29/03/2024

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Fallait-il que l’Afrique réponde à Sarkozy ?

Il est, bien sûr, question du discours du président français en juillet 2007 à Dakar. Un ouvrage collectif, signé par 23 intellectuels africains, sous le titre « L’Afrique répond à Sarkozy » qui estiment qu’il est « difficile de laisser passer des accusations, des propos d’une violence inattendue » est publié chez l’éditeur Philippe Rey en février et présenté le jeudi 8 mai dernier à Dakar.

« Ce que nous combattons, ce n’est rien de moins que des préjugés séculaires qui empoisonnent les relations de l’Afrique avec le reste du monde » a déclaré Makhily Gassama, coordonnateur de l’ouvrage collectif, peut-on lire sur le site du NOUVELOBS.COM | 09.05.2008.

Certains se demandent si cela vaut vraiment la peine de répondre, au nom de l’Afrique, à ce discours dans la mesure où il n’a rien d’original ni de novateur, mais est simplement une belle collection de clichés et de préjugés séculaires, justement, comme le disent les auteurs de l’ouvrage. D’autres estiment que Sarkozy, même s’il n’est pas particulièrement brillant dans le domaine de la réflexion intellectuelle, comme en témoignent ses idées sur l’explication génétique du crime de pédophilie, la réunion par ses soins dans un même ministère, de l’identité nationale et de l’immigration et le test ADN dans le cadre du regroupement familial… qui ont suscité des tollés dans son propre pays, surtout parmi les intellectuels, Sarkozy est cependant le président de la cinquième puissance du monde dont les propos ont un grand retentissement, et méritent une certaine attention.

Je pense que la question est de savoir d’abord à qui Sarkozy s’adressait et pourquoi il parlait en ces termes. Il est évident que ce n’était pas aux hommes politiques, sénégalais surtout, qui, pourtant avaient rempli l’amphithéâtre de l’université Cheikh Anta Diop ce 26 juillet 2007, devenant ainsi des étudiants occasionnels de Sarkozy: ils ne pouvaient pas, dans leur position, répondre au chef d’un État puissant comme la France dont par ailleurs ils dépendent largement pour leur maintien au pouvoir ou de qui ils espèrent le soutien pour y accéder. Ils avaient bien joué leur rôle qui était d’applaudir Sarkozy. Au-delà des autorités sénégalaises, si d’autres hommes politiques africains, exactement dans la même position que leurs homologues sénégalais voulaient lui répondre, ils ne pourraient pas le faire avec la même « violence », pour utiliser le terme des auteurs de l’ouvrage. Ce n’est pas non plus aux populations africaines que Sarkozy s’adressait: il ne les intéresse pas et elles ne le connaissent que parce que les « autorités » les ont envoyées dans la rue pour l’ovationner sur son passage lors de sa visite. Sarkozy était censé s’adresser à la jeunesse africaine; il l’a peut-être fait, même si les vrais jeunes étaient absents de l’auditorium. Cette jeunesse africaine, peut-être, devrait se lasser d’écouter les discours des aînés souvent axés sur la condamnation de l’esclavage et de la colonisation, pouvait-on penser, côté français. Sur ce point, je ne sais si le président français a atteint son objectif. Mais, il s’adressait aussi aux intellectuels africains des générations qui ont connu la colonisation ou la prétendue décolonisation, qui n’ont cessé de s’y référer, non pas pour expliquer perpétuellement le retard pris par l’Afrique, mais pour dénoncer au contraire la perpétuation des comportements coloniaux dans les relations contemporaines de la France en particulier et de l’Occident en général avec l’Afrique. Le discours de Dakar en est précisément un exemple. C’est surtout à ceux-là que Sarkozy donnait la réplique, ou plutôt ceux-là que Sarkozy privait de leur argument-massue en commençant par déclarer que l’esclavage et la colonisation étaient des crimes contre l’humanité. Une fois cela fait, il pouvait donner libre cours à ses accusations, à son réquisitoire le plus violent possible contre les Africains qui sont dans la misère, en retard par rapport aux nations des autres continents, par leur propre faute. Ce n’est pas seulement l’explication la plus courte que Guaino, le « nègre » de Sarkozy a choisie, mais aussi la plus avantageuse pour l’Europe et pour la France. Mais, je n’entrerai pas dans les détails pour ne pas risquer de ressasser ce que l’on sait déjà.

