28/04/2024

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Le Togo : Un pays divisé dans tous ses états

Par Atsutsè Kokouvi AGBOBLI

Dire que toute société humaine constituée est composite est une vérité de polichinelle. En effet, composées de familles rassemblées en clans, les clans en tribus, les tribus en ethnies, et, au-dessus des ethnies, des Etats-nations ou des Etats multinationaux comprenant particulièrement des forces structurelles que sont ethnies, les classes et couches sociales ou des catégories socioprofessionnelles sans oublier les groupements religieux divers, les sociétés humaines sont effectivement composites pour ne pas dire diversifiées. Elles le sont parce qu’elles sont innées et aussi pour des raisons des causes historiques.

Des raisons naturelles que l’on peut expliquer par le besoin et l’instinct de communication sont aux sources de la formation des familles, des clans, des tribus et des ethnies constituées autour de dogmes et valeurs culturelles identiques. Par contre, les causes historiques proviennent essentiellement du désir de reconnaissance de l’être humain, inné chez tout un chacun : raison d’être de tout être humain, ce désir de reconnaissance commande l’action humaine marquée généralement par le combat de la vie, sous-tendu par l’instinct d’affirmation individuelle, la soif des honneurs et l’appétit de richesses.

Composite dans une vie et un monde faits généralement de concurrence, de compétition voire de combat, toute société humaine constituée court néanmoins le risque d’être affaiblie voire désagrégée et de perdre son indépendance, d’une part, sous le coup de la division due aux rivalités entre ses différentes composantes, ou, d’autre part, sous l’effet de l’influence déstabilisatrice des forces et puissances étrangères dominatrices et conquérantes aidées en cela par des équipes gouvernantes manifestement peu clairvoyantes et peu efficaces.

Tel se présente aujourd’hui, notre pays, le Togo : d’essence composite, il est divisé pour le malheur de son peuple et de ses populations.

DES DIVERSITES TRIBALO-ETHNIQUES ET SOCIOLOGIQUES ORIGINELLES

Sur la base des données statistiques fournies par la Direction générale de la statistique et comptabilité nationale et datant du recensement général de la population et de l’habitat, effectué du 9 au 22 décembre 1981, notre peuple comprend une quarantaine de groupements ethniques repartis en fonction d’une dynamique interne de développement en catégories socioprofessionnelles.
En réalité, sur la base des données ethnologiques scientifiques notamment culturelles et linguistiques et en se gardant de considérations politiques et notamment tribalo-ethniques diviseurs, des regroupements peuvent être faits pour réduire considérablement ces groupements qualifiés comme des ethnies voire des nationalités. C’est ainsi que les Adja, Ahlon, Ehoué, Ewés, Kpessi, Ouatchi et Péda peuvent être se retrouver dans le groupe des Adja-Ewés.
Excepté les conséquences insoupçonnées des errements brutaux de la traite esclavagiste sur les relations entre quelques uns des divers groupements ethniques constitués, les rapports interethniques étaient suffisamment étanches pour que les groupements n’éprouvent pas, à l’heure de l’invasion, de la conquête et de l’occupation coloniale, des sentiments avérés de méfiance voire de haine les uns par rapport aux autres. Confinés presque tous à ses terroirs avec des dieux propres et ses croyances et pratiques religieuses particulières, rares étaient les groupements ethniques qui, à l’arrivée des conquérants étrangers, entretenaient entre eux des relations antagoniques avérés.

