20/04/2024

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Togo-Tuerie de Fréau Jardin : les interrogations de Mr ZINSOU sur la posture de Kodjo Agbéyomé

De petits pas vers la vérité

Par Sénouvo Agbota ZINSOU

J’ai hésité un peu avant de livrer mes réflexions sur le communiqué de presse du 30 octobre du parti OBUTS « Oser la vérité pour sauver le Togo » et sur [le témoignage de Kodjo Agbéyomé sur la tuerie du 25 janvier 1993 à la Place Fréau Jardin->https://www.letogolais.com/article.html?nid=4547] qui lui est joint. Pourquoi avoir hésité ? L’homme avait été à la tête du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture dans lequel j’avais travaillé et nos rapports étaient plutôt bons, en comparaison de ceux que j’avais eus avec d’autres personnalités ayant occupé ce poste et dont je ne mentionne presque jamais les noms dans mes écrits pour ne pas être accusé de me livrer à des règlements de comptes personnels, sous prétexte de contribuer au débat national indispensable. S’il existe un sentiment contre lequel je lutte de toutes mes forces, c’est celui de la haine.

Cependant, puisque OBUTS et Agbéyomé nous invitent à oser la vérité pour sauver le Togo à ces heures cruciales de l’histoire de notre pays, ce que dit Agbéyomé mérite d’être analysé objectivement, à tête reposée, pour ceux qui sont, comme semble l’être Agbéyomé, convaincus qu’il ne peut y avoir un Togo nouveau que fondé sur des valeurs éthiques.

D’abord le communiqué. Les faits mentionnés, dans l’ordre chronologique s’étaient déroulés « dans les années 90 » et « le 25 janvier 1993 ». Le parti OBUTS n’existait pas encore. Ces faits ne concernaient pas le président de ce parti et encore moins son bureau politique ou ses militants. Ils concernent exclusivement la personne de M. Messan Gabriel Agbéyomé Kodjo et cela doit être clair pour tous. Je me refuse toujours à faire un procès d’intention à qui que ce soit, mais je pense que nous devons apprendre à ne pas nous servir de nos associations, partis, groupements comme de paravents dans des affaires où nous sommes individuellement impliqués.

Il importe d’ailleurs de remarquer que, à part l’entête et les dernières lignes du communiqué que Agbéyomé signe ( abusivement à mon avis ) « Le Président National », il est surtout question, dans le corps du texte comme dans le témoignage de « ma personne », « ma famille » ( pas dans le sens de famille politique ). Par contre ( ce que je trouve intellectuellement honnête ) quand il parle du RPT et de son régime, il dit bien : « le camp auquel j’appartenais ». Je ne nie donc pas les petits pas vers la vérité. Peut-être faudra-t-il encourager ou aider Agbéyomé à aller plus loin. Une critique venant du camp actuel de Agbéyomé, c’est-à-dire de l’opposition, en commençant par OBUTS, lui serait salutaire et nous serait salutaire en ce sens. Cela aussi, il faut l’oser.

Concernant le fait survenu dans les années 90, les pas vers la vérité devraient nous conduire aux réponses à donner aux questions suivantes : quelles sont ces milices qui avaient commis des exactions, avaient perpétré des actes de vandalisme au domicile de M. Gboné, avaient voulu assassiner ce dernier… ? Comment s’appelaient ces milices ? Qui en étaient nommément les membres ? Qui les avaient formées ? Qui les finançait ? Au profit de qui opéraient-elles ? Je crois que le témoignage d’Agbéyomé là-dessus est trop court : « des milices dont Agbéyomé serait le parrain… » Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris pourquoi, sautant de ce sujet, le président d’OBUTS nous parle des travaux du CPDC. Peut-être cela justifie-t-il le fait que ce soit OBUTS qui rende le communiqué public. Mais alors, nous aurions deux communiqués : un d’Agbéyomé et un d’OBUTS. Mais puisque nous sommes habitués à des confusions et amalgames de ce genre, l’auteur a dû penser que cela passerait facilement. Inaperçu. Ne nous interrogeons pas ici de savoir si OBUTS participe aux travaux du CPDC avec les autres partis de l’opposition ou pas, sur la base d’une plate-forme commune ou pas.

