Le Premier Ministre français, Manuel Valls a effectué une mission officielle au Togo le 28 octobre 2016. Le retour sur investissement de « l’aide du développement français » et le pouvoir togolais sont proportionnellement inverses au retour sur investissement pour les populations togolaises. Quant aux partis d’opposition représentatifs, ils ont été « remplacés » par une visite officielle auprès des « très jeunes togolais ».
1. VALLS AU TOGO
Pour faire suite à la visite du Chef de l’Etat togolais à Paris lors de la COP 21 en décembre 2015, Manuel Valls, le chef du gouvernement français a choisi de défendre les intérêts de la France au Togo en faisant une courte escale le 28 octobre 2016 pour « renforcer la coopération entre les deux pays ». Après le Togo, ce sera le Ghana et la Côte d’Ivoire. Pour le Togo, Mr Valls en a profité pour rentrer dans l’histoire comme le 2e chef de gouvernement français après Michel Rocard qui a foulé le sol togolais il y a 28 ans. Le seul problème est que le Togo ne porte pas chance pour les premier-ministres français qui ambitionnent d’être Président dans leur pays. Il suffit de se rappeler les difficultés de Michel Rocard face à François Mitterrand, le Président de l’époque, pour ne pas croire que l’histoire pourrait se répéter.
2. VALLS EST SILENCIEUX SUR LA VERITE DES URNES AU TOGO
Mais qu’il le veuille ou non, outre la défense des intérêts stratégiques, militaires et économiques de la France et des Français, la visite de Manuel Valls restera dans les annales comme une visite qui ne confirme pas l’arrêt du soutien de la France à l’autocratie et les élections sans vérités des urnes au Togo. Aucune des revendications de l’opposition « officielle » togolaise, ni les promesses formulées et non tenues de Faure Gnassingbé, notamment la mise en œuvre et le respect de l’Accord politique global du 20 août 2006, n’ont fait l’objet d’avancées notables1. La sécurité a supplanté tous les autres sujets qui pourraient concerner les Togolais et Togolaises. Par contre, avant les élections présidentielles en France, il n’est jamais mauvais de nouer des alliances. On ne sait jamais, surtout que les réseaux sont nombreux à chercher des appuis, tant au sein des partis politiques dites de « droite » comme de « gauche » en France !
3. VALLS:COMPLICE OU CRITIQUE DU STATUS QUO ?
Pour la grande majorité de la population togolaise y compris celle de la Diaspora en France ou ailleurs, à la question de savoir si le représentant de la France est venu confirmer l’infaillible rationalité sécuritaire et économique qui régente le monde, la réponse est clairement oui. Mais alors s’agit-il d’une mission pour confirmer la complicité avec le pouvoir en place ou une volonté discrète de critiquer, voire de s’insurger ou contre ce même pouvoir ? Compte tenu de la lisibilité opaque de la politique française en matière de soutien à la vérité des urnes dans les pays francophones et au Togo en particulier, la collusion des intérêts bien compris serait le terme plus appropriés diplomatiquement pour qualifier ce qui en train de se passer avec la visite de Manuel Valls, Premier ministre français au Togo. Donc, personne ne parle des « choses qui fâchent ». Alors, la nouvelle dimension stratégique à imprimer à la coopération entre la France et le Togo ne semble pas passer par la promotion de la démocratie au Togo. Les fourvoiements des partis dits de l’opposition qui sont plus préoccupés à obtenir la manne financière accordée à chaque chef de parti politique, les conduisent à ne plus défendre les intérêts des populations togolaises et à se méfier de la Diaspora.
Rappelons que le Togo dispose d’au moins 107 partis politiques sur papier avec plusieurs pour répondre à des préoccupations « ventrologiques ». Aussi, dès lors que les partis d’opposition qui ont choisi d’aller aux élections présidentielles de 2010 et 2015 ont refusé de contester les résultats des élections, il est difficile pour tous politiciens étrangers de soutenir leur stratégie dont l’épicentre reste malgré tout un déficit de responsabilité envers la volonté des populations. Les oppositions au Togo sont en mauvaise position pour dénoncer le soutien de Paris aux régimes autocratiques civilo- militaires du Togo dès lors qu’elles sont incapables de s’unir comme le leur demande le peuple togolais, ce depuis bientôt 50 ans… Alors leur responsabilité doit être aussi engagée pour ce qui est du « retour des Présidents à vie » au pouvoir.