Certes, il se produisait parfois des frictions aux frontières des territoires des chefferies ainsi que des guerres de succession dynastique, créant des tensions entre groupements ou au sein d’un même groupement sans un appel systématique à la rescousse à des chefs locaux puissants.
Entre les fleuves Volta, à l’Ouest, et Mono, à l’Est, les membres des communautés humaines constituées tenaient beaucoup à leur liberté au point que dès qu’apparaissaient des dissensions insolubles, elles étaient généralement réglées par le départ des chefs de clans et des lignages pour aller constituer leur propre village.
Ainsi, la dernière grande migration des Ewés, à partir de Notsè, à une date qui reste encore à déterminer correctement, pouvait-elle s’expliquer en partie par le refus des chefs des clans et lignages de se fondre dans un seul et unique Etat sous le commandement du chef Agokoli. Dans leur dispersion voire migration vers le Nord-Ouest, ils tombèrent sur les conquérants ashantis occupant plusieurs contreforts des Monts du Togo et usèrent souvent plus de la diplomatie que de la guerre pour amener les occupants ashantis à se retirer ou à les accepter comme résidents.
Bien sûr que l’irruption de la traite esclavagiste transatlantique et la constitution des forts par les négriers européens changèrent radicalement la donne géopolitique générale : elle était désormais marquée par l’intervention constante des négriers puissamment armés dans les affaires des communautés constituées, contribuant à la formation de petits royaumes guerriers en conflits sanglants permanents les uns contre les autres pour la recherche et la capture du bois d’ébène.
Une situation qui eut pour conséquence de vastes mouvements de populations qui se sont manifestés par des migrations de clans et lignages vers des zones d’habitation et de refuge d’accès difficile, mieux protégées et de résidence plus clémente.

Mais, au sud de la zone, située entre région la Volta et le Mono, et baignée par l’océan Atlantique, ces émigrés forcés par des guerres et conflits de tous genres, trouvèrent un accueil favorable auprès des populations autochtones qui les accueillirent avec une hospitalité conviviale tant que les terres peu peuplées existent.
Pourtant, il y a une exception notable qu’il nous faut rappeler : entrés en conflit contre les Bassar et les Kabyais pour le contrôle de la route de la kola et les soumettre à leur influence, les chefs Cotokoli reçurent des renforts des cavaliers Djermas du Niger actuel pour y parvenir. Dans le Sud-Est, chez les Guins, le contrôle des taxes maritimes provoqua des conflits d’intérêts dont certains protagonistes bénéficièrent du soutien militaire des négriers européens, créant ainsi au sein de leur groupement ethnique des dissensions et rivalités dont les conséquences perdurent encore aujourd’hui.

Mais, globalement, entre les populations du Togo actuel les relations interethniques étaient loin d’être d’un antagonisme virulent à l’heure de l’irruption de l’impérialisme européen conquérant à la fin du XIXe siècle.
Par ailleurs, au plan de la dynamique de développement économique interne, ni la rente foncière généralement, née de l’appropriation privée et généralement de force du sol, ni les activités artisanales ni le commerce au grand cours résultant du besoin d’échange de produits lointains, n’ont contribué à un enrichissement hiérarchisant de la société : les chefs des villages et autres confédérations de villages, dirigeant généralement les communautés humaines constituées de façon harmonieuse à l’ombre de corps constitués, s’efforçaient de préserver la convivialité qui seyaient entre les membres d’un même clan ou lignage suivant le principe de l’assistance mutuelle permanente.
Sans notion poussée d’intérêt individuel doublé d’un individualisme exacerbé et devant l’appropriation collective du sol, et en l’absence d’un Etat représentatif des intérêts des couches sociales dominatrices et exploiteuses, il était quasi impossible que se structurent des inégalités voire des injustices flagrantes fondées sur quelconque complexe de supériorité.
Toutefois, ces relations de convivialité subirent de profondes mutations sous l’effet de deux facteurs extérieurs importants l’esclavage et la traite transatlantique, d’une part, et, d’autre part, l’invasion, la conquête et de l’occupation coloniales avec leur mode développement économique basée sur le capitalisme et sa stratification sociologique spéciale fondée sur l’enrichissement individuel.

AUX TENSIONS ETHNOCENTRISTES ET REGIONALISTES.

