06/10/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Les violences politiques au Togo avant l’indépendance jusqu’à nos jours

Dans son ouvrage Histoire du TOGO, Monsieur Robert CORNEVIN, administrateur en chef de la France d’Outre Mer écrivait en introduction dudit document.
 » La silhouette du Togo fait penser à l’ombre chinoise un peu guindée d’un universitaire britannique en train de faire un faux pas vers la Gold Coast.  »
Situé en Afrique de l’Ouest, avec une superficie de 56.785 km², et une ouverture maritime sur l’océan atlantique, le Togo a des frontières avec le Burkina Faso au nord, le Bénin à l’est et le Ghana à l’Ouest.

Le pays a été une colonie allemande de 1889 à 1919. A la fin de la première guerre mondiale, suite à la défaite de l’Allemagne, le territoire a été partagé entre le France et l’Angleterre par le Traité de Versailles. La partie confiée à la grande Bretagne devait, plus tard, après un référendum organisé par les Nations Unies en 1956, être intégrée à la Gold Coast pour former le Ghana. La partie confiée à la France devait, en ce qui la concerne, bénéficier des dispositions de la Loi Cadre du Ministre de la France d’Outre-Mer, Gaston Defferre, pour devenir une République Autonome. La même année, un référendum a été organisé par l’Administration coloniale française en vue de le soustraire de la tutelle des Nations Unies et l’incorporer à l’Union française. En 1960, deux ans après les élections législatives d’avril 1958 sous la supervision des Nations Unies, le Togo accède à l’indépendance. Cette évolution de la situation politique du Togo traduit donc la volonté du peuple togolais de réaliser son unité et de conquérir sa souveraineté totale.

L’échiquier politique de l’époque était occupé par le Comité de l’Unité Togolaise (CUT), le Parti Togolais du Progrès (PTP) et l’Union des Chefs et des populations du nord (UCPN). Ces formations étaient animées par des leaders mûrs et intègres. Elles avaient chacune, leur mouvement des jeunes. Ainsi, nous avons, pour le CUT la Juvento, pour le PTP le Rassemblement des jeunes Togolais et enfin pour l’UCPN la Jeunesse du Nord.

Par ailleurs, la presse a, elle aussi, joué un rôle primordial d’information et d’éducation. C’est grâce à l’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qu’elle a vu le jour. Parmi les journaux qui paraissaient, il y avait le Guide du Togo, la Negreta, la Vigie Togolaise, le National, le Phare, la Lumière, le Petit Togolais et la Muse Togolaise.

L’émancipation du Togo s’est faite en plusieurs étapes d’un processus très mouvementé. En effet, dès le début de son existence, le pays a connu un climat politique controversé et jalonné de violences politiques.

LA PERIODE COLONIALE

Dans son livre, Histoire du Togo, la Palpitante quête de l’Ablodé, Monsieur Godwin TETE-ADJALOGO affirme…  » l’héritage ancestral, qui a imprimé aux Togolais un trait fondamental commun, réside en cette réalité que nos aïeux étaient tous, hormis les groupes résiduels originellement autochtones, des migrants venus de divers horizons à la recherche des cieux plus cléments que leurs berceaux d’autrefois. Plus précisément, ils avaient fui des régimes politiques tyranniques ou des difficultés écologico économiques. De la sorte, les Togolais sont foncièrement pacifistes, assoiffés de liberté, d’indépendance, de démocratie, de paix »

Avec cette soif de la liberté, il est permis de comprendre que les Togolais accepteront difficilement les exigences que leur impose la colonisation. Rappelons que l’objectif du colonisateur est bien précis, celui de faire du colonisé un être inférieur pour pouvoir bien l’exploiter. A cet égard, il va sans dire que la colonisation allait bouleverser l’environnement dans lequel vivaient les Togolais. Ainsi donc, la domination coloniale va se manifester principalement à trois niveaux :

– politique, par la destruction des autorités anciennes. La contrainte et la dictature imposées par le colonisateur remplacent les délibérations du conseil du village.
– économique, par la destruction de l’économie de subsistance. Les intérêts de l’administration coloniale constituent la principale priorité de ses objectifs
– culturel, par la destruction de la culture du colonisé. La culture coloniale devient la référence.

Pour maintenir sa domination, le colonisateur a utilisé des moyens matériels et idéologiques. Sa politique d’oppression se nourrit non seulement de violence physique et de division mais et, surtout, de son discours colonialiste.

