29/03/2024

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Jean-Pierre FABRE:« les togolais comprennent notre position. Et c’est cela l’essentiel »

Jean-pierre FABRE, secrétaire général de l’UFC nous a accordé une interview. L’occasion est rare et très opportune. A le lire, cet homme est incontestablement un RESISTANT, de ceux qui n’abdiquent pas. Et, il nous vient à l’esprit ce mot de Chamfort : « Ne tenir dans la main de personne, être l’homme de son cœur, de ses principes, de ses sentiments, c’est ce que j’ai vu de plus rare.» L’histoire politique récente et actuelle du Togo est analysée. Bien plus, Jean-Pierre FABRE nous explique ses motivations et celle de son parti. Sans concession aucune !

Interview réalisée par la rédaction letogolais.com le 24 mars 2006

LETOGOLAIS.COM : Entre 1990 et 2003, 11 tentatives de dialogues intertogolais ont eu lieu entre la dictature des Gnassingbé et l’opposition togolaise. Quels ont été la nature et les principaux points d’achoppement de ces dialogues?

Jean-Pierre FABRE : À chaque situation de tension extrême, après chaque drame vécu par les populations togolaises, la communauté internationale, pour se donner bonne conscience, réagit en recommandant aux protagonistes de la crise togolaise de régler leur différend à travers un dialogue. Les dialogues ont donc pour objectif officiel, la recherche d’une solution à la crise togolaise. Ainsi Colmar est arrivé pour apaiser les tensions nées de l’attentat de Soudou, de l’assassinat de Tavio Amorin et surtout des massacres perpétrés par l’armée les 25 et 30 janvier 1993 à Lomé. Les différents Ouaga ont prétendu également, viser le même objectif.

La difficulté de ces dialogues est que le gouvernement ne tient pas à y aborder les problèmes fondamentaux dont le règlement est indispensable à l’apaisement de la vie politique nationale. Cette attitude reçoit, malheureusement, le soutient d’une certaine communauté internationale.

Ainsi après le hold-up électoral de 1998, l’UE a préconisé la tenue d’un dialogue inter togolais, organisé sous son parrainage, en juillet 1999. Les discussions ont abouti à la signature de l’Accord Cadre de Lomé (ACL). Mais l’UE n’a pas bougé le petit doigt lorsque le consensus issu de cet Accord a été remis en cause par les modifications unilatérales de la Constitution et du Code électoral. Au contraire, Monsieur Bernard Stasi qui s’est autoproclamé chef de file du Collège des facilitateurs a cherché par tous les moyens à nous obliger à avaliser les modifications. Pire encore, le Président français, Jacques Chirac, en visite à Lomé pendant les négociations et en présence duquel le chef de l’Etat togolais Gnassingbé Eyadéma s’est engagé à respecter la limitation constitutionnelle des mandats présidentiels et à ne pas briguer un ‘’troisième’’ mandat en 2003, a été le premier chef d’Etat d’un pays démocratique à féliciter M. Eyadéma après son coup de force électoral consécutif à la violation de son engagement de ne pas se présenter.

Ce qu’il faut en conclure, c’est que, lorsque la communauté internationale recommande un dialogue entre les togolais, elle ne pense pas forcément à des discussions en profondeur en vue de régler définitivement des questions fondamentales, mais plutôt à un arrangement superficiel qui laisserait intactes les questions de fond dont le règlement aboutirait indubitablement à l’alternance pacifique au pouvoir. C’est une divergence fondamentale avec l’UFC qui estime que le dialogue doit être l’occasion de poser sans tabou, tous les problèmes en vue de leur rechercher des solutions adéquates. C’est dans cet esprit qu’à chaque dialogue l’UFC pose le problème de la réforme de l’armée.

Il y a treize ans, déjà en février 1993, à Colmar, M. Gilchrist Olympio avait posé le problème de la réforme de l’armée. Il n’a pas été suivi. Il est évident qu’on aurait pu éviter les milliers de morts qui ont jalonné toute la décennie 1990, et surtout ceux de la dernière période électorale en 2005, si on avait tenu compte des avertissements du président de l’UFC.

LETOGOLAIS.COM : Quelles leçons en tirez-vous pour le dialogue qui s’annonce?