Sans tomber non plus dans l’autre raccourci qui consisterait comme l’a fait l’intellectuel français Bernard-Henri Lévy à traiter Guaino de raciste, je dirai que ce discours entre dans une logique aussi séculaire que les préjugés dont il est tissé et dont l’Occident en général et la France en particulier n’arrivent pas à se défaire, en dépit de toutes les volontés affichées de rupture dans leurs relations avec l’Afrique ou même plus généralement avec l’autre. À savoir que c’est l’Occident qui ouvre et qui en même temps tourne une page, qui inaugure et clôture un cycle selon son bon vouloir. Dans ces conditions, n’est-il pas normal qu’il soit le seul maître de l’Histoire? Seul à décider du cours de l’Histoire? La déportation des Noirs vers le Nouveau Monde a été le fait de l’Occident; l’abolition de l’esclavage est due à Victor Schoelcher. La colonisation, le partage des territoires « découverts » et le tracé des frontières entre les pays colonisés sont l’œuvre exclusive de l’Europe. La décolonisation de l’ancien Empire colonial français, c’est au général de Gaulle que nous la devons, selon l’histoire officielle de la France. Entrent également dans cette logique le discours de La Baule, pour l’avènement de la démocratie dans les États de la Françafrique et plus récemment, la loi votée, puis partiellement abrogée face aux différentes réactions, notamment celles des anciens colonisés, sur le rôle positif de la colonisation.

Or, la vérité est que, si des Noirs esclaves se sont battus pour libérer leurs peuples de l’esclavage comme le Haïtien Toussait Louverture qui a chassé les armées de Napoléon de son île, c’est Victor Schoelcher et les philanthropes européens que l’Histoire retient, veut bien retenir, comme libérateurs des esclaves, si des rois africains comme Samory Touré, El Hadj Omar, Béhanzin, Chaka et d’autres encore ont résisté à la pénétration coloniale, c’est la France et les autres pays d’Europe, conquérants, que l’Histoire de la colonisation retient dans ses pages comme les grands héros de cette période particulièrement douloureuse pour l’Afrique. Si des peuples africains, comme ceux de l’Algérie, de la Guinée, du Togo, et plus récemment de la Guinée-Bissau, du Cap-Vert, du Mozambique, de l’Angola et d’autres encore se sont vaillamment battus, parfois les armes à la main pour arracher leurs indépendances des mains des colons exploiteurs, ce sont les dirigeants des puissances coloniales, de Gaulle pour la France, qui sont en première ligne dans les manuels d’histoire sur la décolonisation. Si dès les premiers coups d’État et l’installation des régimes totalitaires en Afrique, coups d’État souvent planifiés et exécutés par l’Occident ou téléguidés depuis l’Occident, des hommes et des femmes se sont opposés aux dictateurs, certains jusqu’au sacrifice suprême dans leur lutte contre les tyrans, c’est Mitterrand qui voudrait bien apparaître comme le père de la démocratisation en Afrique. Et pourtant, en ce qui concerne le Togo, pour ne prendre que cet exemple, nous savons que ni Mitterrand, ni Chirac n’ont rien fait pour réellement soutenir les démocrates en Afrique. Au contraire, Chirac a poussé le luxe jusqu’à déclarer que la démocratie est un luxe pour l’Afrique, a poussé le cynisme jusqu’à se faire l’avocat-défenseur des dictateurs.