Dans une stratification ethnographique qui était loin d’être emprunte d’un antagonisme excessif, l’étranger dominateur et conquérant introduit les germes de la haine, de la zizanie, de la division et de la discorde, selon le vieux principe de « Diviser et régner » des conquérants.
Il en est de même de la stratification sociologique répartie à l’origine en catégories socioprofessionnelles peu différenciées propres à une société essentiellement agraire et comprenant de petits exploitants agricoles indépendants, divers artisans et quelques rares commerçants assurant l’échange entre producteurs agricoles et artisans relativement pauvres par manque de possibilité d’accumulation de richesses, sur laquelle se sont greffées progressivement, à l’instar des sociétés industrielles européennes conquérantes, des nouvelles structures sociologiques : ce sont de classes et couches sociales spécifiées en fonction de leur activité économique, et comprenant, à l’ombre des conquérants étrangers, outre une catégorie sociale particulière de mulâtres afro-brésiliens enrichis dans le commerce esclavagiste et interlope, une petite bourgeoisie politico-administrative, une petite bourgeoisie autochtone composée des membres d’un corps varié de planteurs enrichis dans la production de cultures d’exportation et de représentants d’arts et métiers modernes introduits par le colonisateur.
Entre les membres de ces différentes classes et couches sociales voire catégories socioprofessionnelles constituées et pour lesquelles l’enrichissement par le travail et d’autres moyens parfois illicites constitue les principaux facteurs de promotion sociale, le pouvoir colonial suivi plus tard par le gouvernement post-colonial a beaucoup contribué a structuré des inégalités de toutes sortes sur la base de l’acceptation ou du refus de la domination et de l’exploitation.
Née de l’irruption de la traite esclavagiste transatlantique et de la conquête coloniale, la nouvelle donne géopolitique offrait aux conquérants dominateurs maintes occasions pour se tisser des relations d’amitié voire de complicité avec des chefs et des notables locaux : attirés ou carrément achetés par des cadeaux insignifiants constitués généralement de fusils de traite peu performants, d’alcools et spiritueux de traite et de mauvais goût et de produits de verroterie de qualité douteuse, ils constitueront plus tard en tant qu’« amis » de l’étranger dominateur et conquérant les ferments de la division et de la dissension au sein du peuple et des populations.
S’y ajoutent des supplétifs les plus dociles des troupes coloniales conquérantes, considérés également comme « ses amis » par le colonisateur, pour ne pas dire ses agents, qui pouvaient se retrouver chef d’une de ces nouvelles chefferies constituées par l’envahisseur et conquérant sur les décombres des institutions politiques de la période anté-coloniale.
Choisis généralement pour leur propension à faire allégeance à l’occupant dans le but de jouir, aux dépens de leurs frères et sœurs, de menus avantages et privilèges, beaucoup de ces gens, devenus les interlocuteurs attitrés des occupants, servaient manifestement comme instruments de du conquérant étranger dominateur dans sa politique de diviser et régner.
Mieux, leurs descendants sont encore aujourd’hui choyés dans le but d’entretenir les germes de la division et de la dissension au sein des populations africaines pour le plus grand profit de l’étranger conquérant.
Comme facteurs de domination et d’exploitation, l’esclavage et la traite transatlantique ainsi que l’invasion, la conquête et l’occupation coloniale furent également des facteurs de différenciation sociale et d’enrichissement au sein des populations soumises.
Comme dans tous les contrées sous domination étrangère, au Togo, l’administration française s’est fondée sur l’opposition des groupements ethniques les uns aux autres pour asseoir son influence : face aux élites du sud du Togo, plutôt nostalgiques de l’influence tudesque, elle choisit dès le départ, au début des années 1920, de s’attacher l’amitié des populations du nord du Togo, une région longtemps maintenue comme une zone militaire après l’avoir été sous les Allemands de 1908 à 1912.
Une fois le Nord-Togo séparé du Sud-Togo et leurs populations tenues elles aussi éloignées les unes des autres, il fallait opposer dans chacune des ces régions les groupements ethniques les uns aux autres tout en s’efforçant de former une élite togolaise toute aussi divisée mais acquise à la présence et à l’influence de la puissance administrante.
L’indépendance proclamée le 27 avril 1960, marquait l’échec de toutes les tentatives de manipulation de l’antagonisme tribalo-ethnique pour empêcher le nationalisme togolais rassembleur de s’affirmer.
Mais, le coup de force militaire du 13 janvier 1963 qui ne cesse de peser sur le destin du peuple togolais, rompant le cours de l’histoire nationale, s’est voulu un retour délibéré à la politique coloniale de division par le biais de l’opposition planifiée des ethnies les unes aux autres, des régions entre elles et même de manipulation du confessionnalisme religieux.
Tous les secteurs de la vie sociale aujourd’hui sont infectés par une politique planifiée de culture de la haine, de la zizanie, de la division et de la discorde sur la base tribalo-ethnique au sein des populations. Avoir les facilités considérables données aux étrangers pour s’enrichir au détriment des populations togolaises, l’observateur averti des dures et éprouvantes réalités sociales et économiques togolaises des temps présents est en droit de se demander si bien des gouvernants togolais ne considéreraient la majorité des ressortissants togolais plutôt comme des ennemis.
Au lieu que l’action publique vise le développement et la réduction des inégalités sans distinction ethnique et régionale et crée ainsi la solidarité nationale, elle sert plutôt, au Togo, à structurer l’acrimonie, l’animosité, la haine, l’inimitié et l’hostilité entre les Togolais en promouvant l’enrichissement illicite effrénée d’une infime portion des privilégiés par le biais du népotisme, du favoritisme, du clientélisme, de la corruption, du détournement et de la dilapidation des deniers publics, de la concussion, du tribalo-ethnisme et du régionalisme.
De telles pratiques qui font fi de la compétence, de l’ardeur au travail et du mérite et surtout de l’article 38 de la Constitution stipulant qu’ «il est reconnu aux citoyens et aux collectivités territoriales le droit à une redistribution équitable des richesses nationales de l’Etat », créent des inégalités basées généralement sur des passe-droit et des prévarications de tout genre ne pouvaient que susciter chez l’écrasante majorité des populations, abandonnées à leur triste sort, des rancœurs tenaces.

