28/03/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Togo: Pourquoi le système Gnassingbé s’en prend à l’opposant Antoine Randolph

QUI EST ANTOINE RANDOLPH

NATIONS UNIES CCPR Pacte international Distr.

Relatif aux droits
Civils et politiques Original: FRANÇAIS

Comité des droits de l’homme
Soixante- dix- neuvième session
20 octobre – 7 novembre 2003
CONSTATATIONS
Communication N ° 910/2000
Présentée par: M. Ati Antoine Randolph (représenté par un conseil, Me Olivier Russbach)

Au nom de: L’auteur

Etat-partie: Togo
Date de la communication:22 décembre 1999 (date de la lettre initiale)

Décision antérieure: Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 janvier 2000 (non publiée sous forme de document)
Date de la décision de recevabilité: 5 avril 2001 Date de l’adoption des
constatations: 27 octobre 2003

Le 27 octobre 2003, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 910/2000 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE
CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITREDU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIFAUX DROITS CIVILS ET
Restreinte*
CCPR/C/79/D/910/2000 15 décembre 2003

POLITIQUES
– Soixante- dix-neuvième session –
concernant la
Communication N ° 910/2000 *

Présentée par: M. Ati Antoine Randolph (représenté par un conseil, Me Olivier Russbach)
Au nom de: L’auteur
Etat-partie: Togo

Date de la communication:22 décembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 octobre 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 910/2000 présentée par M. Ati Antoine Randolph vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

L’auteur de la communication, M. Ati Antoine Randolph, né le 9 mai 1942, est titulaire des nationalités togolaise et française. Il est exilé en France et met en cause la République togolaise par des allégations de violations à son égard, ainsi qu’à l’égard de son frère, Emile Randolph, des articles 2, paragraphe 3 a), l’article 7, l’article 9, l’article 10, l’article 12, paragraphe 2, et aussi de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil.

La République togolaise est partie au Pacte depuis le 24 août 1984, et au Protocole facultatif depuis le 30 juin 1988.

Rappel des faits

Dans un premier temps, M. Randolph expose, les circonstances du décès de son frère, conseiller du Premier ministre du Togo, survenu le 22 juillet 1998. Il estime que le décès est la conséquence du fait que la gendarmerie n’avait pas procédé rapidement à la prorogation de son passeport, afin qu’il se fasse opérer en France, où il avait déjà subi deux opérations en 1997. Etant donné que son passeport diplomatique avait expiré en 1997, le frère de l’auteur avait déposé une demande de prorogation, mais la gendarmerie avait confisqué le document, selon l’auteur. Plus tard son frère avait déposé une nouvelle demande, appuyée par son dossier médical. Selon l’auteur aucun médecin au Togo ne disposait des moyens nécessaires pour procéder à une opération pareille. Le 21 avril 1998 la gendarmerie avait établi un passeport, mais il n’a été mis à disposition du demandeur qu’en juin 1998.

L’auteur estime que les autorités avaient commis une violation à la liberté de circulation, telle que proclamée par l’article 12, paragraphe 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en refusant la prorogation rapide du passeport et en exigeant la présence physique du demandeur lors de la délivrance du passeport, afin qu’il signe un registre à cet effet, et de cette manière avaient causé l’aggravation de la maladie de son frère. L’auteur estime que c’est à la suite de ces évènements que, très affaibli et ne pouvant plus prendre les lignes aériennes régulières, que son frère est décédé le 22 juillet 1998.

