TRIBUNE LIBRE
Avec la mise en place de la CENI le 21 août dernier, l’organisation des élections présidentielles de 2010 a véritablement démarré. Alors que le RPT continue sa campagne électorale qu’il a débuté il y a déjà plusieurs mois, l’opposition se distingue par la poursuite de sa lutte pour l’obtention de meilleures conditions électorales et pour la recherche d’un candidat « unique » devant affronter le candidat du RPT.
Si les accords de Ouagadougou ont permis de maigres avancées, il faut reconnaître que l’UFC et le CAR sont (doivent être) conscients qu’ils sont loin du compte : les deux partis sont (doivent être) bien persuadés que sans la modification de la constitution, rien n’est réglé notamment en ce qui concerne les conditions d’éligibilité des candidats. Il ne faut cependant pas croire que les faibles résultats obtenus par le CAR et l’UFC à Ouagadougou seraient en partie dus à l’absence des partis comme la CDPA, la CPP et le PDR à cette kermesse ! Qu’avions nous obtenu en 2007 à Ouagadougou avec la participation de tout ce monde ! Il ne s’agit pas du nombre de participants aux discussions qui importent. Ce qui importe, ce sont les consultations préalables avec les autres partis qui ne prennent pas part directement aux discussions. Et cette critique demeure d’actualité. Il y a des compétences dans plusieurs des partis politiques du pays ; il y a des compétences dans des organisations de la société civile du pays : cela ne coûte rein aux partis devant prendre part aux discussions d’avoir recours à ces compétences qui ne demandent rien d’autres que de partager leurs expertises.
C’est une tautologie que de dire que la constitution togolaise actuelle est inique. Il ne fait donc aucun doute que nous avons besoin d’une révision profonde de ce texte fondamental. Il est cependant illusoire de penser qu’un forum comme celui de Ouagadougou est adéquat pour permettre la révision et l’adoption de la constitution que nous aurions souhaité avoir.
Pour ma part, je suis persuadé qu’il est naïf de croire un seul instant que l’UFC et le CAR ont la légitimité et les capacités d’obtenir les modifications de la constitution sur les points tels que le régime politique, le mode de scrutin, etc. Sommes-nous convaincus que ces points sont importants pour nous pour les élections de 2010 ? Si oui, alors que faisons-nous, individuellement et collectivement pour obtenir ces modifications tant souhaitées ? Avions-nous participé aux efforts de mobilisation de l’UFC pour que de telles modifications interviennent ?
Si nous ne sommes pas des partisans de l’UFC et de Gilchrist, mais trouvons ces modifications légitimes, avions nous tenté de faire pression ou d’organiser des manifestations pour l’obtention du changement de la constitution selon ce que nous désirons ? Avoir des conditions d’éligibilité qui ne sont pas taillées sur mesure pour exclure un candidat, quel que soit ce dernier, doit nous interpeler tout aspirant à la démocratie ; et nous devons réagir et mobiliser toutes nos énergies contre cette injustice. La démocratie c’est aussi cela. Après, nous avons la liberté de voter contre celui ou ceux qui vont tirer profit de l’application de conditions d’éligibilité plus équitables. En plus de ne rien faire, nous avons le courage de critiquer ceux qui luttent dans ce sens. Parfois je me demande si nous sommes cohérents dans notre comportement : voulons-nous une démocratie ou une démocratie exclusive.
Mais par delà tout ceci, nous sommes inquiets pour deux raisons principales. Pour plusieurs compatriotes qu’ils soient leaders de partis politiques, leaders d’opinion, cadres ou supposés intellectuels, une préoccupation demeure : celle de trouver un candidat unique. Pour certains, le fait que l’UFC n’aient pas réussi à revendiquer sa victoire et à accéder au pouvoir exécutif à la suite des élections présidentielles de 1998, 2003 et 2005 suggère son incapacité à lutter pour que cette victoire lui revienne et être ainsi en mesure de réaliser l’alternance politique dans le pays. Ce raisonnement est difficile à comprendre pour au moins deux raisons : d’abord, les victoires de 1998, 2003 et 2005 ne sont pas celles de l’UFC mais plutôt celle de tous ceux qui ont voté pour l’avènement de la démocratie. En effet, comme je le crois, tous ceux qui ont voté contre le candidat du RPT visaient la démocratie. Si vol des résultats des élections il y a eu, ce n’est pas le vote du candidat de l’UFC ni des militants de l’UFC qui a été volé mais celui de l’ensemble de ceux qui ont voté pour ce candidat. Il revenait alors à tous ceux qui ne se sont pas retrouvés dans les résultats proclamés de trouver et mobiliser tous les moyens pour revendiquer et prendre le pouvoir qui leur revenait. Nous ne pouvons pas nous dédouaner en abandonnant l’UFC dans la lutte pour revendiquer « sa » victoire, car nous devons être prêts à nous battre qu’elle que soit celui qui aurait gagné contre le candidat du RPT. J’oubliais de rappeler d’ailleurs que nous disons allègrement que n’importe qui peut gagner contre le candidat du RPT. Alors pourquoi ne pas défendre ce « n’importe » qui ?
