19/04/2024

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Togo : Elections législatives pour faire oublier la «mauvaise» gouvernance

Par Yves Ekoué Amaïzo *

Avec l’arrangement politique de Ouagadougou du 19 août 2006 intitulé « accord politique global » dans lequel il n’a pas été question officiellement de choisir le Premier ministre dans les rangs de l’opposition, le Togo vient de prolonger le suspense sur l’alternance ou la pérennisation d’un régime éthnico-familial fondé sur une armée non républicaine. Sur les 34 postes du Gouvernement de Me Yawovi Agboyibo, le parti du Président et ses alliés ont conservé 24 portefeuilles ministériels. 7 portefeuilles, sans impact sur la direction du gouvernement ont été « octroyés » à une opposition dite « modérée » et 3 à la société civile. La Diaspora a « copieusement » été oubliée.

1. Le Premier ministre chahuté par les députés de la mouvance présidentielle

Nul ne saura jamais pourquoi les partis dits de l’opposition ont oublié de rappeler que les partis au pouvoir sont des partis qui ont du sang sur les mains. Nul ne doit être dupe du fait que la majorité présidentielle est en train d’utiliser les élections législatives pour faire oublier la bonne gouvernance au Togo et la recrudescence de la corruption et des passe-droits au Togo. Nul ne peut accepter que de nombreuses vies brisées et perdues, des handicapés, des orphelins et des populations soient privés du droit le plus élémentaire de s’exprimer librement et en toute sécurité. Le nouveau Premier ministre, Me Yawovi Agboyibo, a voulu rassurer en insistant uniquement et seulement sur sa volonté pleine et entière de réaliser des élections libres et transparentes au Togo. Encore faut-il ne pas sous-estimer les rancœurs ici et là. Lors de son discours de politique générale, un député et non des moindres de la mouvance présidentielle lui rappela devant une bonne brochette d’ambassadeurs un proverbe gabonais : « lorsque l’on mange la main d’un singe (délicatesse paraît-il en Afrique centrale), il ne faut pas oublier que cela pourrait être sa propre main »… Il faut donc se rappeler qu’il faut nécessairement avoir sa main pour voter au Togo… Cela en dit long sur l’ambiance pré-électorale dans ce pays, mais certainement sur la durée de vie du gouvernement de l’actuel premier-Ministre.

2. Ethique et droits de l’Homme : l’opposition togolaise s’est-elle fait avoir ?

Pourquoi avoir signé un « accord politique global » si l’on n’y gagne rien ? Pourquoi refuser de faire des alliances avec les élites togolaises notamment celles de la Diaspora togolaise ou avec d’autres partis ou associations souhaitant l’alternance politique, ou encore avec des personnalités désireuses de mettre leur savoir au service du Togo ? Autant de questions à laquelle la population togolaise souhaite obtenir des réponses qui restent distillées sous la forme de « non-dits ». A ce jeu, la stratégie de la marginalisation, voire d’implosion du parti le plus important au Togo, reste d’actualité.

Au moins au niveau de la décision de ne pas participer au Gouvernement de Me Y. Agboyibo, il faut reconnaître qu’il y avait malgré tout une logique dans la position de Gilchrist Olympio, le Président de l’Union des Forces du Changement. Il a en effet refusé de signer personnellement ce soi-disant Accord, au même titre que Faure Gnassingbé. Il s’est donc engagé simplement sur le processus qui permettra d’aller vers des élections libres, transparentes et sécurisées. Rien n’est moins sûr que celles-ci se dérouleront dans la sérénité sans intervention de forces étrangères. En fait, il ne s’agissait pas d’un accord mais bien d’un arrangement politique pour disculper un gouvernement qui reste illégitime aux yeux d’une grande partie de la communauté internationale. Il n’y a qu’au Togo que l’on croît que l’opération a réussi. Dans les chancelleries occidentales, les positions sont bien plus sévères et même la France n’a plus la ferveur d’antan…

