« Pour distribution interne. Les vues exprimées dans ce rapport sont celles des auteurs et en aucun cas ne représentent l’opinion de l’UE, de son Service européen d’action extérieur ou de la Commission Européenne » « Dans un contexte d’inscription souvent fondée sur de simples témoignages (75% des cas, nationalement), les disparités régionales que cette étude fait apparaître sont très marquées : on enregistre ainsi une surinscription très forte dans les régions Centrale et de Kara-Binah (137%), Bassar (121%), Dankpen (177%), Doufelgou (117%), kozah (114%), Kéran (109%) et Assoli (106%) – alors que les taux d’inscription sont beaucoup plus bas dans d’autres préfectures, notamment celles de la Région maritime »
Lire le rapport de la Mission d’expertise électorale de l’UE.
Union européenne
Mission d’expertise électorale
République togolaise
Election présidentielle du 25 avril 2015
RAPPORT FINAL (RESUME)
Contexte politique et institutionnel
1. Près de dix ans après la signature de l’Accord politique global de 2006, le contexte politique de l’élection présidentielle du 25 avril 2015 était marqué par l’abandon de toute perspective de réformes constitutionnelles et institutionnelles avant la tenue du scrutin. Réclamées de longue date par les partis de l’opposition, ces réformes portent en premier sur le rétablissement d’une limitation du mandat présidentiel et le retour à un mode de scrutin uninominal à deux tours.
2. Cinq candidats se présentaient à ce scrutin uninominal à un tour. Le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé briguait un troisième mandat face à une opposition désunie, certaines formations politiques s’en réclamant maintenant leur appel au boycott du scrutin en l’absence de réformes. Jean‐Pierre Fabre concourait sous les couleurs de la coalition Combat pour l’alternance politique en 2015 (CAP 2015) emmenée par l’Alliance nationale pour le changement (ANC), principal parti d’opposition au sein de l’Assemblée nationale. Trois autres candidats de l’opposition étaient en compétition.
Exercice des libertés publiques
3. En dépit de progrès récents, les principales organisations de défense des droits de l’Homme continuent de dénoncer certaines limitations à l’exercice des libertés publiques, notamment le maintien de lourdes sanctions pénales pour délits de presse, qui continue de peser sur l’exercice de la liberté d’expression, le passage à un régime d’autorisation des manifestations pacifique, qui expose les organisateurs au possible arbitraire des autorités administration, ou certains cas d’usage disproportionnée de la force.
Cadre juridique de l’élection présidentiel
4. Le cadre juridique reste inchangé depuis la refonte inachevée du Code électoral de 2012. Marqué par des négociations politiques, il offre un environnement normatif très inégal à la conduit du processus électoral. Très prescriptif sur certains aspects techniques du scrutin, le Code électoral reste en revanche imprécis sur certaines questions essentielles à l’intégrité du scrutin et à la traçabilité des résultats, ou celles régissant l’égalité de traitement des candidats dans les médias. Le manque d’accès et l’absence de publication des actes réglementaires nuit à la transparence du processus.
Administration électorale
5. Réactivé à l’automne 2014 en préparation du scrutin présidentiel, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est une instance politiquement représentative, la nomination de ses membres répondant au principe d’une composition politiquement équilibrée entre la mouvance présidentielle, l’opposition et la société civile. Le choix laissé à l’Assemblée nationale de désigner, sans critère établi, les membres de l’opposition extra‐parlementaire et de la société civile, fausse néanmoins le principe d’une représentativité équilibrée telle que voulue par l’Accord politique global.
6. Les nombreuses compétences partagées avec d’autres autorités publiques la subordonne au pourvoir exécutif, d’autant qu’elle n’a su se doter d’une structure technique pérenne. Son action a été affectée par une polarisation croissante en son sein, à laquelle ont contribué les remplacements intempestifs des membres de la mouvance présidentielle et du principal parti d’opposition. Le passage en force d’un certain nombre de mesures controversées témoigne d’un mode de fonctionnement éloigné de la prise de décision privilégiant le consensus. Les compromis ayant permis de surmonter les principaux points d’achoppement du processus électoral n’ont souvent été arrachés que sur facilitation internationale.
