24/04/2024

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Togo : Les interrogations du Grad sur la dissolution du RPT

I. Dissolution du RPT : une évolution difficile à accepter

Le 14 Avril 2012, la nouvelle est enfin tombée. L’événement annoncé depuis quelque temps est devenu une réalité. Le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), ancien parti unique ou, mieux, Parti-Etat, récupéré par la mouvance présidentielle au lendemain de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) en 1991, est officiellement dissous au cours de son cinquième Congrès extraordinaire tenu à Blitta. Cette localité est le chef-lieu de la préfecture du même nom et le fief de l’ancien député à l’Assemblée Nationale, actuel chef de l’Etat. En effet, il convient de rappeler que celui-ci a été député jusqu’au putsch militaire et au coup de force constitutionnel de l’Assemblée nationale perpétrés respectivement les 5 et 6 février 2005 suite au décès du Président Eyadema Gnassingbé. Tous les téléspectateurs togolais, en particulier ceux de Lomé, la capitale, ont suivi en direct ces deux coups de force. Tout le monde connaît la suite avec les divers gros moyens mis en œuvre pour la conservation du pouvoir, notamment, la répression sanglante des manifestations populaires de protestation et l’élections présidentielle mouvementée d’avril 2005 et caractérisée par des fraudes et des violations massives des droits humains. L’organisation des élections présidentielles de 2005 et de 2010 illustre à suffisance la culture de la violence, du déficit démocratique et du mépris total des populations. Elle traduit la volonté de continuité et de pérennisation du régime issu du coup d’Etat de 1967, opéré par les forces armées nationales créées au lendemain du coup d’Etat de 1963 et qui s’était malheureusement soldé par l’assassinat du premier Président du Togo indépendant Sylvanus Olympio.

Les dirigeants du RPT savent très bien que la stratégie de conservation du pouvoir et le maintien dynastique au pouvoir de la famille Gnassingbé n’est possible qu’avec l’aval de l’armée, une aile marchante du RPT restée fidèle au Président de ce parti unique dont certains responsables et dignitaires avaient vivement souhaité une réforme en profondeur. Ils étaient, en effet, de bonne foi persuadés qu’un effort d’aménagement interne devait permettre l’adaptation progressive de leur parti à un environnement politique en pleine mutation, aux exigences du processus démocratique et à la pression de la Communauté internationale. Ce fut un crime de lèse majesté dont les Togolais se souviennent encore et de la punition infligée aux réformateurs de l’intérieur, membres des instances politiques supérieures du parti le comité central et le bureau politique. Leur exclusion du parti a été décidée.

Et pourtant ils n’avaient pas proposé la dissolution du RPT comme l’avaient fait les membres du Haut Conseil de la République, faisant office d’Assemblée nationale pendant la période de transition après la Conférence Nationale Souveraine (CNS). Les hauts conseillers de la République avaient subi la colère des autorités et toutes les humiliations des soldats et des officiers restés fidèles au Chef de l’Etat, chef suprême des armées et Président fondateur du RPT. Les députés de l’Assemblée de la transition avaient compris ce qu’il en coûtait de vouloir dissoudre le RPT, même si le multipartisme naissant pouvait justifier le bien fondé de cette idée de dissolution en novembre 1991.

Les récentes audiences publiques de la Commission, Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) ont permis de recueillir des témoignages poignants et pénibles de cette période douloureuse de l’histoire politique de notre pays. Elles ont révélé, entre autres, la détermination des barons réfractaires du RPT et l’obstination d’un nombre d’officiers de l’armée togolaise, décidés à perpétuer des comportements antidémocratiques, pourtant révolus depuis le vent de la démocratisation en 1990. Les membres de la CVJR ont également appris à leurs dépens cette attitude méprisante et peu courtoise des représentants de l’armée mis en cause dans les événements soumis au mandat de la CVJR et réduits à la période de 1958 à 2005.

Tout cela montre que l’idée de la disparition du RPT n’a jamais été acceptée par la majorité des dirigeants du parti, malgré les velléités de changement d’une frange de son élite dirigeante. Comment alors comprendre aujourd’hui le revirement des leaders de ce parti plus que quadragénaire ? Que signifie cette dissolution longtemps refusée et souvent violemment combattue ? Est-ce pour créer un effet d’annonce à un moment où le rapport de la CVJR rappelle les enjeux et la nécessité de la réconciliation et de l’union des Togolais entre eux ?

