19/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

La France : souteneur de la dictature au Togo (2)

2iéme Partie: La Bande et les lobbies

2.1- Chirac-Eyadéma: une idée de gouvernance affligeante pour l’Afrique
2.2- Un chef de Bande au centre de réseaux françafricains
2.3- Des lobbies branchés sur des réseaux économiques et occultes

Par Comi TOULABOR*

I- CHIRAC-EYADEMA : UNE IDEE DE GOUVERNANCE AFFLIGEANTE POUR L’AFRIQUE

A quand remonte la première rencontre entre Jacques Chirac et le chef de Bande togolais ? Dans les Aurès lors de la guerre d’Algérie à laquelle ils ont participé ? Ou lorsque le premier devint collaborateur de Georges Pompidou à partir de 1962 ? Etait-il dans la délégation présidentielle lorsque Pompidou visita le Togo en novembre 1972 ? Ce qui est certain, c’est que Chirac s’estime le dépositaire légitime et légal de la Françafrique dans la pure tradition de son homonyme Jacques Foccart, qu’il renomma à la tête de la Cellule africaine quand il conquit l’Elysée en 1995. Il a certainement rencontré à plusieurs reprises le chef de Bande togolais lorsqu’il était maire de Paris, et en sa qualité de président de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) il a été reçu comme un chef d’Etat à Lomé et à Kara à plusieurs reprises. L’AIMF regroupe des maires et des responsables des capitales et métropoles partiellement ou entièrement francophones, c’est-à-dire pour ce qui concerne le Togo, des bureaucrates corrompus nommés par le chef de Bande qui se moque éperdument de démocratie et d’autonomie locales. Donc avant de devenir président de la République française, Chirac connaissait Eyadéma et ils partageaient à peu près la même vision de l’Afrique.

Deux hommes qui se ressemblent assez pour s’assembler

Si le coq hardi gaulois a fait l’ENA, cette grande école où sont produites en série les têtes d’œuf de la bureau-démocratie française, Eyadéma, lui, plus modeste, revendique avec force sa nature brutale et son habileté à dégainer plus vite que son ombre. Ils ont pratiquement le même âge (70/71 ans) et la même taille. Leur simplicité franchouillarde et négroillarde en fascine plus d’un, et ils sont nombreux, hommes et femmes, à succomber sous leur charme. Les frontières du monde commencent et s’arrêtent en Corrèze, chez l’un, et dans la Kozah, chez l’autre. Aussi sont-ils fortement attachés à leur terroir d’origine où ils cultivent un corporatisme et un népotisme primaires. La gestion de la Ville de Paris avec ses nombreuses fraudes électorales et scandales étouffés est à bien des égards identique à celle du Togo par la Bande. Autant l’ancien maire de Paris a fait de sa ville un repoussoir pour les plus vulnérables, autant le chef de Bande a fait de son pays un véritable cercueil (la forme longitudinale du pays s’y prête) où la vie et la mort se tutoient à chaque instant.

