20/04/2024

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Togo : l’opposition muselée avant les élections

Par Emmanuel Haddad

Deux marchés prennent feu et voilà qui suffit à « cramer » les leaders de l’opposition togolaise, inculpés sans mandat ni procès. Pendant ce temps, le parti du chef de l’Etat Faure Gnassingbé bat campagne pour des législatives imminentes, mais dont on ignore la date…

Au programme de la chaîne de télévision publique togolaise, ce samedi 20 avril, le président Faure Gnassingbé distribue des kits de travail à 300 artisans à Niamtougou, au nord de Kara, fief du clan familial qui règne sur le pays depuis près d’un demi-siècle: les élections -législatives et locales- approchent et pour l’Union pour la République (Unir), le parti au pouvoir, la campagne a déjà commencé.

Suzanne Kafui Nukafu Dogbevi scrute le sourire conquérant du chef d’Etat, puis zappe. Cette militante de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), principale formation de l’opposition, vient d’être internée deux mois et demi dans les locaux du très redouté Service de renseignement et d’investigation (SRI) de la Gendarmerie togolaise. Son interpellation date du lendemain des incendies des marchés de Kara et de Lomé, les 9 et 11 janvier dernier :  » On a voulu me faire dire que j’avais payé des jeunes pour brûler celui de Lomé, explique-t-elle. Avant de me proposer de l’argent contre une dénonciation officielle des leaders du Collectif Sauvons le Togo (CST). »

Coïncidence(s)

Au total, 35 membres du CST, qui réunit depuis un an les organisations de défense des droits de l’homme et les principaux mouvements d’opposition, ont été mis en examen pour  » regroupement de malfaiteurs  » dans l’enquête sur ces incendies. Des inculpations sans mandat d’arrêt ni procès à la clé, qui surviennent alors que les élections législatives et locales, reportées à plusieurs reprises, sont désormais annoncées pour ce printemps. Fâcheux concours de circonstances ou aléas d’une  » démocratie bafouée « , formule adoptée par le Parti socialiste français dans un communiqué ?

 » Il y a effectivement des coïncidences troublantes « , admet Gilbert Bawara. Mais le ministre de l’Administration territoriale a autre chose en tête :  » Les incendies ont eu lieu au tout début des « Derniers tours de Jéricho » -une manifestation de trois jours orchestrée par le CST, dont l’objectif affiché était l’effondrement du régime. Alors, feint-il de s’interroger, simple coïncidence ou opération planifiée par l’opposition ?  »

Torture et règlement de compte

Reste que le 26 mars, Mohamed Loum, principal témoin à charge, revient sur les accusations émises à l’encontre des leaders du CST. Dans une lettre adressée à Jean-Pierre Fabre, leader de l’ANC, il affirme avoir été torturé avant de passer aux aveux. Vice-présidente de l’ANC, Isabelle Ameganvi se dit choquée d' » entendre parler de torture, alors que le Togo est déjà accusé de tels méfaits dans l’affaire Kpatcha, débattue en ce moment même devant la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) « . Allusion au sort du demi-frère et rival de Faure, suspecté d’avoir ourdi un coup d’Etat, et maintenu en détention depuis avril 2009. Selon un rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), 33 personnes arrêtées alors avaient été torturées par les services de renseignement togolais. Rapport publié trois ans plus tard par le gouvernement, mais dans une version falsifiée. C’est d’ailleurs en exil que le président de la CNDH en avait dévoilé le contenu original, déclenchant l’ire du Comité contre la torture de l’ONU.

« Pour l’instant, on a plus affaire à des cas de maltraitance qu’à de la torture », nuance Louis Rodolphe Efoé Attiogbe, membre du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT), qui a visité la plupart des détenus inculpés dans l’affaire des incendies. Reste que dans ces conditions, Gery Taama, président du Nouvel Engagement Togolais, un parti  » ni du pouvoir ni du CST », voit mal comment pourraient se tenir des élections libres et démocratiques : « En pleine précampagne électorale, on interdit à Fabre, le premier opposant, de sortir de Lomé et on inculpe toute son équipe politique… On a vraiment l’impression d’avoir affaire à un règlement de compte. »

L’EXPRESS