LE MONDE | 02.03.10 | 13h40
A première vue, l’élection présidentielle togolaise du jeudi 4 mars se présente comme une simple formalité. Dans un pays pauvre, connu pour ses scrutins truqués et ses émeutes réprimées dans le sang, la réélection de Faure Gnassingbé, 43 ans, fils du général Eyadéma, l’homme fort du Togo pendant trente-huit ans, ne fait guère de doute. D’autant que M. Gnassingbé, élu en 2005 lors d’une parodie de vote sanglante (500 morts), affronte aujourd’hui six candidats dans un scrutin sur mesure, à un seul tour. Et que l’opposition, agitée par d’interminables querelles internes, se présente en ordre dispersé.
Pourtant, le scénario bien huilé d’une réélection annoncée a déraillé ces dernières semaines dans des conditions étonnantes. Tout a commencé avec l’invalidation du Franco-Togolais Kofi Yamgnane, l’ancien secrétaire d’Etat de François Mitterrand, par la Cour constitutionnelle de Lomé pour une prétendue incertitude sur son état civil. En réalité, le pouvoir en place craignait que M. Yamgnane, doté de solides relais médiatiques en France, ne prive le président sortant de voix dans le nord du pays, dont les deux hommes sont originaires.
L’invalidation était donc tout bénéfice pour M. Gnassingbé sauf qu’elle a provoqué un sursaut de ses opposants. Le 11 février, Kofi Yamgnane qui n’avait plus rien à perdre, a fait alliance avec Jean-Pierre Fabre, le candidat de l’Union des forces de changement (UFC), principal parti d’opposition.
Le tandem bouscule la vieille stratégie du Rassemblement du peuple togolais (RPT), parti du président sortant et de son père qui a toujours présenté l’UFC comme un parti sudiste, dont la victoire signifierait l’éviction des populations du nord de tous les postes sources de pouvoir ou d’argent.
« Cette alliance nord-sud prend de court le pouvoir qui exploitait le clivage régional pour effrayer la population et perdurer », se réjouit François Boko, fugace ministre de l’intérieur du général Eyadéma, aujourd’hui artisan de ce nouveau Front républicain pour l’alternance et le changement. Enfin, l’absence dans cette campagne électorale de Gilchrist Olympio, président de l’UFC, tend à apaiser le jeu. Ce dernier, fils de Sylvanus Olympio, premier président élu, assassiné en 1963 probablement par le propre père de M. Gnassingbé avec la complicité de la France, faisait éternellement planer une ambiance de revanche mortelle sur la vie politique locale.
Inattendue, cette configuration complique la tâche de Faure Gnassingbé. Celui-ci, élu en 2005 dans des conditions qu’il a qualifiées lui-même d' »épouvantables » dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, doit effacer ce péché originel en organisant un scrutin crédible, validé par ses bailleurs, notamment par l’Union européenne qui le finance.
Aussi courtois et effacé que son père était brutal et omniprésent, le jeune président a obtenu le retour des financements européens interrompus pour cause de violence, instauré la gratuité de l’école primaire et tenté de pacifier le pays. Les Togolais, longtemps terrorisés par le régime, jouissent d’une certaine liberté d’expression.
Mais la pauvreté n’a guère reculé et, malgré les promesses, les auteurs des violences électorales de 2005 n’ont pas été inquiétés, selon Amnesty International. Selon plusieurs autres associations françaises de solidarité avec l’Afrique, telle Survie, l’officier nommé à la tête de la force de sécurité spécialement constituée pour la présidentielle aurait participé à la répression sanglante.
Le président togolais a fait incarcérer son frère et rival Kpatcha, un temps ministre de la défense, dont il disait craindre un coup d’Etat. Mais il a conservé comme conseiller Charles Debbasch, le juriste français condamné dans l’affaire Vasarely, concepteur de l’habillage juridique qui permit à Faure Gnassingbé de s’installer dans le fauteuil de son père – avec le soutien de l’armée – dès la mort de celui-ci, en février 2005.
L’ultime difficulté pour Faure Gnassingbé réside dans le réel changement d’attitude de Paris. Alors que la France de Jacques Chirac avait avalisé l’élection présidentielle calamiteuse de 2005, celle de Nicolas Sarkozy a pris ses distances.
Certes, M. Gnassingbé a montré sa bonne volonté en confiant à l’homme d’affaires Vincent Bolloré, un proche du président français, l’exploitation du port de Lomé. Mais le froid entre les deux capitales s’est concrétisé en décembre 2009 lorsque Lomé a expulsé le premier conseiller de l’ambassadeur de France, accusé d’entretenir des contacts trop suivis avec Kofi Yamgnane. Une décision suivie d’une expulsion symétrique d’un diplomate togolais en poste à Paris.
M. Sarkozy, s’il a reçu à l’Elysée M. Gnassingbé, n’a jamais fait escale à Lomé. Le président togolais n’a certainement pas oublié que, en avril 2005, un haut responsable français de la majorité (qui n’était pas ministre à cette date) s’était démarqué de la position gouvernementale de l’époque en qualifiant de « mascarade » l’élection présidentielle qui l’avait porté au pouvoir. Il était président de l’UMP et s’appelait Nicolas Sarkozy.
Philippe Bernard
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