Chef de Bande et aussi ex-agent de la CIA (comme Bongo et Mobutu avec lequel il s’est lié d’une amitié des plus intimes) placé à la tête de son pays, Eyadéma a fondé la légitimité de son pouvoir plus sur la Françafrique que sur les aspirations de ses concitoyens. Son parti, le RPT (Rassemblement du peuple togolais) est un grand bailleur de fonds privilégié du RPR (Rassemblement pour la République), le parti de Chirac. Remarquons en passant la similitude des sigles ! Quand ce parti s’est transformé en novembre 2002 en UMP (Union pour un mouvement populaire que de mauvaises langues ont traduit en « Unis pour manger le pouvoir »), le RPT a envoyé à son congrès fondateur son secrétaire général, Koffi Sama, qui cumulait alors cette fonction avec celle de Premier ministre de l’Etat bandit.
Autant la justice française sait se montrer courtoise à l’égard des hommes politiques, surtout lorsqu’ils sont mêlés aux crimes et délits françafricains, autant la justice bandite togolaise a une capacité extraordinaire d’adopter la posture des trois simiens face à la corruption et aux ignominies de la Bande et de son chef. Faut-il penser que, abonnés aux plus puissants fonctionnaires du numineux qu’ils échangent entre eux (géomanciens, marabouts, prêtres vaudous, etc.), l’un et l’autre jouissent de la baraka qui annihile la perspicacité et le rationalisme du personnel judiciaire soudainement frappé d’amnésie ? Le grand « Magicien » français, ainsi appelé pour sa connaissance supposée de l’Afrique et du Japon aux « Guignols de l’Info », est certainement un bon mime du grand « Baobab » (nom fort que s’est donné le chef de Bande togolais), cet arbre bourré de mystères ensorcelants des savanes africaines. Dans ce contexte, la « fin de l’impunité » prônée par Jacques Chirac lors de l’Exposition coloniale de février 2003 à Paris relève de la fumisterie et n’est pas pour demain.

Une même idée de gouvernance affligeante pour l’Afrique

Entre Jacques Chirac et son ami Eyadéma ont existé très tôt une entente et un accord béton sur le mode de gestion de l’Afrique, et plus précisément du Togo. Présent à Lomé le 13 janvier 1971 pour commémorer l’assassinat de Sylvanus Olympio, Jacques Foccart déclarait enthousiaste : « Nous sommes pleinement satisfaits de la façon dont le général Eyadéma gère les affaires du Togo » (Politique-Hebdo du 25 mars 1971). Le 12 novembre 2003, le discours n’a pas vraiment changé au Quai d’Orsay en écoutant ce bureaucrate des lieux, pourtant grand connaisseur de la « politique africaine » de son pays :
« Le Togo est un pays stable dans la sous-région. C’est un bon point pour nous qu’il faut préserver. Regardez, la Côte d’Ivoire est en crise. Nous essayons de nous en sortir en demandant à Kofi Annan de prendre le dossier en main. La Centrafrique risque aussi d’imploser. Alors nous ne pouvons pas permettre d’ouvrir un front de crise avec le Togo. Eyadéma gère bien son pays. Il n’y a pas de problèmes majeurs. On évoque les droits de l’homme, mais leurs violations ne sont pas aussi massives qu’on nous le dit. Il y a quelques violations, pas très graves, qu’on monte en épingle. Amnesty International est là pour ça. L’opposition est divisée, elle n’est pas unie. Elle est incapable de s’entendre et de parler d’une même voix. Si Gilchrist Olympio vient au pouvoir, il cherchera à se venger de son père. L’amitié entre Chirac et Eyadéma, oui, mais elle n’est pas déterminante pour expliquer la situation politique du Togo. On parle de corruption, il est difficile de nier cela. Mais elle n’est pas aussi importante que cela. Il en existe partout d’ailleurs comme chez nous aussi. L’Union européenne doit-elle continuer à maintenir sa sanction ? Cela a assez duré et n’est pas efficace. Les populations togolaises souffrent. Il faut lever ces sanctions. Ce n’est pas la meilleure façon d’amener la démocratie dans ce pays… ».

Ce n’est ni Chirac ni Eyadéma qui tient ces propos. C’est un fonctionnaire du Quai d’Orsay qui parle au chercheur venu comprendre la lecture que son département fait de la situation politique togolaise. Il travaille dans une structure qui se dit « autonome » de la Direction Afrique du ministère des Affaires étrangères et qui mène « une réflexion indépendante ». Pour justifier la position de son pays, il ajoutait que « les pays scandinaves ont une position officielle engagée, mais que derrière la façade ils tiennent des propos racistes que la France n’osera jamais tenir ». En quelque sorte l’humanisme français hérité des Lumières confronté à l’hypocrisie des pays scandinaves ! Inutile de reprendre point par point ces propos pour en démonter l’insanité ou l’évidente mauvaise foi.

