On ne gagne pas la sympathie ni l’adhésion d’un peuple en lui racontant des inexactitudes voire des mensonges. Il s’en aperçoit tôt ou tard et se retourne contre les auteurs de ces méfaits.
J’ai été le conseiller spécial de Gilchrist Olympio sans interruption depuis les années 60 où nous nous sommes engagés, jeunes tous les deux, en politique. Pendant toutes ces années, mon rôle auprès de lui a été de lui dire toujours la vérité, de le mettre en garde contre les situations susceptibles de l’induire en erreur et de tracer ensemble avec lui la meilleure voie qui pourrait conduire le peuple togolais à un devenir démocratique et prospère.
Nous étions encore ensemble à faire ce travail dans la perspective de l’élection présidentielle de 2010 quand, le 21 décembre 2009, le Président National (PN) de l’UFC, Gilchrist Olympio s’est rendu à New York puis à Washington pour un bref séjour.
Dans la nuit du 30 décembre 2009, le gendre du PN m’a appelé de Washington pour m’annoncer l’accident de son beau-père en insistant que cette information devait être tenue strictement confidentielle même à l’égard de la famille. De plus, il me précisait que les médecins ont consigné le PN au lit pendant 20 jours avec le port d’une minerve rigide, qu’il ne devait pas voyager avant une période de deux mois et qu’ainsi son état pourrait se rétablir après trois à quatre mois.
Ce n’est que le lendemain que j’ai pu parler brièvement au téléphone au PN qui souffrait encore atrocement et s’exprimait très difficilement.
Malgré les consignes de discrétion, j’ai pris sur moi de m’ouvrir le jour même au meilleur ami et conseiller du PN, d’une part par fidélité a son égard et de l’autre pour recueillir ses conseils. Il avait souligné que la seule stratégie en la circonstance est de tenir secret l’accident du PN, de mobiliser le parti et l’opposition en vue du report de la date de l’élection qui venait d’être annoncée en jouant sur le délai de mise à jour du fichier électoral jusqu’au rétablissement du PN pour qu’il puisse se présenter régulièrement. En effet le 30 décembre 2010, le gouvernement a pris la décision de convoquer le Corps électoral pour l’élection présidentielle dont la date a été fixée au 28 février 2010. Cette décision a profondément choqué tous les partis de l’opposition togolaise comme tous les observateurs étrangers de la situation politique de notre pays. Car le fichier électoral n’était ni prêt, ni soumis à l’audit de la CENI dont le Président devait donner le feu vert au Chef de l’Etat. Cette décision qui était une grave violation de l’Article 51 de notre Code électoral, avait été fortement stigmatisée en son temps dans la presse avec toutes ses conséquences politiques et juridiques.
J’ai rendu compte au PN le jour même de ma rencontre avec son ami et des conseils qu’il m’a donnés. Il m’a exprimé sa satisfaction et ses remerciements. Dès lors, il fallait entreprendre une action urgente de concertation auprès du premier Vice-président et du Secrétaire général du parti.
Le 1er janvier 2010, au soir, j’ai demandé au Secrétaire général de m’envoyer le lendemain, un émissaire auquel je voulais remettre un pli confidentiel pour le premier Vice-président et lui-même. Dans ce courrier, sans rentrer dans le détail, je les informais de l’accident du PN et leur proposais qu’une rencontre ait lieu entre nous dès que possible pour examiner la situation et prendre les décisions appropriées. J’ai insisté sur le caractère confidentiel de la nouvelle.
Cette réunion n’a pu avoir lieu que le vendredi 8 janvier 2010 à Tégbui, près de Kéta, parce que Patrick Lawson et J-P Fabre souhaitaient que Maitre Georges Lawson, également conseiller spécial de M. Gilchrist Olympio et qui était en voyage en France, puisse y assister. Dès la fin de mon exposé, tous les trois déterminés à agir en faveur de la candidature du PN ont insisté sur l’urgence de commencer sans délai la constitution du dossier de candidature du PN et sur l’enclenchement immédiat d’une démarche diplomatique auprès de Chefs d’Etat amis, permettant au PN de prendre part à la présidentielle. A cela, le Secrétaire général avait souligné que si nous échouions dans cette voie au point que le PN ne puisse se présenter, l’élection présidentielle même ne devait pas avoir lieu. Telles sont les discussions que nous avions eu à quatre à Tégbui et aucune éventualité portant sur une candidature de substitution n’a été envisagée. A la fin de la réunion, j’ai communiqué à mes interlocuteurs les numéros de téléphone du PN aux Etats Unis, celui-ci disant ne pouvoir entrer facilement en contact avec eux. La consigne de stricte confidentialité de l’information a encore été renouvelée formellement. Aussitôt après la réunion, j’ai rendu compte au PN qui n’a pas caché sa satisfaction.