L’auteur de la communication expose en second lieu des faits relatifs à son arrestation le 14 septembre 1985, avec une quinzaine d’autres personnes et sa sœur, et leur condamnation en 1986 pour détention de littérature subversive et outrage au chef de l’Etat. Dans la période écoulée entre son arrestation et sa condamnation, l’auteur déclare avoir été victime de torture, notamment par l’usage d’électricité et de traitements dégradants, humiliants et inhumains. Une dizaine de jours après l’arrestation, l’auteur aurait été transféré à la maison d’arrêt de Lomé et ce n’est qu’à ce moment qu’il aurait pris connaissance qu’il était inculpé pour outrage à l’autorité publique, ce qui s’était transformé plus tard en outrage au chef de l’Etat. L’auteur précise à cet effet que le chef d’Etat n’avait pas porté plainte contre qui que ce soit.
Par jugement du 30 juillet 1986, dont le texte n’a pas été transmis au Comité, M. Randolph a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Le procès, à son avis, avait été inéquitable en ce sens
qu’il avait violé la présomption d’innocence, ainsi que d’autres dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Pour appuyer ses allégations il joint des extraits du rapport d’Amnesty international de 1986.

L’auteur prétend qu’il ne disposait d’aucun recours utile au Togo. Dans un second temps il précise qu’il n’a pas épuisé les recours nationaux, parce que la justice togolaise ne lui permettrait pas d’obtenir dans un délai raisonnable une juste réparation des préjudices subis. Il estime que même si lui ou sa famille avait porté plainte, celle-ci serait restée sans résultat, parce que l’Etat n’aurait pas procédé à une enquête. Il ajoute que par ailleurs envisager une action pénale à l’encontre de la gendarmerie allait l’exposer avec l’ensemble de sa famille à un danger. Il indique en outre que quand il avait été arrêté et torturé, avant d’être condamné, il n’avait pas eu la possibilité de porter plainte devant les autorités qui étaient les auteurs mêmes des violations des droits de l’homme, ni engager une action judiciaire contre le tribunal qui l’a condamné injustement. M. Randolph estime que dans ces conditions aucune réparation du préjudice subi n’est envisageable par recours à la justice togolaise.

Après le décès du frère de l’auteur, survenu dans les conditions ci-dessus exposées, personne n’avait porté plainte, selon l’auteur, pour les mêmes raisons que celles énoncées précédemment.
M. Randolph estime que depuis sa libération, les dommages causés par la violation de ses droits fondamentaux perdurent, étant donné qu’il a été contraint à l’exil et de ce fait il s’est éloigné de sa famille et de ses proches, mais également du fait du décès de son frère en raison de la violation par la République togolaise de la liberté de ce dernier.

Teneur de la plainte

3. L’auteur invoque des violations des articles 2, paragraphe 3, 7, 9, 10, 12, paragraphe 2 et 14. Il demande une juste réparation des préjudices subis par lui et sa famille du fait de l’action de l’Etat, ainsi qu’une révision sous contrôle international de son procès.

Observations de l ‘Etat partie

Dans ses observations du 2 mars 2000, l’Etat partie examine la communication quant au fond, sans soulever les questions de sa recevabilité. L’Etat partie rejette toutes les accusations de l’auteur, en particulier celles relatives à la torture, en opposant l’argument que durant le procès les accusés n’avaient déposé aucune plainte pour torture ou mauvais traitement. L’Etat partie cite les déclarations du conseil de l’auteur – maître Domenach, faites à l’issue du procès, dans lequel l’avocat déclare que l’audience a été de bonne qualité et que tout le monde, y compris M. Randolph, a pu s’expliquer sur ce qui s’était passé.
Quant à la qualification du procès comme inéquitable et le non-respect de la présomption d’innocence, l’Etat partie évoque de nouveau un extrait d’une déclaration de l’avocat de M. Randolph, dans laquelle il estime que pendant les 10 mois durant lesquels il assurait la défense de ses clients au Togo, il a pu le faire d’une manière satisfaisante, avec l’assistance et la bienveillance
des autorités. D’ailleurs, ajoute-t-il, l’audience s’est tenue suivant les règles de forme et de fond et dans le cadre d’un libre débat conforme aux règles internationales.