On peut se demander, sur la base du discours de Dakar, quelle est l’évolution réelle du regard de l’Occident sur l’autre, sur l’Afrique en particulier depuis des siècles, depuis le XVe siècle où il a fallu qu’une bulle papale déclare les habitants des terres nouvellement conquises hommes véritables à condition qu’ils soient capables de confesser la foi catholique et se fassent baptiser. Autrement dit: « s’ils sont capables d’adopter notre religion, de vivre d’après les règles de notre civilisation, nous les reconnaîtrons comme des hommes à part entière ». Prenez par exemple cette phrase du discours:
« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Jamais il ne s’élance vers l’avenir. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »
Et comparez-la avec tout ce que nous savions déjà, depuis des décennies:
« l’Afrique noire n’a pas d’histoire“, « les Africains n’ont pas le sens de l’histoire », « les Africains n’ont ni système philosophique, ni théâtre »… Et Guaino (ou Sarkozy), fait de l’anthropologie, c’est-à-dire une science. S’emportant contre Bernard-Henri Lévy, il déclare: « Dès qu’on parle d’anthropologie, on est raciste alors? Je pensais que c’était fini depuis cinquante ans. » Donc Guaino fait de l’anthropologie, de la science. Il fait de l’anthropologie comme Chirac, grand connaisseur de l’âme ouest-africaine, ou même de l’âme africaine tout court, puisqu’il peut affirmer que les Africains sont joyeux de nature. Guaino (ou Sarkozy) fait de l’anthropologie comme Le Pen qui a bien étudié le Noir et déduit que son habileté se trouve dans ses membres inférieurs plutôt que dans ses membres supérieurs puisqu’il excelle dans des sports comme la course et le football, mais est nul en natation. Il fait de l’anthropologie comme un certain Sevran, grand sexologue, qui explique, lui, le drame de l’Afrique par la « bite » du nègre. Il fait de l’anthropologie comme ce paysan suisse qui s’étonne que j’ai des cheveux courts et me demande, sans doute dans le cadre de son étude scientifique si nos cheveux, à nous Africains, ne poussent jamais. Il fait de l’anthropologie comme cet autre Suisse, diplomate de son état qui, ayant été en poste à Yaoundé, a bien étudié les mœurs des Camerounais et en a conclu que les hommes camerounais sont tous paresseux… Il fait de l’anthropologie comme ces étudiants qui accueillent leur camarade africain arrivant en retard à une réunion par cette phrase (dites-moi que c’est une boutade!): « c’est normal, vous, Africains, vous n’avez pas la notion de temps ». Autant de maux, c’est-à-dire de différences qui séparent l’Africain des hommes véritables, autant de docteurs, chacun avec son propre diagnostic. Donc, n’allez pas dire à Guaino (ou Sarkozy) qu’il n’est pas anthropologue. Il vous « mangerait tout cru » (Rassurez-vous, ce n’est pas pour traiter Guaino ou Sarkozy d’anthropophage, c’est tout simplement une façon africaine, togolaise si vous voulez, de parler. Anthropologue n’est pas anthropophage!). Donc, il vous mangerait tout cru comme il s’est acharné sur Bernard-Henri Lévy, le traitant de « petit con prétentieux ». Dans sa colère (non, je ne dirai pas délire), Guaino qui déclare « assumer le discours de Dakar ligne à ligne, mot à mot, à la virgule près », va plus loin: « Il (BHL) a la bave aux lèvres, avec la haine qui suinte de partout. Des crétins, il y en a toujours eu. Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à autant de conneries? ». Voilà l’attitude et la réponse d’un vrai scientifique face à la critique. Mais si on lui demandait simplement de définir selon des critères « scientifiques » qui est cet homme africain qu’il connaît si bien et dont il parle avec tant d’aise, que pourrait-il nous dire? Moi, en tout cas, j’avoue ne pas connaître l’homme de mon quartier natal de Lomé, avant d’être capable de parler de l’homme togolais, puis de l’homme ouest-africain et parvenir enfin à faire « l’anthropologie de l’homme africain ». Ce n’est pas seulement une généralisation dénuée de tout sens que fait Guaino, mais aussi la preuve d’une prétention stupide. A-t-on besoin de dire qu’il y a encore moins de critères scientifiques pour affirmer qu’il « n’y a de place chez cet homme ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès? » L’homme africain, c’est aussi bien l’industriel de Johannesburg (noir, blanc ou métis) que le fermier d’un village togolais, aussi bien le professeur ghanéen ou sénégalais dans une université parisienne, berlinoise, ou londonienne, que l’immigré malien qui est parvenu en France au bout d’un véritable parcours du combattant. Aussi bien l’écrivain nigérian, lauréat du Prix Nobel de littérature que l’ouvrier du port de Dakar. Aussi bien le médecin béninois de Marseille que le champion mondial de tennis. Aussi bien la commerçante togolaise en relation avec les milieux d’affaires de Hong Kong que la femme burkinabé membre d’une coopérative agricole. Duquel de ces hommes parlait M. Guaino? Auquel de ces hommes, à laquelle de ces femmes Guaino identifie-t-il l’homme africain? Lequel n’a de place « dans son imaginaire où tout recommence toujours ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »?

