23/04/2024

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Kenya ou le malaise à la togolaise ?

VERS UNE DEMOCRATIE PALLIATIVE
Par Dr. Yves Ekoué Amaïzo *

Le Kenya est en train d’expérimenter une nouvelle forme de médiation confiée par l’Union africaine à l’ancien secrétaire général de l’ONU. Le refus par le président « déclaré » du Kenya d’accepter le ghanéen Kofi Annan comme médiateur pose problème. Qui donc fait pression sur l’ancien secrétaire général de l’ONU pour aller au Kenya ? Le report de sa mission au Kenya pour raison de « forte grippe » témoigne du malaise croissant. Faut-il parler d’un échec ou d’une mission impossible de l’actuel président en exercice de l’Union africaine John Kufuor ? Que faire lorsque le président kenyan Kibaki nomme un gouvernement incomplet de 17 membres alors que sous la pression discrète de l’Union européenne, il finit par accepter de recevoir John Kufuor. Que dire face à des expériences de démocraties palliatives réussies ailleurs en Afrique alors qu’au Kenya, c’est la violence, l’échec temporaire d’une alternance et, par là, la consolidation d’une démocratie forcée en Afrique qui se profile à l’horizon. N’est-ce pas le peuple souverain qui est en fait à la recherche d’une nouvelle forme de diversité ethnique à la tête de l’Etat Kenyan ? Kikuyu ou Luo ? Cela a-t-il beaucoup d’importance dans un monde interdépendant ? Certainement, l’alternance ne peut qu’être une chance pour l’équilibre des pouvoirs en Afrique. Mais cela pourra-t-il se faire sans l’annulation des résultats des élections présidentielles ou l’organisation d’un troisième tour ?

Suite aux accusations de fraudes après les élections présidentielles et législatives de décembre 2007 au Kenya, il n’y a que peu de doutes sur ceux qui portent une lourde responsabilité dans cette affaire. Qui refuse de mettre en œuvre la requête de cinq des 21 commissaires électoraux qui ont demandé « la révision judiciaire du décompte des voix et des résultats », afin de produire ce qu’ils ont appelé un « rapport crédible après les doutes sérieux pesant sur le processus ? » De nombreuses organisations non gouvernementales de défense des droits humains ont également signalé des irrégularités dans tout le processus électoral. Mais qui écoute la société civile kényane ? Personne ! Pourtant entre les cinq plus importantes ethnies du Kenya à savoir les Kikuyu, les Luo, les Luhya, les Kalenjin et les Kamba, un sondage a permis de relever que près de 39 % d’électeurs avaient reconnu qu’ils choisissaient leur candidat sur une base purement ethnique . Il y a donc bien un problème ethnique sous-jacent à la question fondamentale du partage des richesses entre les différentes communautés ethniques ou confessionnelles. Malgré les frustrations, rien ne justifie la violence, la brutalité, les atrocités et l’horreur de tous les actes spontanés ou prémédités commis au nom de la démocratie palliative au Kenya, comme au demeurant ailleurs sur le continent africain.

1. L’impossible présidence d’un représentant de l’ethnie Luo au Kenya

Protectorat en 1895, le Kenya subit encore les conséquences de la colonisation blanche des années 1900. Malgré quelques résistances ici et là, il a fallu attendre 1944 pour voir émerger un véritable mouvement nationaliste organisé, l’Union africaine kényane créé par Jomo Kenyatta, le futur président Kikuyu. Avec la guérilla de la société secrète « Mau Mau » composée de kenyans de l’ethnie Kikuyu, le Kenya a pu venir à bout, au moins de manière visible, des colons blancs. L’emprisonnement de Jomo Kenyatta en 1953 n’a pas empêché la guérilla de libération de perdurer jusqu’aux années 1956, soit près de 50 ans de combat acharné que les médias occidentaux se gardent bien de rappeler pour expliquer la crise actuelle du pays. C’est à la faveur d’une conférence « constitutionnelle » tenue à Londres en 1960 et la création de partis politiques dont le Kenya African National Union (KANU) que Jomo Kenyatta a pu sortir de prison en 1961. Ce dernier a conduit son parti à la victoire législative aux élections de mai 1963, ce qui lui valu d’être gratifié du poste de premier ministre. La déclaration d’indépendance n’a pas tardé et est survenue en décembre 1963 avec Mr. Kenyatta comme président. L’image laissée reste clairement positive malgré quelques abus ici et là dans la gouvernance de l’après-indépendance.

Par la suite, le règne de 24 ans du président Daniel Arab Moi (ethnie Kalenjin) entre 1978-2002 a contribué, bien souvent malgré lui, à une succession d’affermissement de la démocratie par défaut dans le pays. La National Alliance Rainbow Coalition (NARC), formée de dissidents de la Kenya African National Union (KANU), le parti au pouvoir, et du Parti de l’Alliance nationale (PAN), remporta les élections multipartites qui se déroulèrent au Kenya en 2002. Le chef de la NARC, Mwai Kibaki, remplacera Daniel Arap Moi. Plus tard, le fils Kenyatta reprendra le flambeau de son père lors des élections présidentielles de 2002. Mais le peuple kenyan n’a pas voulu d’une dynastie familiale. Avec officiellement 62,3% des voix contre 31,2% pour Uhuru Kenyatta, le fils de Jomo Kenyatta, Mwai Kibaki a remporté une victoire éclatante aux précédentes élections présidentielles de 2002. Au niveau des élections législatives, la NARC remporta 125 des 210 sièges au Parlement (majorité) contre 64 seulement pour la KANU.

A l’époque, la rédaction de la constitution kenyane posait problème. Le Président de la commission de rédaction est d’ailleurs mort dans des conditions non éclaircies sous le règne de Mr. Kibaki. Aujourd’hui, le paradoxe veut que ce soit encore un parti dissident qui conteste la présidence de Mwai Kibaki. Le Mouvement démocratique orange (ODM) est une association de partis politiques de l’opposition qui se sont éloignés du Président Kibaki principalement à la suite du non-respect par ce dernier d’un accord de gouvernement qui aurait permis à:

1. Raila Odinga de devenir premier ministre (poste non prévu par la constitution et non inscrit par Mr. Kibaki dans la proposition de constitution en discussion déjà en 2002), et
2. sa coalition d’obtenir au moins 50% des postes ministériels dans le gouvernement de Mr. Kibaki.

