15/10/2024

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Togo: Des pratiques et des faits compromettant le « vivre ensemble »

Par Tchabouré Aimé Gogué (ADDI)

Cinquante un ans après l’accession du Togo à la souveraineté internationale, une analyse minutieuse de la vie nationale révèle chaque jour que les actions et les discours politiques éloignent de nous le sens de vouloir vivre ensemble. On se rappelle que dans les années 1960, on s’intéressait peu de l’origine géographique ou tribale de chaque Togolais. Il était tout autant difficile de faire la différence entre un Lamba, un Ouatchi, un Tem, un Mina, un Kabyè ou un Éwé au Lycée de Sokodé ou au Lycée Bonnecarrère. Je me rappelle, qu’après près de quarante ans de vie ensemble, je ne connaissais pas l’origine régionale d’un de mes amis avec qui j’avais pourtant fait le Lycée Bonnecarrère, le Lycée de Tokoin, les études universitaires au Canada et travaillé ensemble à l’Université du Bénin et de Lomé!

Dans nos villes et campagnes, les différences ethniques, loin d’être utilisées pour des fins politiques de domination ou d’assujettissement des uns sur des autres, étaient plutôt conçues selon des normes socialement admises et approuvées ou condamnées lorsqu’elles s’éloignaient des valeurs de vérité, de respect mutuel et de craintes des représailles divines. Pour preuve, l’adhésion aux idéaux des partis politiques de l’époque était plus mue par le sentiment national que pour des considérations tribales ou régionales. On retrouvait aussi bien au sein des partis progressistes que des partis nationalistes, des peuples de tous les horizons du pays. Évidemment, on notait un développement social et économique inégal d’une région à une autre, ceci à cause du retard ou de la précocité de l’arrivée du colon dans telle ou telle région. Ces écarts n’avaient pas autant d’emprise au point de saper la volonté des différentes communautés à vivre ensemble.

Malheureusement, nous notons avec amertume, le recul excessif et dangereux de cette volonté à vivre ensemble et d’aller vers un État-nation. De plus en plus, des stéréotypes à caractère tribal ou ethnique sont utilisés dans nos jugements de valeur et même dans la conception de nos modèles de vie. La méfiance et parfois la haine sont à fleur de peau lorsqu’on s’identifie suivant des régions ou des ethnies. En même temps que des groupes ethniques du Nord ne conçoivent pas la prise du pouvoir par des compatriotes du Sud, des gens du Sud sont convaincus que plus un homme du Nord ne doit diriger ce pays! Le désengagement et le repli identitaire régentent les actions et la vie quotidienne.

Loin de prendre la mesure de cette déchéance sociale, source de germes génocidaires pour prendre des décisions réfléchies, les dirigeants en place surfent sur ces errements pour consolider leurs assises. Des responsables du MEET, association d’étudiants à l’origine du mouvement estudiantin que nous connaissons ces derniers jours, ont été convoqués à des réunions par des responsables politiques qui sont tous originaires du Nord! C’est malsain.

Il est utile de revenir sur quelques actions que le pouvoir en place mène de bonne foi ou non et qui risquent un jour de nous détruire tous.

Les modifications intempestives de la constitution, l’adoption des lois dont l’esprit est de faire mal ou de montrer qu’on est plus fort, le respect et l’application des lois selon la volonté du prince ou selon l’humeur de ses maîtresses et la mise au pas des institutions républicaines sont quelques-unes de nos préoccupations.

La constitution est la loi fondamentale d’un État qui définit les droits et les libertés des citoyens ainsi que l’organisation et les séparations du pouvoir politique (législatif, exécutif, judiciaire). Elle précise l’articulation et le fonctionnement des différentes institutions qui composent l’État Conseil constitutionnel, Parlement, gouvernement, administration…). Elle organise la vie dans la société. De ce fait, la constitution se situe au sommet du système juridique de l’État dont elle est le principe suprême. Toutes les lois, décrets, arrêtés et traités internationaux doivent être conformes aux règles qu’elle définit. Elle peut prendre la forme d’un texte unique ou d’un ensemble de lois. Seulement, il se trouve que l’esprit de départ et les motivations qui avaient conduit à l’élaboration de ce texte sont plus que jamais vidés après son «toilettage» en 2002. Les diplômés de grandes université et institut de droit mettent leur intelligence, non à réfléchir sur comment faire pour que nos lois aillent à l’avantage et à la protection du grand groupe, mais pour nager à contrecourant des valeurs et des principes fondateurs de nos sociétés. Les modifications nocturnes ou crépusculaires de cette constitution dans la seule volonté de l’adapter à la vie et aux intérêts de quelques individus, est une source dangereuse de haine et de compromission des générations futures. La crispation des positions et des logiques sociales dans notre pays y tire leur origine. La boucherie que fait l’objet la constitution est un mauvais précédent qu’il convient de rappeler. On peut être bénéficiaire aujourd’hui de ces beuveries et se taire ou même contribuer davantage à la modification, mais il faut reconnaître qu’à long terme, ni ces «intellectuels», qui mettent leur intelligence au service de ceux qui briment la population, ni la communauté tout entière ne sera pas gagnante. Il nous paraît ainsi important de rappeler que des actions visant à toujours travailler la constitution avec la seule et unique vision d’avoir la main mise sur les peuples et les régenter à guise, ne peut nous conduire au développement social, économique et moral de notre pays. La logique avec laquelle le pouvoir en place utilise la constitution est dangereuse et à long terme débouchera sur des conséquences désastreuses.