Le problème est ceci: on veut, ex cathedra, à la fois exclure certains peuples de l’Histoire et avoir en même temps le loisir de leur reprocher de ne pas entrer assez dans l’Histoire. Le vrai motif de Sarkozy-Guaino? C’est lui-même qui nous l’apprend, dans son attaque contre BHL: « Il n’aime pas la France, moi si. » Guaino aime la France comme Sarkozy, cela est sûr. Mais nous ne savions pas qu’aimer la France, c’est applaudir à tous les discours de Sarkozy qui, certainement ne sont pas, ne peuvent pas être des  » conneries » pour parler comme Guaino.

Nous ne savions pas non plus que « aimer la France » puisse aveugler un homme au point que celui-ci ne reconnaisse pas aux autres le droit d’aimer eux aussi leur pays ou leur continent et de répondre quand on dit des choses erronées le concernant. C’est un autre Français, Philippe Bernard, journaliste au Monde qui nous l’apprend dans son article « Des intellectuels africains en colère » (LE MONDE | 28.02.08 |). Tout aussi « mangeur » d’homme tout cru que Guaino, c’est aux auteurs de l’ouvrage collectif et tout particulièrement à son coordonnateur Makhily Gassama, que Philippe Bernard s’en prend: les termes qui reviennent pour qualifier l’ouvrage sont ceux-ci: « un étalage souvent atterrant d’absurdités, d’approximations et de conformisme intellectuel… outrance grandiloquente… délire ». Et dans tout cela,
« …il faut toute la hauteur de vue de l’économiste sénégalais Ibrahima Sall pour voir dans la provocation de M. Sarkozy une invitation à / »construire une politique de l’universel-concret que « nulle » autre que la France n’est mieux placée (…) pour inspirer ».
En voilà au moins un qui ne délire pas, c’est-à-dire qui reconnaît à la France son rôle de grande nation, de défenseur de l’Afrique et d’intermédiaire entre l’Afrique et le reste du monde. En un mot, en voilà un qui aime la France. Si tout le monde aimait la France de cette façon, si tout le monde parlait comme lui, le monde serait parfait. De là à clamer « Frankreich über alles! », il n’y a qu’un pas. Seulement, voilà: les auteurs de l’ouvrage ont adressé un droit de réponse à l’article de Philippe Bernard que Le Monde n’a pas cru bon de publier. Je dis que c’est bon signe. C’est le meilleur signe du dialogue franco-africain, de l’ »universel-concret » que Philippe Bernard semblait appeler de ses vœux.

Dois-je dire que ce qui se passe sur le plan du débat d’idées se passe également sur celui de l’économie? Si c’est l’Occident qui fixe toujours les prix de nos matières premières et en même temps celui de ses produits manufacturés, eh bien, nous resterons encore longtemps en marge de l’économie mondiale, en marge de l’aventure humaine.

Toutes proportions gardées, l’intervention américaine en Irak, quoique très contestée par Chirac et la majorité des Français, est basée sur le même principe, entre dans la même logique que le discours de Sarkozy à Dakar: il s’agissait d’aller indiquer aux autres ce qu’ils doivent faire chez eux pour être bien, pour être « comme nous ». C’est en ce sens que les 23 intellectuels africains ont raison de parler de la violence des propos du président français. Bush, abusant de sa position de chef de la première puissance mondiale, est allé agresser les Irakiens chez eux sur le plan militaire. Sarkozy, abusant lui aussi de sa position de président de la cinquième puissance mondiale, est allé agresser les Africains chez eux sur le plan de la pensée. En attendant peut-être le jour où Abdoulaye Wade irait faire un discours à la Sorbonne sur le drame français. Ou, croit-on qu’il n’y en a pas, de drame français? J’ai bien commencé, concernant les agressions, par dire « toutes proportions gardées », mais dans le cas de Bush comme dans celui de Sarkozy, on est dans la même logique: la négation de l’autre en tant que nation sachant ce qui est bon pour elle.

Lorsque dans le conflit ivoirien, Thabo Mbeki était intervenu, d’une manière que Chirac ne voyait pas d’un bon œil parce qu’il aurait préféré que ce fût un chef d’État africain sur lequel il aurait pu exercer plus facilement son influence, n’avait-il pas déclaré que le président sud-africain n’était pas qualifié pour régler ce conflit parce qu’il ne connaissait pas l’ »âme » ouest-africaine? Argument fallacieux, bien sûr, parce que d’abord il fallait définir ce qu’est cette âme (sur quels critères pouvons-nous objectivement savoir que Chirac détenait cette connaissance?) et ensuite, il fallait mettre en compétition les connaisseurs de l’âme ouest-africaine pour choisir lequel était le mieux placé pour régler le conflit ivoirien.