J-P F. Si nous en sommes encore là aujourd’hui, à préparer un nouveau dialogue, c’est parce que, malgré l’insistance de l’UFC, nous avons laissé intact le problème fondamental du Togo : l’immixtion permanente de l’armée dans le débat politique ou l’instrumentalisation des FAT à des fins politique. Si ce problème n’est pas posé avec le sérieux requis et résolu en profondeur, on a beau organiser des élections elles se solderont par les mêmes résultats : hold-up électoral, violence et morts.

En conséquence, le dialogue ne doit pas avoir pour objectif de préparer des élections législatives, mais de régler en amont, les problèmes qui font que les élections n’ont aucun sens. Le dialogue doit avoir pour objectif fondamental de réparer les maux dont souffre le pays et dont les élections frauduleuses à répétition ne sont que la conséquence.

Une des leçons à tirer également des discussions passées est qu’il faut se garder de confier la mise en œuvre de l’Accord issu d’une négociation à une seule partie à cette négociation. Après la signature de l’ACL, nous n’aurions jamais dû laisser au seul régime RPT le soin de sa mise en œuvre. Nous avons compris que l’Accord politique qui sera issu du dialogue doit être appliqué ensemble, conjointement par toutes les parties au dialogue dans le cadre d’un gouvernement de transition qui organisera toutes les élections. Il n’est pas question de laisser le fruit de la fraude électorale entre les mains du fraudeur. C’est incohérent avec le discours sur l’impunité.

LETOGOLAIS.COM : Un observateur attentif et avisé de la vie politique togolaise estime que « Les FAT et la France doivent être impliquées dans tout dialogue qui veut être un tant soit peu sérieux et crédible: toutes deux constituent à ce jour les maillons manquants à la dizaine de dialogues qui ont ponctué le processus de démocratie… » Qu’en pensez-vous?

J-P F : Si cette position s’appuie sur le constat évident selon lequel les FAT et la France sont deux acteurs majeurs, de la scène politique togolaise et qu’à ce titre ils doivent être impliqués dans la solution de la crise, elle est juste. Le rôle néfaste de la France au Togo est apparu au grand jour, à ceux qui l’ignoraient encore, après le décès de l’ancien chef d’Etat Gnassingbé Eyadéma.

En effet, la France n’a pas condamné le coup d’Etat militaire du 5 février 2005 et lorsqu’elle a été pressée de se prononcer, elle a prétendu soutenir la position de la CEDEAO, organisation sans aucun moyen financier, qu’elle a instrumentalisé et dont elle se servait comme porte-parole de sa position. Pourtant la position de la CEDEAO, celle de l’organisation hâtive et désordonnée de la présidentielle dans le soit disant respect de la Constitution, était en contradiction avec celle de l’Union Européenne, dont la France est membre. En effet, l’UE recommandait de se donner le temps nécessaire à une bonne organisation de cette élection, afin qu’elle puisse y contribuer financièrement et y envoyer des observateurs.

La communauté internationale n’acceptant pas un coup d’Etat dont les autorités françaises soutenaient l’objectif, celles-ci ont adopté la stratégie de pousser, par l’intermédiaire de la CEDEAO, à la tenue d’une mascarade d’élection, pour obtenir le maintien du régime RPT en place.

Le rôle de la France et celui des FAT sont donc intimement liés dans la crise togolaise. Je n’en voudrais pour preuve que l’argumentaire cynique qu’une haute personnalité française, venue représenter Jacques Chirac aux obsèques de Gnassingbé Eyadéma, tentait de développer pour justifier le coup d’État militaire et la mise à l’écart du président constitutionnel par intérim, Fambaré Ouattara Natchaba, en tant que Président de l’Assemblée Nationale. Dans ses allures de procurateur néocolonial, cette personnalité ne s’est embarrassée d’aucun scrupule pour déclarer, péremptoire : « Natchaba est le chiffon rouge agité devant l’armée… ». Voyez-vous, dans la crise togolaise, l’attitude de « l’avocat des pays pauvres » et de « la patrie des libertés et des droits de l’Homme » constitue effectivement un grand problème qu’il faut résoudre en vue d’une solution juste et durable.

Ceci étant, personnellement, je ne suis pas favorable à la participation des FAT pour une raison simple, une raison de principe : la démocratie et l’État de droit auxquels nous aspirons élève l’armée nationale en une institution neutre et apolitique qui n’a donc pas sa place dans un dialogue politique.

Quand aux autorités françaises, je ne vois pas comment cela sera possible. Il me semble que ces autorités françaises elles-mêmes se trouveraient fort mal à l’aise dans un tel dialogue, après avoir soutenu et pris position d’une manière plutôt ostentatoire en faveur de l’une des parties au dialogue, savoir le régime RPT !