Face à cette situation, les Togolais qui ne pensaient guère que leur univers politique, économique, social et culturel allait être bouleversé par l’administration coloniale, vont se révolter. A ce propos, le Professeur Herman ATTIGNON écrit :  » Le nouveau système institué par le colonisateur détruit les coutumes et les traditions de la société africaine, anéantit le monde dans lequel le noir évolue. Aussi, avec l’énergie du désespoir, les peuples togolais livrent-ils à l’envahisseur, une longue lutte semblable à la guérilla ».

En réalité, il n’existe aucune société humaine qui accepterait délibérément de se soumettre à un pouvoir illimité, qui plus est, oppressif. Les Togolais, conscients de leur situation de dominés, vont progressivement se défaire du joug colonial.

LA STRATEGIE COLONIALE ET L’EVEIL DE LA CONSCIENCE NATIONALE

Dans sa communication sur la Quête pour la reconstruction nationale, le Professeur François GBIKPI-BENISSAH rappelle … » si elle a permis l’émergence d’un sentiment d’unité, la colonisation a aussi permis la naissance de la conscience nationale. Non seulement, la colonisation crée la lutte pour l’indépendance, mais elle va jusqu’à en modeler le caractère.  »
Jean- Paul SARTRE écrit :  » C’est le colonialisme qui crée le patriotisme »

Ainsi donc, la lutte pour l’indépendance va être la première manifestation de la conscience nationale togolaise et constituer un tournant très important dans l’évolution politique du pays. Le peuple, à travers ses représentants, a exprimé sa volonté de souveraineté. L’administration coloniale, qui veut tout contrôler, va user de subterfuges pour déstabiliser cette volonté. Fidèle à sa devise « diviser pour mieux régner », elle va opposer les Togolais entre eux et va même imaginer un Togo scindé en deux, un nord et un sud, tout en encourageant la création de partis politiques à base ethnique et régionaliste. Ce clivage artificiel n’a rien modifié à la détermination du peuple dans son combat pour la liberté. La vie politique du Togo, au cours de sa longue marche à la souveraineté internationale est incarnée par deux familles politiques très actives à savoir, les forces nationalistes et les forces profrançaises. Cet éveil de la conscience nationale et cette volonté de souveraineté, ont un prix que l’administration coloniale va faire payer aux forces nationalistes. La stratégie mise en place par elle pour briser cette volonté de souveraineté, va bénéficier de moyens importants, financiers, humains et matériels. Pour y parvenir, elle va s’illustrer dans les basses manœuvres, dans la répression, la corruption et les assassinats.

Le National du 13 Juillet 1957, dans un flash, rapporte l’organisation par la Juvento de manifestations funèbres en l’honneur des compatriotes morts à la suite du massacre colonialiste à Mango et Pya les 20 et 22 Juin 1957.

Négreta dans sa parution d’Août 1951 écrit, en décrivant le théâtre d’une scène affreuse à Vogan,  » Les militaires, se croyant tout à coup à Verdun ou à Bir-Hakein, jouent de l’acier et font siffler les balles ici, là, blessés se trainent sans plainte et cadavres gisent.  »

Les autorités françaises ainsi que leurs agents locaux se sont opposés à la demande d’indépendance formulée par les forces nationalistes au motif que le Togo n’est pas viable. Par référendum en date du 28 Octobre 1956, l’autorité administrante a conclu que la grande majorité de la population a rejeté l’indépendance totale au profit d’une autonomie au sein de la République française. Les propos autorisés de Monsieur Guy MOLLET viennent confirmer cette option, lorsque ce dernier, en Février1957 à New York, déclarait devant l’Association de politique étrangère.  » Ainsi, dans le cas individuel du Togo, la population librement consultée par le moyen d’un référendum, a préféré l’autonomie au sein de la République française à l’indépendance absolue demandée par quelques groupes togolais.  »

LA LUTTE POUR L’INDEPENDANCE.

La France n’a jamais joué franc jeu dans ses relations avec les pays africains francophones dont le Togo. Elle s’est toujours, illustrée dans les coups bas, en cautionnant en matière électorale, des scrutins fantaisistes. Le refus par elle d’organiser ou d’appuyer des élections transparentes et crédibles constitue la cause principale des violences politiques dans le pays. Pour preuve, dans le mémorandum soumis par le Comité de l’Unité Togolaise (CUT) à la quatrième mission de visite de l’ONU au Togo en Mai et Juin 1957, il convient de relever notamment par rapport :

– aux libertés politiques.  » Pour réaliser les véritables aspirations des Togolais, il faut rétablir dans le territoire, la liberté politique complète, c’est-à-dire pour les individus ainsi que pour les partis politiques, la liberté de parole, de réunion et de mouvement. C’est une condition sine qua non pour toute consultation démocratique ».