Notons cependant que ce qui fait le vice congénital de la politique françafricaine c’est ce manque de courage politique à regarder les faits en face en prenant les indépendances africaines au pied de la lettre, en continuant à regarder l’Afrique dans le rétroviseur de l’histoire de la France coloniale où une vie africaine n’a aucune espèce d’importance comme Mitterrand le faisait savoir à propos du génocide rwandais. Depuis de Gaulle jusqu’à Chirac, en passant par Mitterrand, c’est « Immer daselber !» comme diraient les Allemands. Il n’est pas certain non plus que sur le plan économique, le chef de Bande fasse des miracles qui lui permettraient à la limite de s’affranchir des droits de l’homme, comme Chirac l’ânonnait à Ben Ali.

Dans ces grandes lignes, l’économie togolaise se présente actuellement avec les traits de visage d’un grand malade : son PIB, de 289,6 milliards de francs CFA en 2002 passerait à 298,5 milliards en 2003. Elle affiche un taux de croissance de 4,2 % et de 3,1 % au cours de la même période. La dette extérieure est de 890,2 milliards en 2002 et on prévoit 876,6 milliards pour 2003 avec un service de la dette passant de 48,1 % à 52,2 % dans la même période. Par rapport au PIB, l’encours de la dette extérieure atteint 87,1 % en 2002 et 82,1 % en 2003. Le taux d’inflation prévoit 0,6 % pour 2003 contre 3,1 % et 2,1 % respectivement en 2002 et 2001. La dette intérieure dont on parle rarement était de 275,7 milliards en 2002. En 2001, le Togo n’a été capable de rembourser que 125 milliards sur 144,1 milliards de sa dette extérieure, etc. On peut continuer à aligner indéfiniment ces chiffres astronomiques à propos desquels on peut légitimement s’interroger sur leur fiabilité. Car depuis belle lurette, le Togo ne dispose plus de service de statistiques digne de ce nom, et les chiffres sont bidonnés en fonction des intérêts en présence. Ils diffèrent selon que l’Etat bandit veut s’adresser aux institutions de Bretton Woods, à l’Union européenne, à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, aux institutions de la CEDEAO, etc. C’est ce qui se passe dans le domaine de la scolarité où les chiffres sont exagérément gonflés pour magnifier l’effort accompli en ce domaine, alors que la réalité est désolante, effrayante et sordide. Il en est de même du sida pour lequel depuis le début des années 1980 on camoufle l’accablante réalité en diminuant considérablement le taux de prévalence, pour ne pas faire fuir le touriste !

Cela dit, les difficultés de l’économie togolaise ne datent pas des années 1990 comme le pouvoir bandit le fait accroire en les mettant sur le dos de la démocratisation et de l’opposition. La panne de l’économie togolaise date en réalité du début des années 1980 où le pays n’arrive plus à rembourser ses dettes contractées auprès des bailleurs de fonds une décennie plus tôt pour se lancer dans la fameuse « politique des grands travaux » tapageuse et totalement irrationnelle qui a accouché au final d’éléphants blancs. Les vestiges de cette période héroïque jonchent encore le sol togolais : aciéries, raffineries, cimenteries, parcs de tracteurs immobilisés (résultat de la politique agrofoncière), hôtels de standing vides, banques imposantes désargentées, etc. Si ce développement albo-éléphantesque a permis à la classe bandite de s’enrichir grâce aux diverses commissions qu’elle touchait sur ces réalisations monstrueuses, les Togolais, qui croyaient au mirage du « Togo, Suisse de l’Afrique » qu’on leur faisait miroiter (ce slogan date d’ailleurs de 1961 avec S. Olympio), doivent trinquer maintenant pour rembourser toutes ces folies dantesques de la Bande. En tout cas, en 2001, le pays de la Bande est classé au 141è rang sur 175 pays pour son indicateur du développement humain et se réjouit bruyamment d’avoir surclassé les derniers. Il doit aussi se réjouir sans aucun doute de voir l’espérance de vie à la naissance tomber de 50 ans en 1960 à 39 ans en 2002 et de recevoir de moins en moins d’investissements directs étrangers.

