28/03/2024

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Togo : Proposition du GRAD pour une sortie de la crise togolaise

Mot de bienvenue : Conférence SADD & GRAD du 1er juillet 2013

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs

Je voudrais au Nom de Solidarité Action pour le Développement Durable (SADD) et le Groupe de Réflexion et d’Action pour le Dialogue, la Démocratie et le Développement (GRAD), vous remercier d’avoir répondu à notre invitation. Je commencerai mon propos en faisant une digression, en faisant une brève incursion dans l’histoire, qui rassurez-vous, n’est pas celle de notre pays. Mais elle véhicule des valeurs auxquelles adhèrent nos deux associations : la liberté, Démocratie et l’Etat droit.

L’histoire nous apprend que la liberté et la démocratie, c’est-à-dire le fondement de l’Etat de droit, sont des conquêtes. Elles marquent toujours une rupture avec le système existant lorsque celui constitue un blocage pour le progrès des peuples. C’est ainsi que la Renaissance au XVIe siècle a mis fin au Moyen Âge qui confinait les peuples dans l’obscurantisme. Elle a entamé la modernisation de l’Europe occidentale car le Moyen Âge ne favorisait guère l’avancement des peuples. La Renaissance qui a duré trois siècles, a été l’époque de la constitution des Etats-nations sous la férule des monarques absolus. Ceux-ci, pour regrouper les royaumes barbares de l’époque, usaient de la force et de tous les moyens et pratiques autoritaires. S’il est vrai que ces monarques avaient pour objectif la création de la richesse pour assurer le bien-être de leurs sujets, il n’en reste pas moins que le désir de liberté des peuples était loin de leurs préoccupations : il n’était pas satisfait. Malgré les signes palpables de la prospérité de ces Etat-nations fondée sur le mercantilisme, les peuples se rebelleront pour réclamer la liberté. Ils ont réclamé la liberté et l’Etat de droit en s’inspirant, notamment, des idées des philosophes des siècles de lumières. John Locke et Grotius Hugo étaient les premiers à réclamer la « liberté privée », la liberté entendue au sens large du terme, c’est-à-dire toutes les libertés individuelles, qui sont des droits naturels inaliénables et imprescriptibles permettant l’épanouissement de l’homme. Plus tard, Jean-Jacques Rousseau ira plus loin dans la revendication des libertés en préconisant les institutions susceptibles de garantir les libertés. Il développe la notion de « contrat social » héritière des « lois fondamentales » qu’étaient les règles coutumières dans la gestion des sociétés. Montesquieu a fait une contribution notable, dans son « Esprit des Lois », pour nous rapprocher de la démocratie en préconisant la séparation des pouvoirs publics à savoir le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Mille ans se sont écoulés, depuis Clovis roi mérovingien des années 400, avant que la révolution française ne renverse l’ancien régime pour pouvoir traduire dans les faits ces notions ou, si vous préférez, ces idées. En effet, jusque-là, il n’existait en France aucun texte où se trouvent clairement définis les pouvoirs publics et leurs attributions. Nous voulons dire une constitution écrite, rigide non « toiletable ».

En prenant, aujourd’hui, des raccourcis, nous pouvons faire l’économie d’une révolution telle que certains l’ont connue, car, elle est toujours sanglante. Oui, en voyant le parcours de 23 ans du peuple togolais pour sa quête de la démocratie et de l’Etat de droit, ce parcours est semé de violences de toutes natures.

Le SADD et le GRAD ne croient pas en une révolution sanglante pour aller à la démocratie et à l’Etat de droit. Et le peuple togolais en attendant de pouvoir se libérer du système politique qui bloque son progrès, ne croit qu’en une seule chose : un dialogue franc, sincère et constructif. C’est pour vous associer à cette entreprise, en vue de trouver ensemble les voies et moyens pour rapprocher les protagonistes de la crise togolaise, que ces deux organisations de la société civile organisent cette conférence. Cette conférence est opportune. Elle est organisée à un moment où le corps électoral togolais est déjà convoqué pour les élections législatives programmées pour le 21 juillet 2013. Compte tenu du climat de tension politique et socioéconomique que nous vivons, le SADD et le GRAD, proposent que nous réfléchissions ensemble à leur report en vue de créer les conditions d’un apaisement politique avant ces élections.