– aux élections.  » Peut-on avoir une élection libre, une élection démocratique basée sur le suffrage universel dans un pays où les libertés publiques ne sont pas garanties, où l’administration elle-même ne tient aucun compte de cet élément si essentiel à la démocratie ? Tout est fait pour garantir que les résultats des élections soient le reflet du désir de l’administration »

– à la distribution des cartes.  » Les cartes électorales sont établies en fonction des listes électorales. Leur distribution doit être faite par les commissions prévues par la loi. Les représentants de tous les partis politiques doivent faire obligatoirement partie de cette commission de distribution.  »

– au rôle des chefs.  » Ces chefs ne doivent intervenir ni dans les réunions publiques ni dans le déroulement du scrutin. Si les chefs doivent prendre part à la préparation matérielle des élections, cette fonction doit être dans un esprit de neutralité.  »

– aux bureaux de vote.  » Il est de notoriété publique que si les bureaux de vote ne sont pas surveillés par les représentants des candidats, les résultats peuvent donner lieu à discussion.  »

Les revendications ci- dessus formulées constituent sans aucun doute, les ingrédients d’un scrutin libre, transparent et sans contexte. Les autorités françaises ne peuvent pas dire qu’elles ignorent ces conditions. C’est parce qu’elles les connaissent bien qu’elles vont s’employer malheureusement à les ignorer.

L’administration coloniale s’embarque dans une campagne d’arrestations, d’emprisonnement des membres des forces nationalistes. Flagellations, blessures et contusions diverses sont infligées aux hommes, femmes et enfants. Le sang a coulé pendant toute la période de la lutte pour l’indépendance. Les lieux de réunion sont interdits. Des domiciles privés ont été violés par les soldats armés qui intimidaient et brutalisaient les occupants. Les actes de banditisme sont monnaie courante, encouragés et commis par les autorités administratives et leurs partisans. Les diverses plaintes portées par les victimes de ces atrocités sont restées sans suite. Mieux, les auteurs de ces voies de fait, connus de la population, bénéficient d’une bonne protection pour service rendu aux autorités.

Le National, dans sa parution du 1er mars 1958 sous le N° 196 titrait : De l’impartialité de la France dans les opérations électorales Togolaises, rapporte les propos de Monsieur Gérard JAQUET, ministre de la France d’Outre- Mer déclarait le 25 février 1958 à la chambre des députés….  » La France qui restera strictement impartiale dans les élections ainsi qu’elle le fut lors du référendum, espère que les pays voisins du Togo sauront également éviter toute immixtion regrettable.  »

A la suite de cette déclaration, le National faisait remarquer :  » D’entrée, rassurons la France que si au Togo, il y a quelqu’un qui voudra asseoir une majorité fictive comme nous en connaissons depuis 1951, ce ne sera certainement pas les partis d’opposition dans leur ensemble mais bien le parti gouvernemental épaulé par l’administration française.  »

A partir de 1958, grâce aux élections organisées sous la supervision de l’Organisation des Nations Unies, les forces nationalistes ont remporté la victoire. A partir de cette date, le vent de la violence politique a changé de direction. Contrairement aux affabulations selon lesquelles, les violences politiques ont débuté au Togo au cours de cette période, il faut se rendre à l’évidence, par principe d’hygiène intellectuelle, qu’il s’est agi purement et simplement d’une période de règlements de comptes. On se rappelle, après la liesse qui a suivi la victoire des nationalistes, que des groupes de militants du CUT et de la JUVENTO de la région des plateaux avaient fait le déplacement de Lomé, aux fins de réclamer aux dirigeants de ces partis des armes pour défendre l’indépendance. Reçus au stade municipal de Lomé, le leader des forces nationalistes M. Sylvanus OLYMPIO leur avait expliqué que la jeune nation togolaise n’avait pas besoin de s’inscrire dans cette logique pour défendre son indépendance. Ce n’est qu’après cette démarche, que des jeunes militants et sympathisants s’étaient constitués en milices appelées « ABLODE SOLDIER ».