La décision de l’Union Parlementaire Internationale relative à l’exclusion des neuf députés de l’ANC était une occasion en or donnée aux dirigeants de ce pays de se ressaisir pour une bonne relecture du droit. Ne dit-on pas qu’il n’est pas trop tard de bien faire? Mais hélas malheureusement, c’est sans compter sur l’esprit maléfique de ceux qui sont sensés nous gouverner!

Des lois dont le seul but est de réduire au silence les adversaires politiques ont montré leur limite. Persister dans ces manœuvres macabres avec l’aide de conseillers et des juristes est un signe annonciateur de chaos. On ne peut indéfiniment imposer des mesures impopulaires à un peuple. Lorsqu’une occasion aussi minime soit-elle se présentera, elle nous ouvrira les portes de l’enfer. La loi Bodjona que le pouvoir présente comme un moyen d’organiser et de règlementer, voire régenter, les manifestations publiques, n’est rien d’autre que la semence de germe de la haine, de la frustration et du déni de justice. Nous nous souvenons des effets indésirables des lois impopulaires, et du sort réservé à leurs auteurs lorsqu’il y a rupture de la concorde nationale.

L’autre préoccupation de nature à compliquer le vivre ensemble concerne le traitement que le pouvoir réserve à certains citoyens qui sont sous la protection des mesures particulières. C’est pour un bon fonctionnement de la société, qu’à un moment donné de l’histoire, le législateur grec puis romain, avait estimé que certaines fonctions méritaient d’être protégées par des dispositifs particuliers. L’immunité accordée à tel ou à tel ne devrait souffrir d’amalgame. Il en est ainsi de l’immunité accordée aux parlementaires par exemple. Une fois encore, les autorités togolaises dans leur volonté de prouver leur force, font fi de cette disposition pourtant extrême. On arrête quand et où on veut des citoyens sous la protection de l’immunité. On incarcère, bastonne ou torture des députés sans que personne n’en parle. Le fait qu’un officier de gendarmerie ait porté la main sur le député Jean Pierre Fabre, qui était en plus président d’un groupe parlementaire, sans que l’Assemblée nationale ne dise un mot, est édifiant. Il en est de même du cas du député Robert Olympio arrêté et relâché lors d’une marche du FRAC. Que dire du cas du député Kpatcha Gnassingbé! Le cas de ce dernier ne devrait ni réjouir les collègues de sa famille politique, ni ses adversaires politiques. Deux ans déjà que ce monsieur est incarcéré sans qu’aucune mesure ne soit prise pour lever son immunité et faire de lui un citoyen ordinaire; en violation des dispositions légales, sa femme n’a pas droit de visite à son mari! Devant de tels actes, quel avenir voulons-nous prédire aux générations futures?

Il y a encore quelques semaines, Robert Bakaï, que tous ses collègues savaient piètre et arrogant et qui narguait tout le monde, a été limogé de son poste de procureur et mis à la disposition du ministre de la fonction publique et de la réforme administrative sans un avis délibéré du conseil supérieur de la magistrature. Et tout cela sans que les magistrats ne lèvent le petit doigt! Cette pratique rappelle bien le temps du parti unique où on limogeait des responsables au journal de midi.

Les âmes fragiles à lecture de ce papier se demanderont si nous sommes devenus des défenseurs des voyous. Loin de nous ce sentiment. Membre de la direction de la Coalition en 2005, je sais, comme d’ailleurs beaucoup de Togolais, le rôle qu’aurait joué Kpatcha Gnassingbé dans les assassinats de centaines de Togolaises et de Togolais avant, pendant et après les élections présidentielles de 2005. Ayant été candidat à l’élection législative de 2007, je sais le rôle que Kpatcha Gnassingbé a joué dans la supposée victoire du RPT à ces élections. Nous savons tous, le rôle que Kpatcha Gnassingbé a joué dans la compromission et la désolation de nombreuses familles par son simple fait d’être le fils d’un Président de la République! Sans infirmer ou confirmer l’accusation d’atteinte à la sureté de l’État et association de malfaiteurs contre lui, nous voudrions rappeler que deux ans de détention ne répondent à rien, surtout dans un État qui se dit de droit. Qu’au fond de son lieu d’incarcération, qu’il soit réduit au silence est probablement compréhensible. Mais que ces collègues députés, de l’opposition ou du parti au pouvoir se taisent, est inadmissible. Il faut noter en passant que seuls les députés de l’UFC d’alors avaient eu le courage et l’honnêteté de protester contre cette violation flagrante de la loi. Nous vivons là un mauvais précédent dont les conséquences sur les générations futures sont imprévisibles.

