26/04/2024

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Togo : à propos de l’échec des « Eperviers » à la CAN 2006 en Egypte

Les Togolais ont assisté avec beaucoup de passion et de patriotisme à la double qualification de l’équipe nationale de football, Les Eperviers, à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) et à la Coupe du monde (CDM). Le Togo ankylosé s’est mis à se dégourdir les membres à la suite de cette double qualification que la dictature en place croyait pouvoir utiliser comme un excellent antidote contre la sclérose en plaques ou le coma profond dont le pays est atteint depuis les années 1990. Comme dans la Rome antique où les Césars offraient du pain et des jeux (panem et circenses) à leurs sujets, la dictature Gnassingbé décréta un jour férié chômé et payé sur toute l’étendue du territoire où le travail se fait rare, et les héros du moment conduits presque manu militari à Pya, le village natal du klan, pour un recueillement sur la tombe du fondateur de la dictature togolaise, décédé en février 2005. Ne sont-ce pas ses mânes qui auraient permis la victoire des « vaillants » Eperviers ? Et pourquoi ne conviendrait-il pas de transformer ceux-ci en ex-voto propitiatoires pour la CAN ? Dans tous les cas, les Togolais ont retrouvé un instant leur âme du « panem et circenses » et de gloriole dithyrambique que l’animation leur avait imprimé des décennies durant. Mais l’instrumentalisation tourna court. Les « vaillants » Eperviers sortirent par la petite porte de la campagne d’Egypte en ayant perdu leurs trois matches de poule : une déroute spectaculaire à la hauteur du programme d’instrumentalisation de la double qualification dont le Togo est le seul pays à mettre en place parmi ses homologues africains autant qualifiés que lui. On pourrait facilement imaginer la suite du programme si les « vaillants » Eperviers étaient montés en puissance en obtenant leur billet pour les quarts de finale, les demi-finales et la finale. Et surtout, comme le prédisaient les oracles, s’ils avaient remporté la CAN du pays des pharaons.

A la suite de cette déroute pharaonique, on s’est focalisé sur les conflits entre l’entraîneur national, Stephen Keshi et la « grande star du football togolais » Emmanuel Adebayor. Autant hier le premier était iconisé autant aujourd’hui il est voué aux gémonies, accusé de trahison et affublé de tous les noms d’oiseau dans l’oubli complet de son exploit-surprise d’avoir enlevé la double qualification au nez et à la barbe d’équipes techniquement mieux armées. Il restait seulement à crier sur les toits qu’il s’agissait d’un complot de Nigérians contre le Togo, Emmanuel Adebayor étant d’origine nigériane comme son entraîneur.
Au plan strictement technique et du volume de jeu donné en spectacle, il faut dire que c’est un heureux hasard d’avoir trouvé les « vaillants » Eperviers sortir du chapeau des éliminatoires. Un heureux hasard, comme il en existe dans tout sport, qui élimine les meilleurs, mais qui démontre dans le même temps, à travers les Eperviers et d’autres équipes présentes en Egypte, combien le football africain est en train de se niveler bas.

Au lendemain de la CAN 2002 au Mali où les « vaillants » Eperviers n’avaient
pas trouvé le chemin des buts en trois rencontres, l’entraîneur Bana Tchanilé fut limogé, accusé d’être le responsable de la mauvaise prestation de son équipe. Dans une interview (Panapress du 31 juillet 2002), il mettait en cause l’adipeux commandant Rock Balakiyem Gnassingbé, président de la Fédération togolaise de football (FTF), fils du général Gnassingbé Eyadéma, et frère de Faure et Kpatcha. Il attribuait la défaite de sa formation à la gestion opaque du football togolais, notamment par le président de cette fédération. Et il dénonçait : « la cupidité des membres, l’improvisation à outrance, le manque de liberté, d’opinion et d’expression au sein du bureau exécutif », ajoutant que : « Tout se passe comme si la FTF se résumait à la seule personne du commandant Rock Balakiyem Gnassingbé ». L’ex-coach déclarait travailler parfois sans salaire pendant huit mois en précisant : « qu’au cours de la CAN 2002 au Mali, les joueurs togolais étaient mal nourris, ce qui était une des causes de leur méforme physique » et que certains joueurs ont eu à acheter leurs billets d’avion par eux-mêmes pour participer à des rencontres et n’étaient pas souvent remboursés.