Thème – Crise politique récurrente : Quelle solution durable à la crise togolaise

I. Introduction : La quête de la démocratie et de l’Etat de droit

Il y a 23 ans, le 5 octobre 1990, le peuple togolais s’est soulevé contre le régime autoritaire du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT). Il a réclamé l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit. Ce parcours de 23 ans a été marqué par des violences inimaginables, des évènements douloureux dont le Togo et les victimes portent encore les cicatrices. Que de dialogues et de négociations les protagonistes de la crise togolaise n’ont-ils pas menés pour trouver une issue acceptable ? Une issue honorable qui conduise le peuple togolais à la démocratie et à l’Etat de droit ? En faisant aujourd’hui une évaluation objective de ce parcours, un observateur attentif de la scène politique togolaise reconnaîtra bien que le Togo est très loin de la démocratie et l’Etat de droit. Or ceux-ci constituent les préalables d’un développement économique harmonieux et accéléré indispensable à l’amélioration du niveau de vie de nos populations. Les manifestations politiques et leur répression de ces derniers mois, suite au refus du gouvernement d’engager un dialogue franc et sincère avec l’opposition en vue de trouver une issue à la crise togolaise, interpellent tous les Togolais, de quelque bord qu’ils appartiennent, pour chercher ensemble une solution qui préserve l’avenir du Togo et l’héritage que notre génération est appelée à laisser aux générations futures.

II. La marche du Togo vers la démocratie et l’Etat de droit

A. L’évolution politique de 1990 à 2005

Pris de panique par l’ampleur du soulèvement populaire, le gouvernement mettra en place, fin octobre 1990, une Commission constitutionnelle de 109 membres représentant les différentes couches de la population togolaise. Cette Commission avait pour mission, l’élaboration d’une nouvelle constitution pour le Togo avant fin décembre 1990. Le projet de la nouvelle constitution a été effectivement soumis au Chef de l’Etat à fin décembre et un référendum était programmé pour le mois de février 1991 pour sa ratification par le peuple. Sous prétexte d’une relecture du projet de la constitution par un expert, le Chef de l’Etat a, en effet, fait venir M. Jean COLLIN, Ancien Ministre d’Etat du Sénégal. Malheureusement ce référendum n’a jamais eu lieu.

Les organisations qui réclamaient la démocratie et l’Etat de droit, réunies dans une coordination, Front d’Action pour le Renouveau (FAR), ont déclenché un mouvement de protestation le 16 mars 1991 qui a abouti à la signature d’un accord le 22 mars 1991 portant sur trois points : 1°) L’amnistie générale, 2°) La Charte des partis politiques et 3°) L’organisation d’un forum national de dialogue en vue de définir les organes de la transition pour aller à la démocratie.

Les deux premiers points de l’accord ont été appliqués. Au moment où le gouvernement devait prendre les dispositions pour l’organisation du forum national de dialogue, le FAR s’est sabordé laissant ainsi le gouvernement sans interlocuteur. Il a déclenché un mouvement pour réclamer l’organisation d’une conférence nationale souveraine. Ce sera sous l’égide de la coordination de l’opposition démocratique (le COD). Le mouvement a été marqué par des violences, et, dépassé par les évènements, le gouvernement a accepté, par un accord signé le 12 juin 1991, l’organisation de la conférence nationale tout en excluant sa souveraineté. Cette conférence s’est effectivement réunie le 8 juillet 1991, et après avoir élu son présidium et élaboré son règlement intérieur, elle s’est proclamée souveraine. Ceci a créé un climat de tension entre le gouvernement et les partis d’opposition et les organisations de la société civile qui s’étaient, entre temps, constituées. Cette tension a été exacerbée par le déballage de toutes les pratiques anti-démocratiques qui ont marqué le règne du parti unique, le RPT, pendant vingt six ans.

A l’issue de la conférence nationale souveraine, un gouvernement de transition a été formé par Me Joseph KOFFIGOH, dominé par les partis de l’opposition démocratique Un Haut Conseil de la République (CHR), une sorte de parlement de transition, a été mise en place. Quelques mois après, en octobre 1991, celui-ci a prononcé la dissolution du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais). Ce qui a entraîné des émeutes et des tensions qui, finalement, se sont soldées par un coup d’Etat le 3 décembre 1991. Ce coup devait sonner le retour du RPT au pouvoir et la reprise de l’initiative politique par le Président Gnassingbe EYADEMA. Dès lors, toute stratégie pour se maintenir au pouvoir, sera la préoccupation majeure et du RPT et de son Président Fondateur. Malgré la formation d’un gouvernement d’ouverture, toujours sous la conduite du Premier Ministre Joseph KOFFIGOH, l’opposition n’arrivera pas à s’imposer malgré son poids dans le pays.

A l’élection présidentielle organisée en 1993, l’opposition désistera. En revanche, les élections législatives de 1994 auxquelles elle a participé lui ont donné la majorité absolue, c’est-à-dire les sièges du CAR (Comité d’Action pour le Renouveau) et de l’UTD (Union Togolaise pour la Démocratie) réunis. Mais les dissensions entre les deux leaders ne leur ont pas permis la formation d’un gouvernement de coalition pour pouvoir répondre à l’aspiration profonde de liberté et démocratie du peuple togolais. En effet, l’UTD a choisi de gouverner avec le RPT.

En 1998, l’élection présidentielle a eu lieu avec la participation, pour la première fois, de l’UFC (Union des Forces du Changement) et de son leader, Gilchrist OLYMPIO. Mais les résultats de cette élection n’ont pas été régulièrement proclamés par la Commission électorale, mais par le Ministère de l’intérieur.
Les partis d’opposition et la communauté internationale ont vivement protesté contre ce hold up électoral. Celle-ci renforcera les sanctions déjà prises par l’Union européenne suite aux évènements tragiques du 25 janvier 1993 à Fréau Jardin et pour déficit démocratique. Des pressions sont exercées sur les autorités togolaises pour entamer un dialogue avec l’opposition afin d’éviter le blocage du processus démocratique. Après bien des hésitations, le gouvernement a accepté d’ouvrir le dialogue en décembre 1998 avec pour objectif l’organisation des élections législatives libres et transparentes au cours de l’année 1999. Alors que le dialogue était en cours, toujours dans sa stratégie d’empêcher l’opposition d’accéder au pouvoir, ces élections ont été organisées en mars 1999 contraignant l’opposition à leur boycott. Le Togo se retrouve avec une Assemblée nationale monocolore. Mais le dialogue s’est poursuivi et a abouti à l’Accord Cadre de Lomé (ACL) signé le 29 juillet 1999. Cet Accord a permis la mise en place d’un Comité paritaire des partis politiques ayant signé l’accord et un collège de facilitateurs des représentants de la France, d’Allemagne et de l’Union européenne. Les décisions prises par consensus par ce Comité doivent être entérinées par le gouvernement et l’Assemblée nationale en place. Or ces deux institutions sont contrôlées par le RPT. Dans ces conditions, il est clair que toute décision même consensuelle qui n’agrée pas le RPT et le gouvernement sera rejetée. Ce sont ces institutions, le gouvernement et l’Assemblée nationales qui ont procédé, selon leurs propres termes, au toilettage de la constitution de 1992 approuvée par une large majorité des Togolais.

En juin 2003 l’élection présidentielle a été organisée pour renouveler le mandat du Président de la République. Les principaux partis politiques de l’opposition ont formé une coalition pour présenter un candidat. Mais tout a été mis en œuvre pour que le Président Gnassingbé EYADEMA soit réélu. L’Union européenne qui suit de près l’évolution politique a jugé ces élections non conformes aux normes d’une élection démocratique et a fait savoir, par conséquent, qu’elle maintenait ses sanctions.
Le gouvernement ayant compris le message et, face à la détérioration de la situation politique, économique et sociale, accepte de négocier avec l’Union européenne en associant deux partis politiques de l’opposition, l’UTD et le PDR. Les négociations ont abouti aux vingt deux engagements pris le 14 avril 2004 par le gouvernement en vue d’entamer le dialogue avec les partis d’opposition et la société civile pour trouver des solutions appropriées aux problèmes politiques du Togo dont, entre autres, l’organisation des élections législatives libres et transparentes. Ce dialogue a effectivement commencé en octobre 2004 et a suscité beaucoup d’espoir dans la classe politique et la population du fait de la lassitude générale provoquée par des crises à répétition. Malheureusement, le 5 février 2005, en plein déroulement du dialogue, survient le décès du Président Gnassingbé EYADEMA.