Je dirai un mot sur la prise en otage du HCR, puisque Agbéyomé y fait allusion. La vérité dite par Agbéyomé ne me paraît que très partielle. Il n’y avait pas dans la salle du Palais des Congrès trois ministres, mais deux, au moment où les militaires y étaient entrés pour contraindre les hauts conseillers à voter le dégel des cotisations du RPT : celui de la Justice et celui de la Défense. Le troisième ministre, Agbéyomé, libre de ses mouvements, faisait la navette entre le siège du Haut Conseil et l’extérieur ( les preneurs d’otages, les banques… et peut-être Lomé 2). Ce qui est clair, c’est que la prise d’otages ne visait pas les ministres, mais les hauts conseillers, y compris ceux représentant le RPT, comme Dahuku Péré, présent.

À la dernière apparition d’Agbéyomé, vers quatre heures ou cinq heures du matin, donc un peu avant que nous soyons libérés, un de nos collègues, Otto Ajavon m’avait dit à l’oreille que le ministre se plaignait que je ne l’eusse pas salué, alors que nous nous entendions bien au ministère. Pour lui montrer que je n’avais rien contre lui personnellement, de ma place où j’étais assis, je m’étais levé pour m’approcher de lui au pied du présidium où il se tenait debout et je l’avais salué. Je me rappelle même lui avoir dit que je reconnaissais qu’il n’était pas à l’abri du danger en se déplaçant pendant la fusillade. Bien sûr, je savais qu’en tant que patron des policiers, il n’était nullement inquiété par les preneurs d’otages. S’il fallait parler de ministres otages, cela concernerait tous ceux qui, à ce titre ou à un autre comme collaborateurs directs, avaient servi Eyadema. Agbéyomé en sait quelque chose. Cela doit faire réfléchir ceux qui, en ce moment, semble-t-il, discutent au sujet du régime qu’il faut pour le Togo, à l’avenir.

Mais, mon principal propos concerne la fusillade du 25 janvier 1993 au Jardin Freau. Témoignage personnel : j’étais au Jardin Freau, à la manifestation. J’avais vu des hommes, des femmes et des enfants pris de panique, quand la fusillade avait éclaté. Des êtres humains poursuivis par d’autres, comme des gibiers par des chasseurs. Des êtres humains courir, escalader des murs et sauter dans des maisons où ils pouvaient, ou tomber devant moi. J’avais vu couler du sang. J’ai vu des gens habillés en blanc, certains le front ceint d’un bandeau blanc ( on nous expliquera plus tard que ceux qui avaient le bandeau appartenaient aux milices du RPT, au Hacame et cachaient jusque-là, en attentant un signal convenu, leur mitraillette, leur pistolet sous leur boubou tout blanc ).

J’avais vu, bien sûr, des hommes en uniforme. J’ai dû mon salut, comme beaucoup de gens, à la fuite. Nous nous étions réfugiés à l’intérieur du bâtiment de l’Inspection de l’Enseignement du Premier Degré, face à la pharmacie Matthia. Les bureaux étant fermés le week-end, nous ne pouvions occuper qu’un couloir entre le mur de clôture et le bâtiment principale. Nous étions plus de soixante. Nous avions chaud. Nous transpirions. Nous manquions d’air. Nous étouffions. De temps en temps, nous entrebâillions le portail pour avoir un peu d’air.

