Un trou géant a été découvert, il n’y a pas très longtemps, dans les caisses de la Société Togolaise de Coton (SOTOCO). Les auteurs présumés du crime ne sont autres que le président du Conseil d’Administration de ladite société, Gnassingbé Kpatcha et ses cousins de village. Ceux-ci n’ont nullement été inquiétés et ne le seront peut-être jamais. L’argent volé se chiffre en dizaine de milliards de cfa. En tout cas à environ la moitié du budget national, légèrement en dessous du 10ème de la dette publique du Togo et presque le ¼ du montant total de l’aide annoncée par le Président Bush pour combattre la faim dans les pays pauvres dont justement le Togo. La France et l’UE qui parrainent le Togo et qui interviennent dans le coton togolais n’ont trouvé mots à dire sur cette gigantesque filouterie. Doit-on dire, au moment où l’Amérique promet un milliard de dollars aux pays pauvres, prenant ainsi la tête du combat contre la faim, que l’Europe, elle, finance le crime économique et l’impunité au Togo?
« Le Togo est un pays souverain et n’a de leçons à recevoir de personne”. C’est la phrase bien rodée qu’agite le Rpt lorsque l’extérieur et les Institutions internationales l’épinglent pour mauvaise gouvernance ou violence politique. Le pouvoir trouve ainsi les moyens de se dérober, à chaque fois, du devoir de rendre compte et de faire fonctionner la justice. Dans ce département, les tiroirs sont, soit vides de dossiers ou alors en sont remplis de « Non-lieu ». Celui de la SOTOCO vient de s’ajouter à la pile. Il est aisé de comprendre comment l’érection de l’impunité en système étatique a plongé notre petit rectangle de territoire dans une dette publique s’élevant à 1000 milliards. Bretton woods vient d’allouer 108 millions de dollars au gouvernement togolais, le même qui ne punit jamais les malversations financières. La Banque Islamique de Développement va bientôt renflouer de 30 milliards de nos Francs les caisses de Charles Takou, le DG de la Société Nouvelle des Phosphates et ancien camarade de Faure Gnassingbe au Collège Chaminade. Là où le bas blesse, c’est que ces dettes contractées à gauche et à droite, au nom et sur le dos d’une République togolaise sans pouvoir judiciaire, seront forcément, demain, payées par le laborieux peuple togolais qui n’a aucune Institution valide capable de dire en son nom que « ça suffit ».
Le point
La faim se propage au Togo. Nos populations sont frappées de plein fouet par une pénurie alimentaire aigüe qui rime avec prostitution, adultère et vol, contrairement à ce que m’a dit, lors d’un entretien privé, un journaliste de la Presse d’État qui affirme qu’il n’y a pas de famine au Togo et que « notre pays n’est pas Haïti ». J’aurais bien aimé que ce soit ce journaliste qui ait raison; malheureusement, c’est plutôt lui que démentent tous les rapports indépendants recueillis sur place. Comme beaucoup de pays, le Togo est durement affecté par une crise alimentaire généralisée relevée par une flambée des prix hors de contrôle. Un compatriote fraîchement revenu de vacances au pays témoigne: « ceux qui ont la chance et le bonheur de s’expatrier en Occident, qui y travaillent mais qui n’aident pas financièrement leurs parents restés au pays pèchent .Il faut aller constater de ses propres yeux pour mesurer l’ampleur de leurs souffrances », affirme le Togolais de Iowa.
Au lieu d’intervenir avec un sens de l’urgence du moment, avec la compassion nécessaire qu’exige le constat des effets exécrables de la faim sur les plus vulnérables souvent réduits à s’alimenter de racines toxiques et de reptiles qui leur sont pourtant tabous, ou simplement à se passer de nourriture, Faure Gnassingbe, absorbé par une querelle qui l’oppose à son frère Kpatcha, terrifié et paralysé par le bilan désastreux qu’il a, dans la violence, hérité de son père, s’aménage un refuge sous le parapluie de ses mentors de la françafrique. Sur leur conseil, il jette les dés d’une Commission Vérité, Justice et Réconciliation que Dieu seul sait à quoi elle va aboutir. Pendant que la distrayante et peut-être onéreuse messe se met en place, de nouveaux crimes se commettent, au nez et à la barbe de notre président. D’ailleurs, combien peut-il avoir de marge de manœuvre dans sa situation de jeune président cloisonné par de vieux barons sans scrupule? Pas beaucoup, évidemment. C’est donc difficile pour lui de combler le déficit de légitimité populaire qui, seul, donne du tonus au Chef d’État moderne qu’il veut être.
