En démocratie représentative, où les citoyens détenteurs collectivement de la souveraineté populaire se font représenter au parlement monocaméral ou bicaméral par leurs mandants appelés députés ou représentants ou des sénateurs choisis durant des élections, le fichier électoral reste d’une importance capitale.
En effet, que le suffrage soit censitaire, capacitaire ou universel, disposer d’un fichier électoral fiable pour avoir un corps électoral conforme aux réalités apparaît d’une nécessité absolue pour que l’ensemble du processus électoral soit crédible.
Ainsi donc, d’une valeur stratégique primordiale, le recensement électoral sous tous les cieux y compris dans les vieux Etats démocratiques constitués a toujours été l’objet de l’attention de tous les partis politiques et soumise généralement à toutes les manipulations.
Le Togo, notre pays depuis les toutes premières élections générales faites en 1946 n’a pas échappé à cette règle.
DES MANIPULATIONS DU PASSE
L’établissement de tout fichier électoral requiert que l’on dispose des données statistiques démographiques fiables desquelles est extrait le collège électoral.
Dans son article 2, le Code électoral du 5 avril 2000, modifié le 13 mars 2002, puis le 7 février et le 20 décembre 2003, le 31 janvier 2005 et le 7 février 2007, en vigueur aujourd’hui, « le suffrage est universel, égal et secret. Il peut être direct ou indirect dans des conditions prévues par la Constitution ou par la loi. »
En réalité, il n’a pas toujours été ainsi : des toutes premières élections pour la Constituante dans le cadre de la République française, le 21 octobre 1945, à la dernière élection présidentielle du 24 avril 2005, le suffrage et le corps électoral ont progressivement changé avec des intentions manœuvrières politiciennes avérées.
D’abord, pour les élections du 21 octobre 1945, contrairement aux rares compatriotes favorables à l’Administration française, y étaient opposés étaient opposés. les nationalistes, expression de l’hostilité de la quasi unanimité de l’opinion représentée par les présidents des Conseils des notables des quatre grandes villes du Sud-Togo, le Chef Quam Dessou d’Aneho, Augustino de Souza de Lomé, le chef Apeto II de Kpalimé et le chef Achikiti d’Atakpamé.
Ils n’hésitèrent pas à cet effet, à adresser, le 17 septembre 1945, un télégramme en ce sens au secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères, stipulant entre autres que l’élection de députés togolais pour aller siéger au parlement français n’est pas conforme au statut de la Tutelle dans son article 76 de la charte des Nations unies que la France hésitait encore à reconnaître pour le Togo.
Néanmoins, l’élection eut lieu avec un député commun pour le Dahomey et le Togo en la personne du Dahoméen Sourou Migan Apithy avec un collège électoral extrêmement réduit de 4 775 électeurs. Un collège électoral dont l’extrême faiblesse du nombre est du aux conditions d’inscription sur les listes électorales avec des restrictions d’âge et ne comprenant que les catégories de personnes autorisées à élire les membres des Conseils de Notables de l’Avant-guerre.
Se fondant sur les conditions légalement prescrites pour les élections à la Constitution du 21 octobre 1945 et du 2 juin 1946, aux élections législatives pour la Chambre des députés, le palais Bourbon, à Paris, le 10 décembre 1946, le 17 janvier 1951 et en janvier 1956, pour l’Assemblée Représentative du Togo (ART), le 8 décembre 1946 et les 9 et 30 décembre 1950, pour l’Assemblée Territoriale du Togo (ATT), le 30 mars 1952 et le 12 juin 1955, pour l’Assemblée Législative du Togo, constituée en 1956 par la Loi-cadre, pour le référendum du 28 octobre 1956 instituant la République autonome du Togo (RAT) et pour les élections législatives anticipées du 27 avril 1957, on ne peut que reconnaître qu’une réalité : sous l’Administration coloniale française, le corps électoral sensiblement progressé, passant de 4 775 électeurs à quelques 450 000 en 1956 puis à 490 729, correspondant au total des inscrits pour les élections du 27 avril 1958.
Mais, à coup de prévarications de toutes sortes, le fichier électoral était établi manifestement de façon à assurer la victoire des partisans de la France : généralement, les électeurs potentiels de l’opposition ne sont pas inscrits sur les listes électorales alors que les listes sont gonflées en faveur des partisans de la France.
Bien sûr, on passa aussi du suffrage très restreint au suffrage universel à deux degrés et le double collège, l’un pour les citoyens français et l’autre pour les sujets français, fut supprimé en 1952.
Depuis l’indépendance le 27 avril 1960, sans compter les scrutins faits sous le régime du Parti-Etat RPT et exception faite de celui de 1961, en 1993, 1994, 1998, 1999, 2002, 2003 et 2005, les élections législatives ou présidentielles, se sont déroulées sur la base d’un fichier électoral qui forcément laisse à désirer.
