26/04/2024

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Togo: Du vrai-faux dialogue inter-togolais à l’espérance

Par Yves Ekoué Amaïzo*

Aucun peuple ne peut se plaindre indéfiniment de son chef sans s’attaquer à ceux qui estiment pouvoir le remplacer. Après des années de vrais faux dialogues, il y a lieu de laver le linge sale tant du côté du pouvoir en place que des oppositions empêtrées dans leur querelles intestines et manquant de vision, de programme et d’ambition pour le peuple togolais.

1. Palabre togolaise sans fin et préalable à une évolution constructive

Le 12e Dialogue inter-togolais qui a démarré depuis le 21 avril 2006 est en train d’accoucher, non pas d’une souris, mais d’un « Accord politique » dit de « base » qui conduit non pas à une refondation démocratique du Togo mais simplement à une relance d’une compétition entre des alternatives et des ambitions individuelles de quelques chefs de partis politiques togolais. Il faut reconnaître une certaine malice du pouvoir en place qui joue avec malignité des dissensions entre l’UFC, le CAR, le CDPA, les nombreuses personnalités ou petits partis indépendants ou ayant fait alliance, officielle ou secrète. C’est ainsi qu’au lieu de véritablement constater l’échec du dialogue inter-togolais où des interlocuteurs de poids sont absents, il y a comme une fuite en avant où ceux qui veulent devenir premier ministre s’organisent pour céder sur les éléments fondateurs de la démocratie et des droits humains au Togo sans pour autant avoir une vision stratégique des enjeux conduisant à une alternance pacifique et basée sur un programme politique et économique « acceptable » pour les communautés internationale et africaine, actuellement divisées sur le cas du Togo.

Il y a bien eu échec du dialogue inter-togolais et ce n’est pas avec des propositions allant vers la recherche d’un ou plusieurs facilitateurs (le terme médiateur semble proscrit par le pouvoir en place), aux termes de référence confus et changeants, que l’on développera une solution qui ne peut qu’émerger des protagonistes eux-mêmes. En réalité, les partis au pouvoir s’appuyant sur beaucoup d’élites organiques et d’intellectuels « alimentaires » n’arrivent pas à laisser le parti RPT se réformer de l’intérieur. Les partis dits de l’opposition considèrent encore trop souvent les intellectuels et détenteurs de savoir et de savoir-faire que comme de simples alliés conjoncturels en termes de secrétariat, de peur que ces derniers n’émergent et ne les doublent sur la scène politique. En conséquence, la plupart des partis dits d’opposition, fonctionnent sur une base non-démocratique, à l’instar du pouvoir en place, et utilisent les nombreuses palabres pour s’octroyer sur papier des parts d’électorats imaginaires. Pourquoi est-ce qu’il est impossible d’avoir des courants de pensées et donc de vision différentes au sein des mêmes partis au Togo ? Cela permettrait de réduire les quelques 60 partis inscrits à une poignée plus crédible. Si le parti au pouvoir comme ceux de l’opposition veulent vraiment une démocratie au Togo et un respect des droits humains et une gouvernance économique au service de l’ensemble de la population, alors il y a au moins trois conditions à remplir au lieu de tergiverser :

1. Des élections à deux tours sécurisées avec la présence des troupes militaires de l’UE et de l’OTAN pour assurer la transparence et un système informatique de décompte des voix qui ne soit pas dans les mains de puissance extérieure ayant opté pour le statu quo ;
2. Un programme et une vision alternative et écrite de relance de l’économie à des fins de création de richesse avec une croissance économique partagée et une transition politique avec l’ensemble des partis ayant obtenus plus de 5% de voix représentés dans le gouvernement où le premier ministre aura la fonction qu’occupe le chancelier autrichien ou allemand dans leur pays respectif ;
3. Une volonté réelle d’intégrer la Diaspora togolaise, notamment celle qui est intéressée par la création de richesses à partir des compétences, des expertises, des expériences acquises à l’extérieur afin de ne pas tomber dans le piège de l’immigration sélective qui risque de se faire aux dépens des Africains en général, du Togo en particulier.

