Le leader du CAR, Me Yawovi AGBOYIBO a justifié en ces termes la présence de son parti à la cérémonie de Présentation de vœux au Chef de l’Etat
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« La décision du CAR de répondre à l’invitation à la cérémonie de présentation de vœux du 30 décembre 2005, s’inscrit dans la logique du nouveau type de rapport que l’opposition entretient avec le pouvoir après le scrutin présidentiel du 24 avril 2005. Tout le monde sait que les diverses formations membres de la Coalition ont consenti des efforts pour rencontrer le Chef de l’Etat et échanger avec lui. Et nous sommes présentement dans la phase préparatoire du dialogue national. Cette préparation est bien sûr, d’abord, politique. Mais elle est aussi et surtout psychologique. Il va de soi que le nouveau dialogue sera stérile à l’instar des précédents, s’il venait à se dérouler comme par le passé dans un climat malsain de méfiance et de suspicion. Il revient aux participants de faire en sorte qu’il n’en soit pas ainsi. Il importe pour cela qu’ils se mettent mutuellement en confiance. Cela suppose qu’on évite tout ce qui pourrait être perçu comme rejet d’un partenaire aux discussions. Et l’observation vaut tout particulièrement pour le Chef de l’Etat, l’interlocuteur numéro 1 de l’opposition. Il est vrai qu’on attend de ce dernier une réelle démarcation par rapport aux conservateurs du régime notamment sur des sujets cruciaux telles que la question de l’impunité, la célébration du 13 janvier… Mais il est encore trop tôt de poser un acte équivalant à un refus de l’accepter comme interlocuteur. C’est pour cette raison que notre parti à répondu à son invitation comme il l’a fait le 27 mai, le 18 août et le 18 novembre 2005. Je m’en voudrais de ne pas vous faire remarquer que par delà cette explication de circonstance, notre décision trouve son fondement dans la méthode politique du CAR telle qu’elle est écrite dans mon ouvrage ‘’Combat pour un Togo démocratique’’ (voir extrait ci-dessous). »
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« En quoi consiste la méthode du CAR ?
Les deux composantes : Pressions et Dialogue
Notre démarche politique, avons-nous fait remarquer, ne procède pas d’un a priori. Elle est le produit de diverses expériences. De ces expériences nous avons tiré un certain nombre de règles de conduite qui fondent la spécificité de nos options politiques par rapport à celles des autres courants de l’opposition, notamment en ce qui a trait au rôle à assigner aux pressions populaires et au dialogue dans la stratégie politique.
Première composante : les pressions
Nous étions animés dès le départ par la conviction qu’il est illusoire de tenter d’amener le régime en place à accepter des changements démocratiques s’il ne voit pas en face de lui une force qui le contraigne à se remettre en cause.
Nous ne sommes pas de ceux qui croient pouvoir recourir à l’exhortation pour faire évoluer le système en place. On ne change pas une situation persistante comme celle du Togo en se contentant d’aligner de beaux arguments. Il faut préalablement s’entourer des éléments de force susceptibles d’assurer l’efficacité du schéma proposé. C’est du reste pourquoi il est périlleux de miser sur des idées dont on se sent porteur pour prétendre changer le système de l’intérieur. II va sans dire que des clichés purement intellectuels ont rarement un impact durable sur la réalité politique. L’idée n’est un véritable paramètre politique que si elle est l’expression d’une aspiration partagée par les consciences. Mais encore faut-il savoir la transformer en force politique. La manière la plus sûre de s’y prendre est de procéder de l’extérieur et d’établir un nouveau rapport de forces qui garantisse le changement voulu. Mais lorsqu’on veut au contraire y parvenir de l’intérieur en comptant sur la gentillesse des tenants du système en place, il y a de fortes probabilités que l’on soit déçu. Car un régime ne peut tolérer pour longtemps en son sein des individus identifiés comme étant des menaces pour sa survie. Il finit tôt ou tard par les éjecter ou les absorber.
Il est donc illusoire de vouloir changer un système sans constituer en face une force politique.
La force politique dont je fais état n’a bien sûr rien à voir avec la violence. Je ne pense pas que la violence politique et son stade ultime la guerre civile soient des méthodes efficaces pour bâtir une démocratie durable. La violence constitue, à mes yeux, la voie royale vers la prise en otage et la souffrance des peuples. Loin de contribuer à construire un État moderne, elle aide au contraire à le détruire et à asseoir un ordre despotique et totalitaire.
La pression politique telle que nous la concevons repose donc sur le concept de la non-violence. Une non-violence à ne pas confondre avec celle de la colombe. Elle se veut dissuasive, inquiétante. Elle est constituée, pour l’essentiel, par la mobilisation des populations, la synergie des forces opérant pour le changement et le soutien de la Communauté internationale. La pression, c’est aussi et surtout, la résistance aux pressions. C’est le fait de dire non aux séductions, aux intimidations et autres manœuvres visant à empêcher l’acteur politique d’agir en harmonie avec sa conscience.
Elle suppose une énergie intérieure sans laquelle la résistance extérieure n’est que de l’hypocrisie.
Elle peut alors réellement inquiéter. Lorsque les forces conservatrices sentent en face d’elles des âmes inflexibles dans la poursuite du bien, elles finissent toujours par céder.
Aussi ne puis-je admettre à l’avant-garde de la lutte politique des individus vulnérables du fait de l’encombrement de leurs ambitions et de leur propension à vouloir utiliser tous les moyens pour les satisfaire.
Et ce n’est pas un fait du hasard si j’ai eu du mal à m’accorder avec plusieurs collègues leaders de l’opposition sur la finalité des pressions populaires, qu’il s’agisse de la grève générale du 6 juin 1991, de la grève illimitée du 16 novembre 1992 etc.
A chacune de ces occasions, il nous est apparu que, pour nos partenaires, le mouvement enclenché ne devrait s’arrêter qu’avec la reddition physique immédiate du régime. Bien souvent, au CAR, nous avons été en désaccord avec eux. Il va en effet de soi que, sauf circonstances exceptionnelles, le scénario du renversement immédiat des dirigeants de la place ne peut se réaliser sans que les manifestations pacifiques ne se pervertissent en scènes de violence à l’issue incertaine. L’incitation à une telle perversion implique l’adhésion à un présupposé éthique : utiliser tous les moyens, y compris les sacrifices humains, pour accéder au pouvoir. II se trouvait parmi nous des partis dont l’orientation s’inscrivait dans la droite ligne de cette option. Et ils en éprouvaient d’autant plus la tentation qu’ils s’attelaient davantage à susciter et à contrôler les mouvements de rue pendant que d’autres sillonnaient les hameaux pour sensibiliser les populations au mouvement démocratique. Nous en étions effrayés au CAR. Nous savions que la lutte que nous menions était pleine d’aléas, y compris les risques de pertes de vies humaines. Et Dieu seul sait le nombre de nos militants jonchant le parcours : ceux massacrés dans la lagune de Bè, les morts d’Agbandi et de Diguina, le député élu Edé Gaston et ses compagnons brûlés vifs le 13 février 1994, Kégbé Koffi tué le 29 septembre 1998 par balles de pistolet dans l’anus… Mais nous ne concevons pas que nous puissions délibérément envoyer des citoyens à l’abattoir en nous mettant à l’affût pour « ramasser » en contrepartie le pouvoir qui viendrait à tomber sous l’effet du chaos provoqué. En fait le CAR ne pouvait se rallier à la transformation des manifestations pacifiques en lutte sanglante sans sortir de sa ligne politique fondée sur la non-violence. Pour nous la finalité des pressions ne fait pas de doute : contraindre le régime à accepter que les élections se déroulent dans des conditions qui permettent aux citoyens de confier leur destin à des dirigeants de leur choix. Pour y arriver, point n’est besoin de passer par la violence. L’important est de savoir faire preuve de fermeté. Mais en même temps de patience. Tôt ou tard le rapport des forces finira par s’inverser dans le sens conforme aux aspirations des populations. Le dialogue sera alors réellement utile pour parachever l’œuvre commencée.
Deuxième composante : le dialogue
Le dialogue est l’art de tirer avantage des pressions. Il est un paramètre indissociable de notre technique politique. C’est pour cela que durant six mois, notre parti s’est battu contre la campagne médiatique menée par les partisans de Gilchrist Olympio pour la mise en échec du dialogue initié le 20 novembre 1998 par le pouvoir sous la pression des forces populaires et de l’Union européenne. On se souvient qu’après la prise de contact du 20 novembre, le Chef de l’État avait invité les partis d’opposition pour les 5 et 9 décembre 1998, en vue de définir les préliminaires du dialogue.
L’UFC d’Olympio refusa de participer aux réunions. Le CAR … estima qu’il fallait aller écouter le Chef de l’État et lui faire part de nos conditions pour la participation au dialogue.
Quel scandale ! Que de propos injurieux et diffamatoires n’ai-je endurés de la part des médias privés relayés, de façon étrange, par la télévision nationale à travers les fameuses revues de presse hebdomadaires.
Toutes sortes d’absurdités furent véhiculées à mon endroit : « Comment se fait-il que Me Agboyibo accepte le dialogue avec Eyadéma, alors que Gilchrist Olympio dit non ! C’est de la trahison ! Il s’est laissé aussi acheter ! Il a rejoint le RPT !… ». Notre parti, bravant ces propos mensongers, prit sur lui de répondre aux invitations successives et s’employa chaque fois à amener le Chef de l’État à reporter le débat sur les préliminaires du dialogue de manière à ce que tous les principaux protagonistes de la crise y soient associés. Dieu merci, après trois tentatives infructueuses, la classe politique s’est retrouvée au complet le 24 décembre 1998, pour choisir d’un commun accord les facilitateurs des négociations. Avec le concours de ces derniers, le dialogue proprement dit s’est ouvert à Lomé le 19 juillet 1999. Et c’est grâce à la convergence de vues, entre le CAR et l’UFC, que nous avions pu obtenir du pouvoir, les mesures qui ont suscité l’adhésion de nos populations à l’Accord-cadre du 29 juillet 1999. Fallait-il tant de blessures morales pour en arriver là ? Nous les avons, pour ce qui nous concerne, vécues comme le prix à payer pour notre attachement au dialogue.
Nous ne saurions, au CAR, adhérer à un processus de pression qui serait réticent par principe au dialogue et chercherait à atteindre le résultat poursuivi en provoquant une situation de chaos. Le bon stratège est celui capable de conquérir en un temps record la cible visée avec ses richesses humaines et matérielles intactes. Il est rare qu’un parti politique prenne la tête d’un pays acculé à la ruine sans être emporté par les décombres. Une victoire conquise par l’humiliation de l’adversaire est la plupart du temps une défaite en sursis. Il faut savoir user de sa position de force pour concilier, au moment opportun, les intérêts en conflit.
La politique met essentiellement en scène des individus et des groupes d’individus qui par-delà les questions de portée communautaire et générale, sont soucieux de leurs intérêts. Aussi, pour être efficace, le dialogue politique doit être conçu de manière à conduire à des solutions qui prennent en compte, à la fois, l’intérêt général et les préoccupations particulières des protagonistes. Et en vérité, c’est par une régulation judicieuse des intérêts particuliers que le dialogue peut conduire à un équilibre général durable. Pour cela, il faut qu’il s’appuie sur un code éthique qui guide, non pas le déroulement formel des discussions, mais l’état d’esprit des partenaires ».
Extrait de l’ouvrage
‘’Combat pour un Togo démocratique’’
Editions Karthala, pp 115 à 119
de Me Yawovi AGBOYIBO
Publié dans ‘’Le Changement’’ n° 004 du 05 janvier 2006
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