19/04/2024

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Société, gouvernance des hommes et spiritualité

par Godwin Tété

« L’homme est naturellement un animal politique » Aristote, [in Politique]

« La démocratie, c’est la substitution progressive de l’administration des choses au gouvernement des hommes. »
Charles de Montesquieu

Dans la merveilleuse Bhagavad-Gîtâ, le Bienheureux Seigneur Krishna dit à son disciple bien-aimé Arjuna : « Fais les œuvres, mais ne t’attends pas à jouir des fruits des œuvres » Cela s’appelle l’abnégation… »
Godwin Tété

INTRODUCTION
Le samedi 21 novembre 2015, sur invitation de la Fraternité Europe Afrique, j’ai animé un débat devant un auguste aréopage de membres de cette organisation. Alors, désireux de mettre, à la disposition d’un plus large public, « la substantifique moelle » (François Rabelais) de mon exposé introductif, je souhaite inviter humblement le lecteur – éventuellement intéressé – à prendre connaissance de ce qui suit, qui porte sur le thème affiché par le titre du présent article.

I. DE LA SOCIÉTÉ
À juste raison, Aristote a écrit : « L’homme est naturellement un animal politique » [In Politique]. Mais parce qu’il « est naturellement un animal politique », l’homme est, ipso facto, naturellement un animal social. Je dirais même que c’est parce qu’il est social qu’il est politique. Car nous connaissons d’autres animaux qui ne vivent qu’en société, comme les fourmis, les termites, les abeilles, les buffles et les éléphants sauvages, etc.
À cet égard, Karl Marx aura, à mon modeste avis, abattu une besogne inestimable…
Cependant, en dépit de tout le respect, de toute l’admiration et de toute l’affection que je voue personnellement à l’auteur du Capital, je prétends que l’Homme ne saurait être uniquement social ; je dis que l’Homme porte en lui une flamme ténue, une étincelle subtile, un rayon d’un « Quelque Chose », que, faute d’un vocable plus approprié, nous pourrions appeler le Divin (ou la Divinité). Un « Quelque Chose » qui sépare l’Homme de l’animal…
Mais cette (divine) dimension de l’Homme ne saurait, elle-même, se manifester sans un environnement social idoine, tout simplement humain… pour ainsi dire.
Dès lors, si nous voulons une Humanité digne de ce nom, une Humanité saine, libre, équilibrée, épanouie, il nous faut assurer, avant toute chose, les bases d’une société humaine valable…
À ce propos, nous connaissons parfaitement le célèbre aphorisme de Jean-Jacques Rousseau : « L’homme naît libre ; c’est la société qui le corrompt ». Sans doute, un enfant qui naît et grandit dans un milieu de mafieux a bien des chances de n’être que mafieux !… Mais il apparaît évident que si l’Homme était, par essence, angélique, sa société eût été, aussi, angélique, immaculée ! Car la société humaine elle-même est un produit de l’Homme !!!
Voilà pourquoi Karl Marx déclare : « S’il est vrai que ce sont les circonstances qui forment l’homme, il faut former humainement les circonstances ». Mais avant et pour pouvoir former humainement les circonstances, il me faut cerner une vision claire de ce que doivent être les circonstances humaines, ou, pour parler plus prosaïquement, ce que doit être une société acceptable pour « Un homme véritable » (Boris Polévoï).
Alors, à ce jour, les hommes ont conçu la société humaine des deux manières essentielles, principales, schématiques, ci-après :
1°) La société est une jungle, et dans la jungle, c’est la loi du plus fort, la loi du sauve-qui-peut qui doit prévaloir. C’est l’espace où les plus « gros » mangent les plus « petits ». C’est la conception de Caïn qui tue son frère Abel pour « exister » !
2°) La société doit être un univers de foncière solidarité : « You are your brother’s keeper » [= « Tu es le gardien de ton frère »] et vice versa… (Dicton anglais).
Ces deux conceptions sont de nos jours incarnées respectivement par la « droite » et la « gauche » [Référence est ici faite à la Grande Révolution française de 1789].
Cesdites visions de la société ont donné naissance à deux façons respectives de gérer, de gouverner les hommes :
a) Celle des despotes, (des Thomas Hobbes, des Nicolas Machiavel, des Adolf Hitler, des Benito Mussolini, des Auguste Urgarte Pinochet, etc.).
b) Celle des démocrates, (des Antigone, des John Locke, des Etienne de La Boétie, des Charles de Montesquieu, des Jean-Jacques Rousseau, des Abraham Lincoln, des Karl Marx, etc.).
Parvenus ici, nous nous trouvons d’ores et déjà de plain-pied sur le terrain du deuxième volet de notre thème.

