Depuis un certain temps, le Gouvernement s’emploie à prendre des mesures importantes pour la relance de l’économie nationale. Il s’est engagé avec les partenaires en développement à mettre en œuvre des programmes tels que le Document Intérimaire de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DIRSP) et le Programme d’Urgence de Réduction de la Pauvreté (PURP). A cela s’ajoutent la création de l’Agence Nationale pour l’Emploi et le projet de recensement général de la population et de l’habitat. Le GRAD, tout en se félicitant de ces efforts, s’interroge sur la pertinence de certaines décisions prises récemment et se demande s’il n’est pas temps de changer de politique économique dont l’efficacité requiert au préalable, des reformes institutionnelles cohérentes.
Dans cette optique le GRAD se demande si l’augmentation du prix du ciment ne va pas à l’encontre des intérêts vitaux des populations et de tous ces programmes de réduction de la pauvreté.
L’augmentation du prix du ciment dont il est question aujourd’hui et qui suscitent des réactions diverses, a pour objectifs, selon le communiqué du Conseil des Ministres du 09 juillet 2008, de :
Mettre fin à la spéculation et à la pénurie en cours ;
Répondre aux exigences répétées et légitimes des producteurs confrontés aux renchérissements du coût des intrants entrant dans la fabrication du ciment.
Le communiqué précise que « Cette décision est prise dans un souci de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs et leur permettre de s’acheter du ciment pour améliorer leur habitat ».
Les motivations rendues publiques sont difficiles à comprendre surtout en rapport avec les arguments qui sous-tendent l’augmentation du prix. Les raisons évoquées paraissent excessives, singulièrement en ce qui concerne la spéculation. De ce fait, le message du Conseil des Ministres, mal interprété, tombe sous le feu de nombreuses critiques que le GRAD partage.
La lutte contre la spéculation au Togo
Affirmer que la spéculation est la cause de la pénurie des produits à forte demande est un peu facile car, la relation n’est pas aussi simple qu’on le pense. Mais il est vraisemblable que la spéculation se nourrisse de corruption qui représente son terrain favorable. Dans ces conditions, le recours à une politique de prix, pour y remédier, est non seulement préjudiciable à la croissance mais en plus n’offre aucune garantie pour mettre fin à la spéculation. Les restrictions au libre échange qui constitue des engagements pris dans le cadre de l’intégration sous régionale UEMOA et CEDEAO, n’apportent rien. C’est d’une administration de grande qualité, organisée sur le mode de mérite et qui obéissent aux lois du pays au lieu de se placer au-dessus d’elles qu’il faut.
En comparant l’approche utilisée dans le cas du maïs à celle retenue pour ciment, on s’aperçoit qu’il y a deux poids deux mesures. En effet, rappelons qu’en 2006, ce sont les commerçants de maïs qui ont été indexés comme les principaux spéculateurs. Ils ont été inquiétés avec parfois des saisies opérées sur leurs cargaisons. L’effort des autorités à l’époque visait à réduire impérativement le prix du maïs. L’accent n’avait pas été suffisamment mis sur la relance de la production. Les paysans togolais qui réagissent toujours positivement à la demande après une année de pénurie généralisée, ont réalisé l’année après une bonne production. Après un an de répit, on assiste encore cette année-ci, à une flambée plus importante du prix du maïs. Il va sans dire que la reprise amorcée de la production agricole n’a pas duré faute d’incitations appropriées aux producteurs.
Aujourd’hui, c’est un produit industriel : le ciment qui est la préoccupation et les spéculateurs en cause sont ses commerçants. La solution cette fois-ci, contrairement à celle appliquée au maïs, c’est l’augmentation et l’alignement du prix de vente de ciment sur celui des autres pays. Ainsi dans un cas on restreint le prix et dans l’autre on l’augmente pour la même cause.