En tout état de cause, si le dialogue est franc, si l’ensemble des problèmes sont abordés dans la clarté et sans tabou, et si la mise en œuvre des solutions est commune, avec un minimum de bonne foi de part et d’autre, on n’a besoin ni de l’armée, ni de la France pour parvenir à des résultats probants. La France devrait s’abstenir de continuer à soutenir les dérives du régime despote et les travers des Forces Armées Togolaises. L’accord qui sera issu du dialogue n’est dirigé contre personne. Il sera issu d’un consensus qui réponde aux aspirations du peuple togolais. Chaque partie prenante devra y trouver son compte mais il s’imposera à tous y compris aux FAT et à la France.

LETOGOLAIS.COM : Ouagadougou fut pressenti pour abriter le dialogue. Il semble que cette idée a fait long feu. Qu’en est-il exactement et quel rôle le Burkina veut-il jouer dans ce dialogue ?

J-P F : Vous allez trop vite en besogne. Si vous voulez dire que cette idée a été abandonnée, je n’en suis pas aussi sûr que vous. Il nous revient que des velléités ‘’françafricaines’’, en intelligence avec le Commissaire Européen au Développement n’ont pas renoncé au projet de faire organiser le dialogue par le Burkina. Si c’était le cas, il me paraît évident qu’une haute autorité de ce pays, pourquoi pas le Chef de l’Etat lui-même, vienne à conduire les discussions, c’est-à-dire à jouer le rôle de médiateur. Si on se rappelle que le président Blaise Compaoré a laissé la CEDEAO participer à une conspiration contre les populations togolaises on peut se demander s’il a le profil du médiateur qu’il nous faut ? Nous sommes donc extrêmement prudents. Espérons qu’il se limitera à ce rôle de bons offices.

Évidemment, le Burkina en tant que voisin, qui a un intérêt dans l’apaisement de la situation politique togolaise, du fait de sa dépendance du port de Lomé, peut s’entremettre de manière tout à fait neutre entre les protagonistes afin de les amener à un dialogue véritable, sans que ce dialogue se tienne nécessairement à Ouaga. Car, l’UFC continue de penser que ce dialogue doit se tenir à Lomé.

LETOGOLAIS.COM : Dans une déclaration faite le 8 mars 2006 sur RFI, le Commissaire européen Louis Michel déclare entre autres que certains partis d’opposition retardent le début du dialogue ; ils y vont avec des pieds de plomb et posent des conditions parfois excessives. N’est-ce pas l’UFC qui est visé ? Comment réagissez-vous à cette mise en cause ?

J-P F Nous ne nous sentons pas visé par les propos du commissaire européen Louis Michel. Notre position est claire. Premièrement, le dialogue doit se dérouler sous l’égide d’un médiateur crédible. Deuxièmement le sujet fondamental des discussions est la réforme de l’armée. A moins que M. Louis Michel ne souhaite comme la « françafrique » la tenue d’une parodie de dialogue, il ne peut penser que nous formulons des exigences exorbitantes. M. Michel sait que nous avons accepté la désignation de M. Lakdar Brahimi comme médiateur par le Secrétaire Général de l’ONU. Celui-ci n’aurait pas nommé un médiateur s’il n’avait pas estimé son rôle indispensable dans le dialogue.

M. Louis Michel devrait se préoccuper d’exiger de ceux qui détiennent illégalement la totalité du pouvoir après avoir massacré des centaines de milliers de citoyens au mains nus, au mépris de la feuille de route de l’UE en date du 15 novembre 2004, de faire les concessions nécessaires au démarrage, au bon déroulement et à l’aboutissement conséquent du dialogue national.

LETOGOLAIS.COM : Que vous inspirent les dernières positions de M. Louis Michel, exprimées tout récemment par son porte-parole, sur la situation politique togolaise ?

J-P F. Ça me fait rire parce que nous venons d’ailleurs d’apprendre que M. Louis Michel a démenti avoir tenu les propos auxquels vous vous référez. Je dois confesser que je n’ai pas souvent le bonheur de comprendre les prises de positions de M. Louis Michel, caractérisée par une instabilité chronique. En fait, il ne connaît pas bien le dossier togolais, mais veut donner l’impression du contraire en faisant des déclarations intempestives voire contradictoires et maladroites.