Concernant la violation de la liberté d’aller et de venir, l’Etat partie déclare qu’on ne pouvait pas lui reprocher d’avoir empêché le frère de l’auteur à quitter le territoire, en conservant son passeport diplomatique, alors que les autorités avaient établi pour lui un nouveau passeport. En ce qui concerne les formalités de retrait du passeport, la présence physique de l’intéressé est jugée normale, tout comme l’obligation de signature du passeport et du registre des retraits lors de sa réception, qui était dans l’intérêt des titulaires des passeports, pour éviter la remise des documents à une personne autre que le titulaire.

L’Etat partie déclare qu’aucune instance judiciaire ou administrative n’avait été saisie d’une demande de réparation du préjudice subi par M. Ati Randolph.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

Dans ses commentaires datés du 22 août 2000, l’auteur accuse le Togo d’avoir présenté ‘un ensemble de mensonges’. Il réitère les éléments déjà présentés et insiste sur le fait qu’il a été détenu du 14 au 25 septembre 1985 en garde à vue, tandis que la durée légale de cette dernière était de 48 heures au maximum. Pendant cette période l’auteur se dit victime de traitements cruels, dégradants et inhumains, de torture et de menaces de mort. A son avis la présomption d’innocence n’avait pas été respectée à son égard – il a été radié de la fonction publique, il a été présenté auprès du chef de l’Etat, du Comité central du parti unique, au pouvoir. Ses lunettes ont été confisquées pendant 3 mois et ne lui ont été restituées qu’après l’intervention d’Amnesty international. Les véhicules de l’auteur avaient également été confisqués. A ce sujet il prétend que l’un des véhicules, restitué à sa libération avait été trafiqué, afin qu’il trouve la mort en le conduisant. Enfin, il présente aussi ses commentaires sur différents agents gouvernementaux, afin de démontrer la nature non-démocratique du régime en place, sans que ceci soit en relation directe avec sa communication.

Du 25 septembre 1985 au 12 janvier 1987, l’auteur à été détenu dans la maison d’arrêt de Lomé, où il aurait été victime de traitements cruels, inhumains et dégradants, de menaces de mort. La sœur de l’auteur fait valoir, dans le témoignage qu’elle a fait parvenir au Comité, qu’à cet effet et sous la pression des organisations humanitaires internationales le régime avait été contraint d’organiser un examen médical. Mme Randolph soutient que les avocats, ainsi que les médecins choisis ont été fidèles au régime et n’ont pas admis que les résultats – manque de torture – avaient été falsifiés.

Le procès de l’auteur ne commence qu’en juillet 1986. Le 30 juillet 1986 l’auteur a été condamné à 5 ans de prison pour outrage au chef de l’Etat par moyen de tracts. Le 12 janvier 1987 il a obtenu la grâce de ce dernier.

M. Randolph insiste sur le fait qu’il avait été torturé à l’électricité le 15 septembre 1985 au soir et le lendemain matin. Il déclare qu’ensuite il avait été menacé de mort à plusieurs reprises. Il affirme qu’il en avait avisé ses avocats et qu’à deux reprises il avait saisi le parquet avec des plaintes pour torture : une fois en octobre 1985, mais qu’on avait minimisé sa plainte, en remplaçant
«torture» par «sévices». La seconde fois, en janvier 1986, il avait présenté sa plainte par écrit. En réaction à cette initiative l’auteur affirme que son droit de visite familiale hebdomadaire avait été supprimé.

L’auteur affirme également que durant le procès il avait dénoncé la torture et le mauvais traitement. Ceci a été la cause, selon lui, du report de son procès du 16 au 30 juillet, pour complément d’informations, précise-t-il, sans toutefois apporter la preuve de ses allégations.