Cela a conduit à une rébellion ouverte contre Mr. Kibaki qui a résulté en une campagne pour un NON à une proposition de constitution qui offrait des pouvoirs exorbitants à l’exécutif kenyan aux dépens des gouvernements régionaux. C’est ainsi que le 21 novembre 2005, Raila Odinga a marqué une première victoire contre Mwai Kibaki en demandant que les citoyens kenyans rejettent cette constitution. Le peuple a suivi Raila Odinga en votant 57% pour et 43% contre. C’est à la suite de cet échec que le Président Kibaki a remercié le gouvernement de l’époque et la plupart des ministres provenant de différents partis qui se sont coalisés pour former le Mouvement démocratique orange (ODM) avec le fils Odinga (Raila) à sa tête. Aussi, les allégations de fraudes et le refus du Président contesté (Mwai Kibaki) de quitter le pouvoir en 2008 doivent être revisitées à la lumière de ce passé ombrageux, où son propre non-respect des accords politiques ont contribué à susciter l’alliance des partis d’opposition qui estiment être lésés de leur victoire.

2. Cure de jouvence et deal anachronique

Au plan historique, Raila Odinga est le fils de Jaramogi O. Odinga. Ce dernier fut vice-président de Jomo Kenyatta au cours des années d’indépendance et aurait dû succéder au premier président du Kenya. Mais les Kikuyu au pouvoir ont toujours refusé la présidence du pays à un représentant de l’ethnie Luo. A la mort de Jaramogi O. Odinga en 1994, son fils Raila n’a pas pu lui succéder à la tête du parti (FORD-Kenya) et est parti en dissidence en rejoignant le National Development Party (NDP). Il faut malgré tout rappeler qu’aux élections présidentielles de 1997 qui virent la victoire du Président Moi, Raila Odinga arriva en troisième position et c’est de là qu’il a commencé à s’allier avec Mwai Kibaki avant de s’en éloigner lors de l’épreuve de force sur la modification de la constitution au Kenya. La morale de l’histoire reste la même. L’Afrique est malade de ses élites dirigeantes puisque le conflit reste constant:

1. l’un cherche à plaire aux démocraties occidentales en faisant de la démocratie palliative, et
2. l’autre tente d’approfondir la démocratie comme un bien public commun et rencontre des résistances fortes non sans intervention extérieure.

Sans rappeler toute l’histoire du Président « auto-déclaré » âgé de 76 ans, le Président Mwai Kibaki a été plusieurs fois ministre, a passé plus de 10 ans comme vice-président (1978-1988) et s’est maintenu près de 5 ans comme Président au pouvoir… C’est le renouvellement de ce mandat qui est largement « contesté » pour fraudes électorales et usurpation du choix souverain de la population. C’est aussi sa propre stratégie d’élimination des partis d’oppositions et croyant à l’impossible coalition des opposants kenyans y compris la diaspora qui a subi un échec.

Avec autant d’années au pouvoir, on se demande si rester au pouvoir reste synonyme de servir les intérêts supérieurs de la population kenyane. Une sortie à la « Nelson Mandela » aurait projeté Mwai Kibaki dans l’histoire peut-être même au-delà de Mandela et Kenyatta cumulés… Mais la « real politik » a pris le dessus. Le Président contesté est en fait un bon alibi pour son entourage pour conserver la maîtrise de l’accès aux richesses à moins qu’il ne soit pris en otage par la communauté internationale notamment les Etats-Unis qui ont intégré le Kenya dans leur alliance mondiale anti-terroriste. Le Kenya n’est pas dupe de la manœuvre puisque le pays a pu bénéficier des avantages pécuniaires du programme AGOA permettant d’exporter certains produits pendant une période limitée en franchise de douane aux Etats-Unis. On assiste donc à un « deal » anachronique : je t’aide sur la lutte anti-terrorisme et tu me laisses en paix chez moi, sous-entendu comme président. Les élections et le refus de recompter les voix ou de refaire les élections quelle qu’en soit la forme ne sont pas de nature à faire croire à une bonne volonté de la part de ceux qui s’arrogent le pouvoir sans démontrer ou confirmer que le transfert de souveraineté du peuple a bien eu lieu dans des conditions transparentes.

Sans négliger les tensions ethniques et la volonté de conserver le pouvoir coûte que coûte, c’est en définitif ce deal anachronique, faisant office de quiproquo, qui a conduit à la crise kényane actuelle. En effet, pourquoi de manière très hypocrite, les grandes puissances occidentales, qui n’ont pas cessé leur combat d’arrière-garde de dépendance économique des Etats africains, n’ont rien trouvé de mieux que d’avaliser, puis de condamner à postériori l’échec des fraudes électorales massives et modernisées en perdant d’ailleurs leur crédibilité comme « observateur neutre dans les élections africaines » ? En félicitant rapidement, trop rapidement, Mr. Kibaki, les pays occidentaux et certains de leur amis dans la sous-région ayant aussi usurpé les élections dans leurs pays se sont empressés de féliciter le nouveau Président. C’est sans compter sur la détermination d’un peuple qui aspire à l’alternance dans un espace où les inégalités, les crimes et les impunités semblent avoir été « tolérés » trop longtemps par le Président Kibaki lors de son premier mandat.

En fait, ce que les élites occidentales dirigeantes ne perçoivent pas compte tenu de la loi de l’alternance bien établie et le poids de la société civile dans les sociétés industrialisés, c’est le besoin de certaines élites dirigeantes africaines d’organiser pour la vie une « cure de jouvence » à la tête des Etats en utilisant l’armée et la police comme garde-fou contre toute déstabilisation… à savoir toute déstabilisation de leur position. Il suffit de satisfaire aux intérêts occidentaux officiellement ou en catimini. Le cas de Robert Mugabe, l’histoire du Zimbabwe et le conflit interminable entre ces deux, la Grande Bretagne et ses premiers ministres ne peut pas ne pas être évoqué. On est passé là-bas de l’ami, le bon élève, à celui que l’on refuse de rencontrer. En sera-t-il de même pour Mr. Kibaki si la crise continue ? Ou est-ce le tour des opposants d’accepter le statu quo en acceptant « d’avaler le python africain », comme c’est le cas dans bien des pays qu’il n’y a plus lieu de citer.

3. La quadrature du cercle : le droit à l’alternative politique et ethnique interdit

Aussi, pour sortir de la quadrature du cercle et réussir en faisant un coup double à savoir réussir une démocratie exemplaire par l’acceptation du processus électoral jusqu’à son terme par tous les partis politiques et laisser l’alternance s’exécuter normalement tout en acceptant de construire l’opposition politique sans complexes, ni fausse honte, il faut donc planifier et trouver un point de chute pour certains dirigeants africains. Ces derniers n’ont souvent aucune idée de comment se crée la richesse puisqu’ils (et non pas elles pour le moment) ont passé des années à gérer et structurer des Etats patrimoniaux avec la complicité sinon la bénédiction des pays démocratiques occidentaux.

Pour ce faire, ils ont, pour la plupart, misé sur le lien de proximité et de la relation confessionnelle. L’ethnie devient l’entité qu’il faut faire vivre car c’est en son sein que se recrutent tous ceux qui contribueront à protéger et à perpétuer la prise de pouvoir. Les modifications des constitutions pour satisfaire les dirigeants occidentaux bien naïfs sur la capacité des dirigeants africains à perdurer au pouvoir sont inversement proportionnelles à l’entêtement des premiers à bloquer et neutraliser l’industrialisation et la création d’emplois décents en Afrique afin de continuer à organiser l’accès aux matières premières en leur faveur. C’est donc ce malaise qui a fait plus de 600 morts de source officielle et plus de 1000 de sources informelles au Kenya, sans compter les blessés. Au Kenya seulement ? Non !

Ailleurs, le silence imposé par l’actualité rapide fait que l’on oublie tous les pays où la fraude électorale avalisée et parfois construite avec des élites occidentales a conduit à une démocratie du statu quo, au moins pour ce qui est des personnalités et des ethnies au pouvoir. Il suffit de mentionner principalement l’Ethiopie, le Togo, le Tchad, la Centrafrique, le Congo démocratique et bien d’autres plus subtils comme le Sénégal, le Gabon, le Congo, la Guinée et l’Algérie où l’on parle de démocratie conviviale ou de gouvernement de large ouverture. Dans ces pays, la démocratie palliative, avec l’appui de l’armée, des milices ou des réseaux religieux, se caractérise par un musellement plus ou moins musclé et pas toujours discret de l’opposition quand cette dernière, à la différence du Kenya, ne se fait pas « hara-kiri » elle-même en refusant d’organiser une vaste alliance avec la Diaspora et refusant de créer une plateforme commune pour faire échec au mouvement opportuniste des « transfuges » vers les partis au pouvoir. Dans les faits, ce sont généralement les mêmes et la même ethnie dirigeante, contrôlant des réseaux d’organisations religieuses ou d’organisation de la conscience des jeunes et des femmes, qui proposent d’ouvrir, uniquement à la marge, leur gouvernement à ceux qui se sont vu usurper les droits à la vérité des urnes. Le droit à l’alternance est-il interdit dans certains pays africains ?

4. Une opposition unie et une société civile rivée sur les principes démocratiques

Au Kenya, pour la première fois, l’opposition dit « non » aux manœuvres de tous genres. Le prix à payer pour convaincre des membres des partis de l’opposition de se rallier au statu quo ainsi que toutes les ethnies qui se sentent flouées derrière le vol de leur victoire pourrait se révéler être trop élevé. Les dessous de table discrets ne semblent plus fonctionner. Alors, tout le monde doit revoir sa copie. Suite à l’échec de la médiation du Président du Ghana John Kufuor, président en exercice de l’Union africaine au Kenya le 10 janvier 2008, il faut s’interroger sur les raisons du refus du Président Kibaki de signer un compromis accepté par son « challenger » et qui stipulait, entre autres, deux points de vérification de la transparence des élections à savoir :

• un réexamen du travail de la Commission électorale et des circonstances dans lesquelles les résultats ont été annoncés, et
• la possibilité de convoquer de nouvelles élections…

Il faut croire que cette version de l’opposition ne pouvait satisfaire le Président déclaré qui a fait savoir officiellement qu’il refusait de signer un tel document dont il n’avait jamais entendu parler et qu’il n’avait jamais rencontré ceux qui sont supposés avoir négocier en son nom. Le blocage est bien total en apparence. Face à cette paralysie, il n’est plus question pour le moment de discuter des conditions de déroulement des élections mais plus simplement de se contenter de palabrer sur les conditions même d’organisation d’un dialogue. C’est ce travail qui a été confié le 11 janvier 2008 à un comité de personnalités dirigé par Kofi Annan… On se demande si c’est le comité de personnalités qui est rejeté par Mvai Kibaki ou tout simplement la direction du comité.

Ethique oblige, certaines personnalités africaines veulent en finir avec la non-transparence, le mensonge et l’usurpation du vote des électeurs. Il ne faut donc pas s’étonner que les Etats-Unis avec la représentante américaine Mme Jendayi Frazer, qui passé plus de trois jours au début du contentieux à vouloir résoudre la crise toute seule, l’Afrique du Sud et les églises anglicanes avec le prix Nobel de la paix, Desmond Tutu, l’Union africaine avec le Président John Kufuor et la demi-douzaine de chefs d’Etat et maintenant Koffi Annan, l’ex-secrétaire général de l’ONU nommé comme médiateur par la présidence tournante de l’UA pour sortir de la crise kényane, risquent tous d’échouer si personne ne veut reposer la résolution du conflit sur les principes de la transparence, de l’éthique et du respect des institutions et de la vérité des urnes. En croyant que la paix à court terme suffit pour « calmer le jeu », la diplomatie africaine s’est souvent fourvoyée et a renvoyé les problèmes à plus tard. Il y va de la construction d’une société de confiance en Afrique et de crédibilité de la communauté internationale à vouloir accompagner l’Afrique sur les voies tortueuses de la démocratie sur le continent.