Ainsi sa promesse faite aux autorités togolaises lors de sa visite au Togo, le 27 décembre 2004, de libérer rapidement le reliquat du 9ème FED n’est toujours pas tenue.

De même, sa déclaration à Bamako, en décembre 2005, selon laquelle, Faure Gnassingbé respecte les « 22 engagements » et s’est engagé dans la voie de la réconciliation nationale, a été démentie quelques jours plus tard par la célébration « du 13 janvier » dont le moindre des observateurs de la vie politique togolaise sait qu’elle ravive les rancœurs et divisent les togolais.

Enfin et surtout sa position, au nom de la Commission de l’UE de prendre acte de l’élection de Faure Gnassingbé était incohérente et incompréhensible dans la mesure où il avait en sa possession un rapport confidentiel de la délégation de la Commission de l’UE au Togo, qui démontrait que l’élection n’a été qu’un tissu de fraudes, et sur la base duquel il se devait de rejeter ou, à tout le moins, exprimer des réserves sur les résultats frauduleux de cette élection. En prenant acte de la prétendue élection de Faure Gnassingbé, M. Louis Michel donne indirectement sa caution au nième hold-up électoral perpétré impunément au Togo par le régime despotique RPT.

Cette attitude alimente les rumeurs selon lesquelles, M. Louis Michel agirait au service de la diplomatie française, sur instruction de Jacques Chirac qui lui a « sous-traité » le dossier togolais.

Le problème est qu’au lieu de se borner à vérifier si les autorités togolaises se conforment à la « feuille de route » de l’UE, et d’en tirer les conséquences, M. Louis Michel essaie d’inventer la lune. Au point où on en arrive à se demander s’il connaît l’existence de cette « feuille de route » ou s’il a simplement décidé de s’asseoir dessus. Déjà en décembre 2004, lors de sa visite au Togo, il a sévèrement rabrouée une délégation de l’opposition qui lui faisait remarquer la contradiction de l’une de ses positions avec cette « feuille de route », affirmant péremptoire, comme si invoquer ce document relevait du sacrilège: « La feuille de route, c’est moi » !

Après les massacres de populations et autres actes de violence perpétrées sous la responsabilité des autorités togolaises au cours de la dernière période électorale, de février 2005 à Mai 2005, il revenait à M. Louis Michel d’évaluer l’attitude de ces autorités au regard des « 22 engagements », de prendre en compte le rapport des faits établis sur cette période par la mission des Nations Unies (Mission Doudou Dienne), et de faire prendre par l’UE, les dispositions qui s’imposent, dans le respect de la « feuille de route ». Toute autre attitude, tout autre propos sort du rôle du commissaire européen au développement. Le silence embarrassé de M. Louis Michel sur les graves violations des 22 engagements durant cette période, signifie-t-il que cette période est une parenthèse soustraite de l’évaluation des 22 engagements ? Comment est-ce possible ?

Les déclarations tapageuses de M. Louis Michel qui contrastent singulièrement avec l’efficace discrétion de ses prédécesseurs, traduisent l’arrogance de personnalités surtout européennes, notamment françaises et belges qui, adossées au passé colonial de leur pays, prétendent connaître l’Afrique mieux que les Africains eux-mêmes. C’est avec ce genre d’attitude pleine de suffisance qu’on a encouragé le régime togolais à massacrer un millier de togolais pendant la dernière période électorale, et à envoyer des milliers d’autres sur les routes de l’exil.

Si M. Louis Michel veut pousser à l’organisation d’un dialogue sans médiateur, l’UFC ne peut l’en empêcher, comme il ne peut empêcher l’UFC de refuser de se prêter à un simulacre de ‘’résolution’’ de la crise togolaise.

LETOGOLAIS.COM : Justement, après chaque coup de force électoral (1993, 1998, 2003, 2005), l’Opposition proteste vainement, puis faute d’alternative se résout à prendre part à un semblant de dialogue avec le pouvoir et enfin renonce à ses revendications principales les unes après les autres en les remettant à des échéances ultérieures. Etes-vous assurés d’avoir adopté la bonne stratégie face à une dictature militaire qui a la certitude de son impunité ?

J-P F : A partir du moment où nous ne sommes pas encore arrivés à conquérir le pouvoir par la voie que nous avons choisie, malgré l’audience immense dont nous jouissons auprès des populations, nous ne pouvons prétendre avoir adopté la stratégie adéquate. Votre constat est implacable. Mais il est réel, et je suis obligé d’en convenir. C’est tout le problème de la lutte que nous avons engagée depuis des décennies maintenant. Nous sommes confrontés à l’attitude de l’adversaire qui se résume dans les mots suivants : violence et duplicité.