En effet, victimes des années durant, des brimades de tout genre, des assassinats, des traitements inhumains et dégradants, ces jeunes qui appartiennent à toutes les ethnies du Togo, s’étaient mobilisés contre leurs bourreaux pour se faire justice. A ce propos, il est opportun et intéressant de rappeler, à juste titre, qu’en France aussi, juste après la deuxième Guerre Mondiale, les patriotes français, ceux qu’on appelait les résistants et qui s’étaient rangés du côté du Général de Gaule pour combattre le régime de Vichy, n’avaient pas hésité un seul instant de régler des comptes aux « collabos ». Il va sans dire, que ce genre de comportement, tout à fait humain, doit interpeller la conscience de tous ceux qui, à un moment donné de leur vie, ont exercé ou exercent encore le pouvoir. L’histoire enseigne, pour faire œuvre utile, qu’il faut, dans de pareilles situations, que la vraie justice prenne le pas sur les humeurs et les comportements des citoyens, car il est à craindre que si le problème de l’impunité n’est pas correctement résolu, cette tendance à se faire justice soi-même, risque bien de s’imposer aux uns et aux autres. Ce qui, malheureusement, ne mettra pas fin au cycle de violence. C’est ainsi que le 13 janvier 1963, le premier Président, démocratiquement élu est assassiné. L’histoire retiendra qu’il s’agit du premier coup d’Etat militaire organisé sur le continent africain.

Ce même jour, le chef du comité insurrectionnel militaire de la République togolaise, l’Adjudant Chef Emmanuel BODJOLLE déclarait, à la fin de sa proclamation, au peuple togolais.  » Aucune répression ne sera exercée sur aucun citoyen togolais du seul fait des ses anciennes sympathies politiques.  » Il ne s’est agi que d’une simple déclaration d’intention car la roue de la violence à continué à tourner jusqu’au 13 Janvier 1967 où un coup d’Etat militaire, le deuxième du genre, écarta du pouvoir le président GRUNITZKY et libéra les Togolais emprisonnés à l’issue des manifestations du 21 novembre 1966.

Que s’est-il passé le 21 Novembre 1966 ?

Il y eut ce jour là, un soulèvement populaire face à une série de crises à la tête de l’exécutif entre le président GRUNITZKY et son vice- président MEATCHI et aussi au sein de l’assemblée nationale.

Commencées très tôt le matin de ce 21 Novembre 1966, les manifestations pacifiques regroupant les diverses couches sociales de la population ont eu lieu dans certaines villes du pays. Les manifestants réclamaient la démission du gouvernement. Le mouvement allait bon train, quand vers la fin de la matinée, brusquement et sans raison apparente, les forces de l’ordre ont commencé à charger les manifestants avec les moyens habituellement utilisés en de pareilles circonstances. Il y eut des blessés et par la suite, les autorités ont procédé à des arrestations.

Présence chrétienne, le bimensuel togolais catholique d’information , dans sa parution du 1er Février 1967, rappelle entre autres mesures prises par le chef d’Etat major général, la mise sur pied d’un conseil de réconciliation nationale ayant pour tâche, dans un délai de trois mois, de préparer les institutions devant permettre des élections libres et démocratiques à l’issue desquelles l’armée s’engage à quitter la scène politique. En effet aucune élection n’a été organisée dans le délai ci-dessus indiqué. Comme par enchantement, le Colonel Etienne EYADEMA, évinça le Colonel Kléber DADJO, président du fameux comité de réconciliation pour s’emparer du pouvoir en avril de la même année. Le 24 Avril 1967, le peuple apprenait par les médias officiels que le Colonel EYADEMA venait d’échapper à une tentative d’assassinat. L’auteur de cette tentative, Norbert BOKOBOSSO, un natif de Kouméa fut arrêté et certains soldats de cette ethnie ont été renvoyés de l’armée sans autre forme de procès. Personne n’a jamais su, par la suite, ce qu’est devenu le soldat BOKOBOSSO.

En 1970, un autre événement allait encore surprendre les Togolais lorsque ces derniers apprennent par les médias officiels que les Forces Armées Togolaises (FAT) viennent de déjouer un complot. Dans le communiqué gouvernemental paru dans TOGO-presse du 10 Août 1970 on pouvait lire…  » L’opération devait être déclenchée dans la nuit du samedi 8 Août. C’est au cours de la dernière réunion tenue au domicile de Monsieur Jean OSSEYI, ce samedi à 23 H 45 qu’un commando des FAT a mis la main sur les organisateurs du complot au nombre de dix-sept. Alors que tous ses complices se rendaient sans résistance au commando, Monsieur Clément KOLOR avait tenté de fuir malgré les injonctions du chef de commando. Il a été abattu.

Tous ceux qui, soi- disant étaient liés à ce complot furent arrêtés et incarcérés au camp militaire de Tokoin sans aucun procès. Ils y ont subi des sévices corporels et des traitements humiliants au cours de leur période de détention. Certains, selon la version, officielle sont morts de collapsus circulatoire. A leur libération, les survivants en ont gardé des séquelles qui ont été la cause de leur décès avant l’âge.

