29/03/2024

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 » …siéger dans le gouvernement de M. Edem Kodjo? « Il n’en est pas question »

Interview réalisée par Carlos Keith’s, pour « Motion d’Information » n° 308 du 13 juin 2005

«Un dirigeant d’Etat ne peut se dire légitime que s’il émane d’un consensus de la Classe politique ou d’une consultation du peuple…»

Motion d’information: Suite à la rencontre que vous avez eue le 27 mai avec le Président Faure, tout le monde s’attendait à ce que le Premier ministre soit nommé au sein de la coalition. Des indiscrétions ont même laissé circuler que c’est sur vous Me Agboyibo, que le Président Faure aurait porté son choix. Que s’est-il passé pour que ce soit finalement M Edem Kodjo qui ait été nommé? Est-ce à dire que M. Faure n’a pas respecté ses promesses du 27 mai 2005?

Me Agboyibo: Non! Il a effectivement marqué sa préférence pour un Premier Ministre issu de la Coalition. Aussitôt après la rencontre du 27 mai 2005 à la Présidence de la République, une personnalité du régime m’a approché pour m’informer que le Président Faure tenait à me nommer Premier Ministre. La personnalité en question m’a fait observer qu’il fallait réagir très vite en raison des résistances qu’un tel choix était de nature à susciter dans l’aile RPT hostile à toute idée de partage de pouvoir avec la Coalition. Elle m’a toutefois rassuré en précisant que le Président Faure était soutenu dans sa décision par un très large courant de la hiérarchie tant civile que militaire du pouvoir.

J’ai fait observer à l’émissaire, après mes mots de remerciements, que je suis à la tête d’une Coalition et que je ne peux pas me prononcer sans que les partis membres se soient concertés sur le sujet en prenant en compte, s’il y a lieu, d’autres intentions qui se seraient manifestées pour le poste.

J’ai donc fait part de la proposition aux membres de la Coalition en leur précisant avoir déclaré à l’émissaire que je ne saurais l’accepter sans qu’un consensus intervienne au sein du groupe et que les conditions que nous avons posées soient remplies. Je ne voyais pas en effet comment, face à une Assemblée nationale où nous n’avions même pas un seul élu, l’un d’entre nous pouvait réussir la mission de chef d’un gouvernement transitoire en se passant de ce consensus interne sans lequel il ne saurait bénéficier de l’accompagnement populaire indispensable à l’accomplissement de la charge.

Je dois avouer qu’il n’a pas été aisé de réaliser le consensus. Trois jours passèrent. Des Chefs d’Etat prirent attache avec moi en m’assurant de leur soutien. Ma réponse n’a pas varié: il fallait le consensus interne de la Coalition.

Une certaine impatience commença à se dessiner. Le mardi 31 mai 2005, j’ai été informé que je devais me présenter ce jour là à 11h 30 à la Présidence de la République pour un entretien à l’issue duquel ma nomination en qualité de Premier ministre allait être rendue publique. J’ai demandé que la séance soit reportée, la Coalition n’ayant pas achevé sa concertation interne. Ce report m’a paru d’autant plus nécessaire que lors de la réunion que la Coalition tenait ce mardi 31 mai 2005, nous avions appris que le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine a recommandé la nomination d’un facilitateur du dialogue à mener en vue de la formation du gouvernement préconisé par le mini-sommet d’Abuja du 19 mai 2005.

Le jeudi 02 juin 2005, j’ai été convié à Accra par les Présidents Obasanjo et Kuffuor. La Coalition a désigné le professeur Gnininvi, M. Fabre Jean-Pierre et M. Folly Antoine pour faire le déplacement avec moi. A l’issue de l’entretien, les deux Chefs d’Etat ont recommandé à la Coalition de tout mettre en œuvre pour communiquer au plus tard le lundi 06 juin 2005, le nom de la personne désignée en son sein par consensus pour être nommée Premier Ministre. Il était en outre entendu avec les deux Chefs d’Etat que le Premier Ministre désigné par la Coalition remette à M. Faure une plate-forme contenant le projet d’une entente minimale à établir avec ce dernier avant la nomination.

Le lundi 06 juin 2005, vers 21 heures, les leaders de 5 partis de la Coalition (ADDI, CAR, CDPA, PSR, UDS-Togo) se sont rendu à Lomé 2 pour remettre au Président Faure le projet de plate-forme d’entente minimale et pour lui faire part de deux noms laissés par consensus à son choix pour la nomination au poste de Premier ministre. La suite, vous la connaissez: le rejet en bloc du projet de la plate-forme d’entente minimale et la nomination de M. Edem Kodjo comme Premier Ministre.

Motion: Pourquoi vous vous étiez attelé tant à rechercher un consensus quasiment impossible à réaliser au point d’avoir l’air de perdre de vue le peuple?

Me Agboyibo: Les choses ne sont pas aussi simples. Au CAR nous avions des repères qui servent de déterminants à nos décisions. Nous considérons qu’un dirigeant d’Etat ne peut se dire légitime que s’il émane soit d’un consensus de la Classe politique soit d’une consultation du Peuple. Au lendemain du scrutin présidentiel raté du 24 avril 2005, en l’absence d’une consultation populaire, le Premier Ministre à nommer pour former le gouvernement transitoire ne peut atteindre le double objectif de réconciliation nationale et d’instauration de la démocratie que s’il bénéficie d’une légitimité reposant sur un consensus de la Classe politique. Il n’est bien sûr pas facile de parvenir à ce consensus dans la mesure où il faut à la fois le rechercher au sein de la Coalition et au niveau du parti au Pouvoir. Mais c’est un passage obligé. Et il fallait s’accorder un délai raisonnable à cet effet, quitte à maintenir en place pour un temps, le gouvernement Sama.

Motion: Est-ce à dire que le Premier Ministre nommé le mercredi 08 juin 2005 n’a guère de chance de réaliser les deux missions de réconciliation nationale et de l’instauration de la démocratie?

Me Agboyibo: Les propos tenus par le nouveau Premier Ministre au lendemain de sa nomination ont révélé aux Togolais et au monde entier que la mission de réconciliation nationale n’entre pas dans ses préoccupations, dans la mesure où il a déclaré qu’il n’entend pas perdre du temps pour des consultations avec la Coalition alors que personne ne se méprend sur la proportion de la population que celle-ci incarne aujourd’hui.

S’agissant des reformes à réaliser pour remédier au déficit démocratique qui constitue la racine de la crise socio-politique aggravée par les événements que le pays a connus au lendemain de la victoire de l’opposition aux élections législatives de 1994, on se demande si le nouveau Premier Ministre usera cette fois-ci de sa lucidité pour opérer le miracle.

Motion: A vous entendre, on dirait que vous avez fait l’option d’accepter le fait accompli et d’observer les jours à venir.

Me Agboyibo: Pas du tout. Vous n’êtes pas sans savoir que la décision prise le 27 mai 2005 par le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine d’envoyer au Togo un facilitateur au dialogue préconisé par le mini sommet d’Abuja en vue de la formation du gouvernement, est toujours en vigueur. Ni l’Union Africaine ni l’Union Européenne ne sauraient, sans créer un précédent susceptible de porter atteinte à leur crédibilité, se taire sur une nomination visant à empêcher la mise à exécution de la décision du Conseil de Paix et de Sécurité.

Motion: Pour le moment votre parti est-il disposé à siéger dans le gouvernement de M. Edem Kodjo?

Me Agboyibo: Il n’en est pas question.