Ensuite, dans le cas des confrontations comme celui que nous avions connues surtout en 2003 et 2005 notamment, il ne revient pas nécessairement à celui qui a gagné d’être au devant les revendications : depuis le 20ème siècle au moins, le général ne se retrouve pas au front lors d’une bataille ! Rappelez-vous le cas de l’élection présidentielle des Philippines qui avait vu l’accession au pouvoir de Mme Aquino après que le général Marcos ait été déclaré élu : le soulèvement populaire qui a suivit la proclamation de la victoire de Marcos a forcé ce dernier à fuir et a donné la victoire à celui qui la méritait : le peuple philippin. C’est la société civile qui avait organisé le soulèvement populaire qui avait conduit à la fuite de Marcos. Mme Aquino, qui était arrivée en tête de l’élection et qui devait devenir le président du pays, était « introuvable » durant cette période de soulèvement populaire. Il est incontestable que la défaillance de l’UFC à organiser la population a été notoire : mais nous ne pouvons pas nous dédouaner facilement en nous appuyant sur cette incapacité. Nous devons reconnaître que nous avions été aussi incapables de participer à cette organisation. Nous partageons également ces multiples échecs.
Pouvons-nous trouver un candidat unique ? C’est ce que la population nous demande. C’est ce qui est rationnel à faire dans le cadre d’une élection avec un mode de scrutin à un tour. C’est à cette œuvre que s’est engagée l’ADDI depuis les différentes élections dans le pays. Depuis la fin de l’année dernière au moins l’ADDI continue inexorablement à inviter les autres partis politiques et la diaspora togolaise à œuvrer dans ce sens. Nous continuerons à œuvrer sans relâche pour la désignation d’un candidat unique de l’opposition. Cependant, l’expérience a montré que c’est là un objectif difficile à réaliser au Togo ! Aussi croyons-nous qu’il n’est pas nécessaire de donner de faux espoirs aux Togolaises et aux Togolais. Par stratégie ou pure ambitions personnelles ou de groupe, des Togolais et Togolaises, supposés de l’opposition, font fi des affreuses souffrances de leurs compatriotes en maintenant leur projet de candidature. Ceci n’aura pour conséquence que de diviser les voix de l’opposition au profit du… RPT qu’ils prétendent combattre !
Il est possible que des gens qui se sont illustrés dans la répression de la population il y a environ une quinzaine d’années aient changé et aient compris qu’ils avaient fait des erreurs voire des fautes. Il faut également croire à la possibilité de changement dans le bon sens de compatriotes qui, occupant des poste de responsabilité dans des pays ayant une forte influence sur l’évolution politique du pays, avaient refusé de peser de leur poids afin que leur pays d’adoption vienne au secours de leur pays de naissance dont le pouvoir était attaqué par sa propre armée un jour tristement mémorable de décembre 1991 et dont la population, les mains nues, se faisait massacrer un jour noir de janvier 1993 ! Nous sommes également convaincus du changement possible de compatriotes qui, du fait de leur ambition personnelle ou cupidité, ont cautionné et permis la légitimation et la consolidation du régime en place à la suite des négociations conclues par l’APG. Mais faudra t-il encore au moins que publiquement ils reconnaissent avoir commis des erreurs.
Souhaitant une démocratie nous n’avons d’autre choix que de respecter leur choix d’être candidat. Mais je suis convaincu qu’ils savent que, comme par le passé, les électeurs togolais ont toujours voté utile : je suis confiant de la capacité de discernement des électeurs togolais. Le danger ne réside donc non pas seulement dans la multiplicité des candidatures. Le problème peut provenir du comportement de ces candidats, de leurs délégués dans les différentes structures du scrutin (bureaux de votes, CLC, CELI et CENI) et de leurs militants et sympathisants avant, durant et après le scrutin.
Si tous ces candidats potentiels ont effectivement changé et poursuivent le changement de régime, ils doivent le prouver dans leur discours et dans les consignes qu’ils donneront à leurs militants et sympathisants. Ils ne doivent donc pas se tromper de cible : l’alternance consiste à « bouter » le régime en place hors du pouvoir ; dans ces conditions, l’adversaire premier de tous ces candidats est le candidat du RPT. Tous ce que l’on peut donc leur demander c’est de donner les instructions à leurs délégués : s’assurer qu’aucun des candidats de l’opposition ne soit lésé dans les bureaux de vote, dans les CELI et à la CENI. Ils doivent également être prêts à se mobiliser et à inviter tous ceux qui auraient voté pour eux à se mobiliser derrière celui d’entre eux qui arriverait en tête de ce scrutin présidentiel de 2010. C’est dans ces conditions à elles seules que le peuple comprendra qu’ils ont effectivement changé, qu’ils sont sensibles aux maux dont souffre la population et qu’ils visent l’alternance et non des intérêts particuliers.
Je crois qu’il serait plus rentable d’allouer nos énergies et notre intelligence à nous assurer que ceci soit fait. Evitons de nous attaquer et de nous entre déchirer. La situation est très grave. Nous ferons des progrès si dans toutes nos interventions nous proposons des stratégies devant concourir à la réalisation de ces conditions.
Québec,le 25 août 2009
Prof. Aimé Tchabouré Gogué
Qui est Gogué Tchabouré Aimé ?
Depuis plus de trente ans, M. Aimé Tchabouré Gogué est professeur d’économie à l’Université de Lomé dont il fut également le vice-recteur. Dans les années 1990, Aimé Gogué fut ministre dans le gouvernement de la transition dirigé par Me Joseph Kokou Koffigoh. Depuis 2008, il est professeur invité à l’Ecole Nationale d’Administration Publique de Québec et responsable de la chaire de Recherche Appliquée en administration internationale.
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