5. Une majorité au parlement : avec qui et pourquoi faire ?

La solution reste bien sûr des élections transparentes. Le vote au parlement (15 janvier 2008) restera déterminant. Il faut espérer que de nouvelles fraudes n’aient plus lieu (ou soient réduites à leur dose marginale incompressible) et que la vérité des urnes triomphe cette fois-ci. Si la coalition de l’opposition (ODM et les alliances qu’il fera) obtient une majorité absolue au parlement avec au moins 104 députés sur 210, alors Raila Odinga pourra faire une démonstration de force dans le cadre des institutions républicaines. Sa responsabilité sera engagée sur la volonté de rétablir la vérité des urnes ou d’éviter de voir son pays sombrer dans un « vulgaire conflit ethnique » que des esprits malsains ont d’ores et déjà programmé pour déstabiliser le Kenya et la sous-région. En dehors de cela, il apparaît bien difficile que la crise ne se poursuive pas dans la rue d’autant que les partis au pouvoir comme d’opposition ne maîtrisent pas les réactions spontanées et ponctuelles de violence qui sont d’ailleurs une sorte de constante au Kenya, sauf en 2002 où l’alternance avait permis de « calmer » les populations. Tenter de procéder comme en Guinée ou au Togo pourrait se révéler n’être qu’une démocratie palliative avec ses conséquences les plus fâcheuses à moyen terme. Un consensus de non-alternance a besoin d’un comité de “ personnalités éthiques” doté d’un pouvoir de conviction effectif et du temps pour faire entendre raison à toutes les oppositions africaines. Cela permet ainsi de renverser la charge de la responsabilité des malheurs de la population sur ceux qui n’ont pas accès aux commandes de l’Etat et de donner le temps pour que les divisions parmi les oppositions voient le jour.

Faut-il limiter ces élections uniquement au parlement kenyan ? Certainement pas car le rôle de caisse d’enregistrement ou de résonance de nombreux parlements africains est trop connu pour être rappelé. Alors, si personne ne veut de nouvelles élections, la solution africaine qui transforme les principes démocratiques en procédures pour former un gouvernement d’union nationale au profit de celui qui a abusé de la force, risque de prendre le dessus. Il faut dialoguer, répètent inlassablement les diplomates… Mais dialoguer sur quoi ? Vivre sans la fraude électorale ou accepter la fraude électorale et sauver l’unité et la paix du Kenya reste un dilemme africain. Les deux sont incompatibles. Il suffit pourtant de redonner ses lettres de noblesse au principe éthique et démocratique et d’obtenir l’engagement des donateurs de ne plus promouvoir de politiques de « deux poids, deux mesures » en Afrique. Cette « médecine » ne semble pas exister dans les mille et une capacités et pouvoirs des apprentis sorciers de la démocratie en Afrique.

6. L’Afrique, malade d’elle-même ? La palabre et la neutralité coupable !

L’Afrique est-elle malade d’elle-même pour ne proposer invariablement que la palabre ? Encore faut-il que la palabre africaine se fasse dans des conditions acceptables pour tous les partis et que les dirigeants africains qui ne jurent que par la non-ingérence dans les affaires intérieures en acceptent les conclusions comme le faisaient leurs aïeux avant la colonisation. Certains acceptent bien trop rapidement, et parfois sans que personne ne leur ait rien demandé, de s’ingérer dans les affaires de souveraineté pour mieux assoir la position des élites affairistes de plus en plus intégrées dans des réseaux internationaux.

Lorsque le Président de la Commission électorale kenyane (CEK), Samuel Kivuitu, a fait état des multiples pressions qu’il aurait subi de la part du pouvoir et a, malgré tout, pu annoncer publiquement : « je ne sais si Kibaki a gagné l’élection présidentielle », alors il y a du souci à se faire sur les démocraties de l’ombre en Afrique. Samuel Kivuitu ne pouvait pas avoir participé à la publication des résultats des élections électorales du 27 décembre 2007 car il a fait préciser qu’il n’avait pas soumis, ni autorisé le rapport qui est sorti avec son nom. Son nom aurait été « usurpé ». Reste à savoir si ces pratiques ne font pas partie de la panoplie des techniques de fraudes en Afrique.

De l’affirmation, on est passé à l’interrogation puis à l’usurpation de l’identité d’une personnalité clé dans la validation des élections kenyanes. Cela permet de sauver l’honneur du Président de la CEK sans déshonorer le Président contesté. Mais cette façon de raisonner peut-elle permettre à l’Afrique de tenir son rang parmi le concert des Nations ? Cette forme de diplomatie qui privilégie d’abord le refus du déshonneur a conduit à l’abus… Certains chefs d’Etat, voyant la retraite politique arriver, finissent par faire un hold-up, que dis-je, un coup d’Etat démocratique en affirmant qu’un Chef africain ne quitte pas le pouvoir de son vivant… Mais qui a dit cela au chef d’Etat ? Peut-être que les citoyens africains devraient interroger leurs chefs d’Etat respectifs ?

Voici comment l’on fait fondre les recettes attendues du tourisme en quelques minutes en refusant la vérité des urnes alors que ce secteur constitue la troisième source de revenus en devises du Kenya. Plus graves et moins décriés, les problèmes ethniques et la crise de pauvreté et pénurie y afférant deviennent alors des moyens de justifier la mise en œuvre de programmes d’assistance et de distribution. Il faudra s’assurer que les maïs et autres céréales transgéniques, les médicaments frelatés et l’abus des femmes et des enfants y compris la disparition d’enfants pour récupérer des organes face à l’échec de la tentative de l’arche de Zoé au Tchad ne fassent tachent d’huile au Kenya.