Cet accord, qui fut accompagné d’accords parallèles secrets, avait aussi pour objectif premier de marginaliser pour de bon des représentants du peuple togolais, lesquels refusent de se joindre à une union où l’impunité constituerait le plus petit dénominateur commun. Il suffit alors de s’assurer que des citoyens ne puissent pas faire entendre leur voix au niveau d’un scrutin électoral transparent pour que le tour soit joué. L’opposition togolaise avait à choisir entre urgence alimentaire, renouveau au sein de la majorité présidentielle et maintien d’une éthique que beaucoup d’Africains, des Togolais en particulier, tendent à faire passer par pertes et profits dès qu’ils ou elles sont conviées à la cérémonie, souvent secrète, permettant de devenir un adepte de la « ventrologie ». Le peuple togolais doit choisir entre « manger sans liberté » ou « jeûner pour acquérir sa liberté et manger librement ensuite ». Les partis politiques ne font que refléter l’impatience de ce peuple togolais impuissant devant la puissance de l’armée non républicaine et ses alliés de l’extérieur. Pourtant, c’est en « perdant » la vie qu’on la retrouve…dixit le Nouveau Testament…

Le débat sur le fait que l’opposition s’est fait « roulée » ou pas dans la farine n’est acceptable que dans l’optique où l’on accepte de participer à un gouvernement élargi de la majorité présidentielle. En refusant d’y participer par principe et par éthique, les responsables politiques togolais ayant opté pour l’alternance en appellent à la responsabilité de la communauté internationale et à la sagesse du peuple togolais qui n’a pas attendu près de 40 ans pour finalement céder sur l’impunité, car il s’agit bien de céder sur la droit à la justice pour les nombreux morts et blessés de la démocratie togolaise.

3. Démission, fuite en avant ou innovation politique au Togo ?

Le jeu togolais est bien complexe car le pouvoir réel n’est pas dans les mains du Président mais bien au niveau d’un groupe d’une armée non-républicaine représentant les intérêts des caciques d’un clan éthnico-familial. Voici pourtant, parmi tant d’autres, des conditions indispensables pour croire à la bonne foi de la Présidence et de son nouveau Premier ministre :

• l’acceptation du vote des plus de 1 million de Togolais de la Diaspora ;
• l’acceptation que le système informatique portant sur le comptage du scrutin électoral ne soit pas aux mains de responsables à la solde de l’ancienne métropole, de la CEDEAO ou de la mouvance présidentielle mais soit géré sur une base paritaire avec un coordonnateur ne pouvant être juge et parti comme ce fut le cas au cours du dialogue inter-togolais ;
• l’acceptation d’une force internationale d’interposition pour des élections législatives qui devront se tenir avant juin 2006 ;
• l’interdiction pour les militaires et les forces dites de sécurité de prononcer les résultats des élections.

Tout ceci pourrait d’ailleurs ne pas avoir lieu si graduellement la communauté internationale sort de sa réserve et rappelle qu’elle ne reconnaît pas ce Gouvernement, au même titre que les précédentes élections présidentielles. Une simple démission de l’équipe dirigeante ouvrirait alors les portes à des élections présidentielles et législatives qui ne pourraient avoir lieu qu’après une transition effective, à la différence de ce qui se passe actuellement. La transition risquerait de se faire sans un Président (démissionnaire) mais avec un Premier ministre et une équipe de personnalités neutres, investies d’un pouvoir de refondation démocratique, de sécurisation du territoire, de réorganisation des institutions pour rétablir un Etat de droit et favoriser le retour des réfugiés et des immigrés togolais. Après tout, la Grande Bretagne est bien dirigée par un Premier ministre… Il s’agira véritablement d’une innovation politique. Mais la route sera longue sans l’intervention de la communauté internationale.

4. L’Union européenne : un arbitre en dernier ressort

Face à ces différentes options qui ne relèvent pas de cas d’école, ceux qui peuvent encore être considérés comme ayant des chances de représenter l’alternance et l’opposition togolaise doivent être fiers de leur position consistant principalement à ne pas traiter avec des personnalités hors-la-loi au plan international. Celles-ci ont bafoué les droits humains et ont opté pour le bain de sang afin de conserver un pouvoir avec une armée non républicaine alors que les résultats des urnes disaient le contraire.