2. Difficile regroupement des alternatives individuelles

Y a t’il urgence ? Oui, la venue prévue du Président Faure Gnassingbé en visite officielle à Paris en septembre prochain ne doit pas être sous-estimée. Mais plus stratégiquement, les élections françaises de l’année prochaine et les sondages peu favorables au statu quo sont prémonitoires d’un changement de la politique étrangère de la France au Togo. La situation du Togo doit trouver un début de solution qui passe par les urnes, si possible non truquées. Les partis dits de l’alternance doivent s’organiser pour des élections qui risquent d’avoir lieu de nouveau dans l’impréparation. Vraisemblablement, il s’agira d’élections législatives puisqu’il y a un véritable tabou à parler d’élections présidentielles, encore moins de les organiser. Une grande majorité des pays de l’Union européenne, restée silencieuse, ne reconnaît pas les élections d’avril 2005 au Togo et souhaite des nouvelles élections afin de clarifier le paysage politique togolais, permettant du coup de faire partir les nombreux réfugiés et immigrants togolais sans trop de heurts.

Si les partis togolais de l’alternance sont sérieux quant à l’organisation d’une alternative crédible, alors ils devraient tirer une leçon :

• de l’échec des dialogues qui s’éternisent,
• de la ruse du parti au pouvoir consistant à les diviser en leur faisant miroiter des postes impossibles à gérer de manière démocratique et sans un budget programmable,
• de leur incapacité à s’organiser en réseaux de puissance et d’influence tant auprès de la communauté togolaise élargie que de la communauté internationale.

En effet, où réside le problème qui fait qu’une opposition élargie et constructive, laquelle reste à définir, ne puisse devenir réalité ? Le peuple togolais est-il contre la formation d’une opposition élargie ? Certainement pas ! C’est donc bien les partis au pouvoir et les leaders politiques togolais qui sont contre ? Mais pourquoi ? Est-ce bien ce qu’auraient souhaité les réfugiés, les partis politiques et les individualités togolaises qui ont échappé à la répression et à la pression de l’autocensure ? Bien sûr que oui ! Qu’est-ce qui compte alors ? Ne serait-ce pas les aspirations d’un peuple tout entier qui souhaite voir son pays prospérer et échapper aux affres discriminatoires des situations à l’étranger qui doit servir de stratégie et de vision ? Il faut changer de culture politique et apprendre à servir au lieu de se servir en arrosant les bas-côtés hypnotisés par la perversité de la pauvreté, la soif de paraître et d’occuper des postes honorifiques avant de mourir et la répression militaire.

Aujourd’hui, tous les partis et personnalités d’opposition se refusent à aller vers une alternance organisée sous la forme d’une opposition élargie et alternative. Est-ce à croire que tous ces leaders ne sont pas démocratiques ou ne veulent pas d’une vérité des urnes ? Rien n’est moins sûr ! Par contre, des élections libres et transparentes ne feront pas l’affaire de l’armée qui en sourdine tire les ficelles du statu quo et occupent ou contrôlent les postes les plus juteux dans le pays. La communauté internationale et les Nations Unies ont d’autres chats à fouetter et ne peut éternellement se préoccuper de luttes intestines où chacun se prend pour l’homme providentiel en oubliant que seul l’union fait la force. Ceux qui ont choisi simplement garder les positions existantes ou alors faire allégeance au système en place se retrouve piéger par un système qui cannibalise ses propres agents par un système de dépendance basée sur les valorisations honorifiques et financières. De là à forcer certains partis politiques à signer « l’accord politique » dit « de base » relève de l’absurde et de la faiblesse de la position de ceux qui occupent un pouvoir questionné. En réalité, le système en place évolue et institutionnalise cette résistance molle des partis, résistance molle qui permet doucement mais sûrement de s’incruster au pouvoir en organisant une palabre qui traîne en longueur et permet stratégiquement de diviser les partis d’opposition qui n’arrivent pas à faire la différence entre la dictature de l’opposition et l’organisation des synergies alternatives pour changer le Togo et retrouver la démocratie, la vraie, et le respect des droits humains, ceux de la femme et de l’enfant en particulier.