L’auteur précise aussi les conditions de sa détention, par exemple l’obligation de s’exposer quasiment nu dans une pièce remplie de moustiques, couché directement sur le béton, avec possibilité de se doucher toutes les deux semaines au début de sa détention ou encore disposer seulement de 3 minutes de sortie quotidienne de sa cellule, afin de se doucher dans la cour de la prison, sous surveillance armée.
Pour ce qui est du procès, l’auteur déclare que le Président du tribunal – Mme Nana – était une proche du chef de l’Etat. Celle-ci avait même participé à une manifestation demandant l’exécution de l’auteur et les autres prévenus dans l’affaire, ainsi que la confiscation de leurs biens. Seule l’Association des juristes africains, représentée par un ami du chef de l’Etat, avait eu l’autorisation de suivre le procès, tandis que le représentant d’Amnesty international avait été refoulé à l’aéroport.

M. Randolph soutient que le procès s’était déroulé en l’absence de pièces à conviction ou témoins. L’affaire concernait l’outrage au moyen de tracts du chef de l’Etat. Or il n’y avait, dit-il, aucun tract comme pièce à conviction et il n’y avait pas de plainte de la part du chef de l’Etat pour outrage.
Durant le procès l’auteur prétend que ses avocats ont démontré que ses droits avaient été violés. Quant à lui, il affirme avoir montré au tribunal les cicatrices encore visibles suite aux brûlures à l’électricité. Mais à son avis ses avocats étaient sous pression et pour cette raison n’avaient pas développé la question.
En ce qui concerne son frère, M. Randolph conteste les observations de l’Etat partie et déclare qu’on n’avait pas prorogé le passeport diplomatique, mais qu’on avait mis neuf mois pour établir un nouveau passeport ordinaire.

Observations complémentaires de l’Etat partie aux commentaires de l’auteur
Dans sa note du 27 novembre 2000, l’Etat partie conteste la communication quant à sa recevabilité. Il demande que le Comité déclare la communication irrecevable pour trois raisons : non-épuisement des voies de recours internes, utilisation de termes insultants et outrageants et examen devant une instance internationale.

L’Etat partie déclare qu’au Togo toute personne s’estimant victime de violations des droits de l’homme peut recourir aux tribunaux, à la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et aux institutions privées de défense des droits de l’homme. A cet effet l’Etat partie déclare que M. Randolph n’a pas interjeté appel devant les tribunaux, il n’a pas demandé la révision de son procès ni demandé la réparation d’un quelconque préjudice. Quant à la possibilité de s’adresser à la CNDH, l’Etat déclare que l’auteur ne l’avait pas fait, bien qu’il reconnaisse l’importance de cette Commission dans sa communication.

L’Etat partie insiste, sans le développer, sur le fait que l’auteur utilisait pour ses allégations des termes insultants et outrageants.

En ce qui concerne l’examen devant une autre instance internationale, l’Etat partie déclare que par la Résolution 1993/75 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, datée du 10 mars 1993, le Togo avait été mis sous surveillance en matière de protection des droits de l’homme, laquelle a été levée en 1996. L’Etat partie rappelle que le cas de M. Randolph faisait partie des dossiers examinés par la

Commission des droits de l’homme, durant le monitoring.

Commentaires supplémentaires de l’auteur aux observations de l’Etat partie

L’auteur a envoyé ses commentaires le 13 janvier 2001. En continuant à qualifier et donner son opinion sur différents fonctionnaires togolais, il conteste la légalité et la légitimité du régime politique en place. Comme preuve de cela, ainsi qu’en appui de sa communication, l’auteur présente des extraits de divers articles et livres, sans vraiment apporter de nouveaux éléments, susceptibles d’avoir une incidence sur ses allégations antérieures, relatives à des violations de droits de l’homme à l’égard de sa personne ou à l’égard des membres de sa famille.

Il reprend ses commentaires du 22 août 2000 et ajoute de nouvelles accusations au régime politique en place – la corruption et le déni de justice. Il expose les conditions actuelles de la délivrance de passeports par le Togo, sans que ceci ait un rapport avec la présente communication.