Le grand bénéficiaire de ce développement imaginaire maffieusement très rentable n’est-il pas la France françafricaine à travers ses entreprises ? Quand François Charbonnier écrivait, un air gourmand, dans le journal économique Les Echos (8 décembre 19971) que « Le Togo [est] un petit pays mais en expansion régulière où les intérêts français restent prépondérants », il n’avait pas tort. Sauf que ce développement n’avait aucune assise économiquement solide, bâtie sur du clinquant, comme ce fut le cas hier notamment en Côte d’Ivoire, cette vitrine de la Françafrique où l’on gargarisait le monde des décennies durant de « miracle ivoirien ». Or la Françafrique, c’est justement l’absence d’éthique, de morale publique et Jacques Pirate et son ami chef de Bande Eyadéma ne peuvent que légitimer cette situation de pillage indécente qui va de soi pour eux.

II- UN CHEF DE BANDE AU CENTRE DE RESEAUX FRANÇAFRICAINS

Après quarante ans de pouvoir, le plus vieux dictateur au monde après Fidel Castro, le chef de Bande togolais est, malgré lui, au centre de toutes sortes de réseaux d’influence et est devenu aussi un homme de réseaux dont la capacité de nuisance est redoutée dans les milieux françafricains tant à gauche qu’à droite. Il semble qu’il connaît par cœur tous les secrets visibles et invisibles de la Vè République et surtout l’auteur du tir mortel du 13 janvier 1963, par lequel il tiendrait l’élite franco-françafricaine rampant, à ses pieds. Dans ces relations de dons et de contre-dons, il a rendu d’énormes services à la Françafrique en tant que médiateur dans les nombreuses crises sur le continent, même si ces médiations sont souvent bidons et que l’essentiel se fait ailleurs. Parmi les réseaux, citons-en rapidement quelques- uns :

1) Le réseau Foccart le tient par le bout du nez, à moins que ce ne soit le contraire. Après la disparition de son père fondateur, ce réseau s’est mis au service de Jacques Chirac. Les rogatons de ce réseau sont encore en activité soit à la Cellule africaine de l’Elysée, soit comme conseillers de certains potentats françafricains, soit comme fonctionnaires à des postes stratégiques dans certaines entreprises franco-françafricaines, soit dans les services de renseignements fort actifs à l’ambassade de France à Lomé, où ils servent de grandes oreilles et de grands yeux au chef de Bande togolais, qu’ils informent des tentatives de coup d’Etat et des activités de l’opposition. Bien que certains d’entre eux jouent leur propre partition, il n’est pas bien difficile de les arrimer au tristement célèbre réseau Foccart.

2) Le réseau Mitterrand animé en son temps par son fils Jean-Christophe (JCM), ancien correspondant de l’AFP à Lomé avant d’être nommé à la Cellule africaine de l’Elysée en juillet 1983. Il est devenu l’ami personnel du chef de Bande togolais. Les grosses têtes de ce réseau se retrouvent bien souvent dans la salle d’attente du chef de Bande à Lomé 2 pour se faire rétribuer pour leurs bons et loyaux services et chanter les « vertus de grand homme » de celui qu’ils n’hésitent pas, en privé, à traiter de « bougre » !

