16/04/2024

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Togo: Témoignages de Kodjo Agbéyomé sur la tuerie du 25 janvier 1993 à la Place Fréau Jardin

Extrait du Témoignage de AGBÉYOMÉ KODJO sur la tragédie de Fréau jardin qui a endeuillé et traumatisé le Peuple togolais il y a un peu plus de 18 années.

Une remontée précise dans le temps paraît inéluctable pour saisir d’une part, l’imbrication des événements, et d’autre part, ce qui s’est réellement joué lors de la tragédie nationale survenue à l’occasion du passage à Lomé du Ministre français de la Coopération de l’époque , monsieur Marcel DEBARGES, et du Secrétaire d’Etat Allemand de l’époque, monsieur Helmut SCHAEFFER , tous deux dépêchés à l’époque par leur pays respectif afin d’aider autant que faire se pouvait, la classe politique togolaise à dénouer la crise qui compromettait lourdement le processus de transition vers un Etat de droit au Togo.

Factuellement :

*Point 1 : Le 27 septembre 1992, les Togolais plébiscitent lors d’un referendum la nouvelle Constitution de la République.

*Point 2 : Le 22 octobre 1992, les murs de l’enceinte du siège de la mission française de coopération ont été soufflés par une charge explosive causant de considérables dégâts matériels..

*Point 3 : Les 22 et 23 octobre 1992, une centaine de militaires environ prennent en otage les membres du Haut Conseil de la République (Assemblée législative de Transition) réunis au Palais des Congrès. Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, celui de la Défense Nationale, et celui de l’Administration territoriale interpellés par le HCR figuraient au nombre des otages.

*Point 4 : Le 26 octobre 1992, une grève de protestation de 72 heures contre la prise en otage des membres du Haut Conseil de la République a été lancée.

*Point 5 : Le 9 novembre 1992, le Premier Ministre Joseph Kokou KOFFIGOH limoge deux Ministres du RPT (Komlan Agbéka et Agbéyomé KODJO) que maintient dans leurs fonctions le Général Eyadéma.

C’est le début d’un bras de fer ouvert entre le Premier Ministre et le Chef de l’Etat.

*Point 6 : Le 13 novembre 1992, le Collectif de l’Opposition Démocratique (CODII) annonce une grève générale illimitée à compter du 16 Novembre 1992 et appelle la population à la désobéissance civile sur l’ensemble du territoire national, invitant l’exécutif à honorer leurs revendications sous peine de démission.

*Point 7 : Le 9 décembre 1992, le Patronat togolais condamne les méthodes de l’armée togolaise et lance un appel aux organisations internationales notamment l’OUA, l’ONU, la CEDEAO pour superviser les futures élections au Togo. Il invite également le gouvernement à fixer au plus vite le calendrier électoral.

*Point 8 : Le 13 décembre 1992, le Comité Togolais de Résistance organise à Paris une grande marche (de République à Nation) de soutien à la grève générale illimitée.

*Point 9 : Le 19 décembre 1992, le sénateur RPR des Hauts de Seine, Charles Pasqua, entreprend une visite de 48 heures au Togo au cours de laquelle il a été reçu en grande pompe dans le nord par le Général Eyadéma à qui il a déclaré apporter son soutien.

*Point 10 : Le 7 janvier 1993, rencontre COD II – sensibilité présidentielle sur la nécessité de former un nouveau gouvernement. Il a été convenu la mise sur pied d’une « Force spéciale de sécurité ». Mais le Général Eyadema exige d’abord la fin de la grève générale illimitée, tandis que l’opposition réclame des garanties.

*Point 11 : Le 13 janvier 1993, dans un message à la nation, le Général Eyadéma annonce la formation prochaine d’un nouveau gouvernement.

*Point 12 : Le 18 janvier 1993, au cours d’une réunion du CODII à Pa de Souza, Me Agboyibo rapporte dans son livre « Mon Combat pour le Togo », publié aux Editions Karthala, novembre 1999, pages 102 à 104, qu’il avait interrogé le Professeur Gnininvi, Président du COD II, sur le procédé par lequel une grève illimitée pouvait déboucher sur la démission du Chef de l’Etat. Il aurait obtenu du Professeur GNININVI la réponse suivante : je cite « la communauté internationale sera effectivement indifférente à notre sort, tant que la grève continuera à être plate. Que voudrais-tu dire par là ? Lui ai-je demandé précise Me AGBOYIBO ; J’ai compris à sa réponse qu’on allait vers des journées chaudes » poursuit Me AGBOYIBO.