Listes électorales
7. Les résultats de la campagne de révision des listes électorales menée du 20 janvier au 23 février 2015 ont suscité des sérieux doutes quant à la fiabilité du fichier électoral. En raison des fortes contestations des candidats de l’opposition qui exigeaient un audit avant la tenue du scrutin, l’élection présidentielle a été reportée du 15 au 25 avril 2015 sur proposition de président en exercice de la CEDEAO.
8. Ce délai a permis à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de terminer une mission de vérification et de consolidation du fichier électoral associant les représentants des cinq candidats, à défaut de disposer de temps pour mener à bien un audit en bonne et due forme. Approuvée de façon consensuelle, la synthèse des travaux a relevé d’importantes faiblesses dans le fichier, et recommandé certaines mesures correctives pour en limiter l’impact sur le scrutin. Ces travaux ont permis d’arrêter définitivement le nombre des électeurs inscrits à 3 509 258, répartis dans 8 994 bureaux de vote.
9. Selon les experts de l’OIF, 75% des inscrits l’ont été sur base de seuls témoignages, rendant impossible la vérification formelle de leur éligibilité, et près de 300 000 personnes étaient en possession d’une carte d’électeur dont le numéro ne correspondait pas au centre de vote dans lequel ils étaient affectés pour le scrutin présidentiel, induisant un risque de désorientation. Enfin, l’analyse des chiffres a révélé un taux d’inscription anormalement élevé (99,9%), marqué par de fortes disparités géographiques, dont une sur‐ inscription saisissante dans certaines régions septentrionales, favorables au pouvoir.
Campagne électorale
10. La campagne électorale s’est tenue du 10 au 23 avril 2015. D’une intensité relativement faible, en particulier dans la capitale, elle s’est généralement déroulée dans le calme, à l’exception de quelques incidents sérieux isolés, et a permis aux cinq candidats de battre campagne librement à travers le pays. En dépit de l’avancée louable que constitue l’aide publique au financement des activités de campagne, force est de constater que celle‐ci ne pouvait compenser l’inégalité flagrante des moyens à disposition des candidats, la campagne du président sortant ayant bénéficié de la mobilisation de l’ensemble de l’appareil d’Etat. La CENI est généralement apparue permissive face aux nombreux dépassements.
Médias en période électorale
11. Le Code de la presse est généralement considéré comme libéral, et le contenu de journaux diffusés à Lomé témoigne d’une grande liberté de ton, voire d’un manque de déontologie – reproduction d’informations non vérifiées, tendance au sensationnalisme ou abus de langage. Néanmoins, le maintien de dispositions pénales sanctionnant lourdement certains délits de communication, ou le recours à certaines pratiques de chantage aux recettes publicitaires continuent néanmoins peser sur l’exercice de la liberté de la presse.
12. L’encadrement des médias par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) durant la période de campagne électorale a parfois fait l’objet décisions vivement critiquées par les candidats de l’opposition. L’indépendance de l’institution est mise en cause par certaines formations politiques et organisations de la société civile en raison du mode de nomination de ses membres (cf. Médias).
Préparation du scrutin
13. A l’approche du scrutin, certaines décisions de la CENI ont été l’occasion de nouvelles passes d’armes entres les représentants de la mouvance et de l’opposition en son sein : le changement de disposition du bulletin de vote, le manque de garde‐fous encadrant le vote par anticipation des forces armées et de sécurité et l’adoption du système SUCCES de transmission des résultats de BV par voie électronique
14. En raison des sérieuses préoccupations que suscitait le système SUCCES, devenu point d’achoppement majeur, les principales missions internationales d’observation électorale déployées à Lomé ont facilité un accord, la veille du scrutin, prévoyant la mise en place d’un Comité d’accompagnement international auprès de la CENI, associant les représentants des cinq candidats, pour assurer un suivi conjoint des opérations de centralisation des résultats, et rappelant que seuls feraient foi, pour la proclamation des résultats préliminaires, les procès‐verbaux de BV dûment vérifiés par la CENI.