Si la communauté internationale, notamment l’Union européenne, opte pour le soutien financier, alors le régime togolais qui perdure depuis près de 40 ans aura été légitimé et la communauté internationale ne pourra plus donner des leçons de droits de l’homme ni à l’ONU, ni aux Togolais. Si par contre l’Union européenne, c’est à dire le parlement européen, la commission et la présidence européennes, choisit de rester fidèle aux valeurs démocratiques reposant sur le refus de l’impunité et sur la promotion de la bonne gouvernance, alors il y a des chances que l’espérance sur l’avenir du Togo, bien morose aujourd’hui du fait de la marge de manœuvre bien limitée du gouvernement de Me Agboyibo, devienne réalité.

Disposant d’une grande partie des finances qui peuvent aider le Togo à sortir du marasme économique, l’Union européenne est de facto un arbitre en dernier ressort. En effet, l’Union européenne devrait sérieusement se pencher sur le cas du Ministre de la défense qui contrôle par l’entremise de son cousin, le ministre des PME et de la promotion de la zone franche togolaise, une grande partie des richesses togolaises. Comment s’assurer des élections libres au Togo si des personnalités comme le colonel Atcha Titikpina, ministre de la sécurité, mis à l’index dans le rapport de l’ONU sur la répression sanglante au cours des élections d’avril 2005 au Togo, sont chargées de suivre les élections législatives à venir ? Il faut croire qu’il s’agisse là d’une promotion et d’un pied de nez à l’ONU ?

Que dire lorsque le ministre de l’administration territoriale, Séléagodji Ahumey-Zunu proposé par Edem Kodjo et celui des collectivités locales, Ouro Bossi Tchacondoh proposé par Me Agboyibo sont sous le commandement direct du ministre de la sécurité ? L’Union européenne peut-elle rester silencieuse en oubliant qu’elle sera tenue responsable par le peuple togolais de son silence face à l’impunité dans ce pays ? Que dire de ce gouvernement d’union nationale lorsque la loi des finances de 2005 (la loi de finance de 2006 étant impossible à trouver) propose que le Ministre de la défense et des anciens combattants se retrouve avec un budget de 17 milliards de F CFA alors que le Premier ministre de l’époque (Edem Kodjo) avait en tout et pour tout 454 millions de F CFA et les postes dits d’intervention de l’Etat obligent les ministres à faire allégeance auprès du Chef de l’Etat pour organiser de manière non-programmable leurs activités ? Il n’y a donc aucune assurance pour la communauté internationale que, si les fonds de l’UE sont effectivement mis à disposition du Togo, ces fonds iront au peuple togolais, notamment le segment qui en a le plus besoin. Au cas où le droit devrait faire l’objet d’une lecture attentive, Sela Polo, Garde des sceaux et ministre de la justice, un ami du Président veille au grain. L’Union européenne ne peut faire semblant de ne pas voir ce qui se trame au Togo… et croire qu’il s’agit là d’un gouvernement de refondation démocratique au Togo surtout lorsque le poste de Ministre d’Etat à la présidence ressemble à s’y méprendre à un poste de « contrôleur » du Premier ministre puisque la vice-présidence « virtuelle » est avec celui qui a le plus gros budget ministériel, le ministère de la défense.

5. Qui a intérêt à ne pas publier la loi de finance 2006 du Togo ?

Il faut se rappeler que bien d’autres personnalités togolaises, y compris celles de la Diaspora, ont refusé de composer avec une telle équipe. La raison principale est qu’il faut absolument garder une éthique et ne s’engager que si les conditions de travail s’avèrent réellement sereines. Il suffit pour cela de se rendre compte que le Gouvernement togolais sortant a préféré ne pas diffuser la loi de finance 2006. Même au niveau des institutions sous-régionales comme l’Union Economique monétaire ouest-africain (UEMOA), on trouve la loi de finance des pays voisins mais pas celle du Togo. Il est donc permis de croire que les budgets alloués pour les postes ministériels pour 2006 ne devaient pas être divulgués car les postes de Ministre d’Etat sans portefeuille et les postes de Ministre à la présidence auraient été « trop visibles ». Cela aurait permis aux partis d’opposition souhaitant une alternance effective de ne pas participer au 12e dialogue et surtout de ne pas signer le dit « accord de politique globale » qui n’en est pas un. Mais, pour des raisons qui échappent aux citoyens togolais, de nombreux responsables politiques togolais ont considéré l’économie et les finances togolaises comme des volets secondaires en référence aux problèmes récurrents du déficit démocratique et n’ont pas compris que l’essentiel de la répartition du pouvoir au Togo se lit en fait dans la loi de finance.

Il faut donc nécessairement que l’UEMOA et le ministère de l’économie et des finances du Togo publient la loi de finance 2006. Question de transparence ! Ceci est d’autant plus urgent qu’en 2005, sur les 8 critères de convergence établis par l’UEMOA, le Togo n’arrive à n’en satisfaire qu’un seul… ce n’est assurément pas une preuve de bonne gouvernance. Pour assurer la convergence des politiques économiques, les Etats membres de l’UEMOA ont adopté un «pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité» comportant huit critères de convergence classés en deux groupes.

• Les critères dits de « premier rang » comprennent le ratio du solde budgétaire de base rapporté au Produit intérieur brut (PIB) nominal, le taux d’inflation, le ratio de l’encours de la dette publique totale rapporté au PIB nominal et la non accumulation d’arriérés de paiement intérieurs et extérieurs sur la gestion de la période courante.
• Les critères dits de « second rang » sont des repères de bonne gestion et comprennent le ratio de la masse salariale aux recettes fiscales, le ratio des investissements financés sur ressources intérieures aux recettes fiscales, le ratio du déficit extérieur courant hors dons rapporté au PIB et le taux de pression fiscale (source UEMOA).

Selon la société financière internationale, le bras privé du groupe de la Banque mondiale, le Togo figure parmi les pays où les conditions pour faire des affaires sont les plus mauvaises. Le Togo est classé 149e sur 155 Etats, donc bien parmi les derniers. C’est bien la conséquence de plusieurs années de gouvernance non-éclairée et d’arbitrages économiques indignes et se faisant contre les intérêts du citoyen togolais. Une telle gestion favorise donc la corruption où des pans entiers de l’économie togolaise se retrouvent dans les mains de quelques membres de la famille régnante. Il ne faut pas bien plus pour qu’un Etat qui a pour fondement l’usurpation évolue d’un Etat patrimonial vers un Etat défaillant lorsqu’il s’agit d’honorer ses engagements internationaux. L’Union européenne l’a bien compris en organisant le blocage de son aide au développement en 1993. L’inefficacité de cette mesure sur la population togolaise (augmentation de la pauvreté et des abus des libertés les plus élémentaires) fut inacceptable.

Aujourd’hui, les autres bailleurs de fonds qui refusent toujours de fournir une assistance au Togo ont graduellement conduit l’Union européenne, plus pour des raisons humanitaires, à ouvrir une brèche en permettant au Togo de participer à la préparation du prochain Fond européen de développement. Les allocations réelles d’argent frais de l’UE pour le Togo ne pourront se faire que si le déficit démocratique est levé. Rien n’est donc possible avant des élections transparentes. Pourtant, en lisant bien les allocations de la loi de finance de 2006, l’UE pourra éventuellement se faire une idée des rapports de force en présence. Ceux qui ont décidé d’accompagner l’élargissement de la base du RPT en participant à ce gouvernement d’union nationale prendront conscience qu’ils ont simplement accepté de marginaliser un peu plus les partis et mouvements qui souhaitent une alternance politique au Togo. A terme, cela pourrait se retourner contre eux à moins de sortir de ce gouvernement lorsque la pression sur l’éthique se fera de plus en plus forte à l’instar de l’ex-ministre François Boko.

6. Du commerce libre au monopole du commerce au Togo

Sur le plan de la corruption, le Togo est très mal placé par l’ONG Transparency international. En proposant de vouloir tenir des élections législatives en juin 2007 comme suggéré le 7 septembre 2006 à la sortie de son entretien avec le Chef de l’Etat français, Faure Gnassingbé n’est pas sûr de l’avenir et doit donner des gages à sa famille proche. Ses frères et sœurs non plus ne voient pas d’un bon œil les élections à venir et préfèrent assurer des rentrées d’argent par un système de monopole et de prédations sur les affaires les plus intéressantes du pays. Outre le virtuel « vice président » Kpatcha Gnassingbé, ministre de la défense et des anciens combattants, Rock Gnassingbé, patron de la Fédération togolaise de football qui n’a toujours pas expliqué à la FIFA sa gestion personnelle du budget réservé aux joueurs et à l’entraîneur lors de la dernière coupe du monde, Toyi Gnassingbé , lieutenant-colonel de l’armée et promu conseiller technique à la Présidence et frère jumeau du ministre de la défense, Mey Gnassingbé, chargé des missions spéciales à la Présidence… On se demande comment le nouveau Ministre d’Etat à la présidence, ex-premier ministre pourra naviguer en toute indépendance dans ce milieu.

Sur un autre plan, l’organisation mondiale du commerce (OMC) devra certainement reconsidérer la définition du commerce libre au Togo puisque trois des sœurs Gnassingbé, Yvonne, Gnékélé et Beza viennent d’obtenir par « décret présidentiel » le monopole sur un nombre certains de produits dans l’import-export et dans le transit au Togo. Gare à ceux des hommes et femmes d’affaires qui ignorent ce décret car leurs containers-cargaisons arrivant aux frontières du Togo risquent de faire l’objet d’une saisie en bonne et due forme pour entrave au « libre monopole » des sœurs Gnassingbé…

7. Face à l’histoire et à la conscience universelle…

En attendant certainement des élections vers octobre 2007, date de la fin du mandat auto-déterminé des parlementaires togolais, il est préférable de resserrer les rangs dans la famille. Ainsi, le remaniement ministériel suivi de la formation du gouvernement le 19 septembre 2006 avec à sa tête, Maître Yawovi Agboyibo, opposant qui a été l’avocat du Gouvernement togolais dans un contentieux sur le phosphate togolais, Président du CAR et Président du 12e dialogue togolais, vient confirmer la stratégie de la marginalisation des forces de l’alternance que pourraient constituer l’UFC et des forces alliées. Ce n’est d’ailleurs pas en « récupérant » l’ex-vice-président de l’UFC, Amah Gnassingbé, bombardé Ministre d’Etat sans portefeuille dans le nouveau gouvernement, pour ses bons et loyaux services rendus, que le pouvoir togolais va organiser le retour de la confiance avec l’Union européenne, ni avec la communauté internationale.

La triste réalité d’un Etat prédateur est qu’il faut absolument toujours protéger ceux qui ont intégré le cercle rapproché du pouvoir. Il était donc naturel de nommer l’ex-Premier ministre, Edem Kodjo au poste de Ministre d’Etat à la Présidence. Ce dernier, qui n’arrive plus à apparaître comme un opposant modéré, ne peut faire oublier qu’il est l’auteur et l’esprit des textes fondateurs (Livre vert) du parti unique au Togo, voûte du mouvement présidentiel. L’ex-Premier ministre, ex-secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) refusait de quitter les locaux de la Primature puisqu’un accord était déjà intervenu quant à sa nomination à la Présidence. Peut-il encore aujourd’hui incarner un modèle pour une alternance au Togo ? Il faut espérer que tous les responsables politiques qui tentent l’expérience de la « cohabitation plus ou moins par force majeure » avec la famille régnante au Togo soutenue par l’armée ne soient pas condamner à suivre la même voie qui conduit à ne plus pouvoir se réclamer d’une opposition au Togo.

Plus grave, ces responsables ont, en fait, accepté le principe de faire alliance avec une partie de l’armée non républicaine qui a fait couler beaucoup de sang et que seul le tribunal pénal de la Haye pourra, un jour peut-être, sur la base des rapports de l’ONU et des organisations des droits de l’Homme, traduire en justice afin de tenter d’éclaircir les responsabilités et condamner les atrocités commises sur les citoyens togolais et étrangers. En effet, nul n’a oublié qu’au côté des Togolais et de certains ressortissants des pays d’Afrique de l’ouest, des citoyens européens, allemands et autrichiens en l’occurrence, ont péri au Togo du fait de l’arbitraire de la partie de l’armée non républicaine. Face à l’histoire et à la conscience universelle, les historiens devront nécessairement rappeler le rôle désastreux d’une partie des élites togolaises lesquelles ont refusé de dénoncer l’instrumentalisation du problème Nord-Sud, pire ont préféré s’en accommoder pour accéder à des postes où leur liberté s’est entachée de sang et d’allégeance. Ce n’est pas comme cela qu’une démocratie peut se construire.

