25/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Election présidentielle 2015 au Togo Et après ? (Volet 1)

Antoine Bawa, linguiste-politologue
Ancien fonctionnaire international de
l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

(Volet 1)

1. Préambule

4 mars 2015, deux témoignages qui vous prennent à la gorge et qui vous torturent les tripes. Celui d’Edwige de Doufelgou au Togo, région où feu Gnassingbé Eyadéma a installé un aéroport à quelques encablures de Pya, son village natal. Edwige rappelle que depuis des décennies, les terres réquisitionnées aux alentours du site de l’aéroport sont exploitées par les militaires et les agents en service dans cette localité, au détriment des paysans expropriés et déshérités. Edwige souligne la grande misère qui frappe les paysans de cette région, particulièrement les jeunes en déshérence et dans une très grande précarité.

Deuxième témoignage, celui de Chimène, commerçante à Lomé, qui rappelle à la mémoire, la tragédie des incendies des marchés de Lomé et de Kara en 2013 qui sont venus augmenter la misère et la pauvreté des populations de la région. Chimène conclut : la profonde dégradation de la situation économique et sociale est le fait de la dynastie en place depuis près d’un demi-siècle.

Deux témoignages de deux femmes originaires, l’une du Nord, l’autre du Sud, qui concordent sur un constat. « Les Togolais sont fatigués… ! ». Deux témoignages entendus sur le Journal des auditeurs (JDA) du 4 mars 2015. Toutes deux réclament le changement.

L’analyse qui suit s’ouvre donc sur le fait avéré qu’au Togo de 2015, dans leur très grande majorité, les Togolais vivent plus que jamais dans la désespérance, après un demi-siècle de pouvoir sans partage d’un clan, d’une famille. Vient alors à l’esprit un questionnement d’évidence. Le Togo est-il un pays décidément maudit, « damné de la terre » ? C’est à cette interrogation que tous les Togolais doivent apporter une réponse rapide, précisément dictée par le contexte politique actuel marqué par l’élection présidentielle du 25 avril 2015.

Dans cette première livraison, il est important de camper le décor en rappelant quelques éléments de contexte à défaut d’un bilan exhaustif auquel bon nombre d’observateurs assidus et sérieux du Togo se sont livrés fort opportunément, en particulier ces derniers temps : Synergie-Togo (Janvier 2015), Survie (Avril 2015), Organisations de la société civile et des organisations syndicales du Togo (Avril 2015). Dans un seconde étape, après le 25 avril, quelques pistes d’actions très concrètes compléteront cette analyse.

2. Eléments de contexte

Depuis l’indépendance du Togo en 1960, après la courte expérience de la gouvernance démocratique et nationaliste instaurée par Sylvanus Olympio, le Togo peine à sortir des crises récurrentes engendrées par les gouvernances autocratiques successives plus particulièrement depuis 1967.

Constamment contesté par les populations, le pouvoir politique a été capté par l’oligarchie des Gnassimgbés à partir de 1967 et ce, jusqu’à nos jours. En dépit de la violence meurtrière qui s’est abattue sur elles, les populations dans leur très large majorité n’ont jamais cessé de résister en manifestant leur profond attachement à la démocratie, seule voie permettant à toutes les filles et à tous les fils du Togo d’apporter leur pierre à l’édification d’une nation souveraine et développée dans un contexte apaisé.

Petit pays de 56 000 Km2 (600 Km de long et 100 de large) avec 6,5 millions d’habitants environ, le Togo continue de survivre dans la désolation, alors que ses voisins, le Ghana et le Bénin ont su, depuis les années 90, tourner le dos aux systèmes autoritaires en faisant le choix vertueux de la démocratie et, conséquemment, celui du chemin du développement économique et social.

Ainsi, au Bénin l’actuel président de la République, Thomas Yayi Boni, peut poser en photo avec ses prédécesseurs, Matthieu Kérékou, Nicéphore Soglo. Au Ghana, l’actuel président John Dramani Mahama peut s’afficher ostensiblement aux côtés de John Jerry Rawlings, John kufuor et John Atta Mills (décédé le 24 juillet 2012).

Au Togo, rien de tel, et pour cause !

Depuis l’adoption de la constitution à plus de 98% par le peuple Togolais en 1992 à la suite de la conférence nationale de 1990, de père en fils, le pouvoir a toujours multiplié les entraves à la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles susceptibles de créer les conditions de la bonne gouvernance. Ainsi, les principales dispositions de l’Accord politique global (APG), adopté par l’ensemble des acteurs politiques le 20 août 2006, sont encore aujourd’hui l’objet des revendications de la population.