Scrutin du 25 avril 2015
15. Le scrutin du 25 avril 2015 s’est généralement déroulé dans le calme sur l’ensemble du pays, aucun incident majeur n’ayant été rapporté durant la journée. Une force spéciale de sécurité pour l’élection présidentielle (FOSEP) avait été mise en place pour sécuriser le processus électoral. L’ensemble des missions d’observation électorale, nationales et internationales, ont fait état d’une bonne organisation générale des opérations de vote et de dépouillement.
16. L’élection a toutefois été marquée par la faible mobilisation des électeurs : à peine 60% des inscrits selon les chiffres officiels de la participation nationale, marquant un net recul par rapport aux élections précédentes. Les divisions de l’opposition et les appels au boycott ont certainement contribué à la démobilisation d’une partie de l’électorat, un nombre potentiellement élevé d’électeurs n’a pu voter en raison de problèmes techniques : électeurs omis, radiés, ou ayant fait l’objet d’une réaffectation dans un centre de vote nouvellement créés. Ces difficultés ont particulièrement touché la Région Maritime, bastion de l’opposition, alors que les observateurs de la société civile (CNSC) et l’opposition relèvent un abus manifestes des votes dérogatoires dans certaines préfectures septentrionales.
Centralisation et annonce des résultats
17. La question du redressement des erreurs matérielles lors de la centralisation des résultats a constitué un nouveau point d’achoppement, l’opposition exigeant l’examen des nombreuses incohérences relevées sur les procès‐verbaux de recensement des Commissions électorales locales indépendantes (CELI) commissions locales, notamment à partir de procès‐verbaux de BV. Selon une lecture restrictive du mandat de la CENI, les représentants de la mouvance présidentielle estimaient quant à eux que ces vérifications relevaient de la seule compétence de la Cour constitutionnelle, dans le cadre du contentieux.
18. Le 28 avril au soir, après trois jours de tension et blocages, le président de la CENI a précipité l’annonce des résultats provisoires, attribuant 58,73% des voix à Faure Gnassimbé (UNIR), contre 35,19% à Jean Pierre Fabre (CAP 2015). La lecture des résultats provisoires a été donnée alors que les procès‐verbaux de 28 des 42 CELI n’avaient pas encore été examinés en plénière. Surtout motivée par un impératif politique, celui d’assurer une prestation de serment du président avant expiration formelle du mandat en cours, le 3 mai 2015, cette décision unilatérale met brusquement terme à la facilitation internationale du Comité d’accompagnement et précipite l’implosion de la CENI. Interdits d’accès dans les locaux d’institution, les 5 représentants du CAP 2015 annoncent leurs propres résultats le 30 avril.
Observation électorale
19. Si plus de 8000 observateurs ont été accréditées pour le scrutin du présidentiel, ces effectifs englobent toutefois une variété d’initiatives autres que l’observation électorale : médiation, alerte précoce et monitoring des droits humains, notamment. La plateforme d’observation électorale de la Concertation nationale de la Société Civile du Togo (CNSC/SYCED) a mobilisé à elle seule près de 1 200 observateurs le jour du scrutin. Au‐delà d’un strict mandat d’observation, les principales missions internationales d’observation ont rapidement été impliquées dans un effort de médiation entre les parties prenantes. Le satisfécit rapide que ces dernières ont accordé au processus électoral, dès les 26 et 27 avril n’a pas manqué de surprendre certains candidats de l’opposition.