Au lieu de rompe le cycle infernal de violence, en s’investissant dans une véritable politique de réconciliation, les militaires avec à leur tête le Général EYADEMA, vont se servir du vocable « réconciliation » comme un slogan pour asseoir un véritable régime de terreur. Le coup d’envoi a été donné par l’officier supérieur James ASSILA qui organisa sur toute l’étendue du territoire national une expédition punitive au cours de laquelle des Togolais notamment des nationalistes ont été humiliés et battus en public.

De plus, la création en Août 1969 du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), parti unique qui, conformément à ses idéaux, devrait assurer le bonheur au peuple en lui donnant l’occasion de se réconcilier avec lui-même, l’avait malheureusement asservi et divisé. Le RPT va instituer un système de terreur qui va régler quotidiennement la vie des Togolais. Les différents rapports d’Amnesty International et de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme ont, des années durant, dénoncé les arrestations arbitraires, les détentions abusives sans jugement, les disparitions et les exécutions extrajudiciaires. La répression devient un principe de gouvernement. Pendant plus de trente ans, elle a fait recette. Mais le système va être déstabilisé par une série d’attentats à l’explosif dans la capitale. Le pouvoir dictatorial ainsi secoué, va commettre des dérives qui vont se solder par des violences, des arrestations et des emprisonnements.

Dans la nuit du 23 Septembre 1986, des coups de feu retentissent à Lomé. Le lendemain les Togolais apprennent que leur pays vient d’être la cible d’une agression terroriste. La TVT diffuse des images de cadavres, de terroristes arrêtés et de véhicules criblés de balles.

LE COMBAT POUR LA DEMOCRATIE.

L’histoire nous apprend qu’une société humaine ne saurait accepter délibérément de se soumettre à un pouvoir illimité. Lorsque le vent de la démocratie a commencé par souffler sur le monde après la chute du rideau de fer et l’écroulement du mur de Berlin, les populations assujetties et opprimées vont se soulever contre les régimes dictatoriaux. La jeunesse togolaise, sans aucune étiquette politique, va s’illustrer à la tête du combat pour la démocratie. Le président de la République farouchement accroché à ses privilèges, n’est pas disposé à opérer une quelconque ouverture surtout que son ami Jacques CHIRAC, à l’époque maire de Paris, fait une déclaration à radio France Internationale (RFI) dans laquelle il estime que…  » le multipartisme est une sorte de luxe que les pays en voie de développement n’ont pas les moyens de s’offrir.

Le journal Jeune Afrique dans son numéro 1542 du 18 Juillet 1990 écrit : » Après avoir, un moment, fait miroiter à l’élite togolaise, l’avènement du multipartisme, GNASSINGBE EYADEMA a simplement rangé son projet dans un tiroir, à la demande du peuple, qui l’a rejeté, au terme d’une série de manifestations favorables au parti unique dont la spontanéité reste à prouver.

La réponse des populations consultées est assez claire, il faut changer ce qui ne va pas et ne pas changer ce qui marche, en a conclu le père fondateur du Rassemblement du peuple Togolais (RPT) parti unique « et le journal de poursuivre en reprenant une partie de la lettre ouverte adressée le 24 Avril 1990 au président EYADEMA par la convention démocratique des Peuples Africains (CDPA-TOGO)  » A l’heure où le monde entier et l’Afrique s’éveillent à la démocratie, que partout souffle le vent de la liberté, le peuple togolais n’accepte plus d’être esclave sur son propre sol »

C’est sous la contrainte de la rue, des bailleurs de fonds internationaux que le Togo sous EYADEMA cède à la demande de la population qui revendique l’ouverture à la démocratie pluraliste. Ainsi le 05 Octobre 1990, les jeunes vont, dans la capitale, organiser des manifestations au cours desquelles, des véhicules administratifs sont détruits et certains bâtiments abritant les services de commissariat de police, considérés comme des centres de détention et de torture sont saccagés. Le président togolais, obligé d’accéder aux revendications du peuple, va tout mettre en œuvre pour contrôler le processus.

Sous une démocratie de façade, on fait parler les urnes mais le résultat n’est pas l’expression de la volonté souveraine du peuple mais plutôt de la puissance du prince.

Après plus de trente ans de règne sans partage, le Président EYADEMA, dont le pouvoir a été marqué par des violations massives des droits de l’homme et des assassinats politiques n’entend nullement abandonner un fauteuil qu’il occupe allègrement depuis des décennies. Il va élaborer, avec le concours des réseaux étrangers des théories sur la démocratie en vue de légitimer son pouvoir. Il va instaurer un climat de peur et de terreur en procédant à des arrestations, enlèvements, intimidations et assassinats. Pour ce faire, il va développer une gamme de stratégies notamment : la contrainte avec le concours des éléments des forces armées et de police ainsi que des milices, pour les enlèvements et les assassinats, les finances de l’Etat pour la manipulation et l’achat des consciences.