Par contre, dans la langue de bois conforme aux habitudes de la maison, le ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Komi Klassou, justifia « la débâcle des Eperviers par les erreurs tactiques et techniques accumulées par l’ex-entraîneur pour insuffisances de résultat après la CAN 2002 » (Panapress du 3 août 2002). Dans une fuite en avant caractéristique de la dictature, Bana Tchanilé fut remplacé par un entraîneur brésilien, Antonio Dumas, et on naturalisa illico presto, généreusement, quatre joueurs brésiliens afin de permettre la qualification des « vaillants » Eperviers à la CAN 2004 en Tunisie. Malgré tous ces efforts herculéens, le Togo ne fut même pas qualifié contre de modestes formations de son groupe. Antonio Dumas fut limogé à son tour et les joueurs brésiliens partis sous d’autres cieux. L’histoire de Stephen Keshi est un remake comme on l’aime dans ce pays rongé par une dictature qui défie toute raison. Tout comme la CAN 2002 au Mali et la CAN 2004 en Tunisie, la CAN 2006 en Egypte est une illustration de plus de la tragi-comédie politique dans laquelle la dictature a enfermé le pays depuis plusieurs décennies. Dans ce bis repetita, Stephen Keshi apparaît comme l’alter ego de ses prédécesseurs et aurait pu tenir des propos similaires à ceux de Bana Tchanilé. Angolapress du 5 janvier 2006 note que « Les joueurs revenus d’Europe se baladent dans les rues de Lomé comme des touristes sans qu’aucun programme ne soit connu. Les joueurs eux-mêmes se plaignent de la non publication de la liste des 23 joueurs qui devraient prendre part à la compétition ». Face à cette situation qualifiée de « cafouillage monstre », le gardien de but des « vaillants » Eperviers Agassa Kossi a rejoint la France où il évolue en attendant d’y voir plus clair. D’autres joueurs ont dénoncé lors d’une émission télévisée « le manque de sérieux dans les préparatifs », appelant la FTF à changer de comportement s’ils veulent un bon rendement de l’équipe nationale. Les primes de match seront versées in extremis et au compte-goutte, minant le moral individuel et collectif des joueurs.

Il faut préciser que la FTF est devenue une niche rentable pour certains militaires du klan Gnassingbé qui se cooptent à sa tête sans aucune politique prospective du développement du football que tout le monde se plaît à considérer comme le « sport roi ». Le général Séyi Mémène, fidèle parmi les fidèles du dictateur défunt a dirigé la FTF en 1971-1972. Il y est revenu en 1977-1982. Le général Zoumaro Gnofame s’y vautra en 1984. Le général Mémène fera de nouveau son retour en 1992-1998 avant de passer le témoin à Rock Gnassingbé, lequel s’est incrusté dans le fauteuil fédéral, probablement pour une durée illimitée, car on voit mal qui viendra l’y déloger pour la médiocrité de son bilan. N’ont-ils pas eu pour leur compte et rentrés dans les rangs ceux qui avaient critiqué Rock Gnassingbé et avaient mené une fronde contre lui au lendemain de la débâcle malienne de 2002 ? L’idée de le révoquer ne viendrait même pas au ministre de la Jeunesse et des Sports, plus préoccupé par le ventre et la sauvegarde du système Eyadéma que par la performance de son département.
Il y a longtemps que la dictature a cassé le sport-roi au Togo : la réforme du football en mai 1974 imposée, sans aucune consultation, aux clubs de la capitale obligés de se regrouper en quatre zones (Lomé 1, Lomé 2, Lomé 3, Lomé 4) n’avait d’autre finalité. L’accident de Sarakawa étant passé par là ! Cette réforme a été aggravée en 1978 par le nivellement systématique du football togolais par le bas avec un brin de tribalisme inavoué. Pour promouvoir le sport-roi dans la Kozah et surtout à Kara, ville natale du dictateur disparu, ne faut-il pas briser les reins de ce sport dans les autres régions ? Toutefois la dictature avait mis en avant les passions que suscitait le football qui mettrait en danger la fameuse unité nationale quand s’affrontaient des clubs civils (Modèle, Etoile Filante, Unisport, Essor, etc.) et la Dyto, le club des militaires. Ainsi donc pour tuer la mouche du passionnel, on n’a pas hésité à sortir des chars d’assaut ! Résultat des courses : le football togolais végétait dans un état comateux, le nouveau paysage dessiné par la réforme ne correspondant plus à grand-chose dans le mental footballistique bien structuré de la population.

Pendant ce temps, le foot, comme les autres sports, manquait cruellement d’infrastructures d’entraînement et de compétition. Il existerait deux stades aux normes internationales et vingt-cinq selon les critères de la FTF. L’écart entre ces deux chiffres montre que l’on n’est pas sur la même planète, puisqu’un terrain vague, à peine équipé, peut être comptabilisé comme un terrain répondant aux normes de la fédération togolaise. Il est assez curieux que les « vaillants » Eperviers, soutenus par la population en délire, sont se bornés à jeter leur poids et leur aura uniquement dans des revendications corporatistes, légitimes par ailleurs. Des fans-clubs, mis sur pied ici et là, surexcités, ont oublié que la CAN et la CDM ne sont qu’une courte parenthèse dans la longue et douloureuse histoire du pays. A cet égard, ces fans-clubs ont la même politique que le klan Gnassingbé: récupération des « vaillants » Eperviers dans l’exaltation démesurée d’un patriotisme vulgaire pour occulter la douleur nationale et leur instrumentalisation comme une soupape pour décompresser la cocotte-minute à l’heure même où la dictature ne sait pas où donner la tête. En attendant que le match tant attendu contre la France en juin 2006 en Allemagne ne tourne une humiliation annoncée, à la FTF, on affiche une bonhomie dégoulinant de graisse de la santé propre à cette catégorie de personnes qui n’aiment que la vie facile, le pain et les jeux. Depuis la CAN 1972 à Yaoundé où le Togo, à peine paru, a été éliminé de la compétition, la FTF fait du surplace en dansant la danse du ventre dans des boîtes de nuit du Caire : est-elle mise là pour autre chose ? Décidément le fromage dénommé Rock-Faure dégage de ces odeurs amères et douloureuses pour les Togolais.

06 février 2006
Tido Brassier, Paris
Comi M. Toulabor, Bordeaux