LES CLES POUR COMPRENDRE L’EXIGENCE DU PEUPLE TOGOLAIS AU RETOUR DE LA CONSTITUTION VOTEE PAR VOIE REFERENDAIRE EN 1992
Depuis la contestation populaire du 19 août 2017 réclamant entre autres le retour de la constitution originelle de 1992, beaucoup de choses ont été dites par des détracteurs sur le bien-fondé de cette demande. Les arguments le plus souvent avancés par les détracteurs reposent sur l’absurdité de la demande et le caractère progressiste dévolu à une loi fondamentale appelée à répondre aux réalités et aux besoins contemporains.
Pour mieux comprendre cette demande, Synergie-Togo propose de revisiter l’histoire de la constitution de 1992 en deux temps :
1- La naissance de la constitution de 1992 et son application ;
2- Un comparatif des articles originels de la constitution de 1992 modifiés en 2002 par les députés du parti Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), parti au pouvoir, ancien parti unique parti Etat des décennies 70 et 80 devenu aujourd’hui le parti Union pour la République (UNIR). Ce comparatif s’intitule « Togo : les modifications de la constitution du 14 octobre 1992 et leurs enjeux ou la transformation furtive d’un régime démocratique semi-présidentiel, acté par la Conférence Nationale Souveraine (CNS), en un régime présidentiel sans contre-pouvoir pour le maintien à vie au pouvoir du clan GNASSINGBE »
Le présent document traite le point 1 de « la naissance et de l’application de la constitution de 1992. »
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I. DE LA CONFERENCE NATIONALE SOUVERAINE A LA TRANSITION DEMOCRATIQUE
Indépendant le 27 avril 1960, le Togo, a été le premier pays d’Afrique où par un coup d’état militaire, le premier président démocratiquement élu a été assassiné le 13 janvier 1963. Après un intermède de quatre ans, à partir du 13 janvier 1967, le Togo est dirigé d’une main de fer par le Général Gnassingbé Eyadéma qui meurt le 05 février 2005. Pendant son règne, les populations ont vécu les affres du parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) et de la dictature. A la faveur du vent démocratique des années 1990, les mouvements de contestation des populations togolaises pour l’instauration de la démocratie, de l’Etat de droit et du pluralisme politique avaient atteint leur paroxysme.
Ces mouvements de contestation ont débouché sur l’organisation de la conférence nationale souveraine du 08 juillet au 28 août 1991. Cette conférence nationale qui avait pour but de décider d’un nouveau projet de société pour le Togo a réuni toutes les couches de la société togolaise. A son terme, marqué par un coup de force de l’armée togolaise, cette conférence des forces vives de la Nation a néanmoins pu, adopter l’acte N° 7 portant loi constitutionnelle organisant les pouvoirs pendant la période de transition. Une transition démocratique a ainsi été enclenchée, avec la nomination d’un Premier Ministre, Maître Joseph Kokou Koffigoh et la création d’institutions provisoires telles que le Haut conseil de la République (HCR), parlement de transition présidé par Monseigneur Fanouko Kpodzro. Le HCR avait pour principale mission la rédaction d’une nouvelle constitution pour le pays.
Malheureusement, la transition a été entravée par plusieurs intrusions intempestives de l’armée dans la vie publique, et ce dès le 28 novembre 1991. Malgré ces coups durs portés à la transition, la constitution de la IVe République togolaise a été adoptée par référendum, le 27 septembre 1992, et promulguée le 14 octobre de la même année.
Une des avancées majeures de cette constitution est la limitation des mandats du président de la République à maximum de deux, d’une durée de cinq (5) ans. Le Président de la République ne devait « en aucun cas exercer plus de deux mandats », donc rester au pouvoir pendant plus de dix (10) ans.
