03/11/2024

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Kangni Alem (24/01/03)

INTERVIEW de Kangni Alem Réalisée par LETOGOLAIS.COM le 24-01-03 à Bordeaux (France)

Cette interview nous permet de donner la parole aux Togolais de la DIASPORA. Nous avons fait le choix d’interpeller des personnalités engagées ou non mais suffisamment représentatives de la communauté togolaise dans leur pays de résidence. Il est vrai que les Togolais de la DIASPORA n’ont pas le droit de vote ; ils ne sont ni électeurs ni éligibles, mais leurs voix sont prépondérantes dans la crise que traverse le Togo depuis plusieurs décennies. Cet entretien est un message fort qu’ils envoient à tous les acteurs de la vie politique togolaise ainsi qu’ à la communauté internationale, afin qu’ils prennent en compte les réelles aspirations du peuple Togolais.

Letogolais.com: Avant de commencer cet entretien, M. Kangni Alem pouvez-vous, en quelques mots, vous présenter?

Kangni Alem: Disons que je me considère avant tout comme un citoyen togolais ordinaire. Je suis dramaturge et écrivain, auteur récemment d’un roman, Cola cola jazz, qui évoque, incidemment, l’effet de la dictature sur la mentalité des hommes et femmes d’un pays déliquescent. Mais le citoyen que je suis ne vit pas dans une tour d’ivoire, étant donné que depuis le Togo, et aujourd’hui même en exil, j’ai des engagements concrets contre la dictature d’Eyadema, et ce au sein du Mouvement patriotique du 5 Octobre. Je n’ai pas de statistiques précises, mais ce n’est un secret de polichinelle pour personne que depuis les contestations sociales de 1990 et les persécutions qui ont suivi, beaucoup de jeunes, ouvriers, cadres ou étudiants, ont dû prendre le chemin de l’exil pour éviter un sort tragique, ou la désespérance. Le seul drame de cette communauté née dans la colère est sa relative inorganisation, les querelles de personnes et les attaques ad hominem prévalant trop souvent sur l’analyse dépassionnée de la situation politique sur le terrain, alors même que chacun s’entend sur les conclusions du drame togolais, à savoir que le vieux Général Eyadéma, ses fils et les cadres de son parti sont la cause première de notre problématique entrée dans la modernité démocratique !

Letogolais.com: Effectivement, un examen attentif des différentes tentatives de dialogue avec le régime amène à conclure que c’est Gnassingbé Eyadéma qui les a sabordées. Alors, pensez-vous que le dialogue soit encore possible avec lui?

Kangni Alem: Si je ne m’abuse, pendant la Conférence Nationale, il fut envisagé la possibilité d’accorder une amnistie politique à Eyadéma. Certes, ce qui prévalut, à l’époque, fut l’option, difficile à mettre en œuvre dans le contexte du moment, de sa destitution et la dissolution du RPT, mais je crois que la thèse de l’amnistie s’est progressivement imposée à toute l’opposition après coup, elle n’est plus taboue et a été évoquée plusieurs fois ces dernières années. Seulement voilà, comment pouvez-vous proposer l’amnistie à un homme qui n’envisage même pas la possibilité de se retirer du pouvoir de manière constitutionnelle ? Ces facilités juridiques n’intéressent pas Eyadéma qui, à force de manipuler les hommes et l’histoire, en est venu à croire qu’il est immortel. Ne prétend-il pas être celui qui empêchera le Togo de sombrer dans la violence, alors que justement, c’est son refus de respecter les règles de l’alternance politique qui risque de conduire son pays au chaos ? D’ailleurs, comment peut-on affirmer qu’un homme, seul, détient la clé du bonheur d’une nation ? Il faut être fou ou prétentieux pour en arriver à croire cela. L’un dans l’autre, il apparaît clairement que l’homme n’a aucune considération pour son opposition, et ne conçoit pas le dialogue comme une nécessité. Sachant cela, il est hors de question de continuer à planifier des dialogues avec lui, puisque même l’intervention de « facilitateurs » étrangers ne l’a jamais ramené à la raison.

Letogolais.com: Gnassingbé Eyadéma a manifestement choisi la stratégie de la fuite en avant, estimant être le Président à vie du Togo, ainsi que vous le rappelez. Y-a-t-il d’autres possibilités offertes aux Togolais pour lui imposer une alternance?