Recommandations prioritaires
20. Le suivi des recommandations formulées par les missions d’observation et d’expertise électorale que l’Union européenne a déployé au Togo 2007, 2010 et 2013 fait apparaître qu’elles ont dans l’ensemble été peu suivies d’effet. A l’issue du processus électoral de 2015, et au‐delà des progrès encore nécessaires concernant le respect des droits fondamentaux et l’exercice des libertés publiques en période électorale, les recommandations (cf. infra) de la MEE UE portent en priorité sur les points suivants :
– Donner rapidement les gages d’une reprise effective d’un dialogue politique inclusif sur la mise en œuvre des réformes institutionnelles et politiques prévues par l’Accord politique global de 2006,
– Engager une réflexion inclusive sur la recomposition de l’administration électorale à la lumière des nouveaux équilibres politiques comme de la nécessité de renforcer son fonctionnement. La méfiance entre les parties prenantes rendant illusoire, à court et moyen terme, le passage à une CENI purement technique, il convient d’élargir la réflexion aux mécanismes permettant une plus grande stabilité.
– Conduire un audit du fichier électoral existant, et engager une refonte du système d’inscription sur les listes électorales permettant son actualisation et une consolidation plus efficace par l’introduction d’un identifiant unique à chaque citoyen, une meilleure utilisation des données biométriques et le transfert de la technologie à l’administration électorale.
– Renforcer la transparence du processus électoral en rendant accessible l’ensemble des normes et en procédant à la publication des résultats du scrutin, détaillés par bureau de vote – seule à même d’en assurer la traçabilité et permettre aux candidats l’exercice effectif de leur droit de recours.
– Garantir les conditions d’une compétition pluraliste et équitable par la suppression des dispositions légales restreignant l’exercice de la liberté d’expression en période de campagne, le renforcement des pouvoirs de sanction contre les dépassements des règles de son financement.
INTRODUCTION
L’Union européenne a déployé du 12 mars au 7 mai 2015 une Mission d’expertise électorale (MEE UE) au Togo, qui avait pour mandat de produire une analyse documentée du processus électoral, et de proposer des pistes de réforme visant à renforcer le cadre électoral dans le respect des normes internationales, conformément aux critères énoncés dans la Communication de la Commission européenne sur l’assistance et l’observation électorale.1 Les experts ont également été amenés à fournir un appui technique en matière électorale à la Délégation de l’Union européenne ainsi qu’aux missions diplomatiques des Etats‐membres, et à proposer des pistes pour une éventuelle contribution de l’Union européenne en matière de réforme électorale.
Avec l’appui de la Délégation de l’Union européenne, la MEE UE a rencontré, peu après son déploiement, les principales autorités en charge du processus électoral, en premier lieu le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le ministre de l’Administration du territoire, de la Décentralisation et des collectivités locales (MATD), les membres de la Cour constitutionnelle (CC), le président de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) ainsi que le Premier ministre. Ses consultations se sont ensuite élargies aux partis politiques et aux représentants de la société civile et des médias.
Le déploiement de la mission a été suspendu du 27 mars au 8 avril, suite à la révocation soudaine des visas de séjour accordés aux deux membres de l’équipe. Les autorités togolaises ont finalement autorisé un des deux experts à regagner Lomé le 8 avril, s’opposant toutefois au retour de celui qui avait conduit la MEE UE déployée à l’occasion des élections législatives de 20132. En raison de délais significatifs dans l’obtention des visas, ce n’est que le 16 avril que l’équipe a enfin pu être complétée par l’arrivée d’un nouvel expert.
La mission a repris ses consultations avec l’ensemble des parties prenantes du processus électoral en vue de produire une évaluation technique documentée de l’élection présidentielle du 25 avril 2015.
1. CONTEXTE POLITIQUE
La disparition du Général Gnassingbé Eyadéma le 5 février 2005, après plus de 38 ans de règne, ouvre la voie à une période d’instabilité politique au Togo. Installé au pouvoir par les forces armées, son fils Faure Gnassingbé est contraint par la communauté internationale d’organiser une élection présidentielle, le 25 avril 2005. Il la remporte avec 60,6% des voix sous les couleurs de l’ancien parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), alors que son principal opposant, Gilchrist Olympio de l’Union des forces de changement (UFC), n’a pas pu se présenter. Entaché de nombreuses irrégularités, le scrutin débouche sur des violences qui font plusieurs centaines de victimes. Il s’ensuit un Dialogue inter‐togolais, promu par l’Union européenne, qui aboutit à la signature de l’Accord politique global (APG)3 et à la formation d’un gouvernement d’union nationale en 2006.
Des avancées dans les réformes politiques et institutionnelles contenues dans l’APG permettent d’organiser les élections législatives du 14 octobre 2007 à l’issue desquelles le RPT s’assure une majorité de 50 députés sur 81 à l’Assemblée nationale, avec 40,4% des voix pour un taux de participation de près de 85%.
Alors que le dialogue se poursuit avec l’opposition, sans avancée significative sur la question des réformes constitutionnelles, l’élection présidentielle du 5 mars 2010 permet au président sortant Faure Gnassimbé (RPT), de remporter un second mandat avec 60,88% des voix contre 33,93% à Jean‐Pierre Fabre, candidat de l’UFC, avec une participation s’établissant à 65%. Me Yawowi Agboyibo du Comité d’action pour le renouveau (CAR) arrive en troisième position avec 2,96% des suffrages alors que quatre autres candidats4 restent sous la barre de 1%. Le paysage politique se recompose à l’issue de ce scrutin. L’entrée au gouvernement d’anciennes figures de l’opposition ralliées au régime, y compris parmi les cadres de l’UFC, conduit à la formation de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), en octobre 2010, sous l’égide de Jean‐Pierre Fabre, candidat malheureux à cette élection. En 2012, l’ANC réussit à regrouper plusieurs composantes de l’opposition autour du Collectif Sauvons le Togo (CST) sans pour autant rallier le CAR qui créé la Coalition Arc‐en‐Ciel. A la même époque, le RPT disparaît pour renaitre sous l’appellation Union pour la République (UNIR).
En 2013, l’annonce des élections législatives, plusieurs fois reportées, voit une partie de l’opposition menacer de boycotter le scrutin en raison de l’absence de progrès dans la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues par l’APG. Un compromis politique5 avec le pouvoir permet finalement la participation de l’opposition au scrutin du 25 juillet 2013, en ordre dispersé. L’ingéniosité d’un mode de scrutin proportionnel à la plus forte moyenne dans des circonscriptions électorales de petites tailles offre au parti présidentiel une majorité de 62 sièges pour seulement 46,57% des suffrages. Le CST obtient 29 sièges avec 29,27% des voix, tandis que l’UFC, payant sa participation au gouvernement, subit une déroute électorale, passant de 34% à 8% des suffrages de 2007 à 2013. La Coalition Arc‐en‐Ciel parvient à obtenir 6 sièges avec 10,80% des voix. La liste Sursaut National de Kofi Yamgnane obtient un siège.
En septembre 2013, le Premier ministre Arthème Ahoomey‐Zunu confirme, dans sa déclaration de politique générale, l’engagement du Gouvernement à poursuivre les réformes constitutionnelles et institutionnelles6. En mai 2014, ce dernier accepte les recommandations de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR)7 relatives aux réformes judicaires, constitutionnelles, institutionnelles et sécuritaires, à la protection et à la réalisation des libertés publiques et des droits fondamentaux des citoyens, et à la lutte contre l’impunité et la corruption8. Un nouveau Médiateur de la République9 est nommé en vue de développer le dialogue entre le pouvoir togolais et les partis politiques d’opposition.
Réclamées de longue date par les partis de l’opposition, les discussions sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles reprennent après une rencontre en mars 2014 entre le président de la République et le leader de l’opposition. Elles aboutissent à la présentation d’un projet de loi devant le Parlement portant la réintroduction du scrutin majoritaire à deux tours pour l’élection présidentielle, la réintroduction de la limitation à deux mandats présidentiels successifs, la suppression de la condition de nationalité togolaise pour se porter candidat, ainsi que la refonte des modalités de désignation de la Cour constitutionnelle et du Sénat.
