26/04/2024

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La vague jaune et jeune veut tourner la page d’un « règne » de trente-huit ans

LE MONDE | 23.04.05 | 14h25
Lomé de notre envoyé spécial

Le stade municipal de Lomé est jaune de monde. Ils sont plusieurs milliers coiffés du foulard couleur soleil, la couleur de l’Union des forces du changement (UFC), principal parti de l’opposition. Aucun d’entre eux n’a plus de 30 ans. Tous rêvent d’un autre Togo. Tout le contraire de la « génération Eyadéma » que vantent les affiches du défunt général-président, dont le portrait domine encore la tribune d’honneur du stade où l’opposition s’est retrouvée, vendredi 22 avril, pour un dernier rendez-vous de campagne.

Eux semblent ne plus éprouver de crainte à crier leur volonté de tourner la page de trente-huit ans de règne sans partage et de tripatouillages électoraux. Massés sur la pelouse, ils agitent des pancartes ou des branches de palmier, l’emblème de la campagne d’Emmanuel Bob Akitani, 74 ans, leur candidat.

L’entrée du leader coiffé d’une casquette ocre fait exploser l’applaudimètre. Les mains se dressent, les sifflets cadencés redoublent, sous le regard impassible de gendarmes du même âge que la foule qu’ils surveillent.

Afi, 22 ans, vendeuse de chaussures, est partie de chez elle à 7 heures. Elle a marché plusieurs kilomètres, avec deux amies, pour prendre place dans la tribune. « En 2003, on avait gagné, mais ils nous ont volé la victoire. Cette fois, on ne se laissera pas faire : il faut un changement », explique-t-elle avec exaltation.

Toute la journée, des nuées de jeunes vêtus de jaune ont sillonné la ville pour porter le même message. Certains l’ont fait à pied, d’autres juchés sur des cyclomoteurs, d’autres encore massés sur des camions. Quelques-uns étaient munis de machette ou de bâton « pour se défendre contre les milices du pouvoir ».

« NOUS NE PARTIRONS PAS »

L’hostilité à l’égard des Français est parfois vive, mais le dialogue généralement possible. « La France est derrière tout ça. Chirac a ses intérêts ici », assure Jean-Marie, 28 ans, qui garde son polo à l’effigie de M. Akitani pour vendre, à un carrefour, des pochettes contenant les façades multicolores de téléphones portables. « Nous ne voulons pas de la Côte d’Ivoire ici, poursuit-il : mais nous parlons français, et Chirac est aussi notre président. S’il disait au pouvoir de nous laisser la victoire, il le ferait. Mais il se tait. C’est pour ça qu’on se fâche. »

Kofi, son compagnon de galère, a suivi une formation de chauffeur, mais reste sans travail. Il renchérit : « On souffre. On apprend des métiers pour rien. Alors on veut du changement. Pour l’instant, on prie Dieu, mais s’ils trichent encore, on sortira dans la rue. »

De toute la journée, ils n’ont pas vendu la moindre pochette. « Les gens ont peur de sortir de l’argent depuis quelque temps : ils le gardent au cas où les événements les obligeraient à s’enfuir », expliquent-ils. « Si ça pète, nous enverrons nos femmes et nos enfants ailleurs, mais nous, nous ne partirons pas : nous sommes les jeunes, nous bâtirons la cité », affirment-ils. La foule de jeunes massés au stade municipal ne dit pas autre chose. Elle écoute les leaders de l’opposition annoncer leur victoire certaine…

Peu après 17 heures, les jeunes commencent à quitter le stade. « Ils craignent la nuit. C’est là qu’ils vont nous tuer », avertit Afi. Les discours continuent, entrecoupés de chants patriotiques et de « Dieu nous donne la force ». Après la victoire, ce sera la fête, promet un orateur. « Pourquoi tu n’écris plus ? interpelle la jeune fille : ce sera la fête. Ecris ! écris ça ! »

Ph. Be.
Article paru dans l’édition du 24.04.05