Avec un recensement général de la population qui remonte à 1981, les estimations fondées sur des projections démographiques pour évaluer le ficher électoral en prévision de ces différents scrutins ne pouvaient qu’être aléatoires.
Pour le régime en place, il s’agissait de se tailler un fichier électoral sur mesures pour lui permettre de gagner les élections et de conserver « démocratiquement » le pouvoir. Une disposition d’esprit qui est loin d’avoir disparu.
DES INTENTIONS DOLOSIVES INAVOUEES
Conscients un peu partout dans les pays africains qu’il leur est difficile voire impossible de gagner des élections « libres, équitables et transparentes », pour avoir mené leur peuple à la catastrophe marquée par la détresse, la désolation, la misère et la mort désormais permanente, les gouvernants prennent l’habitude de commencer le tripatouillage électoral par la manipulation régulière du fichier électoral.
En effet, les statistiques démographiques bien établies et les conditions d’inscription sur les lignes électorales scrupuleusement respectées, on peut, scientifiquement et mathématiquement jusqu’à l’unité, mesurer près le corps électoral de tout pays.
Dès lors, on comprend l’enjeu politique considérable du recensement démographique et du recensement électoral et que dans les pays où les gouvernants n’entendent pas perdre le pouvoir, les gouvernants se gardent d’effectuer aussi bien de recensements démographiques fiables et surtout des recensements électoraux crédibles : des considérations tribali-ethniques, régionalistes et confessionnelles servent de soubassement à toutes sortes d’opérations de manipulation visant à accréditer des chiffres généralement fallacieux pour des objectifs frauduleux.
Nul doute qu’au Togo, les prochaines législatives ne pouvaient pas ne pas être l’objet de toutes les attentions manœuvrières et dolosives des uns pour se tailler une liste électorale sur mesure.
A cet égard, fort d’une géographie électorale qu’ils structurent sur la base de considérations faussement antagoniques, les manipulateurs du tribalo-ethnisme, du régionalisme et du confessionnalisme religieux veulent que le Nord du Togo comprenant les régions Centrale, de la Kara et des Savanes soit le fief supposé du parti au pouvoir et le Sud du Togo, composé des régions Maritimes et des Plateaux, celui des partis d’opposition.
Dans les régions taxées être le fief des gouvernants, le nécessaire et voire l’impossible est fait pour recenser le plus grand nombre possible d’électeurs jugés potentiellement favorables au parti au pouvoir.
Disposant d’énormes moyens accumulés durant des décennies passées au pouvoir et profitant d’un quadrillage méthodique du pays, le parti de pouvoir n’a pas lésiné à mobiliser à temps ses soi-disant électeurs potentiels : des moyens de déplacement sont mis à leur disposition et, en général, leurs zones de résidence sont suffisamment fournies en matériel de recensement pour que les opérations de recensement soient pour eux de simples formalités.
Par contre, dans les régions qualifiées être le fief de l’Opposition, les opérations de recensement sont généralement sujettes à toutes sortes de manipulations techniques et de tracasseries administratives visant à décourager les électeurs potentiels afin qu’ils ne soient pas tous inscrits sur les listes électorales.
Mais, comme dans ces régions, il existe des zones supposées acquises à la cause des gouvernants, ces derniers s’évertuent à en faire des circonscriptions électorales particulières où les opérations de recensement se font aisément.
Toutefois, au nord comme au sud, il bien faut être fakir voire Dieu Tout-puissant pour jurer sur sa tête que les électeurs voteront selon le bon vouloir de ceux qui, des décennies durant, leur firent mordre la poussière.
Pour conserver le pouvoir dans tout système despotique en voie de démocratisation extrêmement difficile comme celui du Togo et qui impose néanmoins des élections « libres, équitables et transparentes », les gouvernants togolais, s’inspirant des pratiques des despotes bien connus de l’histoire contemporaine notamment Napoléon Bonaparte, empereur des Français sous le nom de Napoléon Ier et son neveu Napoléon III, ont pris l’habitude depuis 1981 de ne plus de recenser la population togolaise : ils pouvaient se permettre ainsi de travailler sur la base d’estimations démographiques aléatoires en vue d’établir un fichier électoral tout aussi aléatoire.
Se taillant dès lors un corps électoral sur mesure et cherchant comme à l’accoutumée à le faire encore aujourd’hui, ils comptent pouvoir gagner « démocratiquement » les prochaines élections législatives. Sauf qu’au Togo, la vérité des urnes réserve toujours des résultats imprévisibles et extraordinaires comme l’ont démontré les résultats officiels des législatives anticipées du 27 avril 1958, prélude à l’indépendance proclamée le 27 avril 1960 et les vrais résultats des législatives de 1994 et des présidentielles de 1998, 2003 et 2005.
Par Atsutsè Kokouvi AGBOBLI
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