DES SOLUTIONS HARDIES

Dès lors, pour les meilleures conditions pour promouvoir la paix civile, l’ordre intérieur et la sécurité publique et permettre aux populations togolaises sans distinction de vaquer tranquillement à leurs affaires et contribuer efficacement au succès d’une véritable stratégie nationale de modernisation industrielle du pays, des efforts réels méritent d’être faits par les gouvernants actuels en adoptant et en exécutant une véritable politique de réconciliation nationale.
Le succès de cette politique de réconciliation nationale passe inéluctablement par la reconnaissance des injustices et des torts historiques faits aussi bien aux individus, aux familles qu’aux groupements ethniques et collectivités territoriales constitués.
Il exige également et surtout la correction avec indemnisation des injustices et la suppression des inégalités incompatibles avec les dispositions pertinentes de la Constitution pour apaiser réellement les cœurs meurtris et ouvrir largement la voie à la repentance d’uns et aux pardons des autres.
A deux ans de la commémoration, le 27 avril 2010, du cinquantenaire de l’indépendance du Togo, arraché de haute lutte par le peuple togolais tout entier, le 27 avril 1960, à l’issue de la victoire des nationalistes aux élections législatives anticipées du 27 avril 1958, sous la direction d’intrépides combattants de la liberté et héros conduits par Sylvanus Olympio, le père incontestable de l’indépendance, l’opinion nationale toute entière attend avec impatience de la classe politique toute entière à commencer par les gouvernants qu’elle se surpasse.
Elle doit se surpasser pour s’entendre en vue de créer les conditions des retrouvailles nationales entre les Togolais sans distinction aucune pour un nouveau départ de notre pays par la refondation d’un véritable Etat national togolais appelé à promouvoir les intérêts de tous et le bien commun vers la modernisation industrielle et de la démocratisation de la société togolaise.

Par Atsutsè Kokouvi AGBOBLI