Les élections législatives: enjeux et perspectives pour le Togo
1. Tout le monde admet aujourd’hui, sans conteste, la prépondérance du rôle des élections dans la régulation de la vie d’une Nation. Dans le cas d’une Nation démocratique, les élections visent, entre autres, le choix d’un modèle ou type de société. Les élections sont démocratiques quand le fondement de leurs organisations est intimement associé au principe de dialogue, au respect de la règle de la majorité représentative et de la diversité d’opinions. Ainsi, des élections démocratiques crédibles doivent comporter un ensemble d’opérations définies, entreprises dans la transparence, la confiance mutuelle, entretenues entre les parties impliquées, d’une part et les populations, d’autre part.
2. L’expérience liée à l’organisation des élections dans les pays en apprentissage de la démocratie révèle que sans le respect des règles établies, l’expression d’une véritable volonté politique et la conscience des responsabilités de la part des dirigeants ou des tenants du pouvoir, toutes ces exigences sont bafouées. De ce point de vue, l’histoire politique du Togo est assez éloquente par le nombre et l’ampleur des troubles et violences qui caractérisent généralement le processus électoral, en particulier la proclamation des résultats du scrutin.
3. Sur un fond de déficit démocratique avéré au Togo sanctionné par la rupture de la coopération avec ses principaux partenaires en développement et au terme des élections contestées du 24 avril 2005, un Accord Politique Global (APG) est signé le 20 août 2007 à Lomé. Cet Accord a suscité beaucoup d’espoir et d’espérance puisque sa mise en œuvre devrait rompre avec ce passé peu flatteur pour l’image de notre pays. Si le GRAD fait sien cet optimisme, en raison d’un certain nombre de réformes constitutionnelles et institutionnelles envisagées par les parties prenantes, à l’observation des faits et à l’analyse des déclarations sur l’applicabilité de l’APG, il s’interroge sur les enjeux et perspectives pour le Togo après les prochaines élections législatives programmées.
4. Le GRAD note que le déroulement du processus électoral défini par l’APG et conduit par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est amorcé avec le recensement électoral en vue de l’établissement du fichier électoral du 16 juillet 2007 au 19 août 2007. Cette phase constitue l’une des principales opérations en amont du processus électoral. Les parties prenantes à l’APG et les partenaires en développement estiment que les anomalies et autres irrégularités relevées au cours du recensement ne sont pas de nature à remettre en cause les résultats attendus au terme de cette phase. Cependant, il convient de faire remarquer qu’un audit indépendant du fichier de recensement et du système de centralisation des résultats est nécessaire avant les opérations de vote afin de prévenir toute fraude programmée.
5. Dans ces conditions, la tenue des prochaines élections législatives ne fait plus aucun doute, surtout après la dissolution de l’Assemblée nationale le 30 août dernier et la récente prestation de serment des membres de la Cour constitutionnelle le 20 septembre 2007. Le GRAD se félicite de ce résultat encourageant qui nous éloigne d’autres reports et dans le pire des cas d’une interruption du processus électoral. Dans ce cas, une absence d’élections signifierait la fragilité de l’application de l’APG et les contradictions internes liées à la composition de la CENI d’une part et du mode de décision en son sein d’autre part. Cette éventualité conduirait des organisations de la société civile, les partis non signataires de l’APG et les populations à dénoncer le manque d’attention et de rigueur du gouvernement d’union nationale (GUN) dans la mise en place et en œuvre de structures institutionnelles décisives pour l’organisation efficiente d’élections crédibles. Des manifestations populaires pourraient avoir lieu et elles pourraient entraîner des répressions violentes de la part du pouvoir. Ces mouvements de contestation et de répression, en dépit des règles régissant un Etat démocratique, pourraient conduire le pays à d’autres aventures et les pressions de nos partenaires en développement, malgré leur lassitude, seraient plus marquées. En effet, la communauté internationale, notamment, l’Union Européenne interviendrait pour réclamer le respect intégral des 22 engagements, qui doit être sanctionné par des élections libres, transparentes et crédibles.
6. Une autre alternative est que les élections ont bien lieu, mais les résultats sont largement contestés au point de perturber profondément le climat de dialogue permanent associé à l’APG. Cette hypothèse de contestation profonde et systématique des résultats du scrutin pourrait amener à faire face à des événements dont l’issue serait hasardeuse et préjudiciable à une recherche sereine de solution de sortie de crise.