Nous pouvions alors apercevoir la fumée qui se dégageait des véhicules, incendiés par ceux qui nous avaient poursuivis, convaincus que ces véhicules appartenaient aux manifestants qu’il fallait punir. Nous entendions des explosions, des crépitements de balles, des cris ( plaintes des blessés, des suppliciés et des mourants d’une part, de victoire, de plaisir, de triomphe et plaisanteries des agresseurs d’autre part ). Quand, vers 18 heures, les choses s’étaient un peu calmées, on pouvait saisir distinctement les plaisanteries macabres auxquelles se livraient les agresseurs : « Combien en as-tu tué ? Toi, là, tu ne vaux rien, tu n’en as tué que deux ! Moi, j’en ai tué cinq ! Moi, j’en ai tué six… »

Ces hurlements de délectation des agresseurs, ainsi que les bruits des voitures s’étaient petit à petit estompés. C’est la peur au ventre que nous étions sortis de l’Inspection. C’est le cœur battant que je m’étais rendu 17 rue du Soldat Nandji, où j’avais garé ma voiture devant la maison familiale de mon épouse. C’est les membres tremblants au volant de ma voiture que j’avais ramené des connaissances à moi à Tokoin Ramco, avant de regagner mon domicile à Togbato. Surtout parce qu’il fallait passer devant le commissariat central où les agresseurs semblaient s’être rassemblés après les opérations.

Et maintenant, l’on peut se demander ce qu’avait fait Messan Agbéyomé Kodjo ce jour-là. Il dit avoir été mis au courant du plan de massacre de la Brigade Rouge, trente minutes avant la manifestation. Bien ! Moi, j’ai quitté chez moi vers 14 heures avec quelques voisins de quartier et quand nous arrivions au Jardin Freau, vers 14 h 10, la place était déjà noire de monde. Il dit avoir prévenu Gnininvi. Moi, je me demande ce que je lui aurais répondu à la place de ce dernier. Eh bien, je lui aurais donné exactement la même réponse, à savoir qu’il se livrait à une manœuvre dilatoire pour empêcher la manifestation. Cela faisait partie des habitudes du régime. Je lui aurais fait comprendre que détourner la manifestation du lieu prévu et aussi de son but ( ce n’était nullement pour saluer les Européens à leur départ et les remercier de leur soutien ( quand bien même cela serait justifié ) mais c’était pour obtenir la fin du régime Eyadema.

Et puis, aller crier notre colère à l’aéroport, ou la crier au Jardin Freau, quelle était la différence ? Et, surtout, comment cela aurait-i pul changer quoi que ce fût au dessein meurtrier de la Brigade Rouge ? Il dit qu’il rendait Gnininvi responsable de ce qui pourrait arriver. Je ne disserte pas ici sur la notion de responsabilité, ni au sens philosophique, ni au sens morale, ni au sens théologique ou religieux. Selon Sartre, chaque homme est individuellement responsable de ce qu’il fait ou devrait faire. Et puisque Agbéyomé s’est référé à sa conscience de chrétien au début de son témoignage, je le renvoie à notre Bible commune qui nous dit que « Quiconque sait faire du bien mais ne le fait pas commet un péché ». Bien sûr que Gnininvi, comme les autres leaders du CODII, Agboyibo, Edem Kodjo, Zarifou Ayéva… seraient responsables du massacre du 25 janvier, s’ils en étaient au courant et n’avaient rien fait pour l’empêcher. Mais, de tous ces hommes, Agbéyomé l’est encore plus. Il prétend avoir appelé Pya ( nous n’en avons aucune preuve ). Mais, je me pose la question de savoir ce qu’il aurait fait si Eyadema refusait de donner l’ordre aux éléments de la Brigade Rouge de ne pas exécuter leur plan d’agression, si Exadema avait lui-même ordonné ces tueries.