Le lendemain de cette rencontre, le Secrétaire général, m’a téléphoné pour m’informer qu’il a retrouvé auprès de Welbeck Evans, les certificats de nationalité et de naissance et qu’ensemble avec Me Georges Lawson et Me Ruben Doe Bruce, il a commencé à constituer le dossier de candidature du Président national qui comprenait déjà l’attestation de résidence qu’il avait réussi à obtenir pour Gilchrist Olympio, à son insu, depuis novembre 2008 .
Le 11 janvier 2008, j’eus la surprise de recevoir un appel téléphonique du premier Vice-président Patrick Lawson m’informant que le PN lui a demandé d’écrire au Chef d’Etat togolais, au Président de l’Assemblée nationale et au Président de la CENI afin de leur annoncer l’accident et d’obtenir une dérogation pour le dépôt de sa candidature. J’ai prié Patrick de ne pas écrire cette lettre et que j’en assumais la responsabilité devant le PN. Quand j’ai appelé le PN, il m’a dit de laisser Patrick suivre les instructions qu’il lui a données « car c’est la volonté de Dieu ». Je n’avais pas trouvé d’explications à cela sauf peut-être que les Chefs d’Etat amis que le PN a sollicités n’ont pu réussir à obtenir l’accord du Chef d’Etat togolais pour la dérogation relative au dépôt de signature devant la Cour Constitutionnelle et au certificat médical.
Le 13 janvier 2010, j’ai eu une discussion difficile avec Patrick Lawson, Georges Lawson et J-P Fabre qui m’annonçaient que sur instruction du PN Gilchrist Olympio, l’UFC s’apprêtait à porter à la connaissance du public, à travers une conférence de presse, la nouvelle de l’accident de son Président national.
Je n’étais pas à Lomé pour suivre les discussions et les démarches du parti les 13, 14 et 15 janvier. Mais, c’est le 16 au matin que j’ai été informé du refus de la CENI par lettre adressée à l’UFC, d’accorder une dérogation à Gilchrist Olympio, du dépôt de la candidature de Jean-Pierre Fabre, ainsi que de la façon très habile dont nos juristes ont déjoué le piège du dossier du PN que les autorités avaient tendu à l’UFC.
A partir du 18 janvier 2008, j’ai reçu des appels téléphoniques de quelques présidents de sections de la Fédération internationale de l’UFC m’informant qu’Elliot Ohin leur demandait de saisir la CENI pour récuser la candidature de Jean-Pierre Fabre. Je suis le Président de la Fédération Internationale UFC et n’avais pas compris qu’une telle initiative soit prise à mon insu. J’ai expliqué à nos compatriotes présidents des sections de la Fédération internationale qu’ils n’avaient aucune autorité pour effectuer une telle démarche.
Malgré cela, d’autres groupes constitués de membres de l’AGO commençaient à avancer l’idée qu’il fallait changer l’ancienne équipe de Patrick et de Jean-Pierre pour réorienter la politique de l’UFC vers une collaboration avec le parti au pouvoir à l’issue de l’élection présidentielle. Le PN s’en était aperçu et, avec un courage admirable, passât outre les consignes de ses médecins pour arriver à Accra le vendredi 29 janvier.