3) Le réseau Pasqua centré sur son fondateur éponyme et son fils Pierre, tous les deux mis en examen dans des affaires tordues. L’ascension de ce réseau a commencé en 1986 avec la première cohabitation en France. Ses membres actifs sont nombreux et pratiquement d’origine corse, auxquels se mêlent quelques Libanais. Ils sont souvent mouillés dans le scandale Elf et mis en examen ou jetés en prison pour certains d’entre eux. Daniel Léandri, Jean-Charles Marchiani, Pierre Martini, Robert Feliciaggi, André Feliciaggi, André Tarallo, Jean-Pierre Tosi, Jules Filipedu, etc. sont des stars de la Françafrique dans ce qu’elle a d’odieux. Ce sont les Feliciaggi, grands orfèvres, qui ont inondé les pays de la zone franc du très lucratif PMU (Pari mutuel urbain). A Lomé, ils sont en affaire avec les barons de la Bande et leur chef.
Le père éponyme du réseau, Charles Pasqua, est lui-même « un soutien indéfectible » du chef de Bande togolais à qui il a rendu une visite remarquée et inopinée à Pya le 21 décembre 1992. Celle-ci intervenait avant les élections présidentielles togolaises de 1993 et les élections législatives en France, alors qu’on était en pleine période de rupture « officielle » de la coopération entre les deux pays. Reçu comme un chef d’Etat et élevé à la dignité de Grand officier de l’Ordre du Mono, il était venu dire aux Togolais que « C’est une chance pour le Togo d’avoir eu à sa tête le général Eyadéma. Si la situation ne s’est pas davantage dégradée jusqu’alors, c’est en grande partie dû à ses qualités d’homme d’Etat et à sa sagesse ». Depuis, l’amitié entre les deux hommes ne s’est pas démentie. Charles Pasqua agissait au nom du parti gaulliste RPR dont il était un grand baron en tant que ministre de l’Intérieur et bien évidemment en son nom personnel, à l’instar de Me Jacques Vergès. A côté de ces trois principaux réseaux de soutien, existent aussi des électrons libres parfois inattendus.

4) Quelques électrons libres inattendus dont certains ont de l’influence, d’autres sont plutôt des acteurs obscurs néanmoins efficaces. Ils peuvent être sériés en trois groupes :

a) Les électrons libres politiques. C’est Michel Rocard, député européen et ancien président de la Commission du développement et de la Coopération qui dans une note datée du 1er avril 1999 condamne l’opposition togolaise pour son « radicalisme » face à « un pouvoir internationalement reconnu » et préconise la reprise de l’aide de l’Union européenne suspendue depuis 1993 comme « nécessaire en urgence » et « comme une condition de préservation de la paix civile » au Togo. Celà n’est pas une surprise quand on sait que celui que l’on considérait comme une conscience morale de la gauche socialiste s’était aligné dans des termes identiques sur Denis Sassou Nguesso dans la crise congolaise. Au Parlement européen, il existe un petit groupe marginal de députés français qui fait du lobbying pour le chef de Bande togolais comme Jean-Paul Benoît et Michel-Ange Scarbonchi. Il en est de même à l’Assemblée nationale française (qui contrôle de moins en moins l’Exécutif, s’agissant surtout de la politique françafricaine) où le groupe d’amitié parlementaire France-Togo, présidé par le député UMP Christian Philip, fait son travail lobbying. L’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing, admirateur du chef de Bande togolais comme Charles Pasqua, est à ranger dans cette catégorie. Grand chasseur dans les années 1970 dans les réserves animalières du Togo de la Bande, il n’a pas oublié à la veille des élections présidentielles de 1993 d’envoyer lui aussi son soutien à son candidat favori. L’ancien ministre de la Coopération, Bernard Debré, devenu un familier de Lomé II où ses visites sont si fréquentes qu’il finit par être considéré comme un fou fanatique du chef de Bande.

b) Les électrons libres des conseillers en communication. Ils viennent du monde de la communication et du journalisme et sont astronomiquement rémunérés pour soigner à l’étranger l’image du dictateur bandit. Le chiraquien Thierry Saussez, de Image et Stratégie, a travaillé pendant longtemps pour le chef de Bande et Jacques Séguéla, « fils de la pub », patron de Euro-RSCG et vice-président de Havas, a participé à ses campagnes électorales. Des journalistes comme Jean-Luc Mano, de TF1 et Stéphane Bigala de France 2, sont allés faire de l’argent de poche à Lomé II, alors que Hervé Bourges, qu’on ne présente plus, est un conseiller écouté à Lomé, à Yaoundé, à Dakar, etc. Que penser de Jeune Afrique l’intelligent où quelques dictateurs et barons ont des actions et dont les journalistes tels que Abdelaziz Dahmani, Hamza Kaidi, Siradiou Diallo ou François Soudan, ont perdu le sens élémentaire de la déontologie en bichonnant le dictateur bandit ? Des maisons d’éditions comme Afrique Biblio Club, à Paris, spécialisées dans des ouvrages sur commande, ont fait fortune grâce aux commandes passées par le chef de Bande togolais, son ami Mobutu et leurs pairs du continent.

c) Les électrons libres universitaires. Certains parmi eux ont défrayé la chronique. C’est le cas de Charles Debbasch, ancien président de l’Université Aix-Marseille III, ancien conseiller de Valéry Giscard d’Estaing, conseiller juridique du chef de Bande. Détenteur d’un passeport diplomatique, il est plus régulier à Lomé II que sur le Vieux Port où il a été condamné pour faux et abus de confiance et pour toutes sortes de malversations. La Bande lui doit nombre de grands services comme la révision du Code électoral et le toilettage de la Constitution en 2002. D’autres universitaires proches du chef de Bande sont plutôt discrets. C’est le cas par exemple des professeurs, juristes ou géographes, Bernard Chérigny de l’Université de Poitiers, Georges Rossi, de l’Université de Bordeaux III, Raymond Verdier, en Sorbonne à Paris. Certains professeurs de médecine en mission d’enseignement à Lomé se sont transformés en médecins personnels du chef de Bande et participent à la mangeoire générale.

III- DES LOBBIES BRANCHES SUR LES RESEAUX ECONOMIQUES ET OCCULTES

Ces lobbies, surtout lorsqu’ils sont d’ordre politique, sont branchés sur des réseaux économiques organisés ou non comme le Conseil français des investisseurs en Afrique noire (CIAN) et le MEDEF International (Mouvement des entreprises de France). Le CIAN regroupe une centaine de sociétés représentant 80 % de l’activité du secteur privé français en Afrique subsaharienne. Il a été longtemps présidé par Jean-Pierre Prouteau et actuellement par Gérard Pélisson, co-fondateur du groupe hôtelier Accor, qui a délégué ses pouvoirs à Jean-Louis Castelnau. Tandis que le MEDEF International est présidé pour sa zone Afrique par Michel Roussin, ancien ministre de la Coopération, ancien de la DGSE, ancien chef de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris.

A travers ses différents rapports annuels du CIAN, et il en est de même pour le MEDEF International, la zone franc CFA apparaît comme un espace attractif et hyper rentable. Son rapport 2000 note que « le continent africain offre les meilleurs rendements en terme de rentabilité pour les capitaux investis ». Ce que confirme un document récent de la CNUCED qui remarque que « la rentabilité des filiales étrangères [franco-françafricaines notamment] implantées en Afrique est supérieure à celle enregistrée dans les autres régions du monde ». Le document parle de 75 % de taux de rentabilité pour l’Afrique alors qu’il est nettement moins ailleurs ! Le rapport 2001 du CIAN est de la même veine qui souligne que « L’Afrique n’est pas aussi délaissée que pourrait le laisser penser le contexte médiatique. Malgré une année 2000 qui n’a pas été un cru aussi bon qu’on pouvait l’espérer, les trois quarts de nos entreprises sont optimistes pour 2001 ». Il relève en outre les obstacles au développement du secteur privé dans la zone franc censée être la voie de salut à l’heure de la mondialisation et du néolibéralisme : fraudes douanières et fiscales, jugements arbitraires, corruption, etc.