LES VIOLENCES POLLITIQUES ET LE REGNE DE L’IMPUNITE

A partir du 05 octobre 1990, le Togo rentre dans un cycle infernal de violence. Les rues sont le théâtre des manifestations qui dégénèrent souvent en affrontement entre les manifestants et les éléments des forces armées, de la police ainsi que des miliciens du régime. La lutte pour l’avènement de la démocratie tout comme celle de l’indépendance va coûter cher à la population dans toutes ses composantes .Le processus est émaillé d’actes graves de violence et de violations massives des droits de l’homme que l’opinion nationale et l’opinion internationale ne cessent de dénoncer dans leurs différents rapports. Le sang a coulé partout sur le territoire national.

Les plasticages des maisons, les cadavres de la lagune de Bè le 14 avril 1991 et le massacre des militaires lors de l’assaut donné le 3 décembre 1991 par un groupe de militaires au palais abritant les services du Premier Ministre de la transition sont le commencement éloquent d’une série noire. Les attentats de Soudou ont enregistré des blessés dont le leader de l’Union des Forces du Changement (UFC) M. Gilchrist OLYMPIO et des morts parmi lesquels le docteur Marc ATIDEPE.

Les assassinats ciblés de Gaston EDEY et de Tavio AMORIN pour ne citer que ceux là, les tueries du jardin Fléau, lors d’une mission franco- allemande conjuguées, quelques jours après, avec une expédition punitive déclenchée par certains éléments des FAT et des miliciens du RPT se soldent par des morts, des blessés, des destructions de biens, des actes de vandalisme et des déplacements des populations à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Les auteurs de ces différents actes criminels sont connus de la population, des victimes et des parents des victimes. L’onction donnée par les commanditaires et la protection dont bénéficient les malfaiteurs et les assassins suffisent pour comprendre que ces crimes sont effectivement prémédités et intentionnellement commis pour répondre aux besoins d’un système politique agonisant. Le peuple endeuillé va s’exiler dans les pays limitrophes.

Le président EYADEMA va faire de l’impunité une doctrine et hisser la répression au rang de principe de gouvernement.

Les différents scrutins, législatifs et présidentiels, organisés dans le pays depuis 1994 jusqu’en 2005 vont baigner dans le sang.

LA CULTURE DE LA VIOLENCE, FONDEMENT DE LA PERENNITE DU POUVOIR.

La violence a constitué un facteur permanent de l’histoire politique togolaise pendant le règne du président EYADEMA. Cette violence s’est notamment manifestée par des pratiques répressives contre les partis de l’opposition et contre tout adversaire réel ou potentiel aux fins de pérenniser un pouvoir et un système.

Depuis 1994 jusqu’à 2005, le pays a régulièrement connu des cycles de violence pendant le déroulement des différents processus électoraux. Lorsque les résultats des élections ont été annoncés par le ministre de l’intérieur le 24 Juin 1998 au matin, une marche de protestation qui s’en suivie a été dispersée à coup de grenades lacrymogènes. On assiste alors à une augmentation inquiétante de la criminalité faisant régner un véritable climat d’insécurité au Togo.

Le rapport de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) dans son numéro 269 de janvier 1999 relève que « le 26 Juin vers 12 Heures et 13 Heures, deux camions de forces mobiles déversent des gendarmes qui tapent sur toutes les personnes présentes à proximité du siège de l’UFC. Le 28 Juin, une grande marche réunissant plusieurs milliers de personnes est dispersée par des gendarmes anti-émeute. Les mêmes gendarmes interviennent à nouveau au siège de l’UFC, blessent 42 personnes, mettent à sac les bureaux de l’UFC et pour finir y mettent le feu ».

La situation des droits de l’Homme au Togo est alarmante. Depuis le début de la contestation post-électorale, on dénombre pratiquement chaque semaine des agressions souvent mortelles. Ainsi, les assassinats de militants et de sympathisants de certains partis politiques, les meurtres de certains citoyens, la chasse aux militants de certaines formations politiques, les plasticages de sièges de partis politiques ainsi que les destructions de maisons de certains leaders politiques ont malheureusement rythmé, pendant cette période, la vie des togolais.