A peine une heure après son arrivée à son domicile à Accra, il tint une réunion avec les membres du bureau du parti venus de Lomé. De cette réunion explicative, sortit un projet d’accord ainsi libellé et approuvé entièrement par le PN lui-même:
« Engagement : Les soussignés, Gilchrist Olympio et Jean-Pierre Fabre, respectivement Président national et Secrétaire général de l’UFC, attestent et s’engagent sur ce qui suit :
Gilchrist Olympio a été désigné par le 2ème congrès ordinaire de l’UFC des 18 et 19 juillet 2008, comme le candidat du parti à l’élection présidentielle de 2010 au Togo. Des circonstances imprévues n’ont pas permis sa présence au pays où conformément aux dispositions législatives en vigueur, il devait remplir toutes les conditions exigées pour l’acceptation de sa candidature par la CENI à la date du 15 janvier 2010. En son absence, Jean- Pierre Fabre a été désigné unanimement par la direction du parti pour se présenter comme candidat de sauvegarde. La CENI a régulièrement accepté et enregistré sa candidature. Jean-Pierre Fabre s’est engagé devant le parti que si les démarches politiques entreprises par le PN pour l’acceptation de sa candidature aboutissaient, il retirerait la sienne. Dans le cas contraire, Gilchrist Olympio s’engage à reconnaître la candidature de Jean-Pierre Fabre et à soutenir ce dernier dans toute sa campagne électorale. Fait à Accra le 29 janvier 2010. »
Malgré l’accord entre les deux signataires, le PN désigna deux des membres du Bureau National pour aller porter ce texte à la connaissance des membres de l’AGO qui étaient au nombre de quatre dans un autre emplacement de la maison et d’obtenir leur approbation.
Ce groupe rejeta le texte d’accord et produisit sous la plume de Jean-Claude Homawoo, après plus de trois heures d’effort, un texte cousu de fil blanc et dont l’élément essentiel visait à accuser Jean-Pierre et Patrick de complot contre le PN.
Fatigué par son voyage toute la nuit de Washington à Accra, le PN allât s’étendre sur son lit et fit venir Jean-Pierre auprès de lui pour un entretien de près d’une heure. Le PN m’appela ensuite auprès de lui pour me rappeler la coopération fraternelle et franche que nous avons eue depuis plus de 40 ans. C’est alors qu’il me révéla qu’il admirait Patrick pour la profondeur de ses analyses, et trouvait en Jean-Pierre un homme courageux et toujours déterminé à défendre sans équivoque les intérêts supérieurs du parti. Et à cet égard, il se réjouissait de la bonne entente entre eux et ainsi approuve le choix du comité politique et soutient la candidature de Jean-Pierre.
L’état de santé du PN ne pouvait lui permettre de rester plus de trois jours à Accra et il dut partir d’urgence à Paris le 3 février sans résoudre la division que les éléments de l’AGO s’employaient à introduire au sein du parti.
Son accident et ses suites l’affaiblirent et l’exposèrent à diverses pressions dont celle du complot imaginaire prit le dessus, avec la politique de partage du pouvoir dont il s’était convaincu mais que le peuple togolais désapprouva dès son annonce. Une situation que le régime en place exploite hélas à sa guise.
Le Secrétaire particulier du PN, Isaac Tchiakpé, auprès de qui je m’inquiétais des nombreux défilés des membres de l’AGO chez le PN à Paris, me répondit le 14 février 2010 par un SMS en ces termes : « je ne comprends plus rien et mes efforts patients auprès de Fo Gil pour conserver l’unité du parti ne sont pas féconds. J’ai parfois l’impression que la cause est entendue mais au dernier moment, un évènement remet tout en question. J’ai presqu’envie d’être silencieux car je ne peux avoir de prise sur rien. Je t’avoue mon décontenancement. »
Notre parti l’UFC qui s’est bâti pierre par pierre pendant près de 20 ans sur le socle inébranlable du mot d’ordre libérateur d’Ablodé ne peut être réduit en poussière par des individus qui n’en ont pas vécu ni mesuré le lourd sacrifice. C’est à la fois la construction et l’héritage impérissable du peuple togolais que les responsables du parti ont le devoir de préserver afin qu’ils remplissent la mission libératrice que nos aïeuls nous ont assignée.
En d’autres termes, l’UFC doit tenir un congrès unitaire pour résoudre tous ses problèmes de division, s’attacher à la mise en œuvre du programme de son Manifeste, renoncer à la frustrante politique de faux partage de pouvoir, soutenir par des manifestations populaires les négociations de conditions électorales démocratiques sur le modèle de Mandela, élargir encore plus ses membres, encourager davantage ceux qui ont eu le mérite d’installer et de consolider le parti dans le pays par leur sacrifice et de faire renaitre un nouvel espoir pour l’avenir de tout le peuple togolais au lieu de convoquer deux réunions qui n’aboutiront qu’à creuser le fossé entre les membres .
Fait à Accra le dimanche 08 août 2010
Eric Armerding
Ancien Conseiller spécial de Gilchrist Olympio
LIRE EGALEMENT:
[Memorandum des Amis de Gilchrist Olympio (AGO) sur la crise au sein de l’UFC->https://www.letogolais.com/article.html?nid=4283]
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