B. L’évolution politique de 2004 à 2006

Le soir même de son décès, un coup d’état a été perpétré par la haute hiérarchie militaire suivi de l’imposition de l’un des fils du Président défunt comme Président de la République. La communauté internationale condamnera ce coup, et le lendemain 6 février 2005, un coup d’état constitutionnel a été organisé pour donner une base légale à cette succession monarchique au pouvoir. La population togolaise en état de choc réagira par des manifestations. Celles-ci ont été sévèrement réprimées par l’armée et les forces de sécurité. La communauté internationale maintenant sa pression, exigera le retour à l’ordre constitutionnel, c’est-à-dire que le Président de l’Assemblée nationale assure l’intérim de la Présidence de la République jusqu’à l’élection présidentielle dans 60 jours. Cette exigence n’a guère été respectée. Le Président de l’Assemblée nationale a été destitué et remplacé par son Vice Président qui assumera la charge de Président de la République par intérim. La CEDEAO a aidé les autorités togolaises à organiser l’élection présidentielle dans des conditions contestables. Certains partis politiques de l’opposition y ont participé en présentant un candidat de coalition. Mais la stratégie de conservation du pouvoir du RPT étant bien rôdée, le candidat de cette coalition n’a pas gagné l’élection. Il faut souligner que le jour du scrutin, toutes les communications téléphoniques et autres voies de communication étaient coupées, et, la CENI qui ne reflétait pas la configuration politique du Togo, mettra trois jours pour proclamer les résultats qui ont été, par la suite, validés par la cour constitutionnelle. Une vague de violences s’est déclenchée à travers tout le Togo laissant derrière elle des blessés, des morts, des destructions de biens et des milliers de réfugiés. Une nouvelle crise plus grave et plus compliquée est ouverte.

La communauté internationale, surprise par l’ampleur des dégâts, a dépêché une mission d’enquête sous l’égide des Nations Unies pour faire la lumière sur les évènements tragiques qui ont secoué le Togo. Le gouvernement togolais, conscient des conséquences préjudiciables à la reprise de la coopération avec l’Union européenne, a mené de son côté une enquête. Les recommandations de la mission des Nations Unies pour une sortie définitive de la crise au Togo sont très pertinentes. Elles ont, en effet, demandé l’organisation d’un dialogue pour trouver un compromis en vue de la formation d’un gouvernement d’Union nationale qui devrait gérer une période de transition politique au cours de laquelle tous les problèmes constitutionnels et institutionnels et de sécurité devraient être réglés. Ensuite, on devait procéder à toutes les élections : présidentielles, législatives et locales. Au cours de la transition, les problèmes de l’impunité et de la réconciliation seront également réglés. Malheureusement, les Nations Unies n’ont pas pesé de tout leur poids pour imposer leurs recommandations. Elles auraient dû les transformer en résolutions du Conseil de Sécurité assorties de sanctions pour contraindre les autorités dans le sens d’une véritable sortie de crise. Tel n’a pas été le cas. On reviendra au statu quo ante comme si de rien de grave ne s’était passé au Togo. L’Union européenne reprendra l’initiative en demandant que le règlement de la crise togolaise s’inscrive dans le cadre des vingt deux engagements déjà souscrits par le gouvernement togolais, c’est-à-dire avec le régime en place.

Dans ces conditions, on reprendra les mêmes et on recommencera à trouver des solutions aux problèmes togolais dont le contexte politique a, pourtant, considérablement changé. Le dialogue ouvert en novembre 2005 entre les partis politiques RPT, UFC, CAR, CPP, CDPA, PDR, GF2D et REFAMP et le gouvernement a abouti à un accord politique globale (APG) signé le 20 août 2006 grâce à la facilitation du Président Blaise COMPAORE du Burkina Faso. La feuille de route de l’Accord prévoit un certain nombre de réformes à faire, notamment, d’ordre constitutionnel et institutionnel. Mais la préoccupation majeure des négociateurs ainsi qu’il apparaît par la suite dans l’application de cet accord était l’organisation des élections législatives. Le gouvernement d’Union nationale formé à l’issue de la signature de cet accord dont le Premier Ministre est de l’opposition, n’a pas les pouvoirs nécessaires pour régler les problèmes politiques de fond tels que les réformes constitutionnelles et institutionnelles, le problème de l’impunité et de la réconciliation. Ces prérogatives n’étaient pas définies dans l’Accord par consensus par rapport à celles du Président de la République qui conserve pleinement ses prérogatives constitutionnelles.