Après un ultime amendement du projet de constitution opéré à travers la loi N° 92-2/PR du 27 Août 1992 portant modification du projet de constitution annexé à la loi N° 4 du 20 juillet 1992 portant organisation du référendum constitutionnel, le Général Gnassingbé Eyadema appelle à voter pour cette constitution qui sera ainsi, selon les résultats officiels publiés au journal officiel, adoptée à 98,11% des suffrages exprimés avec un taux de participation de 74,24%. Il faut rappeler que cet ultime amendement du projet constitutionnel par la loi N°92-2/PR du 27 août 1992 avait été obtenu en contrepartie :
1. de l’amendement à la même date et par loi N°92-1/PR du 27 août 1992, de l’acte N° 7 permettant au Général Gnassingbé de récupérer l’essentiel des pouvoirs que la Conférence nationale lui avait retirés pour les confier au Premier ministre de transition,
2. de la prorogation de la transition et du maintien en fonction du Premier ministre élu par la conférence nationale par loi N°92-2/PR du 27 août 1992 et ce jusqu’à l’organisation du référendum constitutionnel et des élections,
3. du maintien du Haut conseil de la République dans sa composition de l’époque par Loi N°92-3/PR le même jour.
II. UNE TRANSITION CHAOTIQUE ENTRE LA FIN DE LA CONFERENCE NATIONALE SOUVERAINE ET LES PREMIERES ELECTIONS PLURALISTES
Entre le 28 août 1991, fin de la conférence nationale souveraine et le 25 août 1993 date des premières élections pluralistes, la vie politique togolaise a connu deux ans de transition chaotique marquée par les évènements douloureux suivants :
➢ 1er Octobre 1991 : occupation de la radio nationale par les militaires ;
➢ 8 octobre 1991 : tentative d’enlèvement du Premier ministre ;
➢ 2 décembre 1991 : suite à une décision du HCR de dissoudre l’ex parti unique le RPT, l’armée togolaise attaque la Primature. Cette attaque se solde par plusieurs centaines de morts et la reddition du Premier ministre Koffigoh ;
➢ 5 mai 1992 : attentat de Soudou contre M. Gilchrist Olympio, leader de l’Union des Forces de Changement, principal parti d’opposition à l’époque ;
➢ Juillet 1992 : assassinat de Tavio Amorin, membre du HCR, leader du Parti Socialiste Panafricain ;
➢ Fin août 1992 : fin de la période de transition et création d’une commission mixte paritaire où le Général Gnassingbé reprend la plupart des pouvoirs ;
➢ 22-23 octobre 1992 : séquestration violente des membres du HCR par des militaires, qui exigent le que les fonds du RPT, l’ex parti unique, constitués par les cotisations de tous les togolais qui étaient membres d’office de ce parti leur soient remis. Ils vont ainsi récupérer 5 milliards FCFA, directement à la banque, en contrepartie de la levée du siège du parlement de transition ;
➢ 16 novembre 1992 : lancement d’une grève générale illimitée qui va durer neuf mois ;
➢ 25 janvier 1993 : répression sauvage par les militaires à la place Fréau Jardin à Lomé d’une manifestation pacifique de l’opposition qui a mobilisé plusieurs dizaines de milliers de personnes lors de la visite au Togo des Ministres des Affaires étrangères de la France et de l’Allemagne venus porter un message de l’Union Européenne au Général GNASSINGBE Eyadéma;
➢ 30 janvier 1993 : irruption de militaires dans le quartier populaire de Bè -bastion de l’opposition – et tirs à vue sur toutes les personnes rencontrées. S’en suit un véritable exode de la population de Lomé, vers le Bénin, le Ghana, et les villages de l’intérieur ;
➢ Février 1993 : échec d’une tentative de médiation franco-allemande à Colmar par refus de la partie présidentielle ;
➢ 25 mars 1993 : attaque du camp militaire RIT de Lomé par des rebelles. S’ensuit une épuration de l’armée par élimination physique des militaires jugés démocrates.
En vue de mettre fin à deux ans de transition chaotique et meurtrière une médiation officielle du président du Burkina Faso M. Blaise Compaoré, avec la participation de représentants français et allemands, aboutit le 11 juillet 1993 à la signature de l’Accord de Ouagadougou entre d’une part, la délégation présidentielle et le gouvernement togolais, d’autre part le Collectif de l’opposition démocratique (COD II). Cet Accord porte sur les questions relatives à la sécurité et à l’organisation des élections au Togo. Les premières élections présidentielles pluralistes sont programmées sur le 25 août 1993. Mais compte tenu de l’impréparation de ces élections, l’opposition représentée par un candidat unique Monsieur Edem Kodjo décida de jeter l’éponge trois jours avant le scrutin. Le Général Gnassingbé sera proclamé élu président de la république.