7. Cette situation pourrait donner lieu à des mouvements de contestation et de colère de la part des militants des formations politiques et des populations frustrées. Un climat de violence extrême pourrait s’installer au sein de la population à l’instar de celui connu au cours des périodes post-électorales similaires. La logique du hold up électoral pourrait s’opposer à toute recherche de compromis. Elle imposerait la formation d’un gouvernement sur la base des résultats contestés
8. Un nouveau dialogue inter togolais pourrait être envisagé. Il pourrait réunir les partis désireux de trouver une solution à ce contentieux électoral. A l’issue des discussions un accord politique pourrait permettre de mettre en place un gouvernement bis d’union nationale avec des membres des cinq anciens partis de l’opposition associés aux 22 engagements et ceux d’autres formations politiques ayant participé aux élections législatives et créditées d’un score honorable.
9. Au cas où les résultats issus des élections seraient acceptés de tous, vu le mode de scrutin, le GRAD envisage un certain nombre de scénarios, élaborés en fonction des éventuels résultats qui seraient déterminants pour la vie politique du Togo acquis par chacun des partis en lice à savoir:
– Premier scénario: le RPT a la majorité parlementaire. Cette majorité peut être absolue ou relative.
a) Majorité absolue. Le système actuel reste en place et aucun changement fondamental n’interviendrait. La réticence pour l’application des réformes prévues dans l’APG serait particulièrement forte en toute légitimité.
b) Majorité relative. Le RPT formerait un gouvernement de coalition avec ses alliés objectifs – CPP, PDR, PSR-. Le système actuel pourrait subir quelques légères réformes qui ne seraient pas de nature à permettre l’avènement d’un nouveau système tant souhaité.
c) Dans le cas d’une situation analogue à celle de l’actuel Gouvernement d’union nationale (GUN) formé par le RPT, la CPP, le PDR, le PSR, le CAR, la CDPA., le RPT et ses alliés objectifs chercheraient à détenir l’essentiel du pouvoir comme maintenant. Aucun changement fondamental ne pourrait être envisagé.
– Deuxième scénario: l’opposition constituée par l’ancienne coalition, à savoir l’UFC, le CAR, la CDPA, l’ADDI et l’UDS gagne les élections et décide de gouverner ensemble.
a) Majorité absolue. La probabilité de former un gouvernement de coalition serait forte. Ce gouvernement ne serait pas en mesure de faire les réformes institutionnelles car il ne disposerait pas à l’Assemblée de la majorité qualifiée des ¾ requise par la Constitution en vigueur.
b) Majorité relative. Des tractations seraient envisagées pour la formation d’un Gouvernement d’unité nationale avec un Premier ministre issu de l’opposition. Ce Gouvernement serait animé par la volonté politique visant à garantir la stabilité de l’Etat et du pays. Aucune réforme fondamentale ne pourrait être engagée tant sur le plan politique qu’économique.
-Troisième scénario: l’UFC a la majorité absolue à l’Assemblée
a) Elle décide de gouverner seule. Dans un contexte politique caractérisé par les luttes d’influence et les rivalités politiques elle risque d’être déstabilisée par le RPT, ses alliés objectifs (CPP, PDR, PSR) et les ralliés au pouvoir (CAR, CDPA). Ce qui aurait pour conséquence l’impossibilité à court et à moyen terme de résoudre les problèmes économiques, financiers et sociaux, compte tenu de l’immense attente des populations. L’UFC ne pourrait pas faire les réformes constitutionnelles et institutionnelles car ne disposant pas de la majorité des ¾.
b) Elle décide de s’entendre avec ses alliés de l’opposition dite traditionnelle (CAR, CDPA, ADDI, UDS) pour former un Gouvernement de coalition. Celui-ci ne pourrait pas avoir la majorité qualifiée pour faire les réformes constitutionnelles et institutionnelles.
Dans ce dernier cas, le RPT et ses alliés objectifs ne disposant pas d’assise populaire, la coalition UFC et ses alliés pourraient engager une procédure juridique qui ouvrirait la voie à un véritable changement sur le plan constitutionnel et institutionnel ou toutes autres réformes. La coalition pourrait proposer, par voie référendaire, la mise en place d’une Commission constitutionnelle pour élaborer une nouvelle constitution ou un nouveau contrat social pour le Togo;
– Quatrième scénario: Au cas où aucun parti n’a la majorité absolue: au regard du nombre impressionnant de listes de candidature enregistré par la CENI 413 au total soit 358 pour les partis politiques et 55 pour les candidats indépendants, il est à craindre que le mode de scrutin proportionnel de liste préfectorale conduise à une dispersion des voix. La future Assemblée nationale court le risque d’une atomisation extrême de la représentation nationale. Cette situation peut être exacerbée par l’achat de conscience et la transhumance politique des députés. Dans ces conditions, il est à prévoir qu’une guérilla parlementaire s’instaure entre groupes et groupuscules antagonistes ; ce qui sera de nature à paralyser le bon fonctionnement de l’Assemblée et à conduire à l’instabilité gouvernementale. En effet, aucun parti politique ne pourra dominer l’Assemblée nationale pour constituer une coalition crédible en vue de former un gouvernement capable de résoudre les problèmes politiques, économiques, financiers et sociaux du pays.
