28/03/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Togo: La profession de foi d’Edem Kodjo à Faure Gnassingbé

La déclaration de politique générale du Premier ministre togolais n’offre guère matière à surprise. Entre la reconvocation de ses vieux thèmes favoris et le recours au saupoudrage verbal, le message du chef du gouvernement togolais a tenu toutes les promesses de la thématique nébuleuse. Pris en flagrant délit de rafistolage tautologique, Edem KODJO a surtout rassuré ses bienfaiteurs…

Par Franck Essénam EKON.

C’est l’auteur des pensées qui offre l’ultime échappatoire à Edem KODJO au terme de son oral devant l’Assemblée nationale : « comme le disait Blaise Pascal à son ami Fermat, veuillez me pardonner d’avoir été long parce que je n’ai pas eu le temps de faire court », lançait–t-il aux députés samedi dernier. Ce qu’on prendrait pour un artifice stylistique chez un orateur ordinaire est un véritable tic du langage chez le Premier ministre togolais. C’est systématique, à chaque fois qu’il s’agit pour lui de prendre la parole, et quel que soit le sujet, latinismes et incantations pédantes sont dégainés tel un glaive brûlant sous la forme d’un argumentaire de séduction. Cette obsession du beau discours et de la forme charmeuse peut être chez certains hommes politiques, le vêtement indispensable à l’expression de mesures concrètes ; ici, c’est le substrat même du discours, sa substantifique moelle. C’est le contenant sans véritable contenu sur lequel même un pari pascalien serait très risqué…La forme, rien que la forme.

Avant le passage d’Edem KODJO devant les députés de l’Assemblée nationale, certains observateurs de la vie politique togolaise s’étaient aventurés à prédire les points fondamentaux de ce que pourrait être la déclaration de politique générale du Premier ministre. On s’attendait à du lyrisme, on l’a eu. On craignait de la lourdeur, on a été servi. On appréhendait avec angoisse une longueur soporifique, les attentes ont été comblées et on tablait surtout sur les réminiscences de sa logorrhée sur le grand pardon, on a été gâté. La question que peut soulever une telle prévisibilité dans le comportement est celle de la capacité d’un tel personnage à s’affranchir du carcan de ses illusions passéistes. « Le peuple togolais a fait l’option d’un nouvel ordre politique, économique, social et culturel, centré sur le respect des valeurs morales et spirituelles, notamment la vérité, la liberté, la dignité, la fraternité, la solidarité, la concorde », déclare M. KODJO en référence à l’histoire récente du pays et à la dynamique qui l’a porté au poste qu’il occupe actuellement. Comme on peut le constater, les impératifs de la realpolitik ont vite fait d’abolir les frontières de la décence dans l’esprit de celui qui ferme si promptement la parenthèse de la barbarie qu’ont subie les Togolais ces derniers mois. Et ce ne sont pas les quelques larmes de crocodile, furtivement versées sur les nombreuses victimes qui feront croire le contraire.

L’astrologie assez particulière à laquelle se réfère le Premier ministre pour conjecturer d’une embellie de la situation dans le pays n’a, en somme, rien de surprenant si on se remémore les conditions dans lesquelles sa désignation est intervenue. Il faut sauver « le soldat Faure » en quête de respectabilité et de fréquentabilité extérieure. Les thématiques de réconciliation, d’unité nationale, d’édification d’un Etat de droit, ou de redressement économique et financier se justifient uniquement de ce point de vue. Plus que la nomination de M. KODJO à la primature, cette homélie prononcée devant des parlementaires à la dévotion du pouvoir, renseigne mieux que les meilleurs sondages sur la collusion des intérêts entre ceux qui ont dernièrement fait main basse sur le Togo. Parler de grand pardon et de réconciliation nationale tout se placardant dans un refus catégorique à dialoguer avec l’opposition relève d’une mauvaise plaisanterie.

Edem KODJO sait mieux que quiconque que le principe d’une réconciliation nationale ne peut résulter que d’un consensus librement accepté par l’ensemble des acteurs politiques d’un pays, le tout sous l’arbitrage du verdict populaire. Ce qui vient de se passer au Togo est aux antipodes de ce schéma. A entendre le Premier ministre, seuls seront invités au banquet de la réconciliation nationale ceux qui comme lui s’investiront corps et âme dans la logique d’une compromission avec les assassins du peuple togolais. Tous ceux qui continueront à afficher « un manichéisme sommaire » sont priés de passer leur chemin et laisser le train de la rénovation poursuivre son chemin. Pas une seule fois le mot ELECTIONS n’a été prononcé dans cette litanie de poncifs. Aucun agenda précis sur les modalités pratiques de mise en œuvre de « l’esprit d’ouverture et de la main tendue » vantées dans le discours. Conclusion : ce gouvernement constituera une soupape de sécurité sans complaisance pour jouer les prolongations aussi longtemps que possible et différera autant que faire se peut l’inquiétante perspective des consultations électorales. Ce projet de congélation du processus démocratique est d’autant plus d’actualité que le Premier ministre et son filleul sont conscients des conséquences désastreuses que des élections véritablement transparentes auraient sur leur planning.