L’Afrique est malade d’elle-même ou plutôt sa prédilection pour les conciliabules à huis clos et en toute non-transparence devient un facteur de déstabilisation notoire. Le refus de la transparence, le refus de la bonne foi, l’embarras des pays occidentaux dont les positions à huis clos sont bien différentes de celles affichées dans la presse afin de se donner bonne conscience auprès de leurs électeurs et téléspectateurs posent problème.

7. Si la palabre échoue…, le Kenya coupé en deux ?

Lorsque dans ses déclarations, le Président Kibaki rappela lors d’un meeting à Nairobi’s Uhuru Park en juin 2007 à ses électeurs que ces derniers lui ont demandé de « sortir la nation de la « sauvagerie et du malaise pour aller vers la terre promise » alors on peut comprendre que le sujet ne relève plus du « bon sens » mais de la superstition, et cela se soigne car sous d’autres cieux et dans certains milieux fermés, d’aucuns auraient déjà parlé d’illuminé. Par ailleurs, le président sortant semble avoir basé toute sa stratégie de réélection sur le fait que les Kenyans n’étaient pas préparés à choisir un Président provenant d’une ethnie autre que les Kikuyu alors que l’ethnie Luo dont est originaire son « challenger » Raila Odinga a su faire des alliances qui dépassent le vote ethnique. Le Président Kibaki a refusé de s’attaquer à la corruption, à l’impunité et s’est endormi sur les résultats économiques qui reflètent le dynamisme de la population et du secteur privé kenyan dont la classe moyenne est constituée en partie de Kenyans originaires d’Asie notamment de l’Inde.

L’économie kenyane profite en cascade des retombées de la croissance de l’Inde sans compter le rôle de plus en plus important de la Chine émergente. Ces deux pays asiatiques fonctionnent comme des « locomotives économiques » indirectes et cela n’a pas empêché le Kenya d’avoir plus de 46% de sa population en-dessous du seuil de pauvreté en 2006. Il y a donc bien deux Kenya : l’un dynamique et occupé à développer l’intégration dans le cadre de la globalisation et l’autre, pauvre, laissé pour compte, marginalisé et dont la vie dans les bidonvilles favorise la montée en puissance des églises et autres sectes venues d’ailleurs pour voler les « âmes », les « consciences » et faire adopter la gouvernance de la fatalité…. Les populations kenyanes n’ont pas été dupes et ont su faire la part des choses entre l’idéal religieux et la réalité des inégalités dans la distribution des fruits de la croissance.

La guerre ethnique est une explication commode pour des journalistes occidentaux qui refusent de faire suffisamment référence à la presse kenyane, qui connaît mieux les complexités des relations politiques dans le pays et présente la situation en la mettant en perspective. La guerre ethnique et la comparaison avec le Rwanda est une phobie occidentale. Il vaut mieux comparer la situation kenyane à ce qui s’est passé par exemple au Sénégal (février 2007) lors des dernières élections présidentielles sauf qu’au Kenya, l’histoire a mal tourné et les réseaux de jeunes kenyans sont moins dépendants des responsables religieux contrairement à l’emprise des dirigeants Mourides au Sénégal. L’incendie de l’église au Kenya , ceci dans la région touristique de Eldoret, doit être versé au compte d’une action d’irresponsables plus que d’une stratégie de génocide comme au Rwanda. Les attaques contre les ethnies relèvent de la responsabilité partagée et risquent à terme de mettre en cause la capacité des deux protagonistes à calmer leurs troupes respectives. Il ne faut d’ailleurs pas négliger la possibilité de déstabilisation orchestrée par des bandes terroristes qui verraient bien le Kenya sombrer dans une situation d’Etat scindé en deux comme cela s’est fait en Côte d’Ivoire.

8. Complexité des situations africaines : vers l’alternance ethnique au pouvoir ?

Bref, la situation est bien plus complexe pour que les œillères occidentales et africaines soient dépoussiérées pour une fois. Les cerveaux africains et d’ailleurs ne doivent plus laisser les politiques continuer à faire croire à la neutralité de leurs interventions dans la gouvernance africaine alors qu’il est question, en fait, de faire comme ailleurs, à savoir légitimer les faits et donc bafouer la vérité des urnes. La non-intervention de l’ONU, sauf pour des raisons humanitaires, et l’intervention d’un « Africain » du dehors en la personne de Koffi Annan risquent d’être le recours en dernier ressort. Il faut espérer que le vote parlementaire pourra démontrer qu’il est nécessaire de retrouver une forme de refondation démocratique qui dépasse les principes démocratiques occidentaux. L’Afrique doit démontrer que la palabre fonctionne au bénéfice des populations. Sinon, une fois de plus, les dirigeants africains et la diplomatie africaine auront non seulement prouvé leur impuissance mais surtout qu’il n’y a rien à attendre des institutions régionales, africaines si les solutions doivent venir de l’extérieur de l’Afrique par une démonstration de force des pays occidentaux structurés dans le cadre d’une ingérence avalisée par le conseil de sécurité de l’ONU.

En effet, ce ne sont pas les 6,1% de croissance économique du Kenya en 2006 inégalement répartie entre les ethnies et les droits de propriété outrageusement octroyés aux membres de l’élite dirigeante qui pourraient faire croire qu’il faille transformer la démocratie à l’africaine en une théocratie organisée par les élites africaines soucieuses de non-respect des institutions et de la vérité des urnes. L’augmentation de la criminalité, de la corruption et la perte de pouvoir d’achat sans compter la répartition inégale des fruits de la croissance sons passés souvent sous silence et sont en fait le fondement du changement du Kenya profond vers l’acceptation de la diversité ethnique à la tête de l’Etat Kenya. C’est de cette alternative dont voulaient peut-être parler les laissés-pour-compte dont se réclame l’opposant politique et ancien ministre sous le gouvernement de Mwai Kibaki, Raila Odinga.