Si vous ajoutez à cela, le soutien inconditionnel de la France à la dictature togolaise face à l’indifférence des autres pays occidentaux, c’est le combat du pot de terre contre le pot de fer. La lutte paraît effectivement inégale. Et la voie du dialogue, irrémédiablement vouée à l’échec si elle n’est appuyée par une forte mobilisation populaire.

Pourquoi les dialogues sont elles toujours des occasions manquées ? A mon sens, trois raisons expliquent cette situation. La première, je l’ai dit tout à l’heure, est que le régime RPT qui veut que cette rencontre soit un simulacre de discussion, ne tient pas à ce que les vrais problèmes soient posés dans ce cadre. Comme ces problèmes n’y sont pas posés, ils ne sont pas réglés et demeurent. On se contente d’évoquer les conditions des législatives et le RPT impose les siennes.

La deuxième raison est que la communauté internationale qui ne préconise un dialogue qu’après un hold-up électoral perpétré lors d’une élection présidentielle, cherche à régler le contentieux de ce hold-up par la participation de l’opposition au pouvoir RPT, et, soutient en conséquence que le dialogue soit axé sur l’organisation d’élections législatives.

La troisième raison est que l’opposition, face à la violence que lui oppose le régime RPT et à laquelle elle ne trouve pas de solution, a abandonné le sort de la lutte entre les mains de la communauté internationale et ne se donne pas les moyens de contester le schéma que celle-ci lui propose. L’UFC a toujours relevé cela. Voilà pourquoi, nous préconisons que le dialogue se conjugue avec la mobilisation populaire. Mais, l’attitude de certains membres de la coalition ne permet pas la mise en œuvre d’une stratégie commune dans ce sens.

Convaincue du bien fondé et de la pertinence de la position qu’elle préconise et défend, il revient à l’UFC de prendre ses responsabilités, dans l’intérêt bien compris du peuple togolais, en brisant le cercle vicieux des dialogues infructueux à répétition. Pour cela, l’UFC entend lutter sans répit pour faire en sorte que l’objectif du dialogue ne soit pas l’organisation d’élections législatives, mais le règlement juste et durable des problèmes fondamentaux qui minent le pays. On ne peut obtenir cela qu’en retournant à la mobilisation populaire car le régime RPT à qui profitent la situation sociopolitique chaotique actuelle et la détresse des populations togolaises, n’acceptera pas cela de lui-même. Il faut donc combiner dialogue et mobilisation populaire.

LETOGOLAIS.COM : L’économie togolaise est en forte déliquescence, les conditions de vie des Togolais se dégradent. Ce contexte est propice à l’affairisme et à la criminalisation de l’Etat (trafic de voitures volées impliquant des « proches » de la Présidence, trafic de drogue, affaire rocambolesque « Bolloré-Progosa », trafic d’armes à destination de la Côte d’Ivoire, etc.), Sur cet affairisme, quelle est la position de l’UFC ?

J-P F. L’affairisme dont vous parlez est rendu possible par la transformation de notre pays, le Togo, en un État de non droit, avec son cortège de gabegie, de corruption et autres pratiques mafieuses régulièrement dénoncés par les togolais et l’opinion internationale. C’est également tout cela que les forces de changement dénoncent et combattent depuis des décennies. C’est, enfin, la raison pour laquelle l’UFC lutte pour la restauration de l’État de droit dans notre pays.

LETOGOLAIS.COM : Quel est votre diagnostic de la situation économique et sociale du Togo ?

J-P F : La situation économique et sociale de notre pays est catastrophique. Vous savez, l’économie togolaise était très bien partie après notre accession à la souveraineté internationale. Les autorités d’alors ayant tout mis en œuvre pour renouer avec la vitalité que l’administration coloniale allemande avait imprimée au développement de ce qu’elle considérait comme sa ‘’colonie modèle’’.

Si vous consultez l’évolution des agrégats macroéconomiques de la fin des années 50 au début des années 60, vous constaterez combien à cette époque déjà, on était soucieux de la bonne gouvernance et de la saine gestion des ressources de l’État. Le gouvernement avait une politique budgétaire prudente visant à contenir le déficit public légué par la gestion française et Sylvanus E.Olympio, alors premier ministre et chef du gouvernement, avait même entrepris de résorber complètement la dette extérieure du pays avant la proclamation de notre indépendance.