II. Dissolution : une affaire de simple effet d’annonce ou un réel changement de comportements ?

L’histoire de notre pays enseigne que les acteurs politiques et les gouvernants de notre pays ont conscience de l’importance et de la nécessité de l’unité nationale. Et quoi de plus normal pour une nation en construction ! Ce souci de l’unité nationale transparaît généralement dans l’appellation des formations politiques telles que le Comité de l’unité Togolaise (CUT), le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), le Parti des Démocrates pour l’Unité (PDU), l’Union Togolaise pour la Démocratie (UTD) et l’Unité Togolaise pour la Réconciliation (UTR). Cette aspiration des populations à l’union, à la solidarité entre elles et à la concorde nationale sous-jacente à l’appellation adoptée vise à promouvoir une conscience patriotique capable de développer un sentiment d’identité nationale commune. Cet objectif relatif à la construction de l’unité nationale est souvent mis à l’épreuve par des rivalités politiques qui ont conduit aux coups d’Etat successifs de janvier 1963 et 1967, imposant une intervention plus qu’inquiétante de l’armée dans la gestion des affaires politiques du pays. Et le rôle joué par l’armée nationale et souligné par les témoignages recueillis au cours des audiences publiques de la CVJR, n’est plus à démontrer comme une structure d’appui inconditionnel de ce régime issu, en l’occurrence, du coup d’Etat militaire de 1967 et pratiquement en place depuis plus de quarante ans. Cette synergie entre le RPT et l’armée contribue aux victoires du RPT à l’issue des scrutins frauduleux organisés dans le cadre du processus de démocratisation enclenché depuis 1990. En fait, l’armée a toujours perpétré les coups d’Etat dans le pays et est de ce fait rentrée dans la logique de la force primant le droit. Elle entretient un climat permanent de déstabilisation des institutions de la République. Une mentalité de coup d’Etat permanent, en se persuadant que les forces armées sont au-dessus des lois de la république et que leurs représentants sont habilités à exercer des mandats politiques et civils.

Dans ces conditions, la dissolution du RPT peut-elle contribuer à imprimer un caractère républicain à l’armée nationale dont l’impact dans la vie politique togolaise est fort connu dans la survie de ce régime étroitement associé à l’existence du RPT ? Et que deviendra le nouveau parti Union pour la République – UNIR – appelé à remplacer le RPT sans l’appui inconditionnel de l’armée ? L’histoire postcoloniale du Togo montre que l’armée a créé le parti RPT et que le RPT a fait l’armée dans une véritable complicité active et constante, fondement de la fameuse exception togolaise marquée par la valorisation de la violence et de la violation massive des droits de l’Homme, d’une part, et le règne du culte de la personnalité, de l’arbitraire et de l’autoritarisme, d’autre part.

III. Dissolution du RPT : résolution pour un changement de comportements différents par rapport aux anciennes pratiques du RPT. ?

A cette question, le GRAD craint que ces types de déclarations des gouvernants donnant l’impression d’être ouverts au changement, ne soient pas que des déclarations d’intention, mais des obligations de comportement. Le GRAD constate qu’il y a un écart considérable entre les discours sur les avancées démocratiques et les actes posés au quotidien. En effet, le discours devient peu crédible dans un environnement national longtemps marqué par la domination du système policier, la pensée unique, l’esprit de suspicion et de méfiance maladive et la culture de la violence, entretenue par un mode de gouvernement autoritaire et solitaire. Le GRAD se demande comment enrayer, dans ce contexte sociopolitique, cette profonde méfiance entre les acteurs politiques et les populations soumises chaque jour au phénomène de la vie chère et à celui de la corruption ?

Au regard de cette problématique qui sous-tend la longue crise togolaise, le GRAD reste convaincu que seuls les actes concrets et les comportements des principaux protagonistes constituent les véritables critères d’évaluation du changement espéré, souhaité et effectivement attendu par les populations et tous les acteurs politiques et de la société civile qui luttent pour l’avènement d’un Togo nouveau. Au-delà des discours et des mots, la volonté de changement doit se traduire dans les faits, les actes et les comportements Il convient de noter que l’histoire de la vie politique du Togo est faite de répétitions davantage plus préoccupées par des effets d’annonce que par des résultats probants et efficaces. Le cas des discours sur la réconciliation nationale est connu au lendemain du coup d’Etat de 1963 et de celui de 1967. Pourquoi celui de 2005 ne rechercherait-il pas un règlement de la crise à travers un processus de réconciliation ? Le rapport de la CVJR qui vient d’être remis au gouvernement le 3 avril permettrait-il d’atteindre effectivement l’objectif de la réconciliation ? Par ailleurs l’histoire de la vie politique togolaise nous enseigne que le RPT malgré ses nobles objectifs de départ de rassembler a fini par diviser dans le rassemblement. Et le nouveau parti Union pour la République ou UNIR, fruit de la fusion-création, ne vise-t-il pas à rassembler de nouveau les Togolais sans réellement les unir, à l’instar du quadragénaire RPT ?