Dans ces conditions, la position du Premier Ministre Valls au mieux est de ne pas en parler comme cela il n’est ni complice, ni critique. Mais chacun peut se faire une idée de sa motivation première compte tenu de l’influence de plus en plus faible de l’ensemble des partis d’opposition au Togo.
4. TOGO:DIVORCE AVEC QUI ?
Ceux qui croient que le « divorce » entre Paris et les dirigeants africains seraient consommés au cours du premier mandat de François Hollande, le Président français, risque d’avoir versé dans cette forme du rêve qu’est l’illusion.
Parler d’ingérence compte tenu de la volonté libérale affichée de servitude volontaire au Togo envers la France, serait au mieux une vérité incomplète, au pire une indifférence de façade. La France n’a jamais lâché le Togo. Mais ce sont certains dirigeants des milieux d’affaires de moins en moins compétitifs qui n’arrivent plus à suivre gagner les marchés sans un coup de pouce politique, surtout que la gourmandise et les appétits grandissants liés aux facilités de financement provenant de la Chine ont changé la donne.
Le divorce entre le Togo et la Chine pourrait devenir réalité. Si l’aide au développement doit s’accompagner d’un retour sur investissement, il faut se le dire, la Chine n’acceptera plus que la corruption des dirigeants africains se perpétue à partir des prêts à long terme qu’elle octroie aux pays africains, au Togo en particulier, notamment pour la construction du nouvel aéroport. La Chine n’acceptera de moins en moins que ce management de la non-efficacité côté « togolais » ruine leur volonté de promouvoir l’approche « gagnant-gagnant ».
Pire, la Chine n’acceptera plus que les financements reçus de la Chine servent à financer les entreprises françaises ou non chinoises. A ce propos, la Chine a sanctionné les « Chinois » qui sont impliqués dans les malversations importantes intervenues lors de la construction du nouvel aéroport de Lomé. Mais qu’en est-il du côté du Togo ? L’impunité semble avoir une durée de vie longue dans un silence assourdissant où rendre des comptes au public relève encore trop souvent d’un crime de « lèse-majesté ». Le représentant de l’Union européenne semble en avoir mesuré les effets puisqu’il était question subrepticement de son départ avant le Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement en Afrique qui a eu lieu à Lomé (10-15 octobre 2016).
Ce sommet a malheureusement conduit à un report d’un mois des démarrages de la vie scolaire au Togo, et s’est soldé par une simple «Charte non contraignante». Rappelons que 52 pays représentés à Lomé, 21 n’ont pas signé le texte3. Parmi eux, de nombreux pays d’Afrique anglophone et principalement ceux membres de la COMESA, le marché commun d’Afrique de l’est et australe et même le Cameroun. Bref, s’agissait-il plus d’un sommet qui s’inscrivait dans la stratégie globale de la France dans la zone et moins d’une problématique africaine ? Nulle ne le saura jamais ! Alors les populations togolaises auraient subi toutes ces contraintes et privations pour presque rien ? Ou plutôt pour un endettement supplémentaire car le solde budgétaire de ce sommet reste négatif, y compris pour les chauffeurs de véhicules non neufs qui se sont vus promettre 300 000 FCFA de salaire et n’ont touché que 40 000 FCFA d’après les informations qui nous parviennent de sources recommandables.
5. QUEL RETOUR SUR INVESTISSEMENT : POUR LE PEUPLE TOGOLAIS ? POUR VALLS ?
Si la visite du Premier ministre français a permis de se rendre compte que l’aide française a permis l’inauguration d’une extension du Lycée français, de la mise en place d’un centre d’enfouissement de déchets non précisé à Lomé, de se rendre compte de la présence importante des groupes français notamment les représentants du Groupe Bolloré au Port autonome de Lomé (volet conteneurs), personne ne peut s’empêcher de penser à un retour d’investissement sur l’avenir politique de Mr Valls lui-même.
En effet, la plaque de commémoration pour l’agrandissement de l’école française de Lomé va « immortaliser » Manuel Valls et non François Hollande. Avec 4 % des citoyens français satisfaits des actions du Président François Hollande d’après les sondages de fin octobre 2016, il n’est plus possible de ne pas faire l’analogie entre le livre-confession sur le chef de l’Etat français normal, « Un Président ne devrait pas dire ça4 » et les déclarations du Premier ministre Valls qui fait le constat que « la France avait trop reculé en Afrique depuis quinze ans, d’un point de vue économique et commercial mais aussi avec ses écoles5 ».