Le projet de loi est cependant rejeté le 30 juin 2014 par la majorité parlementaire.10 En décembre 2014, l’UNIR écarte une proposition de loi par l’opposition reprenant des dispositions similaires.11
Alors que toute perspective de réforme avant l’élection présidentielle de 2015 est abandonnée, le climat social se détériore sensiblement à l’approche des échéances électorales. Début 2015, le gouvernement doit faire face à la grogne des lycéens dans le nord du pays et à des revendications salariales de la part des fonctionnaires. C’est donc dans un climat politique et social tendu que le Gouvernement fixe la date du scrutin au 15 avril 2015, après une nouvelle passe d’arme entre le pouvoir et l’opposition sur le caractère constitutionnel de cette date, et sur l’opportunité d’aller aux élections, une partie de l’opposition appelant toujours au boycott du scrutin en l’absence de réformes constitutionnelles et institutionnelles.
Candidats en compétition
Sans surprise, la convention de l’UNIR tenue à Kara le 25 février 2015 a choisi Faure Gnassingbé comme candidat à l’élection présidentielle. Le président sortant apparaissait en position de force pour briguer un troisième mandat à la tête du pays. En vue de la campagne électorale qui se préparait, le parti a mis en avant les grands travaux lancés par les autorités durant les quatre dernières années pour défendre son bilan. A mesure que l’élection présidentielle approchait, la multiplication des déplacements du président et de ses ministres à l’intérieur du pays, l’inauguration par les autorités publiques de micro‐projets de développement, la réception médiatisée de biens d’équipement indiquaient que la campagne électorale avait déjà commencé alors que son lancement officiel n’est intervenu que le 31 mars.
En dépit de l’obstacle d’un scrutin à un tour, Jean‐Pierre Favre restait persuadé qu’il pouvait remporter le scrutin présidentiel. La constance du candidat de CAP 2015 dans l’opposition pouvait être un atout. A la différence de Gilchrist Olympio de l’UFC et de Me. Yawowi Agboyibo du CAR, il n’a jamais accepté d’entrer au gouvernement. Avec 16 députés, l’ANC, est la première force d’opposition à l’Assemblée nationale. Il a réussi à rallier à sa candidature d’autres figures de l’opposition, et notamment Brigitte Adjamagbo‐Johnson de la CDPA et Me. Abi Tchessa du PSR, originaire du nord du pays.
Les trois autres prétendants, Aimé Gogué sous les couleurs de l’ADDI, Gerry Taama pour le NET et Mohamed Tchassona Traoré pour le compte du MCD manquaient vraisemblablement d’une assise électorale nationale pour réellement peser sur le scrutin. Ils ont pour point commun d’être originaires du nord. Ils représentaient plutôt des candidatures de témoignage, susceptibles d’handicaper le principal candidat de l’opposition compte tenu du mode de scrutin uninominal à un tour à moins que leur assise régionale dans le Nord ne prenne des voix au parti présidentiel.
D’autres figures de l’opposition ont tenté de se démarquer avant de finalement renoncer à se porter candidat. Ancien premier ministre et candidat malheureux du CAR en 2010, Me. Yawowi Agboyibo aurait bien vu Me. Dodzi Apévon prendre la relève et porter les couleurs du parti. Mais le président du CAR, refusant de solliciter les suffrages de ses concitoyens, n’a pas cessé d’appeler au boycott du scrutin et a demandé aux quatre candidats de l’opposition de se retirer, estimant que le mode de scrutin à un tour ouvrait un boulevard au président sortant, sans pour autant trouver inconvenant que ses représentants continuent de siéger à la CENI et dans les CELI. Kofi Yamgnane, dont la candidature avait été rejetée en 2010, a cette fois‐ci renoncé à se présenter en raison d’ennuis judiciaires en France. Finalement Alberto Olympio, fondateur du Parti des togolais, a décidé de ne pas concourir. Il a insisté sur la transparence du fichier électoral et a proposé un report du scrutin pour permettre d’apurer les listes d’électeurs.
