Me Yawovi Agboyibor, le fondateur du Comité d’action pour le renouveau (CAR), en est convaincu ; la présidentielle de fin Février doit être le chant du cygne pour le rassemblement du peuple togolais (RPT). Sinon ce sera encore 40 ans sans alternance. De ce scrutin, de la candidature unique de l’opposition, de Jean-Pierre Fabre, du rejet du dossier de Yamgnane, de son passage à la Primature qui l’a beaucoup nui… « le Bélier noir » se livre en soupesant pourtant chaque mot qu’il prononce.
Me Yawovi Agboyibor, en 1995, cette maison où nous nous trouvons a été incendiée par les partisans du RPT. Vous m’aviez dit à l’époque que vous n’y reviendrez plus, préférant poser vos pénates à Kodjoviakopé à côté de la frontière avec le Ghana. Vous voici de nouveau dans la même villa flambante neuve. Il semble que quelque chose vous lie à la présente demeure ?
• Pour l’instant, je ne souhaite pas répondre à cette question. Si Dieu nous prête longue vie, on en parlera un de ces jours.
Le 15 janvier 2010, vous avez été investi comme le candidat du CAR à la présidentielle de février. Quel effet cela vous fait d’avoir à mener une telle mission ?
• Vous savez en matière électorale, notre pays, le Togo est un cas particulier. Dans le passé, nous avons pris part à des élections parce que nous y croyons comme mode de changement de régime. Mais cela n’a pas marché. Cette fois-ci quand le parti m’a proposé pour être candidat, ma réaction a été la suivante : candidat pour quoi ? Pour la forme ? Pour gagner et appliquer mes idées et changer la condition de vie de nos populations ? C’est pour ces raisons que j’avais demandé un délai de réflexion. Le parti me l’a accordé. Je peux donc vous répondre aujourd’hui que c’est un sentiment de devoir qui m’anime, un devoir que je peux accomplir, et avec la certitude de gagner.
Dans votre discours d’investiture, vous avez assimilé la présidentielle du 28 février à un référendum par lequel, le peuple togolais doit répondre à la question suivante : ’’Acceptez-vous ou non que le RPT, après 40 ans de souffrances infligées aux populations, continue à être à la tête du pays ? » Je vous prends au mot, pensez-vous que le Non puisse l’emporter ?
• (Rires). C’est vrai, pendant ces 40 ans, le chef de l’Etat, feu le président Eyadema incarnait un système qu’il a géré avec toute son autorité, avec une main de guerrier. Il se collait au système et ce système lui a survécu. Il se trouve aujourd’hui, qu’à travers ses gestes, le président actuel de ce parti reconnaît qu’il y a problème.
Le RPT a fait son temps et devrait disparaître. Mais, en même temps que le président Faure donne l’air de vouloir prendre ses distances avec le parti de son père, il veut compter sur ses structures pour être réélu. Faure est donc un produit et un élément du système que nous combattons depuis des années. En effet, ce sont les militants du RPT qui défendent les intérêts de Faure dans les structures électorales.
Ainsi, nous aurons à affronter le système RPT. Et dans cette perspective, l’opposition doit éviter de disperser ses forces, elle doit faire bloc, et que face au « OUI » de ceux qui veulent que le système se perpétue, le positionnement de ceux qui disent « NON » soit aussi clair. C’est dans ce sens que le prochain scrutin apparaît comme un référendum. Et ce référendum, il faut absolument qu’il soit gagné par ceux qui estiment que le Togo a besoin d’un autre système politique.
Justement, la fournée de prétendants pour cette présidentielle met à nue l’introuvable unité de l’opposition que chacun appelle de tous ses vœux…
• Je crois que chaque moment a son langage. Il ne faut pas confondre ces temps-ci avec ce que nous avons connu dans le passé. Je pense que l’enjeu qu’on a devant nous interpelle chacun de nous au sacrifice. Je suis convaincu qu’au cours des jours à venir, il va avoir des rapprochements. Nous devons tout faire pour qu’en fin de compte, nous parvenions à un candidat unique de l’opposition. Parce que face au candidat du système RPT, nous devons avoir un candidat autour duquel nous allons concentrer toutes nos forces pour gagner. C’est à cette tâche que nous devons nous atteler.
Certains partis de l’opposition exigent un report du scrutin pour impréparation. Adhérez-vous à cette revendication ?