Les actes d’agressions pour les mobiles d’ordre politique se sont multipliés. Les auteurs de ces actes criminels ont été identifiés par des témoins. Ce sont souvent des éléments des forces armées, des forces de sécurité et des miliciens du RPT travaillant de concert avec eux. La situation était telle tout homme animé d’un sentiment d’humanité ne pouvait rester indifférent face aux horreurs. C’est ainsi que le journal la Dépêche, un organe d’information pourtant proche du régime, dans un article paru le 15 Octobre 1998, mettait en cause des éléments des forces armées togolaises dans le climat d’insécurité qui règne sur une partie du pays. Pour le régime en place il s’agit là d’un crime de lèse-majesté politique au premier chef. L’auteur de l’article incriminé l’a appris à ses dépens puisqu’il a été arrêté et emprisonné.

Le président EYADEMA a dirigé le Togo pendant plus de trois décennies dans un total non respect de la bonne gouvernance, des droits de l’homme et des pratiques démocratiques. S’étant opposé dès le début des années 1990 aux aspirations du peuple, et forcé finalement à aérer le paysage politique sous la pression conjuguée du peuple togolais et des bailleurs de fonds, le président EYADEMA va s’illustrer en vedette d’une pseudo démocratie. Le traumatisme qui entoure l’avènement de la démocratie au Togo est assez éloquent. Le pays présente en apparence toutes les garanties requises pour asseoir une véritable démocratie. Mais chaque fois que le peuple est appelé à choisir ses dirigeants, des obstacles apparaissent et des blocages de tout genre sciemment pensés, interviennent pour empêcher toute possibilité d’alternance pacifique même lorsque le décès crée les conditions d’un tel changement. Les Togolais, malheureusement, vont en faire l’amère expérience.

Le décès du président EYADEMA, survenu le 5 février 2005 vient compliquer une situation rendue déjà difficile par une crise ouverte depuis 1990. Le pays va baigner dans une nouvelle crise politique sans précédent caractérisée par d’importantes irrégularités dans la gestion de la vacance et par de graves tensions et violences .Le fameux coup d’Etat militaire qui a hissé au pouvoir le fils du défunt président, conjugué avec une série d’acrobaties constitutionnelles et de manifestations de rues, a crée les conditions objectives d’un affrontement que tout observateur ou tout citoyen avisé ne pouvait pas ne pas redouter

Le GRAD avait fait des appels et entrepris des démarches auprès des différents acteurs politiques, des responsables des institutions de l’Etat et des représentants des organisations internationales et missions diplomatiques accréditées au Togo pour qu’un système soit mis en place pour ramener le calme et la sérénité avant toute organisation du scrutin.

Dans la nuit du 21 au 22 Avril 2005, le Chef d’Escadron François BOKO, ministre de l’intérieur en charge de l’organisation de l’élection présidentielle a démissionné. Au cours d’une conférence de presse, il a demandé que l’élection soit reportée en raison du climat politique délétère dans lequel s’est déroulée la campagne électorale.

De la même manière que les initiatives du GRAD n’ont pas été prises en compte, de la même manière peu d’intérêt a été accordé à l’acte posé par le ministre de l’intérieur qui est un officier des forces armées togolaises. Il sera traité de tous les noms. C’est ainsi que ce qui devrait arriver, se produisit. L’élection du 24 Avril 2005 a atteint un degré jamais enregistré de violence

Dans ses conclusions, la Commission Nationale Spéciale d’Enquête Indépendante relève entre autres que les actes de violence et de vandalisme survenus au Togo avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 Avril 2005 sont sans précédent dans l’histoire de ce pays par le nombre de morts (154), de blessés (654) et de personnes refugiées dans les Etats voisins sans oublier le nombre très élevé de dégâts matériels.

Dans son rapport du 29 Août 2005 la Mission d’Etablissement des Faits commise par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU, fait état du caractère massif et de la gravité des actes et des manifestations des violations des droits de l’homme attestés par le nombre élevé des victimes ( entre 400 et 500 morts et des milliers de blessés), l’ampleur des disparitions, l’utilisation à grande échelle de la torture et des traitements inhumains et dégradants, les destructions systématiques et organisées des biens et des propriétés ainsi que les déplacements de populations à l’intérieur et à l’extérieur du Togo.

Que faut-il faire pour mettre fin aux violences et aux violations des droits de l’homme, et susciter la confiance des Togolais aux fins de pouvoir les rassembler face à un avenir commun ?