9. Affaire à suivre : pressions nécessaires

Lorsque le président contesté explique qu’il n’y a pas de crise au Kenya, il est clair qu’il s’agit vraisemblablement d’une affaire à suivre. Myopie ? Entêtement ? Jouer la montre ? Peut-être ! Lorsqu’un président affirme au journal Kenyan « the Standard » que tout ce remue-ménage diplomatique, c’est juste pour que le Président John Kufuor puisse « prendre une tasse de thé avec lui » alors sa volonté réelle de négocier dans la transparence se mesure en millimètres.

Ce qu’il y a de sûr, c’est tout sauf le respect des principes démocratiques. Aujourd’hui, ce n’est plus tant la victoire de Raila Odinga qui interpelle mais bien comment le vide juridique et institutionnel arrive à s’installer en Afrique aussi rapidement ? Pourquoi en dehors des coups d’Etat, l’armée et les forces de sécurité et de police africaines se sentent obligées de préférer le titulaire d’un poste au mépris des résultats des élections en réprimant une population qui a eu le malheur de s’exprimer pacifiquement et massivement ? Enfin, pourquoi les pays occidentaux se pressent-ils aux portillons pour valider par des déclarations intempestives la victoire du candidat qui défend mieux leurs intérêts au mépris de la souveraineté du peuple africain ? Pourquoi se rétractent-ils dès que les flambées de violence face à la fraude sont spontanées et canalisées ? Pourquoi face aux réalités de la contestation, certains jouent la surprise alors que d’autres en catimini continuent à dire au Président Kibaki de tenir bon…

Les changements « verbaux » ne changent pas les logiques de dépendance. A ce titre, il faut d’ailleurs se demander si tout ceci n’a pas pesé dans la décision du Kenya d’accepter avant le 31 décembre 2008 un accord de partenariat économique intérimaire qui est de plus en plus décrié par certains présidents africains et qui a permis à l’Afrique collective de dire « non » aux APE à Lisbonne en décembre 2007. Faut-il rappeler que le Kenya a signé l’accord intérimaire APE malgré elle… comme au demeurant le Ghana… alors que le Sénégal a manifesté contre et l’Afrique du sud estime qu’il s’agit d’une atteinte grave à sa souveraineté… Là encore, les stratagèmes de division ont repris le dessus et ainsi l’Union européenne, en refusant d’écouter la société civile africaine qui refuse depuis 2004 les APE, préfère signer au cas par cas des accords régionaux intérimaires devenus des accords bilatéraux entre un pays africain et une région du monde. De telles pratiques ne pourront pas fonder les relations futures d’une économie gagnant-gagnant entre l’Union européenne et l’Afrique. Les discussions collectives entre régions africaines existantes et l’Union européenne doivent reprendre. Le plus tôt sera le mieux. La participation des Etats africains sera incomplète si l’Union européenne ne cherche pas cette fois à faire représenter les sociétés civiles et la Diaspora.

Le Kenya est l’occasion de se rattraper collectivement. Les pressions de la communauté africaine et internationale doivent s’exercer en premier sur celui qui a contribué à faire disparaître la paix au Kenya. Le retour de la paix civile ne doit pas signifier qu’il faille empêcher les manifestations pacifiques de la population kenyane qui s’est fait usurper son droit à l’alternance ou tout au moins le droit au recomptage des bulletins de vote. Pire, la police semble être à l’origine des morts en intervenant aveuglément sur sa propre population. Cela pose un problème insoluble : qui est responsable pour ces morts, ces blessés et les nombreux déplacés (plus de 250.000 personnes) ? Quel a été le rôle des forces dites de sécurité au Kenya, en Afrique en général. Peut-être qu’il serait plus judicieux de les affecter à des travaux d’infrastructures pour retrouver la cohésion avec le peuple surtout que lors des coups durs, la plupart des pays sont protégés par des accords secrets de défense voir d’interventions discrètes de l’extérieur comme au Tchad ou ailleurs.

10. Ingérence, souveraineté et impuissance de l’Union africaine

John Kufuor n’est arrivé qu’une semaine après la crise et n’a pas pu résoudre la situation même avec une flopée de chefs d’Etat de la sous-région… Est-ce un refus de la médiation de l’UA et de la Commission de l’UA ? Cela pose le problème du critère utilisé pour choisir les chefs d’Etat en exercice à la tête de l’UA et bien sûr la confirmation du rôle non plus de Secrétariat mais d’observateur de la commission de l’Union africaine. L’UA est impuissante et la commission paix et sécurité de l’Union africaine semble neutralisée, sans moyens et marginalisée et donc ne peut être écoutée. En niant les institutions, les chefs d’Etat africains se condamnent à l’impuissance ou incarnent la neutralité coupable en appuyant par omission le statu quo.

A quoi jouent les élites dirigeantes africaines… en cherchant d’abord systématiquement et en catimini à s’aligner sur les positions des pays puissants… Les puissants pays occidentaux se mêlent souvent de ce qui ne les regarde pas, en refusant d’ailleurs au passage la même chose aux Africains qui souhaitent commenter sur les choix politiques occidentaux. Face à des positions peu claires des pays occidentaux, la lisibilité des positions des chefs d’Etat africains devient encore plus floue et la stratégie du « attend, attend, attend » se mue en gouvernance du statu quo, préservant, par là-même, la position figée qui a été à l’origine de la crise… Quelle honte que de s’éloigner des principes et de croire obtenir l’aval des pays occidentaux par la négociation du fait accompli !

L’échec de John Kufuor au Kenya est aussi un échec du l’Union africaine. Le cumul du poste de Président en exercice de l’UA et celui d’un pays doit être aboli. Il faut peut-être un véritable président de l’Afrique et limiter son mandat à 3 ans. Les commissaires doivent devenir des ministres de l’intégration continentale à part entière et 50% des postes doivent revenir à des personnalités de la société civile et de la Diaspora. Les choix politiques ont montré leur limite et deviennent dangereux pour la paix dans les pays lorsque la fraude électorale et la langue de bois prennent le dessus sur l’intérêt supérieur d’une Nation.