• Vous savez, le CAR a suivi le processus de révision des listes électorales qui vient de se dérouler. Il nous a été donné de constater des anomalies que nous avons dénoncées. Nous avons demandé que la révision des listes soit reprise. Jusqu’à ce jour, notre demande n’a pas eu de suite favorable. Pour nous aussi, au CAR, le report de la date du scrutin s’impose pour que toutes les conditions de son bon déroulement soient réunies.
Jean-Pierre Fabre a été investi par son parti l’UFC. Un rapprochement Fabre-Agboyibor est-il envisageable ?
• Vous savez bien que depuis janvier 2009 nous travaillons à ce rapprochement. Et parmi ceux qui sont ouverts à une candidature unique figure Jean-Pierre Fabre. Il serait donc dommage que nous ne puissions pas aller au bout de cette candidature unique.
Vous avez été Premier ministre du gouvernement d’Union nationale. Un poste qui vous a cannibalisé politiquement, si fait qu’aux législatives d’octobre 2007, le CAR s’est retrouvé avec au total 4 députés.
• Je suis totalement d’accord avec ceux qui émettent cet avis. Je dirai que ce qui est arrivé ne m’a pas surpris. Je m’y attendais, mais je n’avais pas le choix. Nous sommes dans un pays où, à l’image de ce que l’on voit dans un parti unique, les Togolais ne conçoivent pas, que l’opposition puisse le côtoyer, puisse accepter de se retrouver dans un gouvernement. Et moins encore à la tête de celui-ci. Mais je peux vous dire que du vivant d’Eyadema, j’ai refusé au moins à trois reprises d’être Premier ministre :
en 1994, en 2004 et une troisième fois, en 2005. Donc ce n’était pas la première fois que je suis sollicité pour être chef de gouvernement. Mais à chaque fois, ma réponse a été non. A son décès en 2005, Faure m’a refait la même proposition. Et ce n’est pas lui qui l’a fait ; des chefs d’Etat de la sous-région : Kuffuor, Bongo… tous se sont réunis et ont dit que pour que les choses marchent au Togo, il faut que je sois à la Primature après le scrutin d’avril 2005. A l’époque ma réponse a été NON.
Il a fallu plusieurs tractations pour que j’accepte. C’est un sacrifice que j’avais à assumer si je n’étais pas soucieux du devenir de nos populations, j’aurai refusé. Si je refusais d’assumer ce sacrifice, il y avait des candidats qui étaient disposer à jouer ce rôle, mais les résultats et l’image des législatives de 2007 qu’on a montrés à la face du monde n’auraient pas eu lieu. Ma présence à la tête du gouvernement en 2006 a été bel et bien en désavantage du CAR, mais le profit a été pour le peuple togolais.
Donc, un sacrifice du CAR pour le peuple togolais.
• C’est évident. Il fallait un choix, ou bien nous mettons en priorité le parti et ses intérêts et refusons d’assumer le devoir national, ou nous assumons ce devoir et le parti en pâti. C’était un choix cornélien et j’ai tranché. Mais c’était de façon consensuelle avec les cadres du parti.
L’Accord politique global du 20 août 2006 va clôturer un cycle politique. Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?
• Je l’ai dit abondamment dans mon discours d’investiture. Le problème du Togo, c’est le système RPT. C’est ce système RPT qu’on a voulu éradiquer à travers l’APG qui est l’aboutissement d’un dialogue national que j’ai eu à présider. Mais ce système, par tous les moyens, a pu gagner les législatives de 2007. L’APG n’a pas pu être appliqué jusqu’à son terme.
Nous allons avoir une nouvelle élection présidentielle, et si nous, les partisans du changement, ne nous organisons pas pour remporter le scrutin présidentiel, et si à tout hasard, le RPT vient encore à prendre le dessus, l’APG n’aura plus de lendemain. Dans cet Accord, il y a de nombreux points en suspens : réforme du système politique, du cadre électoral. Tant que le système RPT sera en place, à la limite, l’APG n’aura été qu’un accord de plus.
Le mode de scrutin à un seul tour est mortel pour les opposants africains. Pensez-vous que l’opposition togolaise peut faire exception à cette règle ?