Etre le Premier ministre d’un Président français le plus impopulaire de la 5e République française qui se lâche et mets de côté une certaine langue de bois d’ébène, c’est partager un tant soit peu le même sort tôt ou tard. Alors, entre l’aveuglement et la cécité, il y a le refus d’écouter en France comme au Togo, les peuples. Alors la sanction finit immanquablement par tomber. Les autocrates d’ici et d’ailleurs deviennent en politique des démo- autocrates surtout si le retour sur investissement peuvent parfois aussi avoir des retombées immédiates en monnaies sonnantes et trébuchantes. Le Togo en l’espèce permettrait-il de se refaire une santé politique en France ? Rien n’est moins sûr pour ce qui est de son éventuelle candidature à l’Elysée à la place du Président François Hollande !
Mais en lisant les dernières déclarations d’Amnesty International sur le Togo de 2016, tout démocrate sérieux est pris de vertiges : 1. impunités, 2. violations répétées des droits humains, 3. restriction de la liberté de réunion pacifique avec interdiction des manifestations, 4. usage excessif des forces de sécurité restées impunies, 5. liberté de réunion et d’expression restreinte, 6. arrestations et détentions arbitraires, 7. absence de preuves lors des allégations de diffusion de fausses nouvelles qui permettent d’incarcérer des journalistes, des défenseurs des droits humains et toutes personnes exprimant des opinions divergentes, 8. blocages de sites internet et des transmissions en fonction des intérêts du moment, 9. refus des améliorations démocratiques, constitutionnelles et institutionnelles6, 10. obligation d’autorisation préalable pour les manifestations pacifiques, etc. Alors, le démocrate Manuel Valls semble n’avoir pas vu, ni entendu, ni voulu parlé de ce qui se passe réellement au Togo.
La visite auprès des très jeunes togolais ne peut cacher son refus manifeste de rencontrer les partis représentatifs de l’opposition du Togo. Il faut croire que ce n’est pas sur ordre du pouvoir en place puisque le d’après le Premier ministre français, la « France croît au Togo7 ». Il est vrai que le Togo de la contre-vérité des urnes ne doute pas de la France. L’impasse que constitue le refus de Faure Gnassingbé de procéder à des réformes électorales, institutionnelles et constitutionnelles au Togo ne semble pas avoir été une préoccupation au cours de cette visite. Donc, assurément, il n’y a aucun retour sur investissement à en attendre pour les citoyens togolais y compris ceux de la Diaspora.
1er novembre 2016
Par Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Thank Tank
yeamaizo@afrocentricity.info
www.afrocentricity.info info@afrocentricity.info
1- Galy, M. (2014). « Togo, une dictature à bout de souffle ». In Le Monde diplomatique. Juin 2015, p. 9. Accédé le 28 octobre 2016. Voir https://www.monde-diplomatique.fr/2014/06/GALY/50528.
2-Monénembo, T. (2015). « En Afrique, le retour des présidents à vie ». In Le Monde diplomatique. Décembre 2015, p. 12. Accédé le 28 octobre 2016, voir https://www.monde-diplomatique.fr/2015/12/MONENEMBO/54360
3-Hauchard, A. (2016). « L’Union africaine adopte une charte sur la sécurité maritime ». In Le Monde Afrique. 16 octobre 2016. Accédé le 28 octobre 2016. Voir http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/16/contre-les-trafics-et-la- piraterie-l-afrique-veut-securiser-ses-mers_5014498_3212.html
4-Davet, G. et Lhomme, F. (2016). « Un président ne devrait pas dire ça… ». Editions Stock : Paris. Octobre.
5- Republicoftogo (2016). « France-Togo : Nouvelle ère ». In Républicoftogo.com. 29 octobre 2016. Accédé le 29 octobre 2016. Voir http://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Diplomatie/France-Togo-nouvelle-ere
6 Amnesty International (2016). Rapport annuel. Togo. 2015/2016. Accédé le 28 octobre 2016. Voir
https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/togo/report-togo/
7- RFI (2016). « Manuel Valls: «La France croit au Togo» ». In Radio France International. 29 octobre 2016. Accédé le 29 octobre 2016. Voir http://www.rfi.fr/afrique/20161029-manuel-valls-france-croit-togo-afrique-livre-hollande
8 – Pour une Groupe de Togolais de la Diaspora vivant à Paris représenté par Godwin Tété (2016). « Lettre ouverte à son Excellence Manuel Valls, Premier ministre de la République française : votre imminente visite au Togo ». Accédé le 29 octobre 2016. Voir http://www.togoactualite.com/groupe-de-togolais-dont-godwin-tete-saisit-manuel-valls-dune-lettre- ouverte/
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