2. CADRE INSTITUTIONEL
Adoptée par référendum le 27 septembre 1992 dans le contexte des revendications démocratiques des années 1990, la Constitution de la IVe République institue un régime à caractère semi‐présidentiel inspiré de la Constitution française de 1958. Elle a toutefois fait l’objet de cinq révisions successives entérinant une dérive présidentialiste du régime. La révision constitutionnelle de décembre 2002, en particulier, marque une dérive présidentialiste qui vient modifier l’équilibre des pouvoirs garanti par le texte de 1992, en consacrant la prééminence du président de la République dont elle renforce les pouvoirs aux dépens du Premier ministre et de l’Assemblée nationale, tout en limitant les interférences que ceux‐ci pourraient avoir avec son action. Elle supprime la limitation de ses mandats et modifie le mode de son élection.
Renforcement des pouvoirs présidentiels
Selon la Constitution de 1992, les prérogatives du président de la République comprennent notamment la nomination du Premier ministre (Art. 66), la promulgation des lois (Art. 67), la dissolution de l’Assemblée nationale (Art. 68) et la signature de décrets (Art. 69). Un gouvernement conduit par le Premier ministre détermine la politique de la nation et dirige l’administration civile et militaire (Art. 77). Conformément aux principes du régime semi‐présidentiel, le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale, qui dispose en théorie d’un pouvoir de censure. Celui‐ci apparaît néanmoins difficile à mettre en œuvre puisqu’une motion de censure requiert un vote à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée (Art.98) – et très peu probable dans le contexte d’une assemblée dominée par le parti présidentiel.
Le renforcement des pouvoirs présidentiels opéré lors de la révision constitutionnelle de 2002 se fait principalement aux dépens du Premier ministre, en plaçant désormais l’action gouvernementale sous l’autorité du chef de l’Etat pour déterminer et conduire la politique de la nation (Art. 77), et en reléguant la fonction du Premier ministre à un rôle d’exécution. En outre, le président de la République voit son pouvoir règlementaire étendu, notamment en matière de nomination aux emplois civils et militaires (Art. 70) jusqu’alors déléguée au Premier ministre.
Ce renforcement s’exerce également dans ses relations avec le pouvoir législatif. Le président de la République n’est désormais plus tenu de nommer un Premier ministre « dans la majorité parlementaire » (Art.66), de même que l’Assemblée ne peut plus lui désigner un successeur dans le cadre d’une motion de censure (Art. 98 Constitution). En matière législative, le président de la République peut demander une nouvelle délibération des textes de loi. Le second alinéa de l’Article 67 de la Constitution, qui prévoyait qu’ « à défaut de promulgation dans les délais requis, la loi entre automatiquement en vigueur après constatation par la Cour Constitutionnelle » est supprimé.
Finalement, concernant ses relations avec le pouvoir judiciaire, la compétence de la Haute Cour de justice pour juger le président de la République est désormais limitée au seul cas de haute trahison.
Un Parlement de facto monocaméral
La révision constitutionnelle de 2002 a institué un Parlement bicaméral composé du Sénat et de l’Assemblée nationale (Art. 51). Le Sénat devait comporter deux tiers de sénateurs élus au suffrage indirect par les représentants des collectivités territoriales alors qu’un tiers devait être directement nommé par le président de la République (Art. 52). Or le Sénat n’ayant jamais été établi, le régime constitutionnel togolais est devenu, de facto, un système monocaméral.
Les députés sont élus pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct et secret (Art. 52)16. Les élections législatives ont été tenues en février 1994, en février 1999, en octobre 2002 (élections anticipées), en octobre 2007 et en juillet 2013. En préalable aux dernières élections législatives, une loi organique est venue en préciser les conditions, portant le nombre de députés de 81 à 91 et définissant les conditions d’inéligibilité et les différentes incompatibilités. Elle a surtout consacré le choix du scrutin proportionnel de liste bloquée à la plus forte moyenne (Art.4 Loi organique n° 2012‐013) pour l’élection des députés, déjà été utilisé pour les élections législatives de 2007.