Faure est en train de jongler des tas de problèmes face auxquels il piétine sur fond d’un éclatant manque de vision. De sources proches de la présidence on apprend que l’héritier n’a aucun plan pour se décharger de la pourriture. Bien au contraire, il a déjà une folle obsession pour 2010, au lieu de presser sa majorité parlementaire à accélérer les réformes urgentes qui seules pourront le sortir de son pétrin qui ne pétrit plus. On se demande des fois qui est le boulanger? Lui-même, Kpatcha, Kodjo, Barqué, Bawara, ou les parasites étrangers comme Debbasch et Michel Dubreuil? (Ce dernier est un Francais, un simple fonctionnaire à l’Assemblée nationale française et président d’un soi-disant groupe Amitié France-Togo; il a été reçu en audience par Faure Gnassingbe au Palais de notre République, le 27 mars dernier). N’est ce pas que sur la planète RPT, tout ce qui débarque de Paris mérite le tapis rouge? Jusqu’à quand les Togolais doivent-ils rester sur ces sentiers étroits et supporter des pratiques surannées qu’on leur ressasse au fil des ans? Voilà le hic. Certains veulent que l’impasse perdure: «ça rapporte. Gros». D’autres sont pour que l’on soit à la croisée de chemins, avec le Rpt aux commandes d’une locomotive en panne. C’est dans ce meli melo que le CAR, le parti de Me Agboyibor, sort sa carte confuse et illisible de la cogestion.
La Co-gestion
«À défaut de changer, co-gerons!» C’est le plus court chemin pour percer le secret que cache l’idée du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR).Cette idée est-elle un aveu d’échec ou un réalisme politique? Curieux virage tout de même d’un parti qui nous avait enseigné qu’on ne fait pas du neuf avec du vieux, d’où son slogan «Xoxoawo neyi, yeyeawo neva». Traduisez: Que partent les anciens pour qu’émergent les nouveaux. Pris dans tous les sens, la «cogestion» se configure mal tant dans le contexte constitutionnel comme dans le contexte politique actuel où il apparaît clairement que seul le retrait complet et total du RPT de l’exécutif et de la tête des sociétés d’État peut ouvrir la voie à une véritable redéfinition, du cap aux pieds, de l’ensemble du système de gestion des affaires du pays. Le RPT est comme un océan. Il avale et, après, rejette tout corps qui lui est étranger. Ce parti n’est pas de nature à accepter le jeu de la transparence et n’est pas prêt à s’encombrer de voisins gênants. Qu’on ne se trompe pas. L’ouverture dont on crédite, un peu trop à la hâte le Président Faure, est un pur décor en trompe-œil qui lentement et sûrement se met en place et qu’il faut déménager à temps.
Le CAR est bien au courant de cette situation, de même qu’il sait que durant ces quinze dernières années, le Togo n’a jamais connu de répit depuis la célèbre phrase «on prend tout» dite par Fambare Natchaba, alors tout puissant baron. Lorsqu’on veut affronter un ennemi aussi offensif que le RPT, c’est en rangs serrés qu’il le faut faire et non en rangs dispersés. Nos partis politiques doivent finir par comprendre cette réalité et l’insérer dans leur logique. C’est le B.A.-BA de toute lutte visant à démocratiser une dictature. Il faut aussi faire ce rappel historique pour dire que les Togolais, dans une certaine mesure, payent encore le prix de la désertion des députés du CAR de l’Assemblée nationale en 1994 et du refus par Me Agboyibor d’occuper le perchoir et les dix portefeuilles ministériels proposés à son parti. En ce temps-là, les conditions politiques et diplomatiques se prêtaient bien, plus qu’aujourd’hui, à une co-gestion du Togo.
Entre ne pas noyer la volonté populaire exprimée à travers les urnes et punir Edem Kodjo d’avoir indûment(?) occupé la primature, le choix était pourtant clair et la sagesse patriotique aurait dû prendre le dessus sur les intérêts étriqués. On se demande si le «on prend tout» du RPT ne venait pas de ce vide délibérément créé et si le désastre actuel n’y a pas en partie ses racines. Quoi qu’il en soit, il faudra au CAR beaucoup de génie et un ardeur à toute épreuve pour faire accepter aux Togolais sa potion de cogestion. Et, avant de s’aventurer dans la campagne de sa promotion, Me agboyibor et les siens devront avoir toutes prêtes des réponses précises à un certain nombre de questions que nos paysans ne manqueront certainement pas de leur poser:
– La co-gestion en question, doit-elle être mise en route avant ou après la prochaine élection présidentielle?