En ce qui concerne l’argument d’irrecevabilité du gouvernement, pour utilisation de termes insultants et outrageants, l’auteur estime que les termes qu’il utilisait étaient souvent faibles pour décrire « toute l’horreur dans laquelle est enfermé le peuple togolais depuis près de 35 ans ». Il ajoute que si le gouvernement estimait toujours que ses termes étaient insultants et outrageants, il serait « prêt à les défendre devant n’importe quelle juridiction, n’importe quel tribunal en fournissant des preuves irréfutables, des pièces à conviction et en produisant comme témoin à charge le peuple togolais ».

L’auteur invoque également « le déni de justice », lequel justifiait le non épuisement des recours internes. A cet effet l’auteur expose l’idée que la conception de justice du général Eyadema était strictement et exclusivement au service du dernier. L’auteur évoque « l’affaire des pétards » et demande au chef de l’Etat « instamment de répondre » à des questions relatives à la découverte et la commande des pétards ou encore de la raison de l’absence en tant que pièces à conviction dans l’affaire.

L’auteur donne ses appréciations en ce qui concerne le président du tribunal qui l’avait condamné – Mme Nana, comme étant proche au pouvoir,ou encore le Premier substitut du procureur qui n’avait pas mené d’enquête sur la torture, ainsi que sur autres hauts fonctionnaires.

En ce qui concerne le non-épuisement des recours existants, l’auteur déclare que tant que « toute tentative de recours exigeant un système judiciaire impartial est impossible tant que l’Etat partie sera dirigé par la dictature ». En ce qui concerne la Commission nationale de droits de l’homme, il estime qu’aucun des requérants qui avaient déposé une plainte auprès d’elle en 1985 n’avait obtenu gain de cause.

L’auteur déclare que la fin de l’examen de la situation des droits de l’homme par la Commission des droits de l’homme, n’empêchait pas le Comité d’examiner sa communication.

Délibérations du Comité sur la recevabilité
Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

A sa soixante-et-onzième session en avril 2001, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

Le Comité a noté que la partie de la communication relative à l’arrestation, la torture et la condamnation de l’auteur se situait dans une période où l’Etat partie n’avait pas encore adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, c’est-à-dire avant le 30 juin 1988.
Par contre, le Comité a observé que les griefs de cette partie de la communication, bien que se rapportant à des faits survenus avant la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Togo, continuaient à produire des effets qui pouvaient constituer eux-mêmes des violations du Pacte après cette date.

Le Comité a noté que l’examen fait par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies ne pouvait pas être considéré comme étant de même nature que l’examen des communications émanant de particuliers au sens de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité a rappellé sa jurisprudence, suivant laquelle la Commission des droits de l’homme des Nations Unies n’est pas une instance d’enquête ou de règlement au sens de l’article 5, paragraphe 2 a) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le Comite a noté également que l’Etat partie contestait la recevabilité de la communication pour non- épuisement des voies de recours internes, étant donné qu’aucun recours n’avait été introduit par l’auteur en ce qui concerne ses allégations de violations de droits garantis par le Pacte. Le Comité a constaté que l’auteur n’avait pas soumis d’argument qui aurait pu justifier le non-épuisement des voies de recours disponibles au niveau national eu égard au cas de son frère décédé. En conséquence, le Comité a décidé que cette partie de la communication était irrecevable.

Toutefois, en ce qui concerne les allégations relatives au cas propre de l’auteur, présentées aux paragraphes 2.5, 5.6 et 5.8 ci-dessus, le Comité a estimé que l’Etat partie n’avait pas fourni de réponse satisfaisante à l’argument de l’auteur qu’il n’existait pas de recours effectif en droit national, en relation avec les violations alléguées de ses droits, tels qu’exposés dans le Pacte, et par conséquent a déclaré la communication recevable le 5 avril 2001.