Monsieur Essohamlon Sama, fondateur de Rédemarre est incarcéré depuis plusieurs mois «sans autre forme de procès»! Monsieur Bertin Agba, après avoir été torturé est toujours en prison sans respect des textes en vigueur. Combien sont-ils, ces Togolaises et Togolais inconnus du public qui croupissent en prison dans de telles conditions. Ne pas reconnaître et dénoncer tous ces actes seraient le soutien à une forfaiture de plus. Où sont-ils, ces organisations des droits de l’homme?

L’ex procureur Robert Bakaï au-delà de son zèle, est un magistrat. Ce corps de métier qui légalise les forfaitures d’un pouvoir impopulaire et dynastique depuis quarante ans, s’est, bec et ongle, doté d’un organe de régulation, de contrôle et de sanction de ses membres. Cet organe est pris en otage par ses propres membres aux intérêts divergents. Nous nous demandons si les droits du magistrat démis et mis à disposition de la fonction publique ont été respectés. Lorsqu’on sait la perfidie avec laquelle ce magistrat a handicapé le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), lorsque l’on se rappelle des actes insensés qu’il a posés lors des élections précédentes, et quand on se rappelle la manière avec laquelle il a nargué ses aînés et ses collègues, on serait tenté de dire «qu’il n’a encore rien vu». Attention, comme dans le cas de Kpatcha Gnassingbé, cet ancien activiste du mouvement sulfureux d’HACAME parvenu à ce niveau de la hiérarchie, non pas par mérite, a le droit que son sort soit traité par le CSM et de la plus juste des manières. Ne pas l’avoir fait et continuer de prendre des décisions qui n’ont aucune assise légale forte, constituent des signes avant-coureur de la catastrophe qui n’épargnera personne. Si connaissant le système qu’il a aidé à consolider, il n’a pas protesté contre les mesures prises en son encontre, il est cependant fort regrettable que ces collègues magistrats, en bon connaisseurs de droits, demeurent étrangement muets sur ce comportement de l’exécutif.

Des exemples sont multiples et font école dans la mégalomanie et le galvaudage du pouvoir en place depuis plusieurs décennies. Le système vous propulse et vous fait croire que vous représentez quelque chose. Dès que vous vous rendez compte que vous aviez marchandé votre âme, il vous humilie et vous traite comme un moins que rien. Nous nous rappelons la triste mémoire des zélés et des parvenus qui ont payé de leur vie pour des zèles mais vite oubliés. Citons près de nous le «Toiletteur toiletté», le colonel Narcisse DJOUA mort dans le chagrin et la misère, Ernest GNASSINGBE mort dans des conditions qu’il est difficile de souhaiter à son pire ennemi, et bien d’autres encore. Le cas des apprentis roitelets et des griots de tous poils éteint dans un dénuement et dans l’indifférence de leur maître d’hier doit nous interpeller. La vertu des rois et des princes est l’ingratitude, voilà pourquoi au 18ème siècle de manière spontanée et unanime, on avait remplacé la monarchie par la république. Que tous ceux qui participent à ce jeux macabre et funéraire que sont l’oppression, le refus de dire le droit, la violation des droits élémentaires et le chiffonnage des ressources publiques se méfient de la justice des hommes mais plus de celle de Dieu.

Nos propos n’ont qu’un seul objectif, éloigner le maximum possible l’arbitraire de la gestion des affaires publiques. Les frustrations qui se lisent chaque jour sur les visages de nos compatriotes risquent de nous précipiter dans l’abîme de l’histoire. En paraphrasant Albert Camus dans l’Homme Révolté: «à un moment, même l’esclave dit non à son maître»! Et à ma connaissance nous ne sommes pas encore des esclaves au Togo!

Nous implorons de la part de nos concitoyens qui nous gouvernent sans aucune légitimité, beaucoup de retenue dans leurs actes. Nous sommes tous des Togolais et des Togolaises: nous méritons tous un meilleur traitement, un respect mutuel et la prise en compte des préoccupations de nous tous.

Que Dieu protège les Togolaises et les Togolais.

Tchabouré Aimé Gogué
Président du Bureau Exécutif National de l’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI)