19/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Togoano Nox (Nuit sur le Togo) : Ouaga IV fait du Togo un grand bordel politique

Ahmadou Kourouma écrivait dans Allah n’est pas obligé (Paris, Le Seuil, 2002) que « La Sierra Leone c’est le bordel, oui le bordel au carré. On dit qu’un pays est le bordel quand des bandits de grand chemin se partagent le pays comme au Liberia ; mais quand, en plus des bandits, des associations et des démocrates s’en mêlent, ça devient plus qu’au simple ». Il aurait pu écrire ces phrases à propos du Togo, un pays qu’il connaît trop bien pour y avoir vécu longtemps et lui avoir consacré un des plus célèbres romans En attendant le vote des bêtes sauvages (Paris, Le Seuil, 1998).

Depuis la clôture du dialogue intertogolais sanctionnée par la signature des accords de Ouaga IV en août 2006, la classe politique togolaise, et surtout les partis supposés d’opposition, a montré à la population son vrai visage. On est parvenu au Togo à ne plus faire de distinction entre démocrates et bandits. Lorsque dans un pays se confondent démocrates et bandits, c’est que ce pays est simplement hors d’usage et bon à rien. Dans ces conditions, toutes formes de solutions dites médianes ou modérées, qui ont tendance à couper la poire en deux, participent à la pérennisation et à la consolidation du bordel. On connaît l’expression « perdre la face », mais dans le cas du Togo, c’est depuis longtemps que ce stade est franchi, et on est arrivé à une confusion totale entre la face et la fesse des dirigeants dans une anastomose où le Clan est passé grand-expert, laquelle a fait sauter les bornes séparant ventrocratie, voyoucratie et démocratie. Pis encore, bien malin aujourd’hui qui pourra faire véritablement la distinction entre les autres leaders et l’acrobate Edem Kodjo.

On évoquera quatre points pour mettre en exergue le grand bordel politique qu’est devenu le Togo sans toutefois rentrer dans des détails : les accords de Ouaga IV, le gouvernement de Me Agboyibor, les législatives annoncées de 2007 et les prochaines présidentielles de 2010.

1- Les accords de Ouaga IV

Beaucoup de commentaires et de critiques ont été faits sur ces accords où ont été soulevées leurs insuffisances notoires, notamment leur caractère très élastique d’où n’émerge aucune clause précise imposant des obligations explicites claires aux « parties prenantes ». Il n’y a aucune garantie probante qui permet de saisir telle instance en cas de conflit d’interprétation ou d’exécution si ce n’est « la bonne volonté » et « la bonne foi » des « signataires » comme n’a cessé de le marteler Léopold Gnininvi face à des journalistes dubitatifs au cours d’une émission retransmise à Lomé.

On se prend la tête entre les mains à se demander, songeur, comment des leaders politiques, pourtant aussi avisés que madrés les uns les autres, ont pu signer en grande pompe ce véritable torche-cul dont ils sont apparemment fiers et heureux. Qu’est-ce qui a bien pu se passer au « Pays des hommes intègres » pour qu’ils signent leur propre reddition dans des chants d’allégresse et les froufroutements arrogants de boubous scintillants ? Et où sont passés les amendements qui auraient dû être intégrés à l’accord paraphé à Ouagadougou avant signature à Lomé selon ce que rapportent les clabauderies ici et là ? Le silence assourdissant des « signataires » à cet égard et la confusion dans leurs propos laissent un dégoût total dans la gorge du Togolais de base fatigué et lassé d’espérer. De toutes les manières, avant même qu’il ne débute, Ouaga IV était pipé. Il était un gros jarre pestilentiel où est déposé le poste empoisonné de Premier ministre pour allécher les jobards que sont devenus nos « leaders de l’opposition » qui s’y sont précipités la tête la première, et il a fallu une photo finish au laser pour insculper le vainqueur, tant étaient nombreux les concurrents qui se bousculaient à Ouagadougou pour arracher la place.

Remettons pêle-mêle les choses en mémoire: 1) récusation par Faure, Agboyibor et Gnininvi du facilitateur, le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, proposé par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, au lendemain du passage à Lomé, en janvier dernier, de Monsieur Afrique de l’Elysée, Michel de Bonnecorse, 2) convocation précipitée et unilatérale du dialogue par le Clan, 3) absence d’un minimum de concertation au sein des partis dits d’opposition, 4) composition des délégations dominées par les démembrements du RPT tels que le gouvernement, le RFAMPT, la CPP, le PDR, que rejoindront plus tard dans une alliance objective, sur la pointe des pieds, le CAR dans le jeu assez troublant de son leader et la CDPA du professeur Léopold Gnininvi, le moins inattendu dans ce lupanar politique. En proposant dans un consensus déroutant le françafricain Blaise Compaoré comme facilitateur, le piège est prêt à fonctionner avec une redoutable efficacité. Y a-t-il matière à s’étonner vraiment quand on voit la même domination du pouvoir RPT et de ses prostaglandines au sein de la CENI issue de Ouaga IV, chargée, nous dit-on, d’organiser des législatives « sincères » et « transparentes ». Sa composition révèle pratiquement les mêmes acteurs erpétistes qui ont été de grands fabricants de fraudes électorales depuis les années 1990.

Il faut le dire et crier fort urbi et orbi, quitte à crever des tympans sensibles, Ouaga IV n’a pas eu pour finalité de résorber la longue et douloureuse crise politique togolaise, mais de régler deux problèmes techniques très ponctuelles : la nomination d’un nouveau Premier ministre et accessoirement l’organisation des législatives, avec deux conséquences induites : d’une part l’obtention de la signature de l’UFC (ici, on tire chapeau au RPT qui a si bien manœuvré et manipulé son « impérial » leader, Gilchrist Olympio !) et d’autre part la levée de la plus que décennale suspension des aides de l’Union européenne. Mais tout accord politique dit global qui ne prendra point en considération l’hypothèque militaro-milicienne sur la vie politique du pays, en considération les différents contentieux électoraux, dont celui notamment de la présidentielle d’avril 2005 qui a été la plus meurtrière que le pays a connue jusqu’à ce jour, en considération la question de l’impunité politique, les crimes économiques et le problème crucial des réfugiés, etc., cet accord politique dit global ne sera que tromperie sur la marchandise qui fera du Togo un grand bordel politique où démocrates et bandits copuleront joyeusement entre eux sur le dos de la population, avec ses propres complicité et indifférence actives ou passives, sous le regard voyeur de la France et de la « communauté internationale ». Le gouvernement de Me Agboyibor n’est-il pas le révélateur de ce grand bordel ?

2- Le gouvernement de Me Agboyibor

Me Agboyibor ne figurait pas au départ sur la liste des premiers-ministrables du Clan et de la Chiraquie, compte tenu de sa personnalité fourbe qui ne rassurait personne. A Abuja en mai 2005, après la rocambolesque et incompréhensible rencontre entre Faure et Glichrist Olympio le mois précédent, il intriguait déjà sur le dos de ses alliés de l’opposition auprès d’Obasanjo pour que la primature lui soit octroyée. Par la suite ses danses du ventre pour séduire Faure et ses liens francs-maçonniques avérés ainsi que des gages qu’il a dû donner au Clan, en se métamorphosant en bélier carnivore, avaleur de grosses couleuvres, – et ceci dans une sérénité et une satisfaction de soi altières -, ont été suffisamment convaincants pour qu’il emporte la primature, devenue l’obsession cardinale des « signataires » de Ouaga IV, à commencer par l’«impérial » leader de l’UFC qui y a mis son poids et son honneur politiques au mépris de tout contenu qualitatif de l’accord.

Le gouvernement Agboyibor, fort de ses 34 membres, tel qu’il est composé, est en tous points conforme à l’esprit de Ouaga IV tel qu’il a été évoqué dans un précédant paragraphe et qui est un chèque en blanc donné à Faure. Cet accord n’est pas et ne peut pas être constitué pour répondre aux attentes et aux intérêts majeurs (indépendance nationale, liberté individuelle et collective, bien-être matériel et moral, etc.) de la population, le cadet des soucis de Ouaga IV. Il est signé avant tout en vue d’un gouvernement participationniste au sens où l’entend Amah Gnassingbé par exemple, comme d’autres Togolais avec lui : « Moi, je veux collaborer, c’est tout. J’ai dit ça à Gil [Gilchrist Olympio] que moi je veux rentrer à titre individuel [dans le gouvernement Agboyibor], il faut qu’il laisse les gens rentrer à titre individuel ». Il s’agit de collaborer au système RPT en mettant la main dans le cambouis, de partager le pouvoir avec le RPT, c’est-à-dire accéder à tout le décorum matériel et symbolique afférent (argent, voiture, villa, femmes par exemple), puisqu’il est inadmissible de laisser le RPT gouverner seul le pays selon le credo maintenant répandu dans une certaine opinion togolaise. Il ne s’agit en aucun cas d’un accord devant déboucher sur une dynamique de lutte contre le système, mais d’un accord ou d’un consensus pour pérenniser le système bandit et mafieux du RPT, lequel est toujours prêt à faire de monstrueux massacres pour conserver son pouvoir et le système en l’état. Tels étaient et la posture de base, le piège et les enjeux primordiaux de Ouaga IV. On comprend dès lors que ce sont les mêmes qui avaient applaudi l’élection sanglante et frauduleuse de Faure qui ont salué dans une jubilation extatique Ouaga IV, d’autant qu’ils ont réussi la prouesse d’obtenir la signature de l’UFC, taxée de jouer les « mauvais garçons » ou les empêcheurs de tourner en rond.

Ouvrons une petite parenthèse ici pour souligner que le Togo a toujours été parcouru par deux courants politiques dominants : d’une part un nationalisme populaire, qui ne se reconnaît pas forcément dans le CUT/UFC, quand bien même ce parti semble en être le vecteur, et d’autre part un courant collaborationniste avec le pouvoir colonial dont le système RPT n’est que le prolongement. Après l’assassinat de Sylvanus Olympio en 1963, c’est le collaborationnisme, incarné par Nicolas Grunitzky et ensuite surtout par Eyadéma, qui a triomphé dans les conditions et avec les soutiens extérieurs que l’on sait. Le collaborationnisme a cette caractéristique de considérer le Togo comme une colonie en évidant son indépendance et sa souveraineté de tout contenu qualitatif. Aussi assiste-t-on actuellement autour de Faure la même recomposition qui a marqué la prise du pouvoir par Eyadéma en 1967 avec au centre toujours le même personnage, Edem Kodjo, concepteur et exécuteur du système RPT/Eyadéma. En remettant les choses dans cette perspective historique, il faut dire que Ouaga IV, qui légitime Faure, joue ce bis repetita de l’histoire togolaise.

Ceci étant dit, la composition du gouvernement démontre à merveille que Me Agboyibor n’a aucune marge de manœuvre. Même si Me Agboyibor est armé de bonnes intentions, les conditions de sa nomination oblitèrent sa volonté de « changer les choses ». De toutes les manières, le Clan ne lui facilitera pas la tâche, et il est contraint de jouer le rôle d’un Edem Kodjo bis : être dans le grand bordel l’étui pénien de Faure ou son cache-sexe qui camoufle au regard extérieur la nature perverse du système RPT.

Déjà, le gouvernement en place n’est pas une composition de son cru. Plusieurs raisons directes permettent de l’affirmer : 1) Entre sa nomination et l’annonce publique de la formation du gouvernement, le délai est trop court pour consulter et persuader les éléments pressentis d’une part, et d’autre pour établir la liste définitive et répartir les portefeuilles. Rappelons que si Me Agboyibor était un baron officieux du système, il n’a jamais exercé de fonctions gouvernementales et donc il lui manque l’expérience pour former aussi rapidement une équipe gouvernementale ; 2) Certains portefeuilles étaient pourvus bien avant sa désignation. Citons entre autres notamment Kpatcha qui ne veut à aucun prix quitter le ministère de la Défense où il est devenu titulaire à part entière, et le lieutenant-colonel Atcha Titikpina, ancien responsable de la Garde présidentielle sous Eyadéma devenu aide de camp de Faure et l’un des auteurs des massacres d’avril 2005. Atcha Titikpina est appelé à remplacer le colonel Pitalouna-Ani Laokpessi à la Sécurité, lorsqu’il est apparu que ce dernier, grand tortionnaire devant l’Eternel, fut touché par la grâce divine, et s’est converti à un des mouvements religieux de la place (on parle du « Temple du Calvaire ») en transformant son cabinet ministériel en un lieu de prière où la ferveur et la dévotion religieuses sont l’opposé de ce qui est attendu de redoutables tortionnaires. Donc aux yeux du Clan, Laokpessi n’est plus l’élément fiable sur qui compter. Ajoutons aussi que la plupart des ministres qui étaient proches d’Edem Kodjo, sans toutefois être de la CPP, sont restés curieusement en place ; 3) Me Agboyibor n’a pu placer nombre de ses amis qui voyaient dans son intronisation une opportunité de promotion ministérielle. Est-ce vraiment de la caricature que de dire qu’il a eu seulement à apposer son paraphe au bas d’une liste de noms comportant une ou deux cases blanches à charge pour lui de les remplir avec les noms de son choix ? 4) Parce que l’équipe gouvernementale comporte trop d’individus dont la médiocrité décroche le ciel, il serait vraiment insultant d’accorder à Me Agboyibor sa paternité, laquelle porte vraisemblablement la griffe du Clan et d’Edem Kodjo ; 5) Le Premier ministre n’a eu aucun mot à dire lors de la nomination des deux membres du gouvernement à la CENI. Ces noms lui ont été imposés qu’il a avalisés, plus exactement qu’il a avalés, la gorge obstruée et dans l’incapacité de pousser de cris de protestation. Dans ce contexte, que veut-on que dise le pauvre Me Agboyibor quand le « membre du gouvernement » l’erpétiste Tozim Potopéré est propulsé à la présidence de la CENI en violation de Ouaga IV, mieux dans le strict respect de l’esprit de cet accord ?

Par ailleurs, Faure a constitué auprès de lui un gouvernement parallèle, formé de ses conseillers qui ont rang de ministres pour certains (il en nomme régulièrement), et dirigé par le somnambule et l’indécrottable Edem Kodjo, dont le but est de neutraliser les éventuelles velléités d’autonomie de son ami-ennemi Me Agboyibor, et de parer à ses fourberies et à ses sautes d’humeur. C’est ce gouvernement bis ou parallèle, plus restreint, au sein duquel Pitang Tchalla n’est plus en odeur de sainteté, soupçonné de brader l’héritage du Clan, qui est le véritable gouvernement du Togo à l’heure actuelle. Ce n’est pas celui, volumineux ou ventripotent, de Me Agboyibor, qui est planté là pour décorer, au sens propre du terme, la scène politique et donner l’illusion d’un gouvernement d’union nationale, d’unité nationale, de réconciliation nationale. D’autant que dans ce gouvernement, les portefeuilles régaliens ou de souveraineté reviennent aux membres du RPT alors que quelques strapontins symboliques et ludiques récompensent les membres des partis dits d’opposition.

Par exemple, lorsque Zarifou Ayéva parade à Lomé avec son titre ronflant de ministre d’Etat des Affaires étrangères et de l’Intégration africaine, le véritable titulaire de ce poste est l’ami de Faure, Gilbert Bawara, affublé de l’appellation trompeuse de « ministre de la Coopération et du NEPAD ». Quel sens politique accordé à un ministère des Mines et de l’Energie attribué au Professeur Léopold Gnininvi dans un pays sans énergies et sans mines ? De même on attend toujours le genre de « communication » et de « formation civique » que Me Gahoun Hégbor va concocter pour élever la culture civique, – ce qui n’est pas inscrit parmi les soucis premiers du Clan,- dans un Togo émasculé par quarante années de dictature et de collaborationnisme avec la Françafrique. Que voudrait-on que l’on pense lorsqu’on attribue le ministère de la Justice et le garde des Sceaux à un voyou notoire et qui se reconnaît lui-même comme tel ? On pourra interroger de la sorte un à un ces ministères « kesse kuku » octroyés aux partis dits d’opposition qui n’ont pas cherché à envoyer des cadres ou des compétences moins exposées sur la scène politique, mais des responsables de premier plan. Décidément la mangeoire RPT n’est pas faite pour de seconds couteaux. Bref, des amis, des camarades, des maîtresses de Faure, des anciennes maîtresses de son père, des barons des partis du RPT et des partis dits d’opposition se retrouvent au commandement d’un pays qui a plus que besoin de compétences vraies pour relever les défis énormes qui brident l’avenir de ses enfants.

Pendant ce temps, Le Premier ministre piétine d’impatience pour que le parent de Faure, Payadowa Boukpessi, le ministre des Finances, ouvre un peu plus grand le robinet du pognon pour son cabinet tenu en laisse par le cordon de la bourse que le Clan serre fermement dans ses mains. Dans ces conditions, le discours-programme de Me Agboyibor devant l’Assemblée monocolore du RPT (qualifiée au passage de représentation du peuple !) où sont promis ciel et terre et ses laborieux conseils de ministres, d’où ne sort rien d’essentiel pour le moment, relèvent moins de l’action politique que de la prestidigitation. Il est contraint de faire contre mauvaise fortune bon cœur en attendant de le voir sortir les griffes de sa ruse légendaire.

3- Les législatives annoncées pour le 24 juin 2007

Lors de son séjour en France, en septembre dernier, Faure a montré à ses hôtes, pantois, la partie la plus intime de son anatomie : sa médiocrité intellectuelle. Il pensait bien faire en jetant à la face de ses auditeurs cette promesse alléchante, curieusement reprise pour son compte par son Premier ministre à l’Assemblée nationale d’organiser les législatives en juin prochain.
On peut dire que le choix de la date, qui n’a fait l’objet d’aucune concertation, n’est pas du tout innocent : cette date renvoie aux présidentielles frauduleuses de juin 2003 que son père avait organisées. Dans le Sud, c’est la saison pluvieuse peu propice à la votation, et dans le Nord, c’est le moment qui prélude aux luttes évala dans la Kozah, en pays kabyè. C’est aussi le moment que le Clan met à profit pour sponsoriser ces luttes et on voit mal les candidats des partis dits d’opposition aller défier ceux du RPT dans leur « fief naturel » supposé. Me Agboyibor et le Professeur Gnininvi et d’autres ne se sont jamais hasardés à implanter leur parti dans la Kozah que le Clan considérait comme sa cité-forteresse.

Mais plus fondamentalement Dieu seul peut savoir si les prochaines législatives auront bien lieu au Togo. A vrai dire, les législatives intéressent infiniment peu de monde : le Clan qui sait que son parti le RPT risque de prendre une raclée n’est pas chaud. Les partis dits d’opposition au gouvernement meuvent dans la même crainte que le RPT, ils se rendent comptent leur collaborationnisme n’est pas électoralement payant dans un pays au nationalisme ombrageux. Bénéficiant dorénavant des moyens d’Etat (moyens de déplacements et de l’argent) ils vont aussi battre campagne. Car c’est l’Union européenne qui, pour ouvrir ses mains bourrées de sous, oblige la classe politique à aller aux élections législatives, qui plus est doivent être… «transparentes ». D’ores et déjà ses missions d’évaluation sur le terrain se suivent et se ressemblent avec à la bouche le leitmotiv de « progrès considérables » accomplis par Faure que les Togolais peinent à voir.

C’est que techniquement, l’administration togolaise, dont quelques pans tiennent encore debout dans le champ de ruine, n’est pas armée pour organiser une véritable élection transparente et sincère, surtout dans le délai aussi rapproché imposé par Faure et son Premier ministre, le Bélier, avaleur de grosses couleuvres. Le Clan fera tout pour contrecarrer toute volonté mal venue d’organiser ces législatives annoncées, surtout s’il est convaincu de les perdre. Et si d’aventure on venait à les organiser, il y a 99,99 % et plus de chance qu’elles soient frauduleuses.

En tout cas, la machine à frauder est mise et se met progressivement en place avec une CENI erpétisée pour la présidence de laquelle la classe politique et surtout les partis dits d’opposition se sont battus comme des gladiateurs romains. Depuis le démembrement du ministère de l’Intérieur à la suite du départ de François Boko, ce sont Séléagodji Ahumey-Zunu de la CPP, ministre de l’Administration territoriale, et Ouro Bossi Tchacondoh du CAR, ministre chargé des Collectivités locales et délégué auprès de lui, qui ont la responsabilité d’organiser ces législatives. Ils ne les organiseront pas pour que leurs partis et le RPT les perdent, loin s’en faut. Vont se nouer des alliances électorales, avec des combinaisons bizarroïdes, entre les partis au gouvernement ou non que le ministre Ahumey-Zunu et son bras droit Tchacondoh traduiront dans les urnes avec la bienveillance de la CENI, des préfets et des magistrats nommés sur mesure. On peut très bien imaginer le Clan et le RPT s’octroyer entre 30 et 35 députés sur 81 dans le Nord du pays, supposé son fief politique, quitte aux autres partis de se débrouiller pour en rapporter dans la corbeille de l’alliance entre 20 et 25 dans le Sud. Dans l’hypothèse haute, il ne restera que quelque 21 députés à dispatcher entre les formations restantes et celles que le pouvoir suscitera à la dernière minute. Et il est n’est pas incongru de penser que les simiens de la Cour constitutionnelle tient déjà prêt le certificat de validation des législatives annoncées.

L’Union européenne, prédisposée et conditionnée, n’y verra que du feu, d’autant que ce sont les partis dits d’opposition (le CAR et la CPP) qui les ont organisées. L’UFC et son « impérial » leader Gilchrist Olympio, pour le moment déboussolé, ainsi que quelques groupuscules auront beau crier au vol et au scandale, très peu de monde les prendrait au sérieux quand bien même tout le monde sait que ces législatives n’ont pas été un brin sérieuses. Comme son icône Me Agboyibor, Madame Célestine Aïdam, ministresse du strapontin ludique des Droits de l’homme et de la Démocratie, n’aura qu’avaler elle aussi des couleuvres pour étouffer tout le long travail de conscientisation politique au vote que son ONG le GF2D faisait auprès des femmes. Comment pourra-t-elle dénoncer les fraudes que le gouvernement dans lequel elle siège aura orchestrées sans perdre son âme : son gagne-pain ?

L’Union européenne n’aura qu’alors à ouvrir tout grand le robinet de ses subventions ; et le peuple, heureux-content-dansant, chantera à tue-tête, plutôt à tue-corps des « Faure, tu es fort ! », des « Merci Faure ! », vestiges mémoriels du culte de la personnalité si caractéristique de la dictature Eyadéma. A partir de ce moment-là, sera-il encore possible d’expulser de la culture politique togolaise, la dynastisation du régime et la bordélisation du pays qui sont en train d’opérer des pas de géant sous nos yeux ?

4- Les prochaines présidentielles d’avril 2010 et quelques perspectives.

L’UFC a toujours boycotté les législatives parfois pour de bonnes parfois pour de mauvaises raisons, mais n’a jamais boycotté les présidentielles, excepté celles de 1993 dont Soudou l’avait exclue d’office. Si le parti, ou plus exactement si son patron a fait des présidentielles son affaire personnelle, et au regard de la logique dont il nous a habitués, on peut d’ores et déjà dessiner les contours de la manière dont il abordera ces échéances dans trois ans et demi.

Il faut que dire si les Togolais ne prennent pas garde, les présidentielles d’avril 2010 risquent d’être un remake encore plus sanglant que celles d’avril 2005, dans la mesure où le Clan, lui, est en train de les préparer activement. En effet, dans les tout prochains mois, il est envisagé un recrutement massif (on parle d’environ 1 700 hommes) pour renforcer l’armée (plutôt les milices) déjà pléthorique et la police. On sait qu’une grande partie du budget 2006 (dont l’impotent Premier ministre ne pourra demander un rectificatif) est consacrée aux FAT et à leur armement. Le Clan a acquis récemment, croit-on savoir, une technologie sophistiquée de mise sur écoute de la téléphonie fixe et mobile, et des milices sont en formation pour être plus professionnelles et plus performantes. Jacques Chirac, le parrain, s’est réconcilié avec son filleul lors de son passage à l’Elysée en septembre dernier et ils ne manquent plus une occasion pour se téléphoner. La perspective de levée des sanctions de l’Union européenne et son pactole échaudent les esprits et l’horizon d’attente du Clan n’est pas de céder une parcelle du pouvoir et encore moins de laisser s’écrouler le système. La mise en place prochaine du comité de suivi après lequel on s’agite en ce moment n’est pas une solution à la hauteur de la crise abyssale dont souffre le pays.

Dans ces conditions, les législatives prochaines, qu’elles aient lieu ou pas, seront l’occasion de savoir vraiment si Gilchrist Olympio a tiré des leçons de sa bourde monumentale à Ouagadougou. Or la première leçon à tirer de Ouaga IV pour l’UFC passe par cette étape de reconnaître publiquement cette erreur en communiquant et informant l’opinion sur ce qui s’est réellement passé au Pays des hommes intègres et qui laisse les Togolais pantois. Quels ont été les manquements qui ont conduit à ce lamentable gâchis que d’aucuns prédisaient ? Quelles ont été les pressions internes et surtout externes qui ont poussé à cette voie de garage ? La seule obsession pour la primature, comme une fin politique, ne saurait justifier Ouaga IV. Un examen de conscience critique s’impose non seulement à l’UFC, mais aussi à toutes les formations dites d’opposition parties dans le train de la collaboration avec Faure et de sa légitimation. Car le paradoxe dans la situation togolaise est qu’en face la sérénité ne règne pas dans les cœurs et les esprits.

En effet, le Clan a toujours peur d’un possible coup d’Etat et est constamment sur les nerfs. La nomination de Titipkina à la Sécurité, l’augmentation du budget de la Défense, l’acquisition de nouveaux stocks d’armes, le projet de nouveaux recrutements au sein des FAT, la mise sur écoute de la population et le départ probable du parrain élyséen illustrent ce manque de sérénité. L’opposition partie au gouvernement se rend compte de plus en plus qu’elle est prise dans les rets du filet de Faure, sans pouvoir réel de décision dans les ministères dont elle a la charge. Pensait-elle pouvoir en avoir vraiment dans ce système mafieux ? Est-ce que le salut politique pour Me Agboyibor et son gouvernement, empêtrés dans un sac de nœuds faits d’impasse, ne serait pas de remettre leur démission afin de mettre Faure et son Clan devant leur responsabilité ? Dans ce pays où démissionner d’un poste ministériel est chose rarissime, on pourra attendre et rêver. Mais pourquoi, pour sortir de l’impasse manifeste où ils sont plongés, tous les « signataires » ne dénonceraient-ils pas publiquement Ouaga IV ? Lequel, excepté ceux pour qui l’accession de Me Agboyibor à la primature est une fin en soi et une opportunité existentielle, a encore creusé le fossé déjà grand séparant la classe politique et la population.

Dans le contexte actuel, les Togolais doivent exercer, individuellement ou collectivement, à l’endroit de leur parti respectif leur droit de compréhension de ce qui s’est réellement à Ouagadougou et aussi leur droit de protestation contre les turpitudes des « signataires » de Ouaga IV. Mais dans tous les cas, il n’est pas impossible de s’attendre à ce qu’un sous-officier patriote, en colère, vienne balayer tout ce monde de bordel et nettoyer les écuries d’Augias avec des chars et des fusils d’assaut, et là ce sera une toute autre histoire.

Bordeaux, le 12 novembre 2006
Comi M. Toulabor
CEAN- Sciences Po Bordeaux