Observations de l’Etat partie
9.1 Dans ses observations du 1 er octobre 2001 et 2002, l’Etat partie souscrit à la décision du Comité sur l’irrecevabilité de la partie de la communication concernant le frère de l’auteur, mais conteste celle quant à la recevabilité du reste de la communication ayant trait à l’auteur même.

9.2 Eu égard au paragraphe 2.5 de la décision de recevabilité l’Etat partie réitère son argumentation quant au non-épuisement des voies de recours internes par l’auteur, mettant en avant en particulier les possibilités de recours notamment devant la Cour d’appel et, le cas échéant, la Cour suprême. L’Etat partie précise qu’il partage entièrement l’opinion individuelle d’un membre du Comité et demande au Comité de la prendre en compte dans le réexamen de la communication.

9.3 Relativement au paragraphe 5.6 de la décision de recevabilité l’Etat partie fait valoir que le régime a toujours respecté le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire et que les doutes émis par l’auteur sur la Présidente du tribunal constituent des affirmations gratuites et des jugements non-fondés, dans le seul but de la diffamer. L’Etat partie réaffirme que la cause de l’auteur a été entendue équitablement et publiquement par le tribunal en toute indépendance et en toute impartialité, comme l’a noté, selon l’Etat partie, le conseil de l’auteur.

9.4 Concernant le paragraphe 5.8 de la décision de recevabilité l’Etat partie se réfère, à nouveau, à ses observations du 2 mars 2000.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

10.1 Dans ses commentaires du 3 avril, du 7 juin et du 14 juillet 2002, l’auteur réitère ses arguments en particulier sur le non-respect des droits de l’homme, des institutions et des instruments juridiques par l’Etat partie, ainsi que sur l’absence, dans les faits, d’indépendance du pouvoir judiciaire au Togo.
Réexamen de la décision de recevabilité et examen quant au fond

11.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au pararagraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2 Le Comité a pris note des observations de l’Etat partie du 1 er octobre 2001 et 2002 sur l’irrecevabilité de la communication au motif du non-épuisement des voies de recours internes. Il constate que l’Etat partie ne developpe aucun élément nouveau et supplémentaire d’irrecevabilité, au-delà des observations faites au stade de la recevabilité, qui permettrait de réexaminer la décision du Comité. Le Comité estime donc ne pas devoir revenir sur sa décision de recevabilité du 5 avril 2001.
Le Comité passe immédiatement à l’examen de la plainte sur le fond.

12. Notant que le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 juin 1988, c’est-à-dire après que l’auteur eut été remis en liberté et soit parti en exil, le Comité rappelle que dans sa décision de recevabilité il a considéré qu’il lui faudrait déterminer, au stade de l’examen sur le fond, si les griefs de violation des articles 7, 9, 10 et 14 continuaient, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, à produire des effets qui constituaient en soi une violation du Pacte. Bien que l’auteur affirme qu’il a été contraint de s’exiler et de vivre séparé de sa famille et de ses proches et bien que, postérieurement à l’adoption par le Comité de la décision concernant la recevabilité, il ait fait tenir des arguments supplémentaires expliquant pourquoi il pense qu’il ne peut pas retourner au Togo, le Comité est d’avis que, dans la mesure où les allégations peuvent être interprétées comme portant sur les effets continus des premiers griefs qui, en soi, représenteraient une violation de l’article 12 ou d’autres dispositions du Pacte, les plaintes de l’auteur n’ont pas été étayées de façon suffisamment spécifique pour permettre au Comité de conclure à une violation du Pacte.

13. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Monsieur Abdelfattah Amor
sur la décision de recevabilité du 5 avril 2001

Autant je partage la conclusion du Comité relativement à l’irrecevabilité de la partie de la communication concernant le frère de l’auteur, autant je continue à être réservé quant à la recevabilité du reste de la communication. Il y a à cela de multiples raisons juridiques :

1)L’article 5 paragraphe 2(b) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques dispose que « le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent les délais raisonnables ».

