Manifestations d’opposants au régime devant l’ambassade. Au grand dam des riverains.
Par Jean-Louis LE TOUZET
Depuis le 26 avril, date de l’élection contestée du fils du président défunt Eyadéma à la tête de l’Etat togolais, entre quarante et soixante opposants manifestent quotidiennement devant l’ambassade du Togo, rue Alfred-Roll, à Paris (XVIIe). Ils reprochent au gouvernement français ses coupables amitiés avec le clan Eyadéma et le font savoir par des slogans qui mettent en émoi un quartier très respectueux de la fonction présidentielle. Evidemment quand monte le slogan : «Chirac, Jacques, assassin» sur l’air de… Frère Jacques, le sang du riverain ne fait qu’un tour.
Il y a dix jours de cela, alors que la troupe très disciplinée des opposants togolais s’apprêtait à se réunir à l’angle des rues Flachat et Alfred-Roll, toujours entre 18 heures et 20 heures, s’est produit un événement qui place assez haut un propriétaire du 6e étage de la rue Flachat. On dira que c’est certainement pour prouver que l’homme descend du singe que ce monsieur a lancé sur les manifestants non pas des oranges, mais une pluie «de nouilles». Madame Madlé Benissan, une des responsables du Comité togolais de résistance (CTR), raconte que tout cela s’est déroulé «sous le sourire goguenard de la police». Selon cette dame très bien mise, ce monsieur qui ne finit pas ses assiettes aurait recommencé : «Mais cette fois, c’était des penne. Je me souviens, c’était un mardi. Comme c’est un quartier huppé, on a eu droit à des carottes cuites et coupées en rondelles et même des pommes de terre en dés ! Puis, un autre jour de la sauce tomate, mais dans des préservatifs». Une dame togolaise plus âgée a trouvé le procédé indigne : «Vous comprenez, nous ne sommes que des pauvres Togolais qui manifestons contre ce régime qui tue nos enfants.» La police est intervenue et, depuis, le riverain ne fait plus profiter la foule de sa cuisine de ménage. Un médecin à la retraite dont les fenêtres donnent sur la statue d’Eugène Flachat (1802-1873, ingénieur des chemins de fer de l’Ouest), les trouve «sympas, mais ils commencent à être chiants. Puis ces slogans rentrent dans la tête des enfants et c’est fâcheux comme tout». Ces manifestations quotidiennes soulèvent la nature paisible du quartier. Si l’on écoute la trésorière de l’Association de riverains Pereire-Wagram-Malesherbes, qui ne souhaite pas être citée, «le quartier est en train de dégringoler». La trésorière comprend toutefois les aspirations légitimes des Togolais «à plus de démocratie, mais on peut manifester en silence». Si on s’en tient à cette dame, ce quartier bas-bleu serait définitivement rouge de colère devant le raffut des opposants.
Selon Evariste Delah, la contestation n’est pas prête de faiblir : «Nous manifesterons jusqu’à ce que la situation change.» Cela peut prendre du temps étant donné que le vieil Eyadéma était resté trente-huit ans au pouvoir. Un membre éminent de l’Association Pereire-Wagram-Malesherbes, «qui ne tient pas à être cité» (c’est une manie) explique ne plus supporter «ces concerts de casseroles. Et traiter ainsi notre président, c’est inad-mi-ssible !». Ce dernier lui a adressé un courrier pour lui expliquer que la révolte grondait. Cela dit, la situation de ces Togolais est poignante car ils se sentent abandonnés de tous. La bonne nouvelle, c’est que le septuagénaire qui habite le quartier Pereire, et qui a l’oreille du pouvoir, n’est pas sourd comme un pot.
Libération du mardi 24 mai 2005
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