Or, c’est au même Thabo Mbeki que Sarkozy a recours lorsque les Africains l’ont vivement attaqué pour ses propos tenus à Dakar: le président sud-africain l’aurait mieux compris que tout le monde. Le voilà élu expert pour la circonstance, juge infaillible du bien-fondé d’un discours sur l’ensemble des peuples africains! On oublie facilement que ce même Thabo Mbeki avait été vivement critiqué en Europe et presque pas en Afrique, lorsqu’il avait déclaré qu’il n’y avait pas de problème de SIDA en Afrique du Sud, mais seulement un problème de pauvreté. Sans exagérer, il y a un certain cynisme en Europe, à rechercher dans le discours de l’autre ce qui pourrait confirmer l’idée que l’on se fait depuis des siècles de lui, à savoir qu’il n’a pas les mêmes capacités que « nous à réagir face à une situation donnée », ou alors ce qu’on attend de lui pour « nous rassurer que nous avons raison ». Sarkozy et ses partisans prendront bien l’appréciation du discours de Dakar par Thabo Mbeki pour parole d’évangile, sans chercher à la relativiser, en la comparant à des centaines d’autres réactions qui lui sont opposées, parce que dans le cas d’espèce, ils ont bien trouvé leur avocat en la personne du chef de l’État sud-africain. Ils ne se diront même pas que c’est une déclaration d’homme politique, donc empreinte d’une certaine précaution diplomatique que ne prendraient pas les intellectuels en quête plutôt de la vérité scientifique.

Il y a, bien sûr, une page à tourner, dont la France ne sent pas seule la nécessité: je ne crois pas que les intellectuels et les politiques africains prennent un quelconque plaisir à ressasser leurs incriminations contre les puissances qui ont colonisé hier leurs pays. Mais, le problème est que la France veut, après avoir été parmi les pays qui ont ouvert cette page, être encore celle qui la tourne, à son avantage, à sa gloire, sans tenir aucun compte des peuples colonisés qui y ont, eux aussi inscrit leur histoire, bien souvent avec leur sang.

En plus de cela, faut-il beaucoup d’efforts pour reconnaître que Sarkozy s’est fourvoyé à l’université C. Anta Diop, comme il s’est très souvent fourvoyé dans son propre pays, chaque fois qu’il a cru que son installation à l’Elysée lui permettait de se draper dans une toge de docteur ès toutes sciences pour dispenser ses cours, lui qui traite les universitaires de son pays qui ont osé critiquer ses prises de position de « petite intelligentsia? »

Le seul intérêt qu’a pour les Africains le discours de Sarkozy à Dakar, discours qui n’a rien d’original, ni de novateur, je le répète, c’est de savoir que rien n’a changé dans la logique des colonisateurs d’hier: il ne s’agit pas seulement de nous nier tout sens de l’Histoire, tout rôle dans l’Histoire. Il s’agit aussi d’expliquer notre retard, tout notre retard, le plus simplement du monde, par cette existence en dehors de l’Histoire. De cette manière, l’Occident est tranquille, la France est tranquille. L’art de tourner habilement la page, sans aucun dommage pour le prestige de la France qui était l’objectif de la loi sur le rôle positif de la colonisation n’ayant pas réussi en France, Sarkozy est allé l’exercer en Afrique même.

Alors, notre question: fallait-il que l’Afrique réponde à Sarkozy? Connaissant l’objectif poursuivi par le chef de l’État français, je crois que ce n’est ni à Sarkozy, ni à des gens comme Guaino, sa plume, qu’il fallait répondre. L’ouvrage des 23 intellectuels africains n’a toute sa valeur qu’adressé à des collègues, des chercheurs du monde entier véritablement en quête de la vérité et soucieux d’instaurer des rapports de compréhension entre les peuples, basés sur le respect mutuel. Ce qui, on l’a vu, n’était pas la préoccupation de Sarkozy. Cet ouvrage, même si on ne partage pas tous les points de vue de tous les auteurs qui s’y sont exprimés, ouvre ou plutôt relance le débat: nous et les autres.

Allemagne, 14 mai 2008
Sénouvo Agbota Zinsou