Et après que toutes ses tentatives d’empêcher le massacre eurent échoué, qu’avait-il fait ? Était-il resté à son bureau pour griller des cigarettes et ainsi, suivre en temps réel, les tueries ? Était-il rentré ce soir-là pour embrasser sa femme, manger, boire et dormir ? Moi, quand j’étais rentré, les miens n’avaient pas fini de trembler pour moi et de pleurer, ne sachant pas si j’étais parmi les morts ou parmi les survivants. Et il faut imaginer combien de foyers, combien de familles avaient connu la même atmosphère ou bien pire pour ceux dont les proches étaient blessés ou morts. C’était la même angoisse qui avait régné chez moi, comme chez les autres hauts conseillers pendant la prise en otages.

Gnininvi et ses collègues du COD II sont responsables en ce sens que personne ne les avait vus sur les lieux de la manifestation du 25 janvier : peut-être qu’ils y auraient pris la parole, pour prévenir et dénoncer le coup monté de la Brigade Rouge dont ils étaient au courant. Mais, Agbéyomé aussi, avec ou sans l’accord d’Eyadema aurait pu le faire. Il y risquerait son poste, il y risquerait sa vie. Mais c’était l’heure où le peuple avait besoin de héros qui disent sans peur la vérité pour le sauver. Non pas pour sauver et laver leur personne ou leur famille d’un avilissement quelconque. C’était trop facile de rendre Gnininvi seul responsable.

Et puis, n’y a-t-il pas une contradiction entre la conférence de presse pour expliquer les massacres le 26 janvier et les informations dont disposait Agbéyomé trente minutes avant le déclenchement de la fusillade ?

« Les premiers éléments d’information du drame qui nous ont été transmis à la fin de cette journée éprouvante du 25 janvier 1993 indiquaient que des policiers auraient riposté en tirant sur les manifestants suite à la mort d’un de leurs collègues abattu par un coup de feu en provenance de la foule. Cette information a fait l’objet d’une conférence de presse que j’ai organisée dans le vif de l’actualité à mon Ministère pour expliquer les circonstances du drame survenu au Peuple togolais. ». Agbéyomé est un homme intelligent. Cela est sûr. Nous le sommes peut-être aussi, et à ce titre, ni lui, ni nous, ne devrions nous laisser imbriquer dans ce genre de contradiction.

En tout cas, c’est dans cette atmosphère de désolation et de deuil pour plusieurs familles togolaises que le ministre Agbéyomé Kodjo avait préparé et tenu sa conférence du mensonge d’État.

Pour mieux nous aider à comprendre le passé et préparer l’avenir, à supposer que, comme le déclare, Agbéyomé il n’ait été mis au courant du plan de massacre du 25 janvier que trente minutes avant, pendant combien d’années a-t-il baigné dans ce qu’il appelle « le mensonge d’État » ? Ainsi, après le massacre, il s’est livré, dans sa conférence de presse à un mensonge d’État. Il y a une rumeur qui avait circulé au sujet des victimes du 25 janvier auxquelles Agbéyomé rend hommage aujourd’hui. Il lui appartient de démentir cette allégation comme tant d’autres : est-ce vrai qu’il aurait tout fait, même physiquement pour empêcher les ministres allemand et français en visite à Lomé de voir les blessés et les morts à l’hôpital ?

Concernant les auteurs des actes réprouvés, nous aurions deux questions auxquelles l’ancien ministre de l’Administration ne saurait échapper : 1°d’abord, les chiffres : « plus de 19 personnes (certaines sources évaluent leur nombre à une centaine) auraient été tuées par des éléments armés qui ont tiré de manière indiscriminée( sic) sur la foule ». Cette imprécision ne sied pas à un ministre chargé de l’Intérieur et de la sécurité de nos populations au moment des faits. L’écart entre les chiffres fournis par les différentes sources est trop grand pour que l’on ne cherche pas à se rapprocher de la réalité.

