalement, ses lettres de noblesse.
Oui ! Même s’il s’avère exact que la lutte en cours de notre Peuple devrait, le moment venu, transcender la seule libération nationale et accéder à l’étape plus globale : celle qui embrasse à la fois le politique, l’économique, le social et le culturel à long terme, il n’en demeure pas moins vrai qu’ « Avant de nous coucher, nous nous devons de nous asseoir d’abord », comme le prescrit un dicton de nos ancêtres. En d’autres termes, la reconquête de l’ « Ablodé », c’est-à-dire de l’Etat de droit, de la démocratie, des droits de la personne humaine, de la bonne gouvernance, du développement enviable et durable, de la Dignité, etc., ressort comme un impératif catégorique préalable à toute avancée véritable du Peuple togolais.
Oui ! Ainsi que l’écrit la plume autorisée de notre compatriote Eric Armerding :
« Le mot d’ordre d’Ablodé qui, dès les premières heures de la lutte a motivé et mobilisé les combattants de la liberté, avait pour finalité : la démocratie, la justice et la paix. La démocratie, parce que nous voulons décider de notre propre destin d’hommes libres. La justice, parce que nous aspirons à une société de partage et de solidarité. La paix, parce que nous voulons créer une nation de non-violence où tous les citoyens se sentiront en sécurité pour participer à l’œuvre de construction nationale.

« (…)

« C’est cela l’Ablodé, héritage qui nous a été légué par les Pères fondateurs de la Nation togolaise et que nous voulons et devons perpétuer par notre combat contre nos tyrans et les adversaires de notre indépendance. »

Comme nous le voyons, on ne saurait, pour ma part, mieux dire. Concluons donc.

CONCLUSION

Et, en guise de conclusion du présent article, que le lecteur accepte de souffrir que je reprenne, purement et simplement, les paroles ô combien pertinentes de Jean-Pierre Fabre, prononcées le 27 avril 2011, au lieu dit « Plage du Changement » à Lomé :

« Mes Chers Compatriotes,

Je voudrais donc saisir l’opportunité de ce jour pour réitérer en ce lieu l’appel de l’ANC et du FRAC à chacun de vous.

Le véritable changement pour lequel nous luttons est porteur de paix. Cette paix sans laquelle nul ne peut s’épanouir.

Cette paix qui permet aux hommes et aux nations de grandir, d’espérer et de bâtir une vie meilleure pour les générations futures. C’est pour arracher ce changement et conquérir cette paix que j’appelle toutes les forces vives du pays à se mobiliser avec nous : fonctionnaires, artisans, agents des secteurs public et privé, gendarmes, policiers, militaires, autorités religieuses, autorités traditionnelles, agriculteurs, revendeuses des marchés, commerçants, jeunes et moins jeunes, syndicats, associations de la société civile, partis politiques, populations des villes et des campagnes, compatriotes de la diaspora.

Nous devons ensemble prendre la résolution de nous approprier notre destin en ayant conscience que c’est par notre foi, notre courage et nos sacrifices, que le Togo retrouvera la voie de la liberté, de la justice et du progrès pour tous. »

ABLODÉ ! ABLODÉ ! ABLODÉ NOGO !

Paris, le 18 juin 2011
Godwin Tété