29/03