À partir de 1967 on a vu s’installer au pouvoir des usurpateurs et des profiteurs venus d’on ne sait où, et qui n’ont de cesse de surfer jusqu’à ce jour sur la qualité exceptionnelle des fondations, réalisations et performances du tout premier régime démocratiquement élu dans notre pays.

Dans l’intervalle, malheureusement, ces profiteurs peu scrupuleux, mégalomanes à souhait, ont inauguré dès le début des années 70, la série de ce qu’ils ont appelé les ‘’budget titan’’ et la soit disant politique des ‘’grands travaux’’ qui ont donné le coup d’envoi au pillage systématique et à grande échelle de l’économie nationale.

Les vestiges des innombrables ‘’éléphants blancs’’ créés depuis lors subsiste encore aujourd’hui mais le poids écrasant de la dette publique interne et externe ainsi que l’importance des déficits publics chroniques sont encore là pour nous rappeler le caractère colossale des dégâts causé à l’économie nationale par ces vautours qui n’ont aucun sens de l’État, aucun sens du bien public, aucun sens de l’intérêt national, aucun sens de la patrie !

Conséquences : l’État est déliquescent et est incapable d’assurer les services sociaux de base. Le cercle de la précarité, de la misère et de la pauvreté s’est élargi et touche plus de trois quarts de la population. Le chômage des jeunes est endémique. Bref, les togolais vivent beaucoup moins bien aujourd’hui en 2006 que dans les années 60 !

Voyez vous-même : aujourd’hui, nos hôpitaux sont devenus des mouroirs ; les conditions d’hygiène et d’assainissement se sont complètement dégradées sur toute l’étendue du territoire ; nos écoles manquent d’équipements scolaires et d’enseignants ; 40 ans après l’indépendance et malgré les sommes colossales mobilisées au titre de l’aide au développement, de nombreuses localités du pays (y compris les périphéries de la capitale, Lomé) n’ont aucun accès à l’eau potable ; plusieurs autres localités sont encore enclavées, n’étant desservies par aucune voie d’accès praticable ; les indices de développement humains sont au plus mauvais ; le népotisme et le clientélisme du régime RPT et de ses réseaux mafieux ont compromis l’environnement de l’investissement dans le pays ; les discours de ‘’bonnes intentions’’ et les mesures cosmétiques cachent mal la gabegie, la corruption et les détournement des ressources publiques ; les agrégats macroéconomiques sont globalement et chroniquement au rouge !

Ne nous y trompons pas, c’est cette situation économique désastreuse que le peuple togolais souverain a décidé de sanctionner. C’est également cette situation économique désastreuse que, de guerre lasse, la communauté internationale a fini par sanctionner, car elle était accompagnée de graves violences perpétrées contre les populations togolaises et de violations graves et répétées des droits humains et des principes démocratiques.

LETOGOLAIS.COM : Votre dernier communiqué annonce que l’UFC ne participera pas à un dialogue sans médiateur. Ne risquez-vous pas une marginalisation ?

J-P F : C’est un acte politique majeur que d’assumer une position juste. Nous voulons un dialogue sérieux à la hauteur de la gravité de la situation politique et des drames que notre pays vient de vivre. Nous ne voulons pas d’une mascarade de dialogue au cours duquel les vrais problèmes échapperont à la discussion, ou seront purement et simplement escamotés. Voilà pourquoi la présence d’un médiateur nous parait indispensable. Les togolais qui ont encore en mémoire les rencontres entre « l’opposition traditionnelle » et le régime RPT sous la conduite de l’ancien Premier Ministre Koffi SAMA, de septembre à décembre 2004, et les manipulations auxquelles ces rencontres ont donné lieu notamment sur les média publics, comprennent bien la nécessité d’une direction neutre des débats.

Vous savez, certains de nos amis développent un complexe qui les pousse parfois à prendre le contre-pied de nos positions pour paraître s’affranchir de ce qu’ils pensent être la « tutelle » de l’UFC. En somme, se poser en ‘’opposant’’ de l’UFC pour échapper à l’étiquette de « radical » dans un intérêt inavoué.

Permettez-moi de vous rappeler un événement de l’histoire récente de notre pays. Il y a exactement 12 ans, en mars 1994, nous avons pris la grave décision de ne pas prendre part aux élections législatives. Nous avons réclamé sans succès, que ces élections soient organisées sous l’égide de ce que nous appelions un « Accord Politique Global » qui garantirait entres autres, la sécurité, la transparence, l’équité, la liberté de circulation.