Kangni Alem: Il y a toujours, pour les peuples, une possibilité de se défaire de la tyrannie. Et l’histoire nous enseigne que d’illustres démocraties se sont construites sur des actes violents et radicaux. Ceci relève avant tout du choix des peuples ou de leurs représentants. Depuis 1989, en Roumanie ou au Mali, on a vu les populations se défaire de leurs bourreaux. Cela ne s’est pas fait les mains dans les poches, encore moins sans une contrainte armée. Or, quel discours entend-on au Togo ? L’armée ne serait pas nationale mais tribale ! Donc, aucune chance qu’elle relaie la lutte du peuple togolais. Ceci est vrai et faux à la fois. Vrai en ce sens que les corps qui composent notre armée ont cette particularité d’être en grande partie recrutés dans la partie septentrionale du pays. Mais l’affirmation relève aussi de la propagande, car de toutes les façons, cela arrange le régime en place que les gens croient que les officiers et hommes de troupe de l’armée togolaise fonctionnent selon la règle de la solidarité tribale, et sont donc fidèles à 100% à Eyadéma. Ce qui est une vue de l’esprit, comme nous le confirment les affaires Djoua, Biténéwé, pour ne citer que les plus récentes, et surtout le fait que Eyadéma ait senti le besoin de placer ses propres enfants au sommet de la hiérarchie militaire. L’armée togolaise n’est pas monolithique, ou alors c’est une secte. Elle possède certainement dans ses rangs des officiers qui ont une fibre sociale, une sensibilité à la justice qui ne demande qu’à s’exprimer. Cette prise de parole peut effectivement préfigurer une sortie de crise pour les Togolais, mais peut-être faudrait-il pour cela la susciter ? L’armée togolaise a un rôle à jouer dans la résolution de la crise togolaise. Je l’en crois capable, mais il faut que les Togolais, opposition et société civile confondues, lui redonnent confiance en prenant les devants d’une désobéissance systématique et durable qui paralyse complètement le système Eyadéma. Nous en avons les moyens.

Letogolais.com: L’union de l’opposition ou la fusion des partis, les communiqués communs, les appels des institutions religieuses sont des pistes tardivement explorées. Que pensez-vous de la stratégie des partis de l’opposition face à la crise actuelle?

Kangni Alem: La désunion de l’opposition m’a toujours plus inquiété que le silence méprisant de nos évêques et autres pasteurs qui devraient relire et méditer cette parole de Thomas d’Aquin : « L’élimination physique de la Bête est bien vue par Dieu si grâce à elle on libère un peuple. ». De quoi s’agit-il finalement, qui semble si difficile à mettre en place ? D’une union sacrée contre Eyadéma qui transcende les calculs des uns et des autres ! Puisque tous les partis de l’opposition sont logés à la même enseigne, écartés constamment de l’échiquier politique, comment se fait-il qu’ils ne trouvent jamais un consensus ? Problèmes d’hommes, une fois de plus, d’ego : dans ces conditions, une bataille menée dans la dispersion n’a aucune chance d’aboutir, puisque l’adversaire en face a beau jeu d’utiliser la division au sein de l’opposition pour régner. Face à la crise actuelle, il faut se poser les questions justes, comprendre ce qui motive une stratégie unitaire, c’est-à-dire le sauvetage d’un peuple sacrifié. Ou alors avouer son impuissance et laisser le champ libre à d’autres formes d’organisation ?

Letogolais.com: Nous avons suivi, ces derniers temps , les péripéties de l’ex-Premier Ministre Agbéyomé KODJO dans son exil en France et celles du député Dahuku PERE ? Pensez-vous que leurs initiatives soient déterminantes?

Kangni Alem: Tout dépend du positionnement de ces deux transfuges du RPT, de leurs intentions réelles et de leur lecture a posteriori de la crise politique. L’un et l’autre n’ont pas la même crédibilité, mais leurs gestes prouvent au moins une chose : le RPT n’est pas une secte. Maintenant, concrètement, on attend d’eux des actions fortes, un apport constructif à la lutte générale.

Letogolais.com: Quel était votre état d’esprit à l’annonce de la modification de la Constitution par les députés RPT le 30 décembre 2002 ?

Kangni Alem: Vous dire que j’ai été surpris serait mentir. Le seul fait pour le RPT d’aller aux législatives sans l’opposition constituait un signal d’alarme pour qui sait interpréter les stratégies de ce parti et celles des éminences grises, aussi bien étrangères que locales, d’Eyadéma. La modification de la loi fondamentale était un projet de longue date qui ne pouvait être réalisé qu’en écartant toute opposition au parlement, puisque l’option d’un référendum était de toutes façons vouée à l’échec. En forçant les choses, Eyadéma déclare ipso facto la guerre à l’opposition ainsi qu’au peuple togolais, à chacun de tirer sa conclusion !

Letogolais.com: Le Togo reste confronté à une dictature tenace dont la fin ne passe que par la destitution du dictateur. Sentez-vous la révolte qui gronde dans la communauté? Qu’attendent nos compatriotes et les acteurs de la vie politique togolaise ?

Kangni Alem: Cela fait quoi, plus de 20 ans, en comptant les premières velléités de contestation qui remontent aux années 80, les vrais et faux complots, que le ras-le-bol des Togolais est patent. D’abord diffuse, la révolte atteignit son paroxysme, comme on s’en souvient, le 5 Octobre 1990. C’est peut-être cet esprit-là qui anima le peuple en 1990 qu’il s’agit de retrouver et de dépasser aujourd’hui. Il n’y eut pas, comme l’ont cru certains, uniquement la spontanéité d’une jeunesse blessée, qui fut à l’origine de ce soulèvement. Les différents ministres de l’Intérieur d’Eyadéma n’auraient pas tout fait, dans ce cas-là, pour démanteler le Mouvement Patriotique du MO5. J’ai cru à un moment donné que les partis d’opposition allaient prendre le relais de cette lutte, mais il faut croire qu’ils n’avaient pas compris l’importance de ce soulèvement. D’où les déceptions, légitimes, d’un peuple épuisé d’avoir tant cru au changement. Il faut une nouvelle étincelle pour tout redémarrer. De quel ordre l’étincelle ? Toutes les solutions sont envisageables, mais je crois que les concertations prochaines de toutes les organisations de jeunesse en exil et sur le terrain aboutiront à mieux préciser la direction à donner à la lutte en vue d’un soulèvement total.