C. Evolution après les élections législatives du 14 octobre 2007

Aussitôt après la formation du gouvernement d’Union nationale auquel l’UFC n’a pas jugé opportun d’y participer, les dispositions sont prises en vue de la mise en place de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Elle l’a été sur une base paritaire telle que convenue dans l’APG. Mais, dans la réalité, c’est en se référant à l’Accord Cadre de Lomé de juillet 1999 que la CENI a été composée mais en augmentant le nombre des membres. Ce faisant, une confusion s’est créée, car certains partis politiques qui étaient dans l’opposition se sont, entre temps, ralliés au RPT et au gouvernement pour la signature des vingt deux engagements. Ils se sont réclamés de l’opposition lors de la constitution de la CENI, si bien que le principe de la parité était faussé. C’est une CENI déséquilibrée, largement dominée par les partisans du pouvoir avec ces transfuges, qui a eu la charge d’organiser les élections législatives. Bien qu’étant théoriquement indépendante, il y a eu le représentant du Ministère de l’Administration territoriale qui a toujours eu un droit de regard sur son fonctionnement et contrôlait de façon parcimonieuse ses moyens d’action. La recomposition de la cour constitutionnelle, parce que n’ayant pas été réglée de façon appropriée, c’est-à-dire par consensus dans l’APG, a vu siéger la majorité des membres acquis à la cause du pouvoir. Les problèmes de fond qui auraient dû trouver des solutions pour garantir l’équité dans l’organisation du scrutin n’ont pas été étudiés et réglés de manière adéquate. Il en est ainsi du découpage électoral, du mode de scrutin et de l’organisation des CELI (Commission Electorale Locale Indépendante). Le mode d’établissement des listes électorales était des plus contestables, car personne n’a pu garantir la fiabilité des kits utilisés à cet effet, et ils sont, au reste, de seconde main déjà utilisés en RDC (République Démocratique du Congo). C’est dans ces conditions que les Togolais se sont rendus aux urnes le 14 octobre 2007. Ces élections se sont déroulées, certes, sans violence et ont connu un taux de participation élevé.

Quelle est la problématique après ces élections ? Les autorités togolaises se sont réjouies de ces résultats puisqu’elles leur donnent une majorité confortable à l’Assemblée nationale, cinquante sièges sur quatre vingt un, et consacre, comme nous l’avons déjà noté, la stratégie de conservation du pouvoir, c’est-à-dire barrer la route à toute velléité d’alternance politique. Elles se sont également réjouies parce les sanctions de l’Union européenne sont levées et sa coopération avec le Togo a repris. Cette reprise a conduit à l’adoption et la mise en œuvre des programmes de réformes économiques et financiers avec les institutions de Bretton Woods : Fonds monétaire international et Banque mondiale, ainsi que la Banque africaine de Développement. Elle a également permis l’organisation de la table ronde des bailleurs de fonds à Bruxelles en septembre 2008. En plus, l’accélération de l’achèvement du document intérimaire de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) et de son approbation par les instances compétentes des institutions de Bretton Woods pour rendre le Togo éligible à l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE) en vue de la réduction de sa dette, notamment, sa dette multilatérale. Compte tenu des progrès réalisés dans la remise en ordre des finances publiques et de ses organes de contrôle, le Fonds a annoncé que le Togo peut être considéré comme ayant atteint le point de décision et, plus tard, le point d’achèvement dans le processus de l’allègement de sa dette. Malgré toutes ces bonnes nouvelles, les problèmes majeurs qui restent posés avant que le Togo ne soit sur la voie d’un véritable progrès économique et social, sont hautement politiques. Il s’agit des réformes constitutionnelles et institutionnelles, l’organisation des élections transparentes au Togo, le problème de l’impunité et de la réconciliation.

Pour ce qui concerne les réformes constitutionnelles et institutionnelles le pêché originel provient du fait que dans l’APG il est stipulé que c’est la prochaine législature qui se chargera de les opérer. En l’état actuel des dispositions constitutionnelles, il faut une majorité qualifiée de 3/4 pour effectuer les amendements. Or, avec une majorité qui est nettement en faveur du parti au pouvoir, ces réformes n’ont jamais vu le jour. Les deux partis de l’opposition représentés dans cette Assemblée n’ont aucune marge de manœuvre ; même s’ils initiaient des lois dans ce sens celles-ci ne seront jamais votées. Soulignons, qu’entre temps, neuf députés appartenant à l’ANC précédemment membres de l’UFC ont été exclus de l’Assemblée nationale. Et tant que ces réformes ne seront pas faites, il faut considérer que le Togo restera toujours en crise. La seule façon de s’en sortir, consiste à amener les protagonistes à un dialogue franc et constructif.