2°l’identification des agresseurs. De noms précis, Agbéyomé ne répète que ceux que la rumeur publique connaissait déjà et encore, parmi ces noms, il ne livre que ceux des morts : Narcisse Yoma Djoua et Alaza. Il manque même Bitenewe sur la liste des tristement célèbres et redoutés défenseurs du régime de violence. Agbéyomé a bien fait allusion aux étudiants membres du Hacame, mais si je ne me trompe, l’un des meneurs les plus connus de ce groupe est l’actuel ministre de l’Administration territoriale, Pascal Bodjona.

L’ancien ministre chargé de l’administration du territoire, ne disposerait-il pas de la liste complète des dirigeants du Hacame comme de celles des autres associations ?

Cela pose le problème même de la création et du fonctionnement de cette Commission Vérité-Justice-Réconciliation dans le contexte actuel où beaucoup de personnes impliquées dans les crimes sont dans les plus hautes sphères du pouvoir, à commencer par celui qui s’est installé à la présidence de la République. J’y reviendrai.

Agbéyomé, malgré sa prétention à restituer le climat national et international dans lequel se sont déroulés les faits pour lesquels il a été auditionné, oublie ou omet volontairement certains évènements cruciaux : tous les coups de force perpétrés par les militaires depuis le début de la Conférence Nationale Souveraine et tout au long de le période de transition, en particulier l’attaque de la Primature qui a été le tournant décisif de l’histoire d’une transition ratée, c’est-à-dire de la volte-face de Koffigoh qui dès cet instant, avait à choisir entre s’allier au dictateur et faire ses quatre volontés pour conserver son poste de premier ministre ou poursuivre la lutte au sein de l’opposition et risquer de quitter la Primature.

C’est là, après tant de morts, que tout a basculé. Une simple question à Agbéyomé : où était-il ? Applaudissait-il aux victoires remportées par le général dans sa guerre contre le peuple pour reconquérir la totalité des pouvoirs ? Quand Agbéyomé écrit aujourd’hui : « *Point 5 : Le 9 novembre 1992, le Premier Ministre Joseph Kokou KOFFIGOH limoge deux Ministres du RPT (Komlan Agbéka et Agbéyomé KODJO) que maintient dans leurs fonctions le Général Eyadéma. » cela signifie-t-il qu’il avait pris conscience ( et à partir de quand ? ) qu’il était maintenu à son poste contre la légalité républicaine qui veut que ce fût le Premier ministre qui nomme les ministres ? Or,c’est le bras de fer entre les deux têtes de l’exécutif dont parle d’ailleurs Agbéyomé qui avait conduit aux évènements tragiques du 28 novembre au 3 décembre 1992.

À cela, il faudra ajouter la délation, une des forces du régime, les arrestations arbitraires, les assassinats ciblés ou désordonnés, les interrogatoires musclés où la torture était monnaie courante. Qu’en sait Agbéyomé ? Il ne peut pas dire, comme son maître d’alors, Eyadema :« Je n’étais au courant de rien ». Quelles preuves peut-il nous apporter aujourd’hui qu’il n’y avait joué aucun rôle et même qu’il tentait de persuader Eyadema, ses collègues « barons », les militaires qu’il incrimine, ses propres agents quand il était devenu ministre chargé de la police, d’abandonner ces pratiques ? Agbéyomé était un homme-clé du régime. Pour le dédouaner aujourd’hui, nous sommes obligés d’exiger plus que ce qu’il nous apprend dans son témoignage.

C’est un acte de violation de la Constitution du 27 septembre 1992 par Eyadema qui permettra à Koffigoh d’être maintenu à son poste de Premier ministre. C’est un acte de violation du même genre qui lui avait permis, à lui, Agbéyomé d’être maintenu dans le gouvernement. Agbéyomé déclare qu’il a, dès le lendemain du drame du 25 janvier « adressé une requête au Chef de l’Etat afin d’être déchargé de (ses) fonctions ministérielles. C’est ainsi que le 13 février 1993, soit trois semaines environ après la tragédie, je quittais le Ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité ». Ce serait bien si nous avions la preuve matérielle de cette requête. Sa conduite aurait été d’une exemplarité parfaite, s’il n’avait pas accepté d’autres portefeuilles par la suite et n’avait pas attendu le 27 juin 2002 donc plus de neuf ans après, pour « rompre définitivement avec l’État de mensonge en quittant son poste de premier ministre ».