Letogolais.com: Selon vous, quel profil doit avoir l’homme qui peut rassembler les Togolais dans les échéances cruciales qui les attendent ?

Kangni Alem: Faut-il simplement qu’il soit charismatique ? Nécessaire mais pas suffisant. Faut-il forcément qu’il soit un homme connu ? Les armées de l’ombre ont aussi remporté de grandes victoires dans l’Histoire des luttes de libération. Dans tous les cas, et quel que soit le profil de cet homme ou de cette organisation, il faudra penser à impliquer la communauté internationale dans notre combat. Réseaux, lobbyings, rien ne doit être laissé au hasard, sinon nous courrons une fois de plus à l’échec !

Letogolais.com: Quel est le niveau d’implication des autorités françaises dans la crise actuelle que traverse notre pays ?

Kangni Alem: Vous touchez là du doigt une évidence géopolitique qui explique l’enlisement actuel de la crise au Togo. D’abord, question : en quoi le Togo intéresse-t-il la France ? Depuis de Gaulle jusqu’à Chirac, en passant par Mitterrand, lequel avait montré le vrai visage de la France lors de l’assaut des « mutins » de l’armée togolaise contre le premier ministre de la Transition, Joseph Koffigoh La France a des intérêts à soutenir Eyadéma contre son opposition, le Togo étant important économiquement pour elle, dans le cadre de ses négoces dans la sous-région. Il suffit de voir la mauvaise foi avec laquelle M. de Villepin justifie l’intervention de l’armée française en Côte-d’Ivoire. La France doit préserver ses intérêts en Afrique, tel est le fond de l’affaire, qui coûta la vie au premier président du Togo, Sylvanus Olympio. Ces réalités impérialistes sont à prendre en compte dans l’analyse de notre situation politique. Il semble que l’opposition togolaise n’ait jamais réussi à rassurer les Français. C’est peut-être vrai. Mais il y a aussi d’autres évidences. Je reste persuadé que les Français sont conscients du mal que représente Eyadéma pour son pays, tout comme l’était Sani Abacha pour le Nigéria. Seulement, ne sachant trop quelle porte de sortie lui trouver, ils s’en accommodent en nous servant de temps à autre le discours tellement politiquement correct de l’homme qui maintiendrait l’unité dans son pays, alors que tout son règne est basé sur le tribalisme. C’est terrible à reconnaître, mais si la France le voulait vraiment, elle pourrait aider le peuple togolais à dénouer la crise qu’il traverse en ce moment.

Letogolais.com: Et pensez-vous que les autorités françaises feront entendre leurs voix en 2003, si Gnassingbé Eyadéma ne respectait pas sa parole, à savoir quitter le pouvoir?

Kangni Alem: Pour l’instant, la parole donnée à Chirac par le brave soldat Eyadéma n’est plus en partie respectée, mais la France n’a pas protesté, à ce que je sache, contre ce tripatouillage de la Constitution. Faut-il attendre et voir ? Non, je crois qu’il faut pousser Chirac à prendre position, en le mettant devant le fait accompli que le non-respect de la parole donnée par son poulain peut être préjudiciable à l’ensemble des intérêts étrangers au Togo et dans la sous-région !

Letogolais.com: Quel message les Togolais peuvent-ils transmettre à la communauté internationale pour l’alerter sur les dangers des agissements d’Eyadéma ?

Kangni Alem: Cet homme met en danger, gravement, les relations du Togo avec ses partenaires. Même sans lui, les intérêts économiques des uns et des autres seront garantis, aucun leader de l’opposition n’est assez fou pour ne pas admettre cela. Il faut vraiment comprendre le sens de notre combat contre Eyadéma et son système dictatorial qui a détruit lentement mais sûrement le tissu social, économique et culturel d’un pays qui avait tout pour rendre ses enfants heureux.

Letogolais.com: Monsieur Kangni Alem, à quand la fin du régime Eyadéma?

Kangni Alem: J’aurais bien aimé le savoir. Disons qu’elle est inéluctable, car toute dictature porte en son sein les germes de sa propre destruction. Mais il appartient au peuple, ainsi qu’à ses représentants de pousser le tyran vers la poubelle de l’Histoire.

Letogolais.com: Que conseillez-vous à nos compatriotes pour patienter jusqu’à l’arrivée de ce changement?

Kangni Alem: La patience n’est pas forcément vertu dans certaines situations de la vie. Il est temps de secouer notre légendaire torpeur.

Letogolais.com: Nous vous remercions.