Pourtant ce sont ces pratiques qui font la fortune du CIAN et du MEDEF International dans un Etat bandit comme le Togo où aucune loi n’est effective, surtout en matière du droit de travail et de protection sociale, où les appels d’offres sont rares et les marchés attribués de gré à gré selon une combinatoire ésotérique. C’est tout naturellement que l’attribution des marchés publics devient une affaire de relation personnelle avec les membres de la Bande et principalement avec son chef. Ainsi des hommes d’affaires du CIAN et du MEDEF viennent régulièrement à Lomé ou rencontrent le chef de Bande lors de séjours parisiens pour exiger leur part du gâteau que constituent l’aide publique française au développement, les privatisations des éléphants blancs et des marchés rentables et captifs tels que les postes et télécommunications et la zone franche à la tête desquels le chef de Bande a toujours placé des relations sûres : Andjo Tchamdja, Faure et Kpatcha Gnassingbé, ces deux derniers étant ses propres fils.
Mais les lobbies s’articulent aussi à des réseaux rosicruciens et surtout maçonniques dans lesquels se retrouvent la plupart des élites togolaises. Au Togo le Grand Orient de France (GODF), l’obédience maçonnique la plus anciennement implantée, située à gauche, est en train d’être supplantée par la Grande Loge Nationale de France (GLNF). Celle-ci, inféodée à la maçonnerie américaine, pratique un symbolique et une spiritualité plus religieux qu’au GODF où ils sont laïcisés. Les deux obédiences proclament œuvrer pour l’expansion de la lumière maçonnique et de ses idéaux humanistes en termes de progrès et de perfectibilité de l’homme dans le monde. Mais force est de constater qu’on assiste plutôt à un dévoiement et à une instrumentalisation de l’idéal maçonnique en Françafrique où les bonnes mœurs de la civilisation ont été abolies. Ce qui est plus sensible à la GLNF qui recrute ses membres à tout va, sans trop se soucier de leur qualité morale et intellectuelle.
Ainsi le chef de Bande togolais serait maçon et initié à la GLNF (cf. Noir Chirac de François-Xavier Verschave) et nombre de ses pairs comme Idriss Deby, Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo, Paul Biya, ainsi que le roi Hassan II sont aussi ses « frères » de cette obédience. Il faut ajouter François Bozizé, Laurent Gbagbo, Blaise Compaoré, Ibrahim Baré Maïnassara, Robert Guéi, Pascal Lissouba et Mamadou Tanja, etc. En France, d’éminentes personnalités du monde politique et économique font partie de l’une ou l’autre obédience et aux défilés de mode des gros scandales françafricains tels l’Angolagate et l’affaire ELF, on a l’impression que l’appartenance maçonnique est un passage obligé pour faire des affaires en Afrique. Le CIAN et le MEDEF International sont, à ce titre, truffés de maçons.

Revenons au Togo. Pour la curiosité, il importe de savoir si le chef de Bande est maçon. Mais ce qui est plus intéressant c’est que de gros bataillons de cadres du pays sont dans les loges GLNF. Les fils du chef de Bande sont des « frères de la lumière » : Ernest Gnassingbé sûrement et probablement Faure et Kpatcha. Plus intéressant encore est de connaître la nature de leur rapport au pouvoir bandit quand on sait que ces loges, bourrées d’indicateurs, où la suspicion est érigée en vertu cardinale, ne sont guère des espaces propices à l’exercice de la liberté de conscience et d’expression que revendique tout maçon. Laissons-là ces questions philosophiques. Laissons aussi les entreprises françafricaines « traditionnelles » présentes au pays de la Bande qui sont entre autres : la CFAO, la SGGG, la Renault, la Total-Fina-Elf, le groupe Accor, Michelin, Vivendi, EDF, France-Télécom, Air France, le groupe Bolloré, Colas, UDEC-Togo, Crédit Lyonnais, etc. Intéressons-nous à l’exemple concret et très significatif de l’attractif marché sécuritaire pour essayer de montrer comment il peut être attribué avec au passage des retombées de commissions, bien évidemment.