11. Entre l’Afrique transparente et l’Afrique non-transparente : votez !

Le prochain sommet de l’Union africaine risque de consacrer une grande partie de ses assises au Kenya. L’Afrique risque d’être divisée non pas entre l’Afrique noire ou l’Afrique blanche mais bien entre l’Afrique transparente et celle qui refuse la transparence. La réforme de l’Union africaine est plus que nécessaire. Il faut espérer que tous ces problèmes qui se télescopent, à savoir la désignation du président de la commission de l’UA et de ses commissaires, le choix du nouveau président en exercice de l’UA, la nécessité de réformer les institutions de l’UA voire même de retoucher le traité constitutionnel et bien sûr l’alignement de l’UA sur le principe de transparence ne risquent pas de faire passer aux oubliettes le dossier de l’industrialisation de l’Afrique. Ce dossier est au programme depuis au moins trois sommets africains et mis en veilleuse pour diverses raisons semblant aujourd’hui se résumer à une absence de prise de conscience de la désindustrialisation de l’Afrique, sauf pour les pays dont la part de la valeur ajoutée manufacturière dépasse 17% du produit intérieur brut sur plusieurs années… On peut les compter avec la main gauche ou droite. C’est selon…

Il faut être vigilant pour que le sommet de l’Union africaine de janvier 2008 ne serve de prétexte pour que les dirigeants africains ne parlent plus jamais d’industrialisation du continent alors que ce sujet est à l’ordre du jour depuis l’approbation par les chefs d’Etat d’une initiative de renforcement des capacités productives en Afrique en 2004, devenue le programme d’industrialisation du NEPAD.

Face aux incohérences de la politique africaine de prévention, la diplomatie africaine basée sur l’autocensure consiste trop souvent à s’aligner non pas sur les principes mais sur la loi du plus fort, ou plutôt sur ceux qui alimentent les budgets nationaux empêchant les fonctionnaires de faire grève et de s’apercevoir que le pays est sous tutelle économique. C’est une honte pour les élites dirigeantes africaines qui n’ont rien à offrir que l’indignation hypocrite face aux principes de la vérité des urnes et de la démocratie… Mais c’est aussi l’hypocrisie feutrée des pays dits démocratiques qui se sont fait surprendre par la volonté réelle et profonde de changement qui émerge d’une société civile africaine de plus en plus affranchie de la faim et de l’ex-colonie malgré l’organisation des fraudes massives… L’indépendance des ONG kenyanes et de la société civile en général dans ce pays a permis d’amplifier le malaise électoral africain.

Le vide diplomatique et la démocratie du statu quo résultant souvent en un gouvernement d’union nationale est en faillite. Cela conduit à transformer des économies qui pourraient être prospères en Etats en voie de défaillance. L’Afrique milite de plus en plus pour l’alternance… Qui a peur de l’alternance dans les pays où les fraudes électorales sont massives et avalisées par les institutions africaines et internationales au motif qu’il faut préserver la paix et sous couvert d’une protection contre le terrorisme comme si demander des alternatives économiques et politiques signifie systématiquement « être contre » ? L’Afrique doit avancer. La société civile le demande. Les fraudes ne peuvent pas stopper éternellement cette soif du renouveau et de la transparence.

Catastrophe économique, scission du pays en deux, président isolé qui doit sortir la tête haute… Le milliardaire soudanais Mo Ibrahim a pourtant proposé 5 millions de $ US de prix pour les présidents africains qui sortent de leur propre initiative du piège du pouvoir. Robert Mugabe aurait refusé ce prix en refusant de quitter le pouvoir, le Président Joachim Chissano, de par son histoire glorieuse, aurait été choisi et a accepté le prix. Mwai Kibaki peut peut-être accepter…. Il faut donc impliquer Mo Ibrahim dans la résolution de la crise kenyane. Perdre les élections n’est pas une honte, ni un déshonneur… Au contraire. Le Président Abdou Diouf du Sénégal est un exemple discret et vivant. De l’affaire à suivre, il faut passer à l’exemple à suivre.

La sagesse aurait pu venir du président Mwai Kibaki qui refuse d’annuler les élections et s’oppose aux trois jours de manifestations organisées par le président « non reconnu » Raila Odinga. L’escalade de la violence semble inévitable. Le « malaise à la togolaise » qui n’est rien d’autre que l’impuissance de comités électoraux dits « indépendants », la faiblesse des observateurs étrangers et l’autosatisfaction du candidat-président auto-déclaré de refuser la vérité des urnes. Malheureusement, les conditions dans lesquelles la victoire des candidats des dernières élections présidentielles et législatives au Togo s’apparentent bien à ce qui se passe au Kenya. De l’exception, l’Afrique est en train de basculer dans le droit commun du malaise électoral. Le faux peut-il remplacer le vrai ? Les oppositions africaines et certains pays occidentaux éclairés ne considèrent plus que les déclarations de victoire équivalent à une vérité des urnes, ni à la réalité des faits. En conséquence et si l’on veut être conséquent, la représentativité des élites africaines doit être réévaluée pour que l’aide internationale atteigne directement les populations qui en ont besoin. Ce malaise risque de réduire considérablement les chances d’avoir l’ensemble de la communauté internationale soutenir financièrement le Togo.

Au Kenya, la réponse ne s’est pas fait attendre… la suspension des aides programmées est en cours. Ainsi, le malaise est créé par des reconnaissances hasardeuses d’élections en Afrique. Les pressions sur les présidents de comités électoraux et sur des observateurs électoraux qui estiment que leur mission s’achève dès qu’il s’agit de recompter les voix sont de nature à entretenir pour bien longtemps le malaise à la togolaise sur l’ensemble du continent. Il importe donc de trouver des voies pacifiques pour faire échec à la consolidation d’une démocratie par défaut en Afrique.