8. Changer les choses de l’extérieur

L’arrangement politique global consistait pour la mouvance présidentielle à élargir la base électorale du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), parti présidentiel et ex-parti unique. Ainsi dans les attributions du Premier ministre, ce qui constitue d’ailleurs sa feuille de route, il n’est question que d’élargir cette base en tentant «d’impliquer fortement une certaine Diaspora togolaise ». Tout un chacun sait que le fait d’élaborer « les textes réglementaires et administratifs garantissant des élections justes, libres et transparentes » n’a pas empêché les précédentes élections présidentielles de se dérouler comme chacun sait… La tâche du premier ministre est donc bien circonscrite à l’organisation d’élections législatives où, pour perdurer au pouvoir, ceux qui ont choisi d’aller au Gouvernement auront besoin de faire partie d’une coalition majoritaire où il n’y a pas de place pour des partis d’alternance… C’est ainsi que des personnalités politiques ont choisi, au moins passagèrement, de faire alliance avec ceux qui ont choisi l’impunité comme mode de gouvernance en croyant fermement que l’on peut «changer les choses de l’intérieur ». C’est mal connaître la capacité d’absorption du parti présidentiel qui dispose de conseillers hors-pairs du dedans, du dehors, et certains rajouteront de l’au-delà.

Si L’UFC veut encore avoir une chance de représenter une certaine alternance, il ne peut continuer à s’affranchir des expertises et des compétences disponibles – et qui ne sont pas des mouvements esclaves mais bien des entités ou des personnalités épousant les repères communs que sont la démocratie, le refus de l’impunité, la bonne gouvernance et le partenariat avec les communautés africaines et internationales.

Les partis, associations et personnalités pouvant incarner l’alternance devront aujourd’hui prendre conscience de l’importance de s’associer des personnalités éthiques et compétentes en organisant un réseau de compétences sur des bases de confiance et de respect mutuels. S’ils souhaitent réellement continuer à bénéficier de la confiance du peuple togolais pour promouvoir un mouvement démocratique au Togo, il y a lieu de faire une démarche proactive qui ne peut s’affranchir de l’appui de la communauté internationale. Cette démarche, qui a déjà commencé, consistera pour l’essentiel à expliquer que le vent de changement recherché se fait au profit de la population togolaise, notamment la plus défavorisée.

Enfin, un mouvement qui veut gagner les élections doit évoluer vers des structures modernes de spécialisation des courants et des personnes. La médiocrité doit disparaître dans les rangs et l’acceptation de la critique et l’organisation du consensus autour de la position de sagesse, même si elle est différente de celle du chef charismatique, doivent devenir en interne un signe vivant de la démocratie. L’UFC et le RPT ne répondent pas véritablement à ces critères. Si l’on y rajoute les contradictions profondes d’un Président qui cherche malgré tout à satisfaire trop d’intérêts contradictoires comme les demandes de la junte militaire qui dirige en fait le pays, de la partie de l’armée non républicaine, du clan familial, du RPT, des besoins des militants d’une part, et du syndicat de chefs d’Etat africains, des tenants du pré-carré français, et de l’opposition conciliante d’autre part, alors il suffit de bien peu de choses pour que ce gouvernement à l’équilibre asymétrique ne chancelle.

La communauté internationale aura alors contribué à faire passer le Togo d’un état avancé de déficit démocratique vers un Etat en situation de faillite démocratique et économique, pour avoir cru que le principe de la subsidiarité peut fonctionner avec des institutions sous-régionales comme la CEDEAO où les liens du syndicat des chefs d’Etat ont force de loi.

[1] Amnesty International, document public index AI : AFR57/013/1993/F : « Togo : les forces armées tuent impunément », 5 octobre 1993, 7 pages ; voir sur Internet : http://web.amnesty.org

* Par Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI). Il s’exprime ici à titre personnel.