• Disons que c’est un mode de scrutin que nous combattons. C’est pour cela que très tôt, le CAR a estimé que l’opposition doit se mobiliser pour obtenir le scrutin à deux tours. Malheureusement, nous n’avons pas été suivis, et compris par certains partis politiques qui étaient d’un avis contraire.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, avec le dernier round de Ouagadougou, nous devons être réalistes et nous préparer à aller à ce scrutin avec un seul tour. Cela peut dans une certaine mesure nous obliger à concevoir cette élection comme un référendum. Nous ne devons pas avoir plusieurs candidats au niveau de l’opposition et faire en sorte que ce mode de scrutin à un seul tour tourne à l’avantage de l’opposition. C’est en se sens que nous devons nous organiser comme je le disais tantôt.
Ne craignez-vous pas des violences postélectorales ?
• Comme je le disais lors de mon investiture, tout est question de méthode. C’est vrai que le tout ne sera pas de gagner, le plus important est que nous fassions respecter la volonté des électeurs. De ce point de vue, les Togolais sont en droit d’être inquiets, vu ce qui s’est passé en 1998, en 2003, et en 2005. Les élections présidentielles qu’on a eues en ces différentes échéances se sont toujours transformées en drame.
C’est pourquoi les Togolais s’interrogent et votre question revêt tout son sens. Allons-nous vivre à nouveau ces tragédies du passé ? Mais je vous avoue que c’est là l’élément qui nous oblige à intégrer pour le scrutin en perspective, la question de la méthode d’action. Le CAR a sa méthode politique, qui a fait ses preuves, dans le passé, une méthode qui a rendu possible certains changements sans violence.
Quand je dis que l’opposition doit former un bloc, ce n’est pas un rassemblement autour d’un individu, mais plutôt autour d’une méthode qui rassure tout en permettant d’arriver aux résultats que nous recherchons. C’est cela la clef du problème que vous évoquiez. J’ai toute la conviction que si l’opposition forme le bloc autour du candidat dégagé par le CAR, elle gagnera l’élection de février. Mais je peux dores et déjà dire que le camp qui est en face devra se plier pour que la volonté du peuple soit respectée.
Le 2 février 2010 la Cour constitutionnelle a rejeté le dossier de Kofi Yamgnane, le patron du mouvement Sursaut-Togo. Votre appréciation de cette décision ?
• C’est déplorable parce que pour nous au CAR, il faut laisser tous les candidats participer à cette présidentielle. C’est au peuple de choisir qui il veut. C’est une position qui a toujours été constante au niveau du parti. En 1993 par exemple, lorsqu’on avait empêché Gilchrist Olympio d’être candidat, le CAR s’était aussi retirer de la compétition par solidarité. Mais vous savez également la décision de la Cour constitutionnelle est inattaquable, elle a pris sa décision de façon souveraine. Nous ne pouvons que déplorer.
Faisons dans l’anticipation, si vous gagnez cette élection, succinctement, quelles seront les premières mesures que vous aurez à prendre ?
• Mon parti a une vision pour le pays. Mais je ne crois pas que cette occasion que vous m’offrez puisse suffire pour étaler tout mon programme de société. Néanmoins, je peux vous exposer ici quelques unes de mes priorités sur le plan socioéconomique en attendant le temps de campagne pour dire à mes concitoyens tout ce que j’envisage pour le Togo.
En matière de répartition des ressources publiques, j’entends rompre avec les pratiques du régime RPT en associant le critère d’équité territoriale au critère de mérite dans les recrutements aux emplois de la fonction publique, dans l’attribution des marchés publics, dans le domaine de l’assistance publique aux paysans et aux artisans, aux étudiants et élèves nécessiteux, aux malades indigents, aux justiciables démunis, aux chefs traditionnels, à la presse, aux sportifs, aux artistes…
J’entends de même rompre avec les pratiques du RPT dans la répartition des ressources nationales destinées aux infrastructures routières, scolaires, sanitaires ainsi qu’en matière d’alimentation des localités en eau potable, en électricité, en réseaux téléphoniques ; en faisant prévaloir l’équité territoriale assortie du critère des localités prioritaires à l’intérieur de chaque préfecture donnée.
S’agissant de la réconciliation nationale, j’entends, contrairement à ce qu’a fait le RPT, créer conformément à l’APG deux commissions ; l’une chargée de faire la lumière sur les actes de violence à caractère politique du passé, l’autre pour indemniser les victimes. Les deux commissions se mettront immédiatement au travail. La commission ‘’indemnisation’’ prendra sans délai les dispositions nécessaires en vue de réparer, sur l’ensemble du territoire national, tous les dégâts matériels et humains qui ont été causés.
Interview réalisée à Lomé par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
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