3. Accord politique de base : supercherie en perspective !

L’échec du 12e dialogue inter-togolais est bien une victoire morale des partis de l’alternance, mais il s’agit d’une défaite pour le peuple car la pauvreté, des troupes armées non identifiées continuent de verser dans l’arbitraire et à semer la zizanie dans le pays. Aucun des médias politiquement corrects ne souhaitent en faire état de peur de perdre des contrats juteux. Qu’a donc fait le peuple togolais à la communauté internationale pour qu’il soit considéré comme partie négligeable dans les débats internationaux… Pourquoi la démocratie se décline t-elle différemment au Togo ou se conjugue t-elle au futur incertain ?

Parapher « l’Accord politique de base » ne peut être considéré comme un acte qui permet d’avancer vers la recherche de solution à la crise togolaise. Ceci est d’autant plus important que certains s’évertuent à transformer cet hypothétique accord minimum en « accord politique global »… Quelle supercherie en perspective! Il faut au contraire, refaire au moins deux grandes réunions de travail avec des personnalités togolaises prêtes à réfléchir de manière indépendante sur les stratégies de sortie de crises.

L’Union européenne devrait pouvoir accepter de financer ces réunions organisées comme des retraites/séminaires afin de faire évoluer les 22 engagements proposés par l’Union européenne et acceptés le 14 avril 2004 par l’exécutif togolais. Ces engagements commencent sérieusement à se frayer une place dans l’histoire des archives togolaises puisqu’il n’est pas question pour la commission de l’union européenne de revoir ces engagements afin d’intégrer l’histoire du Togo après les élections présidentielles contestées d’avril 2005. Une révision effective et objective de ces engagements avec l’ensemble des forces vives de la nation permettrait à l’Union européenne de solder la dissension interne au sein de l’Union européenne entre ceux qui refusent de reconnaître comme légitime le régime togolais actuel et ceux qui, du fait de l’histoire, préfèrent faire confiance à la loi du silence et à l’autocensure des dirigeants africains. Ces réunions de travail et une proposition consensuelle sur les thèmes retenus lors du faux dialogue inter-togolais et d’autres thèmes portant sur la refondation démocratique du Togo devraient servir à dépassionner le débat sans pour autant que le pouvoir exige que si l’on est pas d’accord avec ses options économiques, politiques et juridiques alors on doit être banni du Togo à l’instar des refus de renouvellement de passeports de nombreux intellectuels togolais.

Personne ne s’oppose à l’organisation d’une concertation sur le Togo afin de mieux « s’entendre, de se comprendre, de se parler, de se tolérer en vue d’instaurer un Togo uni dans la cohésion et la paix…La paix n’a pas de prix », a martelé le doyen des chefs d’Etat africains, le président gabonais, Omar Bongo Ondimba. Mais, le Togo n’a pas actuellement de pétrole et la démocratie conviviale d’ailleurs est difficilement applicable sur des questions aussi fondamentales et restées en suspens depuis près de 40 ans comme les réformes institutionnelles, la réforme de l’armée et des forces de sécurité, la question des réfugiés et des déplacés pendant les violences pré et post électorales d’avril et mai 2005 la révision du fichier électoral, de la recomposition de la commission électorale en vue de préparer des élections sécurisées libres et transparentes dans le pays où l’alternance politique est bloquée, pour ne pas dire tabou. Le Bénin et le Ghana voisins donnent pourtant l’exemple d’une démocratie africaine alliant tradition et modernisme sans pour autant considérer la Diaspora comme partie négligeable ou un danger pour la classe politique. Au contraire, il est question, de plus en plus, d’accord politique entre personnes adeptes du bon sens et s’engageant pour sortir le peuple togolais de sa misère et de la pauvreté en respectant les droits humains et les règles de gouvernance économique et politique reconnues internationalement.

