29/03/2024

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Kofi Yamgnane: « Faure Gnassingbé fait pire que son père »

Propos recueillis par Vincent Hugeux

Candidat à l’élection présidentielle du 28 février 2010, le Franco-Togolais Kofi Yamgnane analyse la brouille Paris-Lomé. Et réplique à ses détracteurs au sein du régime.

Candidat à l’élection présidentielle du 28 février 2010, le Franco-Togolais Kofi Yamgnane, qui fut secrétaire d’Etat à l’Intégration sous François Mitterrand, livre son analyse de la brouille diplomatique Paris-Lomé. Et réplique à ses détracteurs au sein du régime.

Pascal Bodjona, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, a tenu à démentir sur lexpress.fr avoir joué le moindre rôle dans l’expulsion d’Eric Bosc, premier secrétaire de l’ambassade de France à Lomé, et récuse toute animosité à votre égard. Que vous inspire cette mise au point?

Bodjona est le porte-flingue du président Faure Gnassingbé. Il m’a accusé d’avoir manqué de respect au chef de l’Etat. Mais qu’ai-je donc dit de la sorte? J’ai simplement émis deux jugements. Un, le bilan du président tient en une phrase: il a divisé l’armée, il a divisé le Rassemblement du peuple togolais (RPT, parti au pouvoir) et il a divisé sa propre famille. Deux, l’achat récent d’une Mercedes Maybach d’une valeur de 1 milliard de francs CFA, soit 1,5 million d’euros ou encore 3000 ans de salaire minimum togolais, et tout ça pour rouler dans les nids-de-poule de Lomé, constitue une insulte à l’intelligence et à la raison.

Pour le reste, je suis convaincu que Pascal Bodjona a joué un rôle dans l’éviction d’Eric Bosc. Avec son rang de ministre d’Etat, il est quand même le membre le plus haut-gradé du gouvernement après le Premier ministre. Pour ce qui me concerne, lui même m’a appelé pour me dire que je n’avais pas le droit de rencontrer les chefs coutumiers, ni de tenir des réunions publiques, et que je devais me borner à rencontrer mes sympathisants « individuellement ». « Ne croyez pas, m’a-t-il précisé, que c’est par faiblesse qu’on vous laisse faire. » Que faut-il entendre par là?

Pensez-vous qu’un autre illustre Franco-Togolais, le juriste Charles Debbasch, conseiller spécial du président Faure, a pu aussi être à la manoeuvre lors de cette séquence?

Debbasch est à la manoeuvre. Il n’est pas seulement le mentor de la caste blanche au service du pouvoir de Faure. Il est aussi et surtout le véritable président du pays. C’est lui qui dirige le Togo. Dès lors, tout ce qui peut entraver ses intérêts, notamment financiers, est à éliminer. Avec moi, il y a des chances qu’il ne resterait pas sur le territoire togolais. Et s’il y restait, il n’aurait plus accès au système mis en place à son profit, et qui lui vaut des revenus substantiels. Cela posé, il est normal que Faure le défende : c’est à lui qu’il doit son poste. Souvenez-vous du rôle joué par Debbasch à la mort de son père, Gnassingbé Eyadéma, en 2005. L’actuel président se comporte un peu comme s’il avait contracté à son égard une dette perpétuelle.

Vous rencontrez divers interlocuteurs français, à l’Elysée, au Quai d’Orsay, à la Coopération, à l’Assemblée nationale, au Parti socialiste… Qu’attendez-vous d’eux?

Je leur dis ceci; je ne suis pas venu vous demander votre soutien; lequel serait pour moi contre-productif. En revanche, dès lors que vous avez décidé, avec l’Union européenne, de financer la tenue du scrutin du 28 février, donnez-nous les moyens d’éviter la fraude. Envoyez des observateurs, mais pas l’avant-veille du jour J. Non, deux mois avant, afin de veiller sur les préparatifs. Fournissez-nous aussi une aide logistique, des urnes transparentes à double serrure. N’oublions pas que les Nations unies ont dénombré 500 morts après la mascarade de 2005. Il ne faudrait pas que Paris et l’UE viennent verser des larmes de crocodile sur des centaines de cadavres au lendemain d’une élection truquée. Si le scrutin est libre, démocratique et transparent, il n’y aura pas de contestation, et un président légitime émergera. Car la contestation amène la violence, et la violence amène la mort.

Vous êtes originaire du nord du Togo, fief électoral du clan Eyadéma. Pensez-vous que ce « pedigree » alimente la nervosité du pouvoir à votre endroit?

Oui.. Je suis d’ethnie bassar, et les bassars ont beaucoup collaboré au régime Eyadéma. Vous avez à la tête de l’armée une brochette de généraux et de colonels bassars.

Quand avez-vous décidé de descendre dans l’arène politique togolaise?

Ma décision a germé en 2005, sous le coup d’une émotion très vive. Je me suis alors dit qu’il était impossible qu’on installe un régime héréditaire au Togo. J’ai discuté à l’époque avec les leaders de l’opposition de l’hypothèse d’une candidature unique. Et je me suis rangé derrière le prétendant désigné, Bob Akitani. Au point de jouer un rôle de correspondant pour l’Europe et les Etats-Unis de la coalition qui le soutenait. On a ensuite assisté à un simulacre électoral, tendant à légitimer le coup d’Etat constitutionnel. Au début de son mandat, j’ai voulu laisser à Faure le bénéfice du doute. Mais je me suis rendu compte qu’il n’avait rien accompli. Il a beau se dire instruit, formé dans des pays démocratiques, il fait pire que son père.

Etes-vous disposé à rallier la candidature de l’opposant historique Gilchrsit Olympio?

Au Togo, le RPT n’a pas gagné une élection à la régulière. A l’inverse, le parti de Gilchrist Olympio l’a en fait emporté en 1993, en 1998, en 2003, en 2005, mais n’a jamais pris le pouvoir. Pourquoi en serait-il autrement en 2010? Je suis obligé d’en déduire qu’il existe un pacte entre les deux clans. Il ne sert à rien de tirer un coup de fusil en l’air de plus. Et il n’y a aucune raison que deux familles -les Eyadéma et les Olympio- prennent un pays entier en otage.

La France officielle semble pourtant encline à traiter Gilchrist Olympio avec bienveillance. Cela vous gêne-t-il?

Disons que cela me trouble. Et démontre que la France sarkozyenne ne fait pas une bonne analyse de la situation togolaise. Remplacer un Eyadéma par un Olympio, ce n’est pas une solution. On risque d’entrer alors dans une ère de revanche. Il y a eu tellement de crimes de sang et de crimes économiques au Togo. Et ce pouvoir a tant pratiqué la violence et l’impunité… Mon atout, c’est de ne pas être l’un des protagonistes de ces histoires-là. Je n’ai pas d’ennemi, je n’ai tué personne.

Dans un tel contexte, comment menez-vous campagne?

Je ne voyage jamais la nuit, je mange chez moi, j’emporte partout ma bouteille d’eau. Non que je pense le régime prêt à prendre le risque d’attenter à ma vie. Mais une tentative d’empoisonnement ne peut être exclue. Le financement est aussi une affaire compliquée. Je ne veux pas me trouver redevable de grands bienfaiteurs qui attendraient un renvoi d’ascenseur. Je préfère solliciter des amis, et engager une souscription à la Barack Obama : 10 euros ici, 15 euros là