III. Constat de blocage du processus démocratique

A. Les causes

Non application fidèle des dispositions pertinentes de l’APG, notamment : le refus de la mise en place du comité de suivi et le cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC)

1. Manque de consensus dans la mise en place des institutions telles que: la CENI et ses démembrements, la Cour constitutionnelle, la HAAC
2. Elections non transparentes et crédibles et leurs conséquences: contestations suivies de violences
3. La Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) : le processus prescrit par la CEDEAO n’a pas été pris en compte : période de transition pour la mise en place d’un gouvernement légitimement constitué pour régler le problème de réconciliation
4. Manque de confiance mutuelle en raison de la stratégie de conservation du pouvoir RPT/UNIR et de la division de l’opposition démocratique

B. Exacerbation du blocage

1. Violation des droits de l’homme et l’impunité des forces de sécurité: falsification du rapport de la CNDH, démission et départ en exil du Président de cette institution.
2. Manifestations du 2 mars 2012 des organisations de la société civile et des partis politiques de l’opposition pour dénoncer la falsification, la torture et l’impunité.
3. Création du « Collectif Sauvons le Togo» (CST) dans la foulée et l’appel à des manifestations les 12, 13 et 14 juin 2012 suivies de répressions sanglantes et de destruction de biens. Ces manifestations se poursuivent par intermittence
4. Répression du 29 juin 2012 de la manifestation du FRAC suivie de l’attaque du domicile du Président de l’ANC.
5. Refus de dialogue du «Collectif Sauvons le Togo» avec le pouvoir en posant des préalables (voir la Plateforme du CST).
6. Création de la « Coalition Arc en Ciel» par certains partis d’opposition.
7. Problème créé par les incendies des marchés de Kara et de Lomé : les interpellations sans enquête préalable aggrave la crise de confiance entre les pouvoirs publics et la classe politique.
8. Les grèves de la STT, des étudiants et des élèves ; la répression de la grève des élèves dont deux trouveront malheureusement la mort.

C. Les élections législatives et locales : faut-il y aller?

Quelle est la Problématique
1. Ni le pouvoir, ni les partis politiques, ni la population ne sont vraiment prêts à aller à une quelconque consultation électorale à moins d’un forcing du pouvoir
2. Désaccord sur le code électoral et le nombre des députés pour la prochaine législature
3. Théoriquement, même si le pouvoir disposait du financement, il n’a pas su encore régler convenablement les problèmes d’intendance liés à l’organisation du scrutin : mise en place d’une CENI consensuelle et de ses démembrements, révision du fichier électoral, enregistrement des candidatures, fabrication des urnes, achat de l’encre indélébile et des bulletins de votes et leur déploiement sur toute l’étendue du territoire ‘
4. La sécurisation des élections législatives et locales
5. Risque d’un taux d’abstention très élevé dû à la lassitude des populations toujours appelées à aller aux élections, mais qui finissent par découvrir que c’est toujours les mêmes qui gagnent

D. Solution dans l’immédiat

Report des élections sans tenir compte des contraintes constitutionnelles car le Togo n’est pas encore en démocratie; le processus de démocratisation suit toujours son cours, et il s’agit, bien entendu, d’un processus politique. Par conséquent, il faut trouver le meilleur moyen de le faire aboutir.
Dialogue entre les protagonistes pour convenir d’un calendrier pour faire le point sur l’application, à ce jour, de l’APG, et définir les conditions d’une véritable transition politique