Pour réaliser un tel objectif, il est indispensable d’éradiquer tous les ingrédients qui concourent à la culture de la violence notamment, les pratiques de terreur, l’intolérance, la répression et l’impunité. D’entrée de jeu, il faut écarter toute initiative axée entre autres sur:

une loi d’amnistie
une politique dite de concorde nationale
une réconciliation Armée-Nation
une caravane de pardon
une commission dite de réconciliation nationale

Toutes ces formules et celles qui en découleraient ne pourront en aucun cas attaquer le mal à ses racines. Elles vont au contraire, empirer la situation car elles constitueraient une insulte à l’intelligence humaine et un mépris pour les victimes et les parents des victimes.

Par contre, il sied de concevoir un mécanisme basé sur la vérité et la justice et, ayant pour objectif la réparation. A ce stade, d’aucuns pensent déjà à l’expérience sud-africaine avec la Commission Vérité et réconciliation. Il est vrai que cette Commission a fait du bon travail, mais il faut se garder de l’implanter dans les lumières et ténèbres du Togo, sans mener les réflexions nécessaires afin d’éviter des dérapages. Chacun doit avoir à l’esprit que les Togolais n’ont pas la même culture que les Sud-Africains. Il est important de rappeler que l’Afrique du Sud est un pays multiracial et pluriethnique. Le passage sans heurt du système de l’apartheid à la démocratie est l’œuvre de tous les Sud Africains avec à leur tête deux grands leaders que sont MANDELA et de KLERK.

Le Togo, uni racial et pluriethnique fait difficilement la mutation de la dictature à la démocratie à cause d’une catégorie de sa population qui est réfractaire à l’idéal démocratique. De plus, le pays n’a pas de leaders de la trempe de MANDELA et de KLERK. Les pratiques totalitaires sont toujours en vigueur dans le pays. Aucun changement fondamental n’est encore opéré.
Face à ce constat, il faut faire preuve d’imagination et prendre le temps qu’il faut avant d’installer une telle commission si cette option venait à être retenue. Pour être crédible, elle doit comprendre en son sein des personnes de bonne moralité, de probité et d’intégrité. Elle doit être indépendante vis-à-vis du pouvoir politique et son rôle ne sera pas de rendre la justice mais plutôt de rechercher par tous les moyens la vérité.

Le principe de vérité doit se traduire par la mise en lumière complète et objective des actes de violation des droits de l’homme, de la nature et des circonstances de ces actes, des listes des victimes, des disparitions, de l’évaluation des biens et des propriété détruits et de la détermination des responsabilités.

La justice doit être une mesure d’éradication de l’impunité qui a consacré la violation des droits de l’homme et la culture de la violence. Pour que la justice soit bien rendue, il doit être mis en place un pouvoir judiciaire indépendant et rigoureux qui punit les malfaiteurs quelle que soit leur puissance et dédommage les victimes quelle que soit leur faiblesse. Une justice crédible doit pouvoir mener des enquête indépendantes et impartiales respectueuses à la fois des droits de la défense et des droits des victimes à la vérité et à une réparation équitable.

Ce n’est que lorsque les étapes de la vérité, de la justice et de la réparation équitable seront franchises et que le Togo cessera d’être un pays où

● le troupeau conduit le berger
● l’argent a plus de valeur que le citoyen
● l’humeur d’une minorité est considérée comme la loi suprême
● les caprices de certaines personnes ont force de loi

que les Togolais pourront, à partir du présent, exorciser le passé, pour mieux réaliser le futur.

La tâche ne sera pas aisée. Elle sera très difficile et c’est pour cela que toutes les énergies doivent être mobilisées pour permettre à la confiance de prendre progressivement place dans la société. La réconciliation qui doit s’installer dans les cœurs n’est pas un slogan, et ne doit en aucun cas l’être.

Il sied de préciser que le processus vérité, justice, réparation équitable n’est que le premier volet de la réconciliation. Il va falloir ensuite se pencher sur le second volet qui aura pour mission de régler tous les problèmes d’injustice sociale crées depuis des années, notamment les expropriations arbitraires pour cause d’utilité publique par rapport auxquelles le fait du prince a bafoué les principes intangibles universellement reconnus et les dispositions pertinentes, claires et non équivoques du décret N° 45-2016 du 1er Septembre 1945 réglementant au Togo l’expropriation pour cause d’utilité publique

Plus qu’une obligation de comportement, la réconciliation est un idéal par rapport auquel chaque Togolais doit accepter de se remettre sans cesse en cause et de se déterminer dans les actes de la vie quotidienne. Il faudra de l’audace et des sacrifices pour pouvoir faire ensemble œuvre utile.

Et comme l’a dit le président Nelson MANDELA « Le moment est venu de cicatriser les blessures. Le moment est venu de combler les abîmes qui nous séparent. L’heure de l’édification a sonné.  »

GRAD
Lomé le 12 mars 2008