Actuellement, une douzaine de sociétés de gardiennage et de surveillance ou de sécurité se partagent le marché. Ce sont entre autres l’Agence pour le développement et la sécurité, l’Intercom Security, l’American Eagle Security, l’Optimal Protection Services, la Société togolaise de surveillance, la Togo Métropolitain Security Service et la Société africaine de sécurité Internationale (SAS International). Comment se fait-il qu’une part importante de ce marché est attribuée au général Jeannou Lacaze et de ses proches comme Robert Montoya ? C’est ici que l’on voit la manière dont plusieurs casquettes se combinent pour sortir du chapeau magique « l’heureux élu » au Togo de la Bande.

Le général Jeannou Lacaze est un des principaux conseillers du chef de Bande. Il a fait l’Indochine en tant que légionnaire et l’Algérie : un parcours que le chef de Bande togolais revendique aussi comme sien. Il a travaillé au SDECE, ancêtre de la DGSE, et a été conseiller militaire de Mitterrand. C’est à ce moment que se noue sa rencontre avec son futur employeur. La sécurité, on l’a vu plus haut, est une demande forte en Afrique françafricaine : les chefs de Bande africains ainsi que le CIAN et le MEDEF International sont gros demandeurs en matière de sécurité, car trop de « sécurité » a fini par engendrer de l’insécurité qu’il faut contrôler et réprimer. La formation professionnelle de Jeannou Lacaze et sa trajectoire extra-militaire croisent celles du chef de Bande togolais ; Jeannou Lacaze avait d’ailleurs servi auparavant Mobutu, leur grand ami commun. Tous les ingrédients sont réunis pour élire le général françafricain patron du marché sécuritaire au pays de la Bande.
Par ailleurs, il faut savoir que Jeannou Lacaze est l’agent de recouvrement de SAS International, propriété de Robert Montoya. Lequel, ancien gendarme de la Cellule anti-terroriste de l’Elysée, est un ancien conseiller sécuritaire de Henri Konan Bédié. Robert Montoya est installé en Afrique depuis une vingtaine d’années, emploie plus de 2 500 personnes dans ses sociétés basées sur sept pays africains francophones dont les dirigeants lui sont des familiers. SAS International a des liens très étroits avec Executive Outcomes, cette puissante multinationale spécialisée dans le recrutement de mercenaires. La succursale togolaise de SAS International, SAS-Togo, emploie 400 agents de sécurité et a réussi à enlever en 1996 le « beau » marché de la mise sur écoutes téléphoniques de quelque 300 opposants (Cf. Le Canard enchaîné du 2 octobre 1996), chiffre qui doit dépasser largement le demi-millier aujourd’hui. C’est dans ce milieu glauque que pataugent certains de nos électrons libres. Jeannou Lacaze a créé en 2002 sa propre société de gardiennage, L’Assaut Veille (une centaine d’employés).

Au total, on voit comment le pouvoir de la Bande est solidement enraciné dans la Françafrique, cet espace où tout est contraire à la démocratie. Le Togo de la Bande se présente comme une colonie idéale pour la France françafricaine. Sa « stabilité » est bâtie sur des principes militaro-sécuritaires au centre desquels se trouvent l’armée et les forces sécuritaires. Mais pour les autoritaires franco-françafricaines, une colonie n’a pas besoin de démocratie mais de développement. La Bande surtout n’a absolument aucun intérêt pour sa population dès l’instant qu’elle peut se faire soigner, s’éduquer et manger en France françafricaine. Lorsque l’Etat bandit pénètre le terroir et le peuple, il ne peut souffler que ruine et deuil qui sont aux antipodes de toute idée de démocratie.

PS. : Encore deux volets (V- Confusion des genres et VI- Imaginer quelques solutions pratiques) et on aura bouclé cette longue réflexion. Prochain rendez-vous : début mars 2004 avec le volet V.

Chicago (USA), 29 janvier 2003

Comi M. Toulabor
*Directeur de recherche FNSP
CEAN-IEP de Bordeaux