II. DE LA GOUVERNANCE DES HOMMES
Le système démocratique de gestion (ou de gouvernance) des hommes : celui du « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » (Abraham Lincoln), s’avère, même lui, un pis-aller, un moindre mal ; on dit de lui qu’ « il est le moins mauvais… des systèmes ». En effet, dès lors que le volume de la population dépasse celui de l’ « Agora » ou de l’ « Arbre à palabre », le système démocratique devient problématique (!)… En effet, à partir de cet instant, « la démocratie directe » prend l’allure d’une fiction, « le système représentatif » s’impose, avec tous ses aléas (!)… À telle enseigne que d’aucuns agitent déjà, à l’heure actuelle, un nouveau concept de « post-démocratie » (!)… [Cf. Colin Crouch, Post Démocratie. Ed. Diaphanes, 2013.].

Or, « Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument » [Dicton anglais]. Raison pour laquelle, dans l’Antiquité, sous tous les cieux, les Chefs et/ou les Rois étaient choisis scrupuleusement, au travers d’une éducation spartiate, d’une formation rigoureuse, d’une véritable ascèse herculéenne pluriannuelle – avant… et pour leur accession au trône. Nous avons un exemple d’une telle praxis dans « La République » de Platon et dans nombre de traditions africaines ancestrales… comme celle des Mossi du Burkina Faso.
Oui ! L’homme tend naturellement à abuser… de tout privilège, de tout pouvoir, de toute autorité, à lui conférés. D’où, dans les temps modernes, l’adoption de la limitation et de la durée, et du nombre des mandats présidentiels. Pratique inaugurée par les Etats-Unis d’Amérique en 1787. Pratique qui n’a connu, à ce jour, qu’une seule et unique exception qui a confirmé la règle : celle du cas du Président Franklin Delano Roosevelt. Et ce, en raison de la Grande Crise économique et financière mondiale qui se déclencha à New York le « jeudi noir » 24 octobre 1929, d’une part, de la Seconde Guerre mondiale, d’autre part. Mais ceci nous introduit au troisième volet de notre sujet.