*Point 13 : Le 19 janvier 1993, le Général Eyadéma signe un décret reconduisant le Premier Ministre Koffigoh dans ses fonctions. L’opposition et le HCR contestent au Chef de l’Etat le droit de nommer le Premier Ministre, car selon les dispositions transitoires de la Constitution du 27 septembre 1992 cette prérogative relève de la compétence du HCR. Le même jour, une manifestation particulièrement impressionnante se tenait devant les ambassades occidentales, avec son lot de dévastations des équipements publics et de blessés graves.

*Point 14 : Le 21 janvier 1993, les officiers de l’armée apportent un soutien public au Général Eyadema ainsi qu’au Premier Ministre, Joseph Koffigoh. Les militaires affirment alors que « la transition a lamentablement échoué ».

*Point 15 : Le 23 janvier 1993, Monsieur Alain Madelin, vice-président du Parti Républicain français, branche de l’UDF, de passage à Lomé déclare : « Je suis un ami de longue date de la démocratie africaine. J’exprime ici mon admiration et mon amitié pour les démocrates qui, ici où ailleurs en Afrique se battent pour la liberté et la dignité de la personne, souvent au péril de leur vie ».

*Point 16 : Le 25 janvier 1993, au cours d’une manifestation pacifique rassemblant un nombre de personnes estimé à 300 000 dans la capitale Lomé, plus de 19 personnes (certaines sources évaluent leur nombre à une centaine) auraient été tuées par des éléments armés qui ont tiré de manière indiscriminée sur la foule.

*Point 17 : Le 28 janvier 1993, l’ex-président français, Giscard d’Estaing envoie un message de soutien au Général Eyadéma.

*Point 18 : Le 30 janvier 1993, en représailles au décès d’un militaire et d’un gendarme vraisemblablement tués par des civils, des membres de la Garde présidentielle sont descendus dans la rue et ont tiré de manière indiscriminée sur des civils et se sont livrés à des pillages ainsi qu’à des exactions graves jusqu’au lendemain.

Cette expédition punitive a été déclenchée par un reportage de la télévision togolaise montrant des images de militaires blessés ou morts.

Pour mémoire, les faits rapportés dans le cadre de la tragédie de Fréau Jardin survenaient à un moment où le Premier Ministre en fonction, Joseph KOFFIGOH évoluait dans un contexte où il était à la fois soumis à des pressions militaires, désavoué par les siens de l’opposition et accusé par la population, d’avoir liquidé les acquis de la Conférence Nationale Souveraine en acceptant de conserver ses fonctions par un décret de nomination du Général Eyadéma en violation de la Constitution du 27 septembre 1992.

Après le replacement dans le contexte politique de l’époque que je viens d’exposer pour que la cohérence et la clarté n’échappent guère au travail actuel de déconstruction des nœuds de l’histoire, il importe à présent que je vous livre ma part de témoignage sur la trame de ces déchirants événements tragiques tels qu’ils se sont produits le 25 janvier 1993.

L’opposition réunie au sein du COD II avait informé le gouvernement par le biais du Ministère de l’Administration territoriale dont j’avais la charge à l’époque, de son intention d’organiser un rassemblement devant le palais des Congrès pour manifester son soutien à l’initiative des gouvernements français et allemand visant à trouver une solution à l’impasse politique entre le Chef de l’Etat, le gouvernement de transition et le Haut Conseil de la République.

Les émissaires français et allemand étant logés à l’Hôtel du 2 Février, le Gouvernement dans le souci de préserver leur quiétude avait demandé aux organisateurs de déplacer sur la place Fréau Jardin la manifestation qu’ils projetaient d’entreprendre.