Mieux vaut tard que jamais. Il faut féliciter Agbéyomé. Il faut l’encourager. Mais nous devons reconnaître que ce ne sont là que de petits pas vers la vérité. Le pays a bien sûr, besoin de héros, mais les héros, ce sont, avant tout, des hommes. Et moi j’aime bien cet homme Agbéyomé qui est sensible à l’image que l’opinion publique se fait de lui, sensible à l’estime de ses concitoyens. Ou sensible tout court, jusqu’aux larmes. Mais lorsque, pour devenir un héros l’on choisit la vérité dans la douleur contre le mensonge facile, la justice que l’on n’atteint pas sans sacrifice face à l’injustice agréable à portée de la main, le bien qui nous coûte face au mal qui nous arrange, il nous faut être à la fois modestes et même humbles pour reconnaître que, par rapport au mal, à l’injustice, au mensonge dont nous avons été auteurs ou complices, il reste beaucoup à faire, et assez ambitieux, non pas pour nous-mêmes mais pour notre pays, en fixant la barre très haut en matière d’exigence d’éthique.

Une fois encore, me référant à la conscience chrétienne qu’évoque Agbéyomé, je pense que ce n’est pas une bonne attitude que celle du pharisien qui, devant Dieu, le regard et les bras levés vers le ciel, vante ses propres bienfaits en les opposant aux péchés du publicain d’à côté, ce dernier priant, se frappant la poitrine et se reconnaissant comme indigne de regarder même le ciel. Une telle attitude ( je veux dire celle du pharisien ) qui consiste à bomber le torse et dire :« voyez ! moi, je n’ai fait que du bien, ce sont les autres qui sont coupables » ne nous fera parvenir ni à la vérité, ni à la justice, ni à la réconciliation.

Ici, je pose la question : si Agbéyomé dont il faut encourager les petits pas, même tâtonnants vers la vérité, n’est pas allé très loin, aussi loin qu’on le souhaiterait, qu’en sera-t-il de ceux qui sont connus comme ayant trempé directement dans des crimes plus grands ( les commanditaires et auteurs du massacre de 500 Togolais en 2005, par exemple ) et qui sont installés au pouvoir ? La Commission Vérité-Justice-Réconciliation les auditionnera-t-il, en commençant par Faure Gnassingbé ?

Agbéyomé dit quelque chose de très intéressant dans le communiqué, concernant les travaux du CDPC auxquels, si je comprends bien, OBUTS participe déjà, apparemment, sans condition ( au diable son avant-projet de plate-forme ?) : « OBUTS informe l’opinion publique nationale et la diaspora qu’elle n’entend pas s’associer à quelque manœuvre politicienne visant à institutionnaliser de nouveau un régime monocéphale ( sic) et autocratique sur la Terre de nos Aïeux, et qu’elle ne pourra que se retirer du CPDC si l’intérêt supérieur du Peuple togolais ne préside pas la prise des décisions ». C’est bien. Mais il nous importe de savoir quels sont les critères précis qui permettront à ce parti de juger que l’intérêt supérieur du peuple togolais ne préside pas la prise des décisions.

Et, logiquement, la Commission Vérité-Justice-Réconciliation de Mgr Barrigah doit se trouver face au même défi, ayant à répondre à la même question. Sans cela, il ne restera à l’Histoire que de constater la vacuité de sa mission.

Sénouvo Agbota ZINSOU

LIRE EGALEMENT:
[Témoignages de Kodjo Agbéyomé sur la tuerie du 25 janvier 1993 à la Place Fréau Jardin->https://www.letogolais.com/article.html?nid=4547]