IV. Plaidoyer pour une nouvelle constitution

En effet, après un si long règne du régime de parti unique du RPT et des nombreuses difficultés rencontrées dans le processus de démocratisation depuis 1990, le problème togolais est avant tout politique. Le décès du Chef de l’Etat Gnassingbé EYADEMA, principal acteur politique du Togo pendant 40 ans, offrait une occasion aux Togolais pour le résoudre en entamant un dialogue constructif indispensable à la réconciliation nationale. Il s’agit d’évaluer le système qui a régi leur vie politique, sociale, économique, morale et culturelle pendant ces 40 ans, afin de définir ensemble, dans un sursaut patriotique, un autre système qui leur garantisse un véritable Etat de Droit et de progrès. C’est dans cet esprit que le GRAD, au lendemain de la crise provoquée par le décès du Chef de l’Etat, a fait des propositions concrètes en prévoyant deux étapes dans la solution de la crise. La première étape consisterait à amener la classe politique à gérer de façon consensuelle une période de transition avec un gouvernement d’Union Nationale pour bien préparer l’élection présidentielle afin d’éviter toute contestation des résultats. Cette étape est, aujourd’hui, dépassée. Il reste la deuxième étape qui s’inscrit dans une action à moyen et long termes. Celle-ci est plus que jamais importante compte tenu des évènements tragiques qui ont secoué le Togo ces derniers mois. Ils ont creusé, à ne point en douter, la fracture politique et sociale. Ils ont ravivé les rancœurs et aggravé les frustrations, toutes choses qui ne sont pas de nature à faciliter le dialogue et la réconciliation tant souhaités par les Togolais de bonne volonté. C’est pour aider les acteurs politiques togolais, toutes tendances confondues, à trouver une solution que le GRAD revient à la charge pour réitérer sa proposition pour le moyen et le long termes, avec, bien sûr, une nuance pour tenir compte de la situation de fait créée par l’annonce de la date des élections et le dépôt des candidatures. Ces propositions sont présentées ci-après.

A. Préalables à un Gouvernement d’Union Nationale

1. Report des élections en raison des risques potentiels tant politiques qu’économiques qu’elles comportent
2. Dialogue entre les principaux partis politiques sous l’autorité de l’Union Africaine, de la CEDEAO, de l’Union européenne, de la Francophonie et des Nations Unies, ou à défaut un facilitateur national.
3. Formation d’un Gouvernement d’Union Nationale comprenant les principaux partis politiques sous l’autorité du Président après un compromis dégagé au cours du dialogue et nomination d’un nouveau Premier Ministre par consensus.
4. Les prérogatives du Président et du Premier Ministre pendant une période transitoire : à définir par un accord politique qui engage tous les partis. La forme juridique que prendra cet engagement doit être clairement définie au cours du dialogue ; elle doit prévoir des sanctions à l’encontre de ceux qui ne le respecteraient pas et fixer la durée de la transition de façon réaliste.
5. La Cour Constitutionnelle : revoir sa composition en nommant des personnalités crédibles afin de conférer à cette cour, la plus haute juridiction de l’Etat, l’autorité nécessaire pour accomplir en toute indépendance ses fonctions pendant la période transitoire.
6. La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication : revoir sa composition en nommant des personnalités crédibles afin de lui permettre d’assumer ses fonctions en toute indépendance pendant la période transitoire.
7. Mesures de sécurité à prendre avec accent sur la dissolution des milices qui existent toujours de façon camouflée et la nomination de nouveaux préfets. Ces mesures sont nécessaires pour rassurer la population togolaise traumatisée par les récents évènements
8. Ces préalables sont nécessaires si l’on veut régler les problèmes politiques togolais de manière appropriée, réaliste, durable, et, au demeurant, calmer les rancœurs et frustrations accumulés pendant des années.
9. Mission du Gouvernement d’Union Nationale. Il faut préciser qu’un gouvernement d’Union nationale n’est pas formé pour gouverner, en d’autres termes, pour appliquer un programme de politique partisane. En temps de crise ou de guerre un tel gouvernement est constitué pour accomplir une mission. Celle de faire face à la crise et d’y apporter des solutions. Le gouvernement d’union dont il est question, aujourd’hui, au Togo doit avoir pour mission, entre autres, la convocation d’une Assemblée Constituante
10. La convocation de cette Assemblée Constituante s’avère indispensable, pendant une période transitoire, pour la reprise normale des activités politiques après les récents évènements tragiques. Elle procédera à la nécessaire refondation de toutes les institutions de l’Etat pour l’avènement d’un Etat de droit. Au sein de cette Assemblée, les acteurs politiques apprendront à travailler ensemble, à créer, entre eux, un climat d’apaisement et de confiance mutuelle nécessaire pour régler les problèmes politiques non résolus, accumulés avant le coup d’état du 5 février 2005 et après le coup d’état et, enfin, conduire les Togolais à une véritable réconciliation nationale qui garantira une paix civile et une stabilité politique durables.
11. Les organisations internationales ci-dessus citées accompagneront aussi bien en amont qu’en aval l’organisation de l’élection à l’Assemblée Constituante.

B. Problème constitutionnel au Togo

1. Il faut, honnêtement, reconnaître qu’il se pose au Togo un problème constitutionnel. En effet, la Constitution de 1992 élaborée pendant la période de transition, approuvée par référendum, a été amendée en décembre 2002 par une Assemblée nationale où n’était représentée que la majorité présidentielle du RPT.
2. Le coup d’état du 5 février 2005 pose le problème de la légitimité des institutions actuelles régies par la Constitution en vigueur : selon les articles 148 et 150 de la constitution, les coups d’état sont proscrits, sans compter que l’article 65 a été violé par l’Assemblée nationale en procédant à son amendement après le coup d’état et que, par ailleurs, la Cour Constitutionnelle a commis un parjure en prenant le serment du président désigné après le coup d’état. La décision prise par la CEDEAO qui autorise le Vice-Président de l’Assemblée Nationale à assurer l’intérim de la présidence de la République est, par conséquent, politique et doit être considérée comme telle. En effet, elle ne constitue pas, au sens stricto sensu de la constitution, le retour à la légalité constitutionnelle. Le règlement de la crise togolaise ne peut être considéré que sous l’angle politique et, raisonnablement, dans le sens d’un compromis. La Constitution étant un document sacré, il est dangereux, pour l’avenir du Togo, de créditer l’idée qu’on peut la violer, la manipuler et la reprendre pour gouverner en s’appuyant sur elle. Il faut une nouvelle constitution digne de ce nom, qui soit un contrat social liant tous les Togolais. Il appartiendra à l’Assemblée constituante de choisir le régime politique qui conviendrait le mieux au Togo pour son épanouissement et son progrès.

C. La constituante

1. Mode d’élection : mode de scrutin à la proportionnelle pour des considérations d’équité et d’apaisement politique dans le pays. Elle permettrait, en effet, à tous les partis politiques d’y être représentés chacun selon son poids réel selon qu’on retienne le quotient fixe par circonscription (liste de candidats par circonscription électorale), ou le quotient fixe national (liste nationale des candidats). Le quotient de représentation étant défini en fonction de l’importance du corps électoral et du nombre de
députés à élire.

2. Les pouvoirs de la Constituante
a) Pouvoirs législatifs pendant la période transitoire : la Constituante assumera les fonctions du pouvoir législatif, mais l’étendue de ce pouvoir doit être définie au cours du dialogue.

b) Pouvoirs constituants

1°) Elaboration d’une nouvelle constitution et d’un nouveau code électoral par une assemblée vraiment représentative : nouveau contrat social alliant les notions de liberté et de l’autorité de l’Etat
2°) Statut des partis politiques de l’opposition
3°) Financement des partis politiques
4°) Utilisation des média

c) Organes techniques et consultatifs de la Constituante et leur rôle :

1°) Représentants des divers corps d’armée : définition du statut de l’armée et résolution des problèmes de l’armée
2°) Représentants du corps judiciaire : corps des magistrats, des avocats, notaires et huissiers
3°) Société civile : les organisations socio-professionnelles (les syndicats, le patronat, la Chambre de Commerce et des métiers), les confessions religieuses, la chefferie traditionnelle, les Universités (professeurs et étudiants), la diaspora.
4°) Commission économique : bilan économique, financier et social, plus la définition d’une stratégie de développement à moyen et long termes
5°) Commission de réconciliation nationale : préparer les modalités de la réconciliation nationale : mise en application des recommandations de la Commission Vérité, Justice Réconciliation
• Amnistie générale
• Définition du statut des Anciens Chefs d’Etat et des anciens hauts responsables de l’Etat et dirigeants politiques,
• Réhabilitation appropriée des Anciens Chefs d’Etat
d) Approbation de la nouvelle constitution par référendum

3. Les élections seront organisées après la ratification de la nouvelle constitution par référendum.
a) Election présidentielle et formation d’un nouveau gouvernement conformément à la nouvelle constitution
b) Elections législatives
c) Elections locales

Cette approche de sortie de crise que préconise le GRAD, si elle était acceptée par la classe politique togolaise et le peuple togolais qui, en dernière analyse, reste le seul détenteur de la souveraineté nationale, permettrait d’asseoir le Togo sur une fondation solide de droit nécessaire à son progrès et à son émancipation. Au GRAD, nous sommes convaincus que « C’EST DANS L’UNITE » que nous devons bâtir un Togo nouveau « L’OR DE L’HUMANITE »

Lomé le 30 juin 2013