Un- D’abord, il appartient au Comité de s’assurer que le particulier a épuisé les recours internes disponibles. Le rôle du Comité est, en l’espèce, un rôle de constatation et non d’appréciation. Les allégations de l’auteur, à moins qu’elles aient trait au caractère déraisonnable des délais, ou au caractère insuffisant des explications de l’Etat partie, ou qu’elles soient manifestement entachées d’inexactitude ou d’erreur, ne sont pas de nature à modifier la nature du rôle du Comité à cet égard.

Deux- Ensuite, la rédaction de l’article 5 paragraphe 2(b) ne prête pas à équivoque et n’appelle pas d’interprétation, tellement elle est claire et restrictive. Il n’y a pas lieu d’aller au-delà du texte pour en rechercher l’intelligibilité sans le soumettre à des tensions qui en modifient le sens et la portée.
Trois- Enfin, la seule exception à la règle de l’épuisement des voies de recours internes, tient aux procédures de recours excédant les délais raisonnables, ce qui n’est, manifestement, pas le cas en l’espèce.

2)Il est indiscutable que la décision condamnant l’auteur à cinq ans de prison, en 1986, n’a fait l’objet d’aucune tentative de recours pourtant existants ni avant sa grâce en janvier 1987 ni après. C’est dire qu’au plan pénal aucun recours n’a été exploré, ni encore moins exploité.
S’agissant du plan civil et de la demande de réparation, l’auteur ne s’est jamais adressé, ni à titre principal ni à un quelconque autre titre, à une quelconque juridiction pour réclamer des dédommagements, tant et si bien que cette question se trouve soulevée devant le Comité pour la première fois et donc à titre initial.

L’auteur aurait pu saisir le Comité à partir d’août 1988, date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’Etat partie. Le fait qu’il ait attendu plus de onze ans pour mettre à profit la nouvelle procédure qui lui est offerte, ne manque pas de susciter des interrogations, y compris au titre de l’abus de droit prévu à l’article 3 du Protocole.

Le Comité ne disposait pas d’éléments précis, concordants et constants susceptibles de lui permettre de corroborer les allégations de l’auteur relatives à l’ensemble du système judiciaire de l’Etat partie, tant dans sa composante pénale que dans sa composante civile. En fondant sa position sur la base générale de l’absence de recours effectifs, comme l’a affirmé l’auteur, le Comité a rendu une décision qui, sur le plan juridique, peut légitimement être discutée, voire même contestée.

Il est à craindre que la présente décision constitue un fâcheux précédent, en ce sens qu’elle est susceptible de favoriser une pratique en marge de l’article 5 paragraphe 2 (b) du protocole facultatif.
Au total, je pense que compte tenu des circonstances exposées dans la communication, les doutes de l’auteur quant à l’efficacité des recours internes ne le dispensaient pas d’épuiser ceux-ci. Le Comité aurait dû conclure que la condition prévue à l’alinéa (b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif n’est pas remplie et que la communication n’était pas recevable.
(Signé) Abdelfattah Amor
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de M. Hipólito Solari-Yrigoyen
Mon opinion dissidente porte sur le paragraphe 12 et suivants du texte qui, à mon sens, devraient être rédigés comme suit:

12. Le Comité note que le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 juin 1988, c’est-à- dire après que l’auteur ait été remis en liberté et se soit exilé. En même temps le Comité rappelle que dans sa décision de recevabilité il a considéré qu’il lui faudrait déterminer, au stade de l’examen sur le fond, si les griefs de violation des articles 7, 9, 10 et 14 continuaient, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, à produire des effets qui constituaient en soi une violation du Pacte. À ce sujet l’auteur affirme qu’il a été contraint de s’exiler et de vivre séparé de sa famille et de ses proches. De l’avis du Comité, ce grief devrait être interprété comme portant sur les allégations de violation des droits de l’auteur pendant les années 1985-1987, concernant les effets persistants des premiers griefs qui constituaient en soi une violation de l’article 12 du Pacte et d’autres dispositions liées à cet article, et qui l’empêchent toujours de rentrer en toute sécurité au Togo.