La recomposition de la Cour Constitutionnelle
La Constitution affirme l’indépendance du pouvoir judiciaire (Art. 113) et dispose que les magistrats sont inamovibles (Art. 114). Elle fait du président de la République le garant de l’indépendance de la justice, assisté dans cette mission par le Conseil supérieur de la magistrature (Art. 115). La Cour suprême est la plus haute juridiction de l’Etat en matière judiciaire et administrative (Art. 120). Les cours d’appel sont au nombre de deux ; celle de Lomé couvre les deux régions «côtières» alors que celle de Kara couvre les trois régions de l’intérieur. Les tribunaux de première instance sont au nombre de vingt‐quatre.
Plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle, la Cour constitutionnelle juge de la régularité des consultations référendaires, des élections présidentielles, législatives et sénatoriales et statue sur le contentieux de ces consultations (Art. 104). Les contentieux de l’inscription des électeurs et des élections locales sont quant à eux traités par les tribunaux de première instance. Les magistrats, nommés par le Gouvernement, participent activement au processus électoral en qualité de présidents des Commissions électorales locales indépendantes (CELI).
La révision constitutionnelle de 2002 a changé la composition de la Cour constitutionnelle, désormais composée de neuf membres désignés pour un tiers d’entre eux par le président de la République, un tiers par l’Assemblée nationale et un tiers par le Sénat (Art. 100). Toutefois, en l’absence d’un Sénat, les nominations à la Cour constitutionnelle ont été organisées jusqu’à présent conjointement par le président de la République pour trois d’entre eux et par l’Assemblée nationale pour six d’entre eux, conformément aux mesures transitoires de la Constitution (Art. 155). Compte‐tenu de la domination de l’Assemblée nationale par le parti présidentiel, la question de l’indépendance de l’institution ne cesse d’être soulevée par les interlocuteurs de la MEE UE lorsqu’est abordée la question du contentieux.
Parmi les réformes institutionnelles convenues dans le cadre de l’APG, la question de la recomposition de la Cour constitutionnelle demeure toujours d’actualité en raison de ses compétences en matière électorale.
3. DROITS DE L’HOMME
La Constitution de la IVème République rappelle dans son Préambule « qu’un Etat de Droit ne peut être fondé que sur le pluralisme politique, les principes de la Démocratie et de la protection des Droits de l’Homme tels que définis par la Charte des Nations Unies de 1945, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et les Pactes Internationaux de 1966, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine. » Elle consacre, en son titre II, « les droits inaliénables et imprescriptibles que l’Etat a l’obligation de respecter, garantir et protéger ».
Afin de remplir son obligation, l’Etat togolais a créé dès 1987, la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH). Cette Institution a pour mission de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme ainsi que de vérifier les cas de violation des droits de la personne humaine sur toute l’étendue du territoire national. Selon la Constitution, il s’agit d’une institution indépendante, qui n’est soumise qu’à la constitution et à la loi (Art.152). Suite à de nombreuses critiques visant notamment son indépendance, l’institution a été mise en conformité avec les Principes de Paris en 2005. Depuis sa restructuration en 2005, son fonctionnement, sa composition et ses attributions sont régis par les dispositions de la loi organique n° 2005‐004 du 9 février 2005 modifiant et complétant la loi organique n° 96‐12 du 11 décembre 1996 et de celles de son règlement intérieur du 30 septembre 1997. S’il est vrai que l’article 1er de la loi de 2005 insiste sur l’indépendance de l’institution, son article 3 précise cependant que ses dix‐sept membres sont élus par l’Assemblée nationale. Or, la domination de l’Assemblée par une seule formation politique ne permet pas de garantir pleinement cette indépendance. On rappellera en outre que la publication d’un rapport annuel de la CNDH, portant notamment sur l’Affaire Kpatcha Gnassingbe – en dépit des menaces – avait contraint son président à prendre la fuite vers l’étranger.
A suivre
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