Le GRAD continue de se demander si un observateur averti de l’histoire politique togolaise pourrait il honnêtement éviter de faire de tels rapprochements, voire même de telles assimilations ? En conséquence, pour échapper à cette tendance, la dissolution du RPT doit entraîner une véritable rupture quant à l’organisation de ce parti et au modèle de comportement de ses dirigeants habitués à une gestion solitaire du pouvoir. Dans cette perspective, le GRAD reste persuadé que seule une rupture radicale avec le passé et les pratiques antidémocratiques qui le caractérisent peuvent convaincre de la véracité de la dissolution du RPT ancien parti-Etat historiquement associé aux années sombres et douloureuses de la vie nationale. Des années d’arbitraire, d’abus divers, de violences, de crimes et d’impunité. Des années de plomb, d’inhumanité et de souffrances que des efforts de réconciliation nationale cherchent vainement, à atténuer à faire digérer au nom du grand pardon, sans toutefois remettre en cause le phénomène de l’impunité persistante.

Les résultats de ces récents efforts de réconciliation nationale consignés dans le rapport de la CVJR montrent, certainement, les voies indiquées pour une sortie pacifique de la crise togolaise. Les recommandations de ce rapport sont essentiellement claires sur ce point. Elles font appel à la volonté politique des gouvernants qui ont pris l’initiative de cette institution de salut public L’accent est particulièrement mis sur la nécessité d’entreprendre les réformes constitutionnelles et institutionnelles, capables de promouvoir et consolider le processus de démocratisation du pays. Le retour à la constitution de 1992, toilettée par une assemblée nationale monolithique RPT en 2002 en faveur de la présente, violée et dénaturée par le coup d’Etat militaire et constitutionnel de février 2005, est rigoureusement affirmé. La mise en œuvre de ces recommandations apparaît déterminante pour une sortie effective et non violente de la longue crise togolaise, historiquement née de la violence programmée et entretenue par la culture de la violence délibérée. Si cette option n’est pas concrétisée, traduite dans la vie politique nationale et le quotidien des populations togolaises toujours confrontées à une baisse constante du pouvoir d’achat et aux difficultés de la vie chère, les illusions risquent d’être renforcées. Et l’acte de dissolution du RPT se révèlera comme une supercherie destinée à instaurer un marché de dupes, plutôt qu’à introduire un changement authentique, positif, en vue de réelles améliorations, dans la vie politique, économique et sociale des Togolais. Ces réflexions laissent planer le doute sur la réalité de la dissolution du RPT et la crédibilité de cet acte décisif impliquant des renoncements des instances supérieures de ce parti qui a fait la carrière politique et la promotion sociale d’un grand nombre de militants. Comment faire admettre, à ses militants et aux populations, la dissolution de ce parti dont le règne sur la vie politique du Togo indépendant est pratiquement supérieur à celui du pouvoir colonial français au Togo ? Comment écarter l’hypothèse d’une stratégie de conservation visant à faire croire à une volonté de changement de régime, une alternance effective, à travers un simple changement d’appellation d’un parti radicalement réfractaire jusqu’ici à toute action ou réforme censée favoriser le processus de démocratisation du pays ?

Pour répondre à ces interrogations, le GRAD estime que seuls les auteurs de ce changement d’appellation et les leaders du nouveau parti sont tenus de convaincre de la véracité de leur décision et d’apporter les preuves de leur sincérité. Il leur revient de montrer qu’ils abandonnent totalement la politique de refus du changement démocratique. Il leur appartient d’établir leur crédibilité par leur engagement à entreprendre effectivement et sur une base consensuelle les réformes constitutionnelles et institutionnelles, prévues par l’APG ainsi que d’autres aptes à ancrer les valeurs démocratiques dans le pays. Il leur incombe de montrer qu’il est possible de gouverner autrement en tenant compte des souffrances des populations et de leurs aspirations vers de meilleures conditions de vie et l’avènement de l’Etat de droit. Il faut qu’ils comprennent qu’il est temps de changer de comportement pour promouvoir la bonne gouvernance politique, économique et sociale, l’une des conditions majeures requises pour la réconciliation nationale.

Lomé le 16 mai 2012