L’Action de la communauté internationale au cas où le processus démocratique n’est pas respecté
a) La Communauté internationale fait pression sur le Gouvernement pour l’application des engagements pris notamment auprès de l’Union Européenne (U.E). Le poids parlementaire du parti RPT pourrait faire craindre un retour à l’immobilisme d’antan quant à une application effective des réformes prévues. Le risque d’une nouvelle suspension de la coopération ou d’un blocage de l’aide serait très élevé.
b) La Communauté internationale soutient l’application des réformes prévues dans l’APG. Ce qui pourrait mécontenter le RPT et ses alliés objectifs, accusant la Communauté internationale de partialité au profit de l’opposition radicale et de ses alliés. Des tensions politiques pourraient se développer.
c) La Communauté internationale manifeste son intransigeance, se radicalise davantage et prend des mesures de rétorsion qui accentuent particulièrement l’isolement du pays. La descente aux enfers des populations se poursuivrait avec un plus net sentiment de désespérance et d’abandon total. Elle pourrait accentuer les dérives politiques, économiques et sociales qui ont favorisé le développement de la corruption, de la violence et de la violation des droits humains, et celui de l’arbitraire en général, fondement de la tyrannie. L’insécurité généralisée et incontrôlée gagnerait du terrain. Le développement de la criminalité dans tous les secteurs de la vie économique et sociale deviendrait particulièrement préoccupant, à l’instar du déclin constaté dans certains pays de la sous-région.
10. En définitive, dans l’hypothèse de la tenue effective des élections, le GRAD continue de s’interroger sur la portée réelle des résultats de ce scrutin sur l’issue de la crise togolaise. Cette préoccupation apparaît motivée par le fait que les réformes constitutionnelles et institutionnelles n’interviendront qu’à la prochaine législature. Ce qui laisse en place l’actuelle Constitution qui donne beaucoup de pouvoir au Président de la République, y compris celui de dissoudre l’Assemblée nationale et de nommer le Premier ministre sans se référer à la règle de la majorité parlementaire. Il faut noter, en outre, que la présente Constitution a été mainte fois violée lors du coup d’Etat du 5 février 2005, et, de surcroît, dénaturée par rapport à la constitution de 1992.
Ces considérations imposent d’examiner, dans ce contexte, quels sont les scénarios favorables à une réalisation effective des réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues dans l’APG, en vue de résoudre la crise politique et de contribuer à un redressement authentique du pays.
11. Toutes les analyses précédentes laissent entrevoir l’importance des réformes constitutionnelles et institutionnelles dans la résolution de la crise togolaise. Et parmi les réformes nécessaires, celle de la constitution ou de la loi fondamentale occupe une place déterminante. Pour y parvenir, la constitution actuellement en vigueur, violée à plusieurs reprises, prévoit une procédure exigeant de réunir les ¾ de parlementaires favorables, condition que la prochaine législature peut difficilement satisfaire, même dans l’hypothèse d’alliances positives. Les hypothèses d’action évoquées plus haut, avec les différentes combinaisons stratégiques qui sous-tendent chacun des protagonistes ou chaque groupe d’acteurs intervenant dans ce contexte constitutionnel étriqué, paraissent confirmer cette difficulté d’obtenir les réformes prévues par l’APG. Elles mettent en relief des risques de dérapages privilégiant une approche anticonstitutionnelle.
12. C’est pour éviter cette voie dangereuse et propice à la violence, contraire à sa philosophie de la non violence, que le GRAD propose que l’Assemblée nationale issue du prochain scrutin soit dotée, par voie référendaire, d’un pouvoir constituant originaire devant lui permettre de procéder aux réformes prévues.
13. En effet, le GRAD estime que le mode de scrutin proportionnel adopté pour l’organisation de ces élections législatives, en suscitant une participation large et diversifiée des principales formations politiques d’une part et des populations d’autre part, crée et renforce les conditions de représentativité du peuple.
14. Les résultats obtenus sur cette base reflètent le choix démocratique des populations et sont en conséquence de nature à conférer un pouvoir constituant, autoproclamé au besoin, à l’exemple d’expériences historiquement vécues dans certains pays à travers le monde. Toutefois, le GRAD pense que pour une représentation plus équitable, il aurait fallu adopter un mode de scrutin proportionnel de liste nationale qu’il a toujours préconisé.
Lomé le 24 septembre 2007
Dr. Victor Alipui,
Ancien Ministre
Président du GRAD
LIRE EGALEMENT:
[Togo:les partis de l’opposition sont enfermés dans un piège-> https://www.letogolais.com/article.html?nid=3135]
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