De même, les principales recommandations de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) visant à tourner définitivement les pages douloureuses des violences meurtrières que les Togolais ont vécues et payées pour certains de leur sang, n’ont pas été suivies de décisions et d’actes permettant au peuple de constater, à l’épreuve des faits, la volonté et la bonne foi des dirigeants de rompre avec les pratiques répressives de la gouvernance autocratique et d’aller résolument de l’avant. Ce qui a profondément déplu, y compris dans les rangs de ceux qui ont cru à cette démarche cathartique fortement réclamée de l’intérieur comme de l’extérieur et qui a porté du fruit en Afrique du Sud, par exemple.

Il faut également rappeler les multiples tentatives de dialogue et de concertation qui ont eu lieu au cours de ces dernières décennies et qui n’ont donné aucun résultat concret, faute d’un courage affirmé suivi de décisions et d’actes concrets destinées à en finir avec les vieilles recettes de la matraque dès que les populations tentent de manifester pacifiquement leur désaccord.

Toutefois, parce qu’il repose sur les principaux acquis consensuels de la constitution de 1992, les points focaux de l’Accord politique global fournissent des axes très précis de travail, si l’on veut véritablement prendre le chemin de l’avenir.

3. Eléments clés de l’Accord politique global (APG)

Le Point III de l’APG prescrit « la poursuite des réformes constitutionnelles et institutionnelles nécessaires à la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance ». Les réformes d’intérêt national prescrites peuvent être regroupées en 9 points :
• Le fonctionnement régulier des institutions républicaines ;
• Le respect des droits humains ;
• La sécurité, la paix publique ;
• Le caractère républicain de l’armée et des forces de sécurité ;
• L’équité et la transparence des élections à savoir : les conditions d’éligibilité, le mode de scrutin, le découpage électoral, le contentieux électoral, etc. ; le renforcement des moyens d’action de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) ;
• La révision de la constitution : régime politique, nomination et prérogatives du Premier ministre, conditions d’éligibilité du président de la République, durée et limitation des mandats présidentiels, institution d’un Sénat, réforme de la Cour constitutionnelle ;
• La modernisation de la justice ;
• La mise en place d’un Comité de suivi chargé de la mise en œuvre des engagements souscrits ;
• L’élaboration d’un Code de bonne conduite à l’attention des partis politiques, de la société civile et des médias.

Le constat est là. Depuis l’adoption de l’Accord politique global en 2006, c’est-à-dire depuis près d’une décennie, sur l’ensemble de ces points nécessitant des réformes, aucune avancée significative n’a été observée, malgré quelques frémissements, ça et là, qui n’ont donné aucun résultat sérieux, véritablement prometteur. N’en déplaisent à certains qui considèrent, pour des raisons purement politiciennes, que « l’APG est caduc », tandis que d’autres surfent sur la vague prégnante du souci de conserver le pouvoir alors que l’avenir reste toujours à ceux qui osent la vraie rupture et le véritable saut qualitatif qu’attendent les peuples. Un saut qualitatif qui fait les grands hommes !

Si les choses devaient rester en l’état et au rythme des promesses non tenues que les Togolais subissent depuis si longtemps, dans cinq ans, dans dix ans, la classe politique et toute la société togolaise seront devant les mêmes constats amers de blocage et d’immobilisme alors que l’heure d’un vrai changement de cap a sonné. Depuis longtemps ! A cet égard, les élections du 25 avril 2015, en dépit des réserves et de la méfiance qu’elles continuent de susciter, peuvent offrir l’opportunité d’un déclic de lendemains meilleurs pour le pays tout entier.

Dans quelques jours, le 25 avril 2015, les Togolais vont élire le président de la République qui va diriger le pays pour les cinq prochaines années, 2015-2020. Sauf extraordinaire, le scrutin aura lieu en dépit des dysfonctionnements constatés par les habitués qui scrutent ces processus, notamment au sein des pays francophones, qui présentent encore aujourd’hui, pour bon nombre de pays, des situations totalement incongrues au vu des déclarations et autres dispositifs réitérés, pourtant souscrits par ces mêmes pays.

Quelle que soit l’issue du scrutin, – continuité avec le régime actuel ou victoire de l’opposition -, au regard des leçons tirées de la longue lutte du peuple togolais et aussi de l’ampleur des enjeux des réformes politiques et de l’urgence d’un développement économique et social, le régime et l’opposition future, auront à relever un défi de taille.

Celui de la mise en œuvre effective – en acte et non en parole – des réformes constitutionnelles et institutionnelles, ainsi que de la mise en route rapide d’un plan d’action gouvernemental très concret, vivement attendu par la grande majorité des Togolais pour la démocratie véritable, le développement économique, la justice et le bien-être social, loin des slogans et des déclarations de campagne. Alors pourra s’ouvrir une nouvelle page pour la reconstruction du Togo.

Que faire au lendemain de la présidentielle du 25 avril 2015 ? Ce volet sera traité tout prochainement.

Antoine Bawa,
20 avril 2015.