12.1 Le Comité relève que dans ses premières observations, en date du 2 mars 2000, l’État partie a contesté que l’auteur ait été contraint à l’exil mais qu’ensuite, après avoir reçu les commentaires détaillés et précis adressés par l’auteur en date du 22 août 2000, il n’a soumis aucune explication ni déclaration éclaircissant la question, comme il est tenu de le faire pour s’acquitter de l’obligation imposée à l’article 4, paragraphe 2 du Protocole facultatif. Par une simple déclaration il aurait pu démentir le grief de l’auteur qui affirme ne pas pouvoir rentrer au Togo en toute sécurité, et donner des garanties pour son retour, mais il ne l’a pas fait. Il faut bien voir que seul l’État partie pourrait donner les assurances nécessaires pour faire cesser les effets persistants qui justifient l’exil de l’auteur et l’empêchent arbitrairement d’exercer son droit de rentrer dans son propre pays. Dans ses observations en date du 27 novembre 2000 et du 1er octobre 2001 et 2002, l’État partie s’est limité à contester la recevabilité de la communication en ce qui avait trait à l’auteur. Il faut bien voir que l’État partie n’a apporté aucun élément nouveau qui permettrait d’établir que les effets persistants des faits antérieurs au 30 juin 1988 ont cessé.

12.2 Il convient de se demander si le temps écoulé entre la date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie et la date à laquelle la communication a été soumise pourrait affaiblir ou invalider l’argument des effets persistants qui font que l’exil que vit l’auteur est un exil forcé. La réponse est négative car les situations d’exil n’ont pas de limite dans le temps et durent tant que les circonstances qui en sont à l’origine existent, ce qui est le cas avec l’État partie en cause. Dans bien des cas ces circonstances ont duré plus longtemps que la durée de vie moyenne d’un être humain. En outre on ne peut pas ne pas considérer que l’exil forcé impose une peine aggravée par le fait que celui qui l’a subie n’a pas comparu devant un juge qui, avant de la prononcer, aurait donné toutes les garanties d’une procédure régulière. En définitive, la peine d’exil est une peine administrative. C’est de surcroît une peine manifestement cruelle, comme il est reconnu depuis la plus lointaine antiquité, en raison des conséquences que l’éloignement forcé a pour la victime, sa famille et ses relations affectives et d’autre nature.

12.3 L’article 12 du Pacte n’admet pas les exils forcés puisqu’il dispose que nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. Dans son Observation générale no 27, le Comité a indiqué que la notion d’arbitraire s’appliquait à toutes les mesures prises par l’État, au niveau législatif, administratif ou judiciaire. Par ailleurs, le fait que l’auteur possède une double nationalité est sans importance étant donné que, comme il est indiqué également dans la même Observation générale, «la signification des termes “son propre pays” est plus vaste que celle du “pays de nationalité”». «Ainsi, les personnes autorisées à exercer ce droit ne peuvent être identifiées qu’en interprétant l’expression “son propre pays”», qui reconnaît les liens particuliers que la personne a avec ce pays.
13. Le Comité des droits de l’homme est d’avis que les événements survenus au Togo entre 1985 et 1987, faisant à l’origine grief, ont pour l’auteur des effets persistants qui l’empêchent de retourner dans son pays en toute sécurité. Il constate en conséquence une violation du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, lu conjointement avec les articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte.

14. En vertu du paragraphe 3 a) du paragraphe 2 du Pacte, le Comité estime que l’auteur a droit à un recours utile.

15.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

(Signé) Hipólito Solari-Yrigoyen 4 décembre 2003
[Fait en espagnol (version originale), et traduit en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]