4. L’impossible transcendance des élites politiques

La paralysie du pays ne profite finalement qu’aux mêmes. Pourquoi l’argent de la corruption du port autonome de Lomé et du phosphate n’a pas permis d’acheter des appareils pour les hôpitaux du Togo au nord comme au sud ? Pourquoi, les étudiants du nord comme du sud doivent subir les affres de la pauvreté au point de vider leur cerveau de toute forme d’innovation et de résistance constructives pour le pays ? Oui, il y a une maladie congénitale des dirigeants togolais qu’ils soient dans l’opposition comme dans le parti au pouvoir : ils sont incapables de s’unir pour organiser la démocratisation et la modernisation de leur parti. Au contraire, ils semblent exceller dans un jeu ou l’on s’assure d’abord de mettre hors jeu ou dehors ceux qui ont des grandes ambitions pour le Togo, quant il ne s’agit pas tout simplement de disparition ou organisation de la dépendance matérielle pour mieux museler les langues alternatives et de modernisation du Togo. La mémoire du jeune parlementaire Tavio Amorin, assassiné par des agents à la solde d’un régime anti-démocratique, est encore vivante dans les mémoires.

5. Neutraliser la dépendance financière et retrouver l’espoir

Si l’on pouvait trouver une solution financière pour permettre à de nombreux salariés de la politique de prendre une retraite pas toujours bien méritée, alors et alors seulement, le Togo aura des chances de voir des femmes et des hommes nouveaux, indépendants, ayant une vision et de grandes ambitions pour le peuple togolais, accéder à des responsabilités permettant de régénérer la prospérité de la terre des aïeux. Il en est de même pour l’armée et les militaires. Car quoi que l’on dise, le problème est d’abord alimentaire. Peut-être qu’il faut rajouter l’impunité et le manque de courage et l’absence d’intégrité… Peut-être que le pardon serait possible si lors de la révision des objectifs de l’armée togolaise, les militaires acceptent le principe de ne plus servir comme « gardes du corps » d’un pouvoir politique mais de réviser leur culture en intégrant les travaux d’infrastructure, de construction de maisons et de logistique au service de la population… Une telle armée modernisée et acceptant de ne pas se mêler de politique, ne peut que plaire à la population et à la communauté internationale. Enfin, si la maladie s’en mêle, les hommes politiques devraient pouvoir avoir l’assurance de pouvoir se faire soigner même après avoir quitté leur poste afin de faciliter les départs anticipés à la retraite en toute dignité.

Bref, les femmes et les hommes de l’alternance et de l’alliance pour une refondation démocratique du Togo sont connus. Les responsables politiques tels que Gilchrist Olympio, François Boko, Kofi Yamgnane, Léopold Gnininvi devrait réfléchir à nouveau sérieusement sur l’organisation d’une alternative élargie en laissant au vestiaire toutes les raisons qui les empêchent de s’unir. Cette opposition intelligente, avec l’appui de la Diaspora et les résistants togolais restés sur place, ne peut que recueillir l’assentiment de la communauté internationale, du peuple togolais et des intellectuels de la Diaspora et du Togo. Est-ce qu’ils sont capables de se transcender ? Est-ce qu’ils sont capables d’être efficaces au service de la communauté togolaise dans son ensemble ? Est-ce qu’ils sont capables de comprendre que les élections législatives à venir si elles sont sécurisées risquent encore d’être une nouvelle occasion de se « tirer entre les pieds » si des réunions de travail sur les différents thèmes du vrai faux dialogue togolais n’ont pas lieu en préparation d’une position alternative ? La réponse n’appartient qu’aux protagonistes eux-mêmes qui doivent s’enlever de la tête qu’une bonne partie de la Diaspora éclairée et des Togolais-résistant optant pour le changement n’est pas intéressée par des postes en soi mais par un climat de confiance et une paix retrouvée pour pouvoir organiser des partenariats gagnant-gagnant, créateurs de valeur ajoutée, de richesse, d’emplois et de démocratie au service de la population togolaise.

Quelle espérance réaliste faut-il attendre des opposants togolais ? Quel sursaut démocratique faut-il attendre de Faure Gnassingbé ?

Par Yves Ekoué Amaïzo
* Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).Il s’exprime ici à titre personnel.