16 janvier 2008
Par Dr. Yves Ekoué Amaïzo
* Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »

1- Jean-Philippe Rémy, « Les rivalités ethniques alimentent les violences au Kenya », in Le Monde, 2 janvier 2008, voir http://archives.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3212,36-995178@51-993693,0.html
2- Deuxième ethnie en nombre après les Kukuyu au Kenya, les Luo environ 3,4 millions de personnes se retrouvent au Soudan, en Tanzanie et au Kenya. Ils représentent 13,8 % de la population; au Soudan, plusieurs d’entres eux ont été victimes de la guerre civile.
3- AGOA news, “Terror, AGOA Likely to Dominate Bush Agenda in East Africa”, voir http://agoa.info/news.php?story=410; les espoirs étaient permis puisque l’on estimait que plus de 200.000 emplois pourront être créés grâce à AGOA (African Growth Opportunity Act), voir : agoa.info/download.php?file=61
4- C’est un pléonasme.
5- En culture occidentale, on parlerait “d’avaler des couleuvres”… La différence de taille des deux animaux concernés permet de mesurer l’ampleur de ce qui est demandé aux “Africains”.
6- Le responsable des observateurs européens, Alexander Lambsdorff, a toutefois déclaré qu’il n’avait pas constaté de fraudes, 28 décembre 2007, voir http://www.rue89.com/2007/12/28/le-kenya-se-choisit-un-president-et-un-parlement
7- Il s’agit de partis politiques ou d’individus qui se font remarquer en tant que partis d’opposition et trahissent ces derniers en intégrant le régime au pouvoir et généralement le Gouvernement en place en abandonnant régulièrement les anciens camarades de lutte, d’où des règlements de compte imprévisibles, surtout lorsque cela s’accompagne de délation et de déshonneur familial.
8- Suite à une crise majeure en 2007, les communautés africaine et internationale ont accepté de laisser le Président Lansana Conté en place tout en imposant un premier ministre de transition, soufflant ainsi la place aux partis d’opposition incapables de s’unir. Le rapport de force entre le Président appuyé par l’armée et le premier ministre risqué de ne pas trouver des solutions durables. Le limogeage récent sans explication par décret du Président d’un ministre proposé par le premier ministre de transition témoigne de l’impossible opérationnalité des solutions offertes qui reposent très souvent sur un consensus de non-alternance.
9- Yves Ekoué Amaïzo, La neutralité coupable: l’autocensure des Africains. Un frein aux alternatives, avec une préface de Abel Goumba et une postface de Godwin Têtê, collection interdépendance africaine, éditions Menaibuc, Paris, 2008, sortie prévue pour mai 2008, 450 pages.
10- Wafula Okumu, “At the root of the violence”, in Mail Guardian online 10 January 2008, http://www.mg.co.za/articlepage.aspx?area=/insight/insight__africa&articleid=328931;
11- L’International Magazine, « Présidentielle Kenyane : les résultats du « feu et du sang »… L’Union Africaine face a ses limites », Linternationalmagazine.com avec Pana, publié le 12 janvier 2008, voir http://www.linternationalmagazine.com/article1272.html
12- Gilbert Leonard, « L’Arche de Zoé liée à des laboratoires de recherche ! », in Journal Chrétien, mardi 27 novembre 2007, Voir :
http://www.cawa.fr/l-arche-de-zoe-liee-a-des-laboratoires-de-recherche-article001533.html
13- Barney Jopson, “Uneven spoils of economic revival”, in Financial Times, 13June 2007
14- Voir Philippe Marchesin, “La poussée de l’islamisme en Afrique de l’Est”, in Géopolitique africaine, 2003, http://www.african-geopolitics.org/show.aspx?articleid=3525: Les musulmans kenyans, estimés entre 8 % et 20 % de la population totale, sont pour la plupart installés le long de la côte et dans le nord-est du pays. Il existe un sentiment d’exclusion lié au fait que le pouvoir est majoritairement chrétien dont 40% protestants ou apparentés et 40% de chrétiens ou apparentés. L’amorce de démocratisation du début des années 1990 avait permis à cette communauté de se doter d’un moyen d’expression politique, l’Islamic Party of Kenya, fondé en 1992 par le Cheikh Khalid Balala. Interdite dans un premier temps pour communautarisme confessionnelle, une certaine radicalisation a émergé sous l’influence de prédicateurs étrangers – en provenance notamment du Soudan, qui se réclamait alors d’un islam radical et hébergeait Oussama Ben Laden. Si l’intégration dans les activités économiques est en marche malgré de nombreuses répressions policières et des rivalités intestines entre ONG musulmanes, certains courants islamistes minoritaires font parler d’eux de manière spectaculaire. Cela a consisté en une série d’attentats meurtriers, révélant au passage les connexions existantes entre les islamistes kenyans et leurs homologues moyen-orientaux et africains. Le Kenya a ainsi été deux fois la cible d’Al-Qaida ces dernières années : le 7 août 1998, une attaque-suicide contre l’ambassade américaine à Nairobi a causé la mort de 214 personnes ; quatre ans plus tard, le 28 novembre 2002, un double attentat anti-israélien a fait 12 victimes à Mombasa, sur la côte kenyane. La mission-suicide de 1998 comprenait des volontaires issus des « familles » saoudienne et égyptienne. Un Yéménite et des Somaliens ont été soupçonnés d’être impliqués dans les attentats de 2002.
15- Yves Ekoué Amaïzo, La neutralité coupable, op.cit.
16- Ignacio Ramonet, “L’Afrique dit “non””, in Le Monde diplomatique, janvier 2008, p. 1, voir [Le monde diplomatique->http://www.monde-diplomatique.fr/2008/01/RAMONET/15490]: “Cela s’est passé à Lisbonne, en décembre dernier, lors du IIe sommet Union européenne – Afrique, dont l’objectif principal était de contraindre les pays africains à signer de nouveaux traités commerciaux (les fameux APE) avant le 31 décembre 2007, en application de l’accord de Cotonou (juin 2000), qui prévoit la fin de la convention de Lomé (1975).
17- [www.moibrahimfoundation.org->http://www.moibrahimfoundation.org/french/newsroom.asp]