III. DE LA GOUVERNANCE DES HOMMES ET DE LA SPIRITUALITÉ
Il y a quelques jours seulement, je participai à Paris à un colloque traitant du désolant spectacle du haïssable type de gouvernance politique qui prévaut sur le continent africain – globalement parlant. Eh bien ! La question cruciale qui revenait dans les débats – telle un leitmotiv – était : « Pourquoi nos chefs d’État s’avèrent-ils, à peu d’exceptions près, si éloignés des intérêts premiers de leurs peuples ?! Pourquoi ne pensent-ils qu’à eux-mêmes ?! ». Et la réponse qui ressortit des débats fut : « C’est parce qu’ils manquent d’un minimum d’éducation spirituelle ».
Oui ! Kwame (Francis) Nkrumah et Nelson Mandela ont reçu une certaine initiation spirituelle… et vécu selon cette dernière. Par contre, la plupart de nos « dirigeants » actuels sont des gens arrivés au pouvoir par le bout du fusil… et se comportent comme tels… Et quand bien même, d’aventure, ils adhèrent à une Fraternité internationale, c’est souvent par mimétisme, par effet de mode ou pour des intérêts politiques inavouables…
Il urge donc que nous commencions, sur notre Continent, à parler un tantinet soit peu de spiritualité – de la vraie – en termes de gouvernance.
Cela étant dit, éclairons quelque peu la lanterne du lecteur, par les succinctes définitions suivantes.
1°) De la Condition humaine selon André Malraux
« La condition humaine » ordinaire, coutumière, a été décrite par André Malraux dans son roman qui porte ce titre et qui a valu à son auteur le Prix Nobel en 1933. C’est la condition où la Nature a conduit l’Être humain selon la doctrine évolutionniste de Charles Darwin. Pour le moment… Cette condition n’est pas très loin de l’ « état de nature »… Heureusement, naturellement structuré pour évoluer…, l’Homme détient la possibilité de continuer à évoluer. Mais, laissée à elle-même et à elle seule, cette évolution prendrait, fort vraisemblablement, des millions d’années ! Il convient donc que l’Homme lui-même aide sa propre évolution darwinienne. Dans cet ordre d’idées, je verrais deux sortes d’évolutions ou de spiritualités humaines : l’une ordinaire, l’autre supérieure.
2°) De la Spiritualité ordinaire
Il s’agit tout simplement de tourner le dos à la vie purement bestiale, et d’aller de la biologie vers la culture, de l’animalité vers l’humanité, de la sauvagerie vers la civilisation, du chacun-pour-soi vers la solidarité agissante, du cynisme vers l’éthique, vers l’élévation du cœur et de l’esprit, de la barbarie à la compassion. Il s’agit, en somme, de cultiver l’ « Homme véritable » – ainsi que le souhaitent Boris Polévoï et Antoine de Saint-Exupéry. Il est demandé à l’Homme, en bref, de « monter en humanité » (Achille Mbembe).
3°) De la Spiritualité supérieure
Ici, nous tentons de forcer la main à la Nature. Mieux, nous essayons de « violer »… cette Nature. Ici nous entrons dans le domaine de la Mystique (ou du Mysticisme) !!!
Karl Marx a affirmé : « La religion est l’opium du peuple ». Vrai (!), si nous pensons à l’exploitation véritablement sauvage (!!!), inhumaine (!!!), à laquelle, aux XIXe et XXe siècles, le capitalisme parvenu à sa vitesse de croisière, soumit le prolétariat occidental et les peuples colonisés du Sud. Et ce, en mettant à contribution la religion. Assurément (!), si nous prenons en compte la brûlante actualité… avec ses crimes abominables (!!!), étranges (!!!), perpétrés au nom (!!!) d’une « religion » !!!
Nonobstant, s’agissant de ma maigrelette part, j’ai déjà confessé que, malgré la réelle vénération que je nourris à l’endroit du principal inspirateur et rédacteur du « Manifeste du Parti Communiste », ma chétive existence m’a démontré dans ma chair, dans mon esprit, dans mon cœur, que l’Homme porte en lui, la plupart du temps à son insu, un rayon du Divin macrocosmique. Qui plus est, l’Homme s’avère, comme toutes choses dans le Monde, un rayon de ce « CELA » – ainsi que dirait un Brahmane.
D’où les trois grandes Proclamations ci-après – de l’Advaïta Védanta :
a) « Sarvam Khalvidam Brahman »
[= « En vérité, Tout cet Univers est Brahman »]
b) « Tat Tvam Asi » [= « Toi aussi Tu es Cela = (Brahman) »]
(Chandogya Upanishad).
c) « Lève-toi, réveille-toi et ne t’arrête pas avant d’avoir atteint le but » [Katha Upanishad]