La mesure pénalise les citoyens
Il est difficilement concevable que l’on ne puisse pas jouir des avantages des produits fabriqués chez soi à cause d’une forme singulière de lutte contre les spéculateurs. C’est le consommateur national que l’on sacrifie en alignant le prix sans aucune garantie que cette disposition mettra fin à la spéculation. La mesure elle-même peut avoir des effets pervers surtout que le pouvoir d’achat, dans les pays voisins concernés, est plus élevé qu’au Togo. Ainsi, pendant que la hausse de prix est pratiquement soutenue par les autorités sous divers prétextes peu soucieuses des difficultés réelles d’existence des populations, les salaires des travailleurs, les revenus des producteurs agricoles et des artisans ne bougent pas de façons pas de façon significative.
Dans les conditions actuelles, le paysan, pour améliorer son habitat, est obligé d’acheter du ciment cher avec son revenu arbitrairement réduit alors que l’industriel qui augmente son gain financier peut de surcroît, se procurer du maïs à vil prix. Voilà ce qui explique la stagnation de la production agricole assortie de crises alimentaires intermittentes. Car, on ignore les intérêts du producteur tout en faisant croire que l’agriculture est la priorité des priorités.
Nécessité de changer de politique
Il nous faut éviter de donner raison à GROUCHO Marx pour qui : « La politique est l’art de chercher les problèmes, de les trouver, de les minimiser et de leur administrer les mauvais remèdes à mauvais escient ».
Accéder à des revenus élevés est une incitation puissante. Aussi, faut-il veiller attentivement à la manière dont l’intervention publique affecte les incitations.
C’est pourquoi le GRAD ne peut s’empêcher de souligner qu’une bonne gestion de l’offre et de la demande requiert une analyse plus approfondie des problèmes surtout si l’on est appelé à renforcer la concurrence et la productivité agricole et industrielle au sein de l’UEMOA et au sein de la CEDEAO. Pour ce faire, un cadre approprié des incitations s’impose.
Si le ciment togolais est compétitif et très prisé à l’extérieur de nos frontières, pourquoi ne pas accroître sa production ? Ce serait d’ailleurs une opportunité de création d’emploi une des préoccupations du Gouvernement qui vient de mettre en place une Agence Nationale pour l’Emploi. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire.
Il aurait donc été plus judicieux d’examiner comment à moyen terme augmenter la capacité de production de nos usines plutôt que de se satisfaire des 105.000 tonnes mensuelles insuffisantes pour s’attaquer à la spéculation.
A vrai dire, les mesures du Gouvernement soulèvent plus de questions que de réponses. Tout d’abord, les vrais spéculateurs ne sont généralement pas ceux que l’on croit. Ceux qu’on exhibe souvent n’ont pas l’air de gens fortunés qui puissent embrasser des opérations d’une telle envergure. Où sont donc les vrais auteurs ? Certainement pas dans les rangs des démunis. Ils sont à rechercher dans la minorité qui vit dans l’abondance alors que la presque totalité des togolais tire le diable par la queue. Cette augmentation exagérée du prix du ciment n’affecterait-t-elle pas sans tarder le renchérissement des loyers déjà insupportables pour la majorité des locataires ? Y aurait-il d’autres augmentations au cas où les pays importateurs pris pour référence venaient à ajuster leur prix à la hausse ? Le Gouvernement est-il incité à encourager la croissance de l’économie ? Si oui doit-on obtenir aux termes d’une grève que le prix du phosphate soit rétabli dans les normes ?
S’agissant des phosphates, parlons en. Une grève a été nécessaire pour amener les dirigeants à reconnaître qu’il faut vendre à un prix plus conséquent sur le marché.
Le GRAD continue d’aspirer à un Togo où le Gouvernement viendrait véritablement en aide aux pauvres en investissant dans les biens publics et en ayant recours à de saines incitations pour les acteurs. Pour ce faire les décisions ne se prendraient plus sans études préalables et sans concertation avec ceux qui sont concernés. Il faut instituer un véritable dialogue de politique. Cela peut aider à garantir que les opinions même les plus impopulaires puissent être prises en considération et acceptées. Ce dialogue doit avoir lieu en temps opportun avant la prise de décision.
Lomé le 21 juillet 2008
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