Le CAR n’a pas jugé ces conditions nécessaires pour aller aux élections. Tablant sur le rejet massif dont le RPT est l’objet, il affirmait qu’après la victoire, le gouvernement règlera les problèmes évoqués, notamment la sécurité afin que les réfugiés puissent rentrer et que élections suivantes soient libres et honnêtes. Ces élections eurent lieu aux conditions du RPT que le CAR a avalisées.

Il a payé très cher ce manque de rigueur. Les précautions nécessaires n’étant pas prises, ce qui devait malheureusement arriver, arriva. Non seulement le CAR fut victime de l’arbitraire du régime par l’invalidation de résultats qui lui étaient favorables, mais pire encore, le régime RPT, pour effrayer le CAR dans la perspective d’un second tour qu’il redoutait, n’a pas hésité à user de son arme fatale : l’insécurité. Un candidat du CAR, Gaston Edeh, élu député au premier tour, a été, au lendemain de son élection, kidnappé par des officiers supérieurs des Forces Armées Togolaises, gardé dans une villa de la Résidence du Bénin et brûlé vif, dans des conditions horribles, en compagnie de son ami, Prosper Hillah. Ces assassinats n’auraient jamais eu lieu si le CAR s’était joint à nous, pour exiger et obtenir de meilleures conditions, notamment de sécurité, pour les élections au lieu de s’y précipiter.

Cette histoire pour vous dire que nous avons choisi, il y a douze ans, d’assumer une position que nous considérons juste. Nous n’avons pas craint d’être marginalisés. Pendant que le RPT tournait le CAR en bourrique à l’Assemblée nationale, nous avons passé cinq années, pas faciles, je dois le reconnaître, dans ce qu’on appelait l’opposition extraparlementaire.

Il nous revient régulièrement qu’une certaine communauté internationale conspire avec des partis de l’opposition pour nous marginaliser. Nous ne serons pas marginalisés, parce que nous ne nous laisserons pas marginalisés. Nous nous défendrons farouchement. Nous sommes convaincu que les populations togolaises comprennent notre position. Et c’est cela l’essentiel.

LETOGOLAIS.COM : Quels sont vos rapports avec les autres partis de l’opposition démocratique ou traditionnelle selon la qualification des 22 engagements ?

J-P F : Les rapports sans être exécrables, ne sont pas bons. Ils ne sont pas à la hauteur de ce qu’exige la gravité de la situation. Malgré nos multiples démarches, dont une lettre en date du 28 février 2006, il n’y a toujours pas de contact entre nous pour harmoniser nos positions. Nos camarades nous ont dit qu’ils « ne sont pas intéressés » par la concertation si nous ne réglons pas d’abord la question du partage des circonscriptions électorales entre nous. Ils subordonnent donc toute concertation sur le dialogue à la conclusion préalable d’une alliance électorale en vue des prochaines élections législatives. Or, pour nous, le sujet fondamental du dialogue n’est pas l’organisation des législatives. Cette question n’est pas encore à l’ordre du jour.

De plus, il est ahurissant que les tenants de l’alliance électorale salvatrice, n’aient pas tiré leçons du dernier scrutin présidentiel en comprenant une fois pour toutes, que la meilleure stratégie électorale ne permet pas de surmonter les difficultés des mauvaises conditions des élections si cette alliance laisse intacte la capacité de nuisance des Forces armées et de sécurité !

Lors de la dernière réunion de la coalition un parti important a soutenu être opposé à la vision selon laquelle la réforme de l’armée est un préalable indispensable à l’organisation de toute élection au Togo. Selon ce parti, c’est seulement après les législatives que l’on s’attellera à cette réforme qu’il reconnaît néanmoins fondamentale. Il n’a pas expliqué la garantie qu’il prévoit donner aux électeurs afin qu’il puisse surmonter le traumatisme des massacres de la dernière période électorale et comment il compte les convaincre à aller voter.

La propension de l’opposition à s’agiter d’excitation dès lors qu’il est question d’élection, sans se préoccuper des conditions de sa tenue, en prétendant surmonter toutes les difficultés de la situation par la désignation d’un candidat unique est une des causes fondamentales des hold-up électoraux à répétition puisque rien n’est fait pour les empêcher. Cette attitude niaise est aussi encouragée, par intérêt ou par paresse par la communauté internationale.