III. PAROLE DE MILITAIRE RENIEE
En juin 1998, à la suite de la réélection très contestée du Général Gnassingbé, un accord dit accord cadre de Lomé a été signé entre les protagonistes d’une crise politique ouverte. Les partis signataires de cet accord (partis politiques d’opposition d’une part et le RPT et le gouvernement de l’autre) se sont engagés à renoncer à la violence comme moyen de la politique et à renoncer à la demande d’une reprise des élections présidentielles de juin 1998. En contrepartie, le gouvernement devra dissoudre l’Assemblée Nationale. La dissolution du Parlement devait ouvrir la voie à des élections législatives pluralistes, transparentes et équitables dont l’organisation serait conduite par une nouvelle Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) paritaire entre gouvernement et opposition. Aux termes de ces mêmes accords, le Général Gnassingbé s’engagea publiquement sur « parole de militaire » à ne plus briguer un autre mandat présidentiel et, conformément à la Constitution togolaise et à partir à la retraite en mars 2003, au terme de son dernier mandat.
Dans les faits, la CENI a été dissoute unilatéralement par le Général Gnassingbé qui l’a remplacée par un collège de magistrats nommés par lui.
Pour protester contre cette dissolution unilatérale de la CENI et son remplacement par un collège de magistrats désigné par le Président de la République, la coalition de l’opposition décide de boycotter les élections législatives de 2002. Ce boycott a permis au parti présidentiel le RPT d’avoir la majorité qualifiée pour modifier unilatéralement le 31/12/2002 la constitution votée par référendum en 1992. Aux termes de cette modification, le préambule et 46 articles de la constitution de 1992 ont été « charcutés ». Le mandat présidentiel à vie a été instauré, en totale contradiction avec l’aspiration du peuple togolais qui a voté en 1992, à plus de 98% la constitution de la IVème République. Cette modification n’avait qu’un seul objectif : favoriser une seule personne, le Général Gnassingbé qui renia, au bénéfice de cette révision constitutionnelle, sa parole de militaire pour briguer un troisième mandat présidentiel en juin 2003.
IV. DOUBLE MODIFICATION DE LA LOI FONDAMENTALE EN FEVRIER 2005 ET ACCESSION CALAMITEUSE DE FAURE GNASSINGBE AU POUVOIR APRES LE DECES DE SON PERE
Après avoir dirigé d’une main de fer le Togo pendant 38 ans, le Général Gnassingbé décède le 05 février 2005, ce qui ouvre la voie à une succession dynastique, également préparée par la révision constitutionnelle de 2002 et incarnée par son fils Faure qui arriva au pouvoir dans des situations calamiteuses au cours desquelles des centaines de togolais perdirent la vie.
Et comme la chose la mieux partagée entre le clan au pouvoir est le charcutage de la loi fondamentale du pays pour se maintenir indéfiniment au pouvoir, au mépris des intérêts du peuple togolais, Faure Gnassingbé a bénéficié du soutien d’une partie de l’armée et de deux révisions constitutionnelles pour accéder au pouvoir.
La première est celle de la loi de révision n° 2005-02 du 6 février 2005 qui a modifié les articles 65 et 144 de la Constitution modifiée en 2002 afin de lui permettre de devenir député, président de l’assemblée nationale et président par intérim de la République Togolaise.
La deuxième est relative à la loi de révision n° 2002-06 du 24 février 2005 modifiant les articles 65 et 144 de la Constitution pour rétablir la version précédente de ces articles.
