Lomé, le 28 juin 2016
Le Président National de l’ANC
Chef de file de l’opposition
N° 16- /ANC/ PN-SG
A Madame la Présidente du HCRRUN
Lomé
Réf. : V/L N° 468 /HCRRUN du 24-06-2016
Madame la Présidente,
Par lettre en référence, vous m’informez de l’organisation par le HCRRUN d’un « atelier de réflexion sur le concept de réforme et les réformes politiques et institutionnelles telles que préconisées par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) ». Vous m’invitez à y prendre part et souhaiteriez mes avis et conseils. Je vous en remercie.
Je vous prie de trouver ci-après, les remarques que m’inspire l’initiative de l’organisation de cet atelier par le HCRRUN.
1- Au Togo, les réformes politiques sont indissociables de l’Accord Politique Global (APG) signé par les protagonistes de la crise togolaise, le 20 août 2006. Car c’est l’APG qui, pour le règlement de cette crise, prescrit des « réformes constitutionnelles et institutionnelles » clairement identifiées et listées dans son titre III consacré aux réformes.
La CVJR, qui a en charge la lutte contre l’impunité et la réparation des crimes de la dictature afin de favoriser la réconciliation nationale, s’est vue obligée, dans son rapport remis au Chef de l’Etat en avril 2012, de formuler des recommandations sur les « réformes politiques et institutionnelles » parce qu’elle a constaté, six ans après la signature de l’APG, que le refus par le pouvoir de procéder aux réformes, constitue une des causes de la persistance voire de l’amplification de la crise et un obstacle à la réconciliation nationale.
Est-il besoin de rappeler que le décret 2009-46/PR du 25 février 2009, portant création de la CVJR, ne confie à cette dernière aucun mandat relatif aux réformes politiques prescrites par l’APG ? Est-il besoin de rappeler que le décret 2013-040/PR du 24 mai 2013, portant création du HCRRUN, ne lui confie non plus aucun mandat relatif à la mise en œuvre des réformes politiques ? C’est dire que la CVJR aussi bien que le HCRRUN, dont la création et les missions procèdent du titre II de l’APG, n’ont aucune habilitation légale à traiter des réformes politiques, lesquelles relèvent du titre III de l’APG et sont du ressort des parties à l’Accord Politique Global, notamment, le pouvoir en place et l’opposition.
2- Si le régime RPT/UNIR ne s’était pas livré au dilatoire pendant toutes ces années, comme il tente de le faire aujourd’hui en se servant du HCRRUN, l’APG aurait pu être exécuté avant le démarrage des travaux de la CVJR. Si tel avait été le cas, la CVJR n’aurait pas « préconisé » des réformes politiques et institutionnelles.
Il est donc évident que, nonobstant leur importance dans l’histoire de notre pays pour la guérison du mal togolais, les recommandations de la CVJR, en ce qui concerne les réformes politiques, ne peuvent supplanter et encore moins remplacer les dispositions pertinentes de l’APG.
3- Mme Awa NANA-DABOYA, Présidente du HCRRUN, n’inspire aucune confiance. Et pour cause :
• Mme Awa NANA-DABOYA était présidente de la Commission Electorale Nationale (CEN) en 1998. A l’issue de l’élection présidentielle du 21 juin 1998, le processus électoral a été jugé « sorti de son cadre légal » par l’UE, dans un communiqué rendu public le 25 juin 1998. En effet, Mme Awa NANA-DABOYA a permis au Ministre de l’Intérieur de l’époque, le général Séyi Mèmène, de publier des résultats provisoires frauduleux du scrutin et de les transmettre à la Cour Constitutionnelle, en lieu et place de la CEN, en violation du code électoral.
Mme Awa NANA-DABOYA n’a jamais rendu aucun compte au peuple togolais qui attend toujours des explications sur le rôle qu’elle a joué dans ce coup de force qui a permis au général Eyadéma de se maintenir en place, après la présidentielle de 1998. Elle n’a pas cru devoir déposer devant la CVJR, dont elle se réclame, pour dire sa part de vérité et éclairer la nation sur cette affaire.
• Saisie en sa qualité de « Médiateur de la République », par les représentants de l’opposition à la CENI au sujet de leur exclusion abusive en avril 2015 par le bureau de cette Institution, Mme Awa NANA-DABOYA s’est déclarée incompétente pour mettre fin à ce que l’opinion nationale perçoit comme l’expression de l’arbitraire le plus primaire.
Aujourd’hui, par l’invitation qu’elle lui adresse, Mme Awa NANA-DABOYA consacre cette exclusion en reconnaissant formellement la CENI dans sa composition actuelle, illégale et non représentative.
• Courant mai 2016, Mme Awa NANA-DABOYA a cru pouvoir m’adresser des reproches publics lorsque j’ai annoncé et justifié ma décision de ne pas prendre part aux manifestations officielles organisées par le régime RPT/UNIR, à l’occasion de la célébration du 27 avril. Ce comportement partisan, qui n’accorde aucune considération aux raisons invoquées à l’appui de ma décision, raisons qui interpellent le HCRRUN dans ses véritables missions et objectifs, traduit simplement l’inféodation du HCRRUN au pouvoir en place et de surcroît, le manque de respect de Mme Awa NANA-DABOYA à l’égard de l’élu que je suis.
Au regard de toutes les considérations qui précèdent, votre démarche ne peut que susciter la plus grande suspicion. En tout état de cause, le HCRRUN et sa Présidente sont disqualifiés pour traiter un sujet aussi sensible que les réformes politiques.
En conséquence, je vous demande d’annuler purement et simplement la tenue de cet atelier que je considère comme une mise en scène grotesque visant à créer les conditions d’un enterrement de l’APG ainsi que des réformes convenues.
Puisque vous sollicitez mes conseils, je me permets de vous suggérer d’inviter le gouvernement et sa majorité parlementaire à soutenir et à faire aboutir favorablement, la proposition de loi de révision constitutionnelle, relative aux réformes politiques prescrites par l’APG, que des députés viennent d’introduire à l’Assemblée nationale.
Veuillez agréer, Madame la Présidente, les assurances de ma considération distinguée.
Jean-Pierre FABRE
Cc :PM, CD, Confessions religieuses, ODDH, CAP 2015
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