29/03/2024

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Crise au Togo : le rôle de la France en question

LEMONDE.FR | 29.04.05 | 11h32 • Mis à jour le 29.04.05 | 19h19

L’intégralité du débat avec François-Xavier Verschave, président de l’association Survie et auteur de plusieurs ouvrages sur les relations franco-africaines, vendredi 29 avril 2005

Stéphane : Qu’est-ce qui prouve l’intervention française dans le processus électoral ? Comment cela se manifeste-t-il ?

François-Xavier Verschave : Le Togo est un pays qui est tenu par la France depuis 1963 à tous les points de vue et notamment en ce qui concerne l’armée et les services secrets. L’intervention de la France dans le processus électoral s’est faite de plusieurs manières : des conseillers en communication, en organisation électorale. D’autre part, des pressions multiples sur les pays de la Cedeao pour faire en sorte qu’elle ferme les yeux sur l’absence totale de contrôle des listes électorales et du dépouillement des urnes. La Cedeao, qui avait eu un rôle très positif au moment du coup d’Etat de Faure Eyadéma, a depuis, sur les pressions directes de l’Elysée, notamment auprès de son président nigérien Mamadou Tanja, accepté toutes les manipulations du scrutin.

Wilfried : La Cedeao a-t-elle eu raison de valider les élections ?

François-Xavier Verschave : Certainement pas. Et pour beaucoup d’Africains, son attitude est un scandale. Les Africains mettaient beaucoup d’espoir dans leurs nouvelles institutions comme l’Union africaine, le rôle joué par leurs organisations régionales dans les processus de paix. Et là, l’attitude des observateurs de la Cedeao est véritablement scandaleuse. Elle est contraire à toutes les observations des délégations internationales sur place, et à celles aussi des journalistes de la presse internationale, qui ont été menacés par le gouvernement togolais.

Florent : Quels sont les intérêts de la France au Togo ? Leurs spécificités par rapport à d’autres pays de l’Afrique francophone ?

François-Xavier Verschave : Il y a les intérêts généraux, dans le cadre de ce que j’ai appelé la « Françafrique », c’est-à-dire le pillage des matières premières comme le phosphate, le monopole sur les importations et les exportations, les transactions financières frauduleuses sur la dette par exemple. Mais il y a aussi le fait que le Togo, sous Eyadéma, était une plaque tournante de toutes sortes de trafics mafieux en Afrique de l’Ouest. Et enfin, il y a une dimension géopolitique régionale. La France redoute effectivement de voir se déliter son pré carré.

DZTTRIBU : Avons-nous des preuves indiscutables de ces pressions sur la Cedeao ?

François-Xavier Verschave : Nous avons eu des témoignages sur ce harcèlement incessant de la part de l’Elysée auprès des chefs d’Etat africains de la Cedeao, en particulier les francophones. Et il n’y a que cela qui puisse expliquer ce retournement incroyable de la position de la Cedeao. Au tout début, M. Tanja, le président nigérien, était extrêmement sévère contre le coup d’Etat organisé par les militaires togolais. Et maintenant, alors que les premiers résultats sortis des urnes donnaient 75 à 80 % en faveur du candidat de l’opposition Emmanuel Akitani, alors que les urnes sont volées par les militaires, brûlées, et que pendant plus de 24 heures le pays vit dans une coupure totale des télécommunications, la Cedeao considère que ce sont des élections normales… Evidemment, nous n’avons pas accès aux registres téléphoniques de l’Elysée. Mais le suivi dans le détail des prises de position de la Cedeao depuis deux mois est édifiant. La France dispose de beaucoup de moyens de pression. Ces pays, notamment, dépendent de l’aide publique française.

TRAITEMENT DE LA CRISE PAR LES MÉDIAS FRANÇAIS

Wilfried : Quelle image de la France au Togo aujourd’hui ?

François-Xavier Verschave : C’est une image qui est devenue rapidement désastreuse, et beaucoup d’observateurs remarquent les similitudes avec le processus ivoirien. Ce sont des policiers et des militaires formés par la France qui tirent sur la foule, avec des armes françaises.

TKJ : Quel est votre opinion sur l’issue de la crise au Togo ? Peut-on arriver à un scénario à l’ivoirienne ?

François-Xavier Verschave : Cela peut tourner très mal. La seule issue digne et légitime, ce sont de nouvelles élections sous un vrai contrôle international, notamment en ce qui concerne les listes électorales et le contrôle du dépouillement des résultats. Ce sont des règles élémentaires hors desquelles il n’y a pas de démocratie, et il ne peut y avoir que des affrontements sans fin. J’ajouterai que c’est une question de pression internationale. Tout dépend du regard du monde extérieur sur ces élections. Et dans cette affaire, les enjeux de propagande sont considérables. C’est un peu comme ce qui s’est passé en Ukraine, ou à Madagascar : si le monde extérieur considère que ces élections sont une mascarade, à ce moment-là il y a la porte ouverte pour trouver une issue politique.

Francis : Et l’ONU ? N’a t-elle pas un rôle à jouer au Togo ?

François-Xavier Verschave : Certainement. Mais nous sommes aussi déçus par la position de Kofi Annan, qui est d’un pays tout proche. Au moment où il y a eu une terrible guerre civile au Congo Brazzaville, Kofi Annan a dit confidentiellement : je ne peux rien faire car le Congo Brazzaville, c’est le domaine réservé de la France à l’ONU. Et je pense qu’il en est un peu de même avec le Togo. Pour éviter cela, il faut une mobilisation des autres pays qui n’acceptent pas l’attitude de la France. Je pense en particulier à l’Allemagne, peut-être à la Grande-Bretagne. Et je crois qu’il faut aussi une mobilisation des citoyens africains vis-à-vis de ceux de leur gouvernement qui sont tentés d’avaliser cette élection.

Mame : Que pensez-vous du traitement de la situation actuelle du Togo par les médias français ?

François-Xavier Verschave : Il est variable. Il y a eu de très bons reportages. Dans l’ensemble, les médias français, après un peu d’hésitation, reconnaissent qu’il y a vraiment eu un gros problème dans ces élections et que Faure Gnassingbé n’est pas le vainqueur réel. Mais il y a encore certains médias et journalistes qui sont tentés de suivre la position élyséenne : une position extrêmement hypocrite qui consiste à dire : nous suivons l’avis de la Cedeao. Celle-ci dit : je suis l’avis du Conseil constitutionnel togolais. Or ce Conseil a été nommé par la dictature.

Wilfried : La presse française dit qu’il y a autour d’une vingtaine de morts au Togo. Mais certaines sources togolaises annoncent plutôt une cinquantaine de morts…