V. ACCORD POLITIQUE GLOBAL DE 2006 ET DILATOIRE SUR L’EXECUTION DES PRINCIPAUX TERMES
L’accession calamiteuse de Faure Gnassingbé au pouvoir est à l’origine de la signature en 2006 d’un nouvel accord politique dit Accord Politique Global (APG) entre les partis de l’opposition et le RPT. Les principaux termes de l’APG exigeaient des réformes constitutionnelles et institutionnelles avec pour but de mettre le pays sur les rails de la démocratie et de l’alternance. Depuis plus de 11 ans, aucune de ces exigences n’a eu le moindre début d’exécution. Elles font plutôt l’objet de dilatoire de la part de Faure Gnassingbé et de l’exécutif qui tantôt envoient un projet de loi relatif aux réformes constitutionnelles à l’assemblée nationale pour les faire rejeter par leurs propres députés, tantôt refusent de soutenir des propositions de loi semblables déposées par l’opposition parlementaire.
Pendant ce temps la grande majorité de la population croupit dans la misère. Les richesses du pays sont accaparées par une minorité arrivée par effraction au pouvoir. Pas d’hôpitaux dignes de ce nom et aux normes internationales. Ceux qui existent manquent de tout. Le système éducatif est en déliquescence avancée, la corruption est érigée en système de gouvernance, le cumul de fonctions est devenu la norme, l’économie tourne au ralenti et la dilapidation des capitaux est devenue un sport favori des gouvernants, le chômage est endémique et touche surtout les jeunes à qui aucune perspective n’est proposée. Ceux qui ont la chance d’avoir un travail sont mal payés et travaillent dans des conditions déplorables.
VI. CONCLUSIONS
De tout ce qui précède, il est important de noter que :
➢ De tout temps et depuis 1967, les dispositions qui permettent l’accession à la fonction suprême de l’Etat ont toujours été taillées sur mesure, au détriment du reste de la société togolaise, pour une seule personne, une seule famille et au profit d’un seul parti, le RPT, aujourd’hui UNIR ;
➢ En 2003, année où la constitution de 1992 devrait être opérationnelle en termes de pluralisme politique et d’alternance au sommet de l’état, elle a été modifiée par le RPT, six mois avant l’échéance des élections présidentielles, pour perpétuer le statu quo. Du coup cette constitution, que les détracteurs qualifient de dépassé, n’a en réalité jamais été mise en pratique ;
➢ D’entourloupes en entourloupes depuis plusieurs années de la part du pouvoir en matières de réformes constitutionnelles et institutionnelles, la population togolaise excédée par l’immobilisme et l’absence d’alternance demande a minima le retour de la constitution originelle de 1992 ;
➢ La démocratie exige de la part des gouvernants la mise en œuvre d’un développement social, économique inclusif et durable. Ceci fait défaut au Togo depuis plus de 50 ans, reléguant le pays en queue de peloton dans la sous-région ouest-africaine ;
➢ La démocratie a besoin d’élections pour vivre et renouveler ses gouvernants et non pas pour les perpétuer. Dans une démocratie personne ne doit avoir peur des élections, mais quand l’organisation des élections est émaillée de fraude dès la constitution du fichier électoral jusqu’à la compilation et la restitution des résultats, elle doit être dénoncée et combattue. Le référendum que compte organiser le pouvoir en lieu et place du retour de la constitution de 1992 ressemble à de la triche où tout serait interdit sauf la victoire de Faure et de son parti UNIR. A l’heure où le front social gronde dans toutes les villes du pays, le budget du référendum pourrait servir à apporter des éléments de réponse aux travailleurs, qui méritent un peu d’égard ;
➢ Tous les acteurs politiques nationaux et internationaux s’accordent à souligner que le Togo traverse aujourd’hui une grave crise sociale et politique. L’organisation unilatérale d’un référendum ne sera pas de nature à régler cette crise mais plutôt à l’exacerber. Le retour à la constitution originelle de 1992 avec toutes ses conséquences est un bon compromis pour le retour du Togo aux valeurs démocratiques de base.
Fait à Paris, le 4 Avril 2018
Pour Synergie-Togo, le Président
Kanyi Eric AMOUZOUGAH
Synergie-Togo est une organisation de la société civile créée par des membres de la diaspora togolaise dans le but de contribuer au développement économique du Togo en mobilisant les compétences des Togolais, en sensibilisant la diaspora togolaise au devoir de solidarité qui s’impose à elle, en servant de cadre de réflexion pour l’élaboration de travaux relatifs à la valorisation de la démocratie et à la promotion des droits humains.
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