Brandir aujourd’hui l’élixir magique d’un nouveau départ, avec le grand pardon comme aphrodisiaque, revient à décréter une espèce de pax romana sous le prétexte fallacieux de l’accalmie provoquée par les violences post-électorales. L’éventualité d’une attitude plus humble ne semble aucunement effleurer le « parrain » de Faure Gnassingbé. Dans un accès de fièvre jubilatoire, le Premier ministre déroule son rêve messianique pour un Togo nouveau : retour des réfugiés, poursuite des réformes contenues dans les 22 engagements pris à Bruxelles, édification d’un état de droit, intégration de la jeunesse et des couches défavorisées, sécurité des personnes et des biens et redressement économique en constituent l’ossature. Les Togolais sont familiers de cette batterie de mesures en trompe-l’œil. Il s’agit essentiellement d’un habillage technique et d’un grossier camouflage pour accomplir des desseins d’un autre ordre. Ce rôle, Edem KODJO le connaît par cœur et pour les amnésiques de tout poil qui s’époumonent ces derniers temps sur ses orientations, le souvenir de ses tribulations de 1994, qui ont abouti à la remise en selle de la dictature, devrait suffire pour calmer les ardeurs.

Pour mener à bien cette mission, il n’a pas besoin d’aller chercher bien loin : il lui suffit de rouvrir le tiroir de ses anciennes formules et de dépoussiérer le bréviaire de sa feuille de route d’il y a une dizaine d’années en l’édulcorant de quelques statistiques fantaisistes, le tout enrobé dans une visqueuse grandiloquence et le tour est joué. Heureusement, pour M. KODJO, cette danse du ventre rhétorique ne risque pas d’être contredit par le troupeau de béni-oui-oui qui tient actuellement lieu de parlement au Togo. Complètement hors du coup lorsqu’ils ne se prélassent pas dans les bras de Morphée, ils ne daignent signaler leur présence que par les applaudissements nourris dont ils gratifient l’orateur du jour sans avoir compris un traître mot à son intervention. Edem KODJO qui est au courant des limitations intellectuelles de son auditoire a dû apprécier l’intérêt des députés pour son discours magistral. Lui qui connaît certainement le sens du mot « fierté », serait mal venu de s’enorgueillir du vote à l’unanimité de son programme par une telle assemblée. D’ailleurs, tous ceux qui siègent à ce parlement fantoche savent d’où ils viennent et ne se privent pas de faire leur « part du boulot » dans la succession des coups de force et du vote des lois iniques qui sont devenus le quotidien des Togolais.

La stratégie du guet-apens permanent est, de toute évidence, celle privilégiée par Faure Gnassingbé et son précepteur de circonstance. Il faut être d’une mauvaise foi morbide pour croire qu’une « aube nouvelle » s’est levée sur le Togo. Et quand la mauvaise foi se double de cette suffisance, synonyme de mépris souverain pour les vraies questions de l’heure, il se pose pour l’homme politique, quel qu’il soit, un sérieux problème d’éthique de la responsabilité. On ne se dédouanera pas en essayant de diluer sa mixture verbeuse dans la compilation de pseudo-objectifs économiques à atteindre. Cette fausse naïveté n’abuse que ceux qui ont pris le parti d’abdiquer face à l’insupportable ainsi que ceux qui ont choisi le camp du MENSONGE TOTAL…En réalité ce sinistre sermon sur le grand pardon véhicule en lui-même les stigmates de son propre discrédit : une camisole qu’on voudrait enfiler manu militari aux populations tandis que la dictature remet méthodiquement en place les différents maillons de sa hideuse chaîne.

Le déficit de légitimité est la bannière sous laquelle Faure Gnassingbé et son Premier ministre solidarisent leurs efforts pour le règne de l’immobilisme au Togo. « Que personne ne s’y trompe, je travaillerai en toutes circonstances en étroite collaboration avec le président de la République et l’épaisseur d’un papier à cigarette ne pourra passer entre nous », rugit KODJO au terme de sa prestation du 2 juillet dernier. Comme s’il se trouvait encore des togolais pour croire le contraire ! Mais, pour Edem KODJO, le réaffirmer fait du bien et revient à renouveler sa profession de foi devant son nouveau bienfaiteur. Par les temps qui courent, les vœux de fidélité et les serments d’allégeance valent leur pesant d’or…surtout si on ne sait pas de quoi demain sera fait…La conséquence de cette mise en scène est simple : le destinataire de ce discours est en même temps son commanditaire. Dans la configuration actuelle de l’organigramme institutionnel au Togo, on aurait pu faire l’économie de ce passage devant les députés, puisque ce sont les mêmes sbires qu’on retrouve à chaque pallier des instances décisionnelles. L’indifférence généralisée des togolais après cet oral et les quolibets des journalistes de la presse privée dans le pays sont les indicateurs les plus parlants de la réception des rodomontades du Premier ministre. Pascal a aussi écrit en 1647 une Préface pour un traité du vide, gageons que KODJO l’a lu … et tout se comprendrait.

La redaction letogolais.com