Les divergences ont une explication. Certains partis s’inscrivent depuis quelques temps dans une stratégie de la séduction pour se positionner tant auprès du régime en place que de la communauté internationale, pour le poste de Premier Ministre.

Ce qui est dommage, c’est que certains poussent la plaisanterie jusqu’à orchestrer des rumeurs malveillantes et diffamatoire. Tantôt c’est Eric Armerding que Gilchrist Olympio aurait proposé comme Premier Ministre, tantôt c’est Oluségun Obasanjo qui aurait corrompu le leader de l’UFC pour le compte de Faure Gnassingbé avec une somme de 2 milliards CFA… . Ce n’est sans doute pas la dernière plaisanterie. « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose » !

LETOGOLAIS.COM : Récemment, des incidents graves se sont produits dans un camp de réfugiés à Agamé, quelles actions pour les réfugiés entreprenez-vous, en tant que parti d’opposition qui compte de très nombreux militants dans ces camps ?

J-P F : Comme vous le dites, ce sont des incidents très graves qui se sont produits dans le camp de réfugiés d’Agamé au Bénin. Dès que nous en avons été informés, nous avons dépêché une délégation de l’UFC pour exprimer notre compassion aux victimes et mener des investigations afin d’en connaître les tenants et aboutissants. Ces enquêtes nous ont permis de découvrir la main des autorités togolaises dans ces événements. Le but visé est de rendre la vie invivable aux réfugiés afin qu’ils reprennent le chemin du retour. La vie dans ces camps est déjà insupportable.
Nous avons saisi par lettre, le Représentant Résident du PNUD au Togo afin que le HCR au Bénin, prenne des dispositions pour la sécurisation du camp d’Agamé et éviter la réédition de tels événements.
Lors de la visite qu’il a rendue à Genève, début février, le Président national de l’UFC, M. Gilchrist Olympio, a insisté auprès de Mme Louise Harbour, sur la situation des réfugiés togolais au Bénin et au Ghana. Les efforts que nous déployons afin que le dialogue aborde les vrais problèmes visent à créer le climat de confiance nécessaire à leur retour au pays. Car seul leur retour les soulagerait des souffrances qu’ils endurent actuellement.

LETOGOLAIS.COM : Le rapport de l’ONU sur les violences avant, pendant et après les élections présidentielles d’avril 2005 semble enterré. Quelles actions menez-vous pour une mise en œuvre des recommandations et conclusions de ce rapport ?

J-P F : Depuis sa publication en août 2005, tout se passe comme si personne ne se préoccupe de la mise en œuvre diligente des recommandations de ce rapport. La coalition a rencontré à ce sujet le Coordinateur du système des Nations Unies au Togo. L’UFC, quant à elle, a multiplié les contact et démarches aussi bien à Genève qu’à New York, pour qu’une suite soit donnée aux recommandations de ce rapport. M. Gilchrist OLYMPIO a rencontré personnellement à ce sujet madame Louise Harbour, présidente de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève et M. Kofi ANNAN, Secrétaire Général des Nations Unies. Nous devons tous nous mobiliser, partis politiques, société civile, communauté internationale pour obtenir la mise en œuvre des recommandations de ce rapport qui vise la fin de l’impunité au Togo. Dans ce sens, nous saluons les efforts et les initiatives hardies de la diaspora togolaise.

LETOGOLAIS.COM : A l’issue de cet entretien, quel est votre mot de fin ?

J-P F :Je voudrais ici renouveler la volonté de l’UFC de participer à un dialogue national crédible. Ce dialogue est capital pour notre pays et nous entendons y prendre part dans un esprit de franchise et de patriotisme, en ayant constamment présentes à l’esprit, les aspirations profondes du peuple togolais épris de paix, de liberté et de justice. L’exigence de l’UFC de voir évoquer les vrais problèmes n’est dirigée contre personne. Elle est inspirée par la seule préoccupation d’éviter que cette rencontre ne soit encore un rendez-vous manqué. J’en appelle donc à la responsabilité et à la vigilance des togolaises et des togolais y compris ceux de la diaspora afin qu’ensemble nous restions mobilisés pour obtenir le changement démocratique et sans heurts que nous appelons tous de nos vœux. Je reste convaincu que parce qu’elle est juste, notre cause finira par triompher.

Interview réalisée par la rédaction letogolais.com le 24 mars 2006