– Dans quel cadre institutionnel va-t-on la concevoir? Faudra-t-il pour cela un autre accord politique ou va-t-on soumettre ce projet à l’Assemblée nationale?
– Si c’est une chose à faire, quelle sera sa durée? Que deviennent les textes légaux en ce moment?
– Est-ce au niveau de l’Administration publique et des Sociétés d’État ou au niveau de l’Exécutif qu’il va falloir répartir les rôles?
– Procédera-t-on par quota? Sur quelle base?
– N’y a-t-il pas des risques que la co-gestion consacre cette sorte de démocratie sans alternance au pouvoir sur la voie de laquelle le RPT semble perfidement installer le Togo?
– Qu’en est-il des élections locales et minicipales qui sont aussi importantes? – Qu’en est-il, au CAR, de la présidentielle de 2010?
– Etc.
Parfois, on a l’impression que nos leaders politiques au pays ne cernent pas bien ce qui leur arrive, d’où cette multitude de coups isolés qu’ils décrochent dans le vide et qui ne font guère mouche face au RPT. Avant-hier, juste aux lendemains des législatives, c’est le patron de l’UFC, Gilchrist Olympio, qui demande que les assassins de son père soient retrouvés. C’est le même qui, tel un prêtre qui ne croit pas en son propre sermon, en appellera, plus tard,à des reformes institutionnelles; appel qu’il mélange avec la nécessité d’un dialogue bilatéral qu’il croit avoir le droit de tenir avec le RPT. Le CAR sort, lui, une carte complètement illisible de co-gestion. Le MODENA propose un brillant projet de «Pacte National» et la CDPA comme à ses habitudes de ses derniers temps, émet sans grande conviction, l’idée d’un «Pacte historique».Ces revendications paraissent légitimes mais ne nous éloignent toujours pas du grand désordre dont notre Opposition est constamment accusée.«ça fait bordel tout ça», dira dans un hebdomadaire belge, un compatriote de Gennevilliers dans la banlieue parisienne.
Le défi
Faisant usage de la parfaite connaissance qu’il a des péchés originels d’une Opposition incarcérée dans ses propres incohérences, le RPT a, avec maîtrise et sans embûches, planifié et exécuté la ruine du pays, corsant à dessein sa situation politique. C’est ainsi que la Nation togolaise entière s’est retrouvée soumise à l’intrigue d’un drame qui ne pourra être démêlé que par un sursaut national. Le Togo a besoin d’un réel sursaut national pour inverser le cours de cette forme nouvelle de dictature – une sorte de démocratie sans alternation au pouvoir – qui se dessine. C’est avec un sursaut national pour un changement de fond en comble, et non une co-gestion du désordre actuel, qu’on pourra mettre en déroute les obscurantistes de tous poils qui sèment, au Togo et à l’étranger, le doute dans les esprits mal formés et allant jusqu’à réduire confusément la Démocratie à la seule Liberté de la Presse. Voilà où nous en sommes et c’est en cela que les mots choisis pour dénommer la dernière-née des associations de la Diaspora, le CSN (Congrès Togolais pour un Sursaut National), prennent tous leur sens. Sursaut National. L’appellation est charmante. Reste que les responsables de ce Mouvement ne doivent négliger aucun moyen pour faire vibrer ces mots dans tous les cœurs, du Québec jusqu’au fin fond de Dapaong, de Washington à Bruxelles en passant par Paris, Dakar, Lomé; c’est-à-dire, parvenir de nouveau à susciter l’éveil et l’enthousiasme partout où se trouve une âme togolaise? S’il y a un défi à lancer au CSN et à toute la Diaspora togolaise, c’est celui-là.
Quant à l’idée de la co-gestion, parce qu’elle paraît trop courte, parce qu’elle présente trop de ressemblance avec une forme insidieuse de désespérance, elle peut attendre. Il est question de dessaisir le RPT des premiers rôles au Togo. On ne peut pas, pour combattre efficacement ce type de combat, moisir entre le zist et le zest.
Oakdale, États-Unis, 19 mai 2008
Kodjo Epou
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