À la vérité, quand Lénine écrit que « l’atome est inépuisable » il rejoint par là, de facto, l’Advaïta Védanta et la Prajnâpâramita des bouddhistes mahayanistes [Cf. Vladimir Ilitch Lénine, Empiriocriticisme ou « Cahiers Philosophiques ». Je n’ai pas ma bibliothèque à portée de la main]. Ce que la science contemporaine a éloquemment confirmé. Il les rejoint davantage encore lorsque, dans ses « Cahiers Philosophiques », commentant la « Logique » de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, il glose et griffonne : « Le fleuve, les courants dans le fleuve, les courants particuliers, l’écume en haut, les courants profonds en bas ; mais ‘l’écume est aussi une expression de l’essence. »
Et lorsqu’on demanda à Lénine, « Mais de la matière et l’esprit, lequel a précédé l’autre ? » ce grand érudit répondit : « C’est là une affaire de convention, de postulat pur et simple ». Car ces deux éléments s’avèrent inséparables, consubstantiels ; une VIBRATION. Il convient de se rappeler que si Karl Marx et Friedrich Engels n’ont pas connu les développements spectaculaires de la Physique moderne, Vladimir Ilitch Lénine aura été, lui, témoin de leur envol…
Dès lors, la Spiritualité supérieure, (ou la Mystique, ou encore le Mysticisme) consiste à rechercher la jonction de la conscience humaine microscopique avec la Conscience macrocosmique globale et globalisante ! Par le truchement d’une Ascèse titanesque appelée Yoga… (Cf. l’ouvrage du Swami Ranganathananda – Note du Traducteur. Ed. CVR, Gretz (France). Le Védanta et l’Avenir de l’Humanité, pp. 7-32].
Certes, « Nombreux sont les appelés, mais peu les élus », [selon La Sainte Bible]. Il apparaît néanmoins heureux que les Nations Unies aient, sur instigation du gouvernement indien, décrété, en octobre 2014, « Le 21 juin Journée mondiale du Yoga ». Car, de la sorte, il y a des chances que les « élus » deviennent de plus en plus nombreux. Il est temps de conclure le présent exposé.

CONCLUSION
Ayant dilaté leur conscience au point à embrasser l’Univers lui-même…, les « élus » n’éprouvent plus de besoin d’endosser des habits de dictateurs… Ils deviennent des conducteurs, des éclaireurs d’hommes, des incarnations de l’abnégation elle-même, des, Étoiles de Bethléem pour les hommes. Les « élus » serviront alors à former les circonstances requises par la formation de l’ « Homme véritable ».
Alors l’Homme ne sera plus un loup pour l’Homme ! Alors, le Refrain de la grandiose IXe Symphonie de Ludwig van Beethoven ne sera plus l’Hymne de l’Union Européenne seulement ; il deviendra l’Hymne de l’Humanité tout entière !…
Oui ! Dans sa volumineuse et magnifique biographie de Ludwig van Beethoven, le grand lettré français Edouard Herriot a vivement souhaité que le jour où la monumentale IXe Symphonie de cet illustre musicien fut présentée pour la première fois soit adopté comme un jour férié dans le monde entier ! Entre-temps, le Refrain de cette gigantesque œuvre est devenu l’Hymne de l’Union Européenne.
Il s’agit de l’Ode à la Joie (encore appelée Hymne des Temps futurs) : poème mystique … du poète mystique allemand Friedrich von Schiller (1759-1805), dont voici, ci-dessous, les paroles :
Oh quel magnifique rêve
Vient illuminer mes yeux,
Quel brillant soleil se lève
Dans les purs et larges cieux.
Temps prédits par nos ancêtres,
Temps sacrés c’est vous enfin,
Car, la joie emplit les êtres,
Tout est beau, riant, divin.

Assurément, ces mots sonnent comme ceux d’un sublime chant d’un Soufi éthéré ; ils résonnent comme ceux du Cantique des cantiques du Roi Salomon ; ils se déclinent comme les paroles du XIe Chapitre de la merveilleuse Bhagavad-Gîtâ !…

Paris, le 25 novembre 2015

Godwin Tété