Ainsi que l’usage administratif le requiert en matière de sécurité sur la voie publique, nous avons pris comme cela sied en pareille occasion, toutes les dispositions appropriées pour assurer la police de la manifestation prévue pour 15 heures.

Au moment de quitter ma résidence pour me rendre à mon Ministère afin d’assurer le suivi en temps réel du déroulement de la manifestation, une demi-heure avant que ne débute le rassemblement, j’ai été informé de l’existence d’un plan d’agression des manifestants, par Monsieur Komikpim BAMNATE Député à l’Assemblée Nationale, Secrétaire Général Adjoint du RPT – qui au moment des faits était proche du Colonel Narcisse DJOUA. Il m’a dit en substance ceci. Je cite : « ce qui va se passer aujourd’hui, si demain l’opposition demande à ses militants de participer à une manifestation organisée par elle ils refuseraient ».

Je pris cette information très au sérieux avant même de chercher à faire des recoupements. Au regard du caractère gravissime de la communication qui me fut ainsi transmise, j’ai préféré rebrousser chemin pour instamment tenir informé le Professeur Gnininvi avant de me rendre à mon bureau au Ministère.

Le Professeur GNININVI ne reconnaitra publiquement qu’en 2009 soit 16 ans après les faits, la réalité de la démarche que j’ai entreprise à son endroit tendant à précisément l’informer sur l’heure, de la communication alarmante qui m’était parvenue.

Ainsi, j’avais à l’époque, rapporté au Président du COD II que j’étais en possession d’une information aux termes de laquelle le camp politique auquel j’appartenais aurait planifié des actes de violence déterminée, en vue de perturber la manifestation prévue. Aussi, avais-je insisté pour que le Président du COD II procède par précaution à l’annulation de la manifestation. En outre, je lui avais recommandé de préférablement inviter les manifestants à se rendre à l’aéroport pour saluer les émissaires européens au moment de leur départ, afin de leur exprimer leur sentiment de désarroi et de colère contre les violences et les persécutions dont ils sont l’objet, et de dénoncer explicitement les obstacles au processus de démocratisation du Togo.

Malheureusement je ne suis pas parvenu à convaincre le Professeur GNININVI car il avait estimé que mes propos procédaient d’une récurrente manœuvre dilatoire visant à empêcher l’opposition de manifester. .

Enfin, je précise que j’ai en des termes clairs, indiqué au Président du COD II qu’il sera tenu pour responsable de ce qui adviendra car je l’aurais prévenu.

Par suite, j’ai vainement tenté de joindre le Général Eyadema afin de lui rendre compte de la situation mais le standard de Pya où il se trouvait m’a répondu qu’il était en audience. J’avais donc compris qu’il était avec les émissaires européens.

Le Professeur Gnininvi a cependant certainement rendu compte des échanges que j’ai eues avec lui à ses collègues puisqu’ils s’étaient rassemblés au domicile du Président de l’UTD et Président sortant du COD II, Edem KODJO, avant le début des fusillades.

Les premiers éléments d’information du drame qui nous ont été transmis à la fin de cette journée éprouvante du 25 janvier 1993 indiquaient que des policiers auraient riposté en tirant sur les manifestants suite à la mort d’un de leurs collègues abattu par un coup de feu en provenance de la foule.

Cette information a fait l’objet d’une conférence de presse que j’ai organisée dans le vif de l’actualité à mon Ministère pour expliquer les circonstances du drame survenu au Peuple togolais.

Il se trouve que suite à une enquête administrative interne, diligentée par mes soins dès le lendemain du drame, les explications fournies par la police aux premières heures du drame s’avérèrent inexactes. En effet :

 Le policier qui a trouvé la mort dans le car de police l’a été accidentellement par une maladresse d’un de ses coéquipiers.

 Les armes dont les assassins ont fait usage ne relèvent pas de la dotation officielle de la police nationale.

 Une poignée d’éléments isolés de la police nationale impliqués dans ce drame appartenait à un groupuscule dénommé « BRIGADE ROUGE » qui fort de ses appuis au sein du pouvoir étaient insoumis à l’autorité de la hiérarchie, notamment du Commissaire Central de la ville de Lomé. Le chef de file de ce groupuscule était le Commissaire ALAZA, chargé du Jalonnement du parcours présidentiel, aujourd’hui décédé.

Le Commissaire central de l’époque, Jean Gabriel BABA, confia n’avoir donné de mandat à aucun élément relevant de son autorité pour à prendre part à cette barbarie, monsieur ASSIGUIME, Directeur de la Police Nationale au moment des faits confirma en tous points les propos du Commissaire central.

Tout indique que les véhicules de la police aperçus sur le lieu du drame n’étaient qu’une opération de diversion pour masquer l’identité des véritables commanditaires de cette tragédie. Qu’ainsi les forces de police et le Ministre de l’Administration territoriale ne furent que des boucs émissaires dans cette tragédie !

D’où s’en suivit ma requête adressée dès le lendemain du drame au Chef de l’Etat afin d’être déchargé de mes fonctions ministérielles. C’est ainsi que le 13 février 1993, soit trois semaines environ après la tragédie, je quittais le Ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité.

Les leaders de l’opposition togolaise de l’époque, réunie au sein du COD II ne peuvent valablement prétendre ignorer les commanditaires et les criminels qui ont endeuillé la Nation. Ce d’autant que Maître Zeus AJAVON, membre éminent du COD II, me confia un jour devant des témoins encore vivants, qu’ils savaient tous que je ne suis ni de près ni de loin mêlé à l’organisation et à l’exécution du plan macabre qui a endeuillé la Nation le 25 janvier 1993.

Il me paraît essentiel de relever qu’il est connu de l’opinion publique togolaise ainsi que certains le confessent en privé que ce drame relève de la responsabilité des éléments des forces armées togolaises ainsi que de certains étudiants de l’Université du Bénin (actuellement université de Lomé) membres du HACAME.

D’ailleurs des témoignages de militaires en rupture de banc avec les FAT font état de ce que le rassemblement des exécutants de cette basse besogne provenant de plusieurs bataillons eut lieu sur le terrain de football du Camp RIT tôt dans la matinée du 25 janvier 1993, sous les ordres du Commandant Narcisse DJOUA, avec pour mission de « décapitez toute l’opposition politique ».

La Haute Hiérarchie Militaire de l’époque doit pouvoir éclairer utilement à présent la Nation toute entière sur ces tragiques événements pour la manifestation de la vérité afin que justice soit faite !

Le 13 mai 1993, dans une correspondance adressée au Secrétaire Général des Nations Unies, Maître Ahlonko DOVI, Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme du Togo (CNDH), indiquait formellement que les événements tragiques des 25 et 30 Janvier 1993 relevaient de la responsabilité des FAT.
« Dans son rapport du 5 Octobre 1993, Amnesty International, Intitulé « les FAT tuent impunément » Amnesty International, affirme que la responsabilité des massacre de Fréau Jardin incombe aux FAT, et demande instamment au Gouvernement l’ouverture d’une enquête sur les violations des droits de l’homme afin de traduire les responsables en justice et mettre fin au cercle de violence et d’impunité qui sévit au Togo. Ce rapport souligne par ailleurs que les ministres européens en visite avaient déclaré à la presse au terme de leur séjour au Togo, qu’ils avaient conseillé au président Eyadéma de renvoyer l’armée dans ses casernes pour empêcher toute immixtion dans le domaine politique. »

Par ailleurs, le rapport du 20 janvier 1994 de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Togo après une enquête minutieuse situe clairement un an après le drame de Fréau Jardin les responsabilités en identifiant les FAT ainsi que des individus habillés en civil comme étant les auteurs du drame du 25 janvier 1993.
Je tiens à souligner que depuis ma mise au point publique sur la tragédie de Fréau Jardin fin septembre 2009 jusqu’à ce jour, à ma connaissance aucun de mes contempteurs n’a relevé le défi que j’ai lancé au pouvoir RPT comme à l’opposition, ainsi qu’aux forces de sécurité, en ces termes : « s’il y en a qui pensent détenir la moindre preuve de mon implication dans le drame de FREAU Jardin, qu’ils l’exposent aux yeux de la Nation ! ».

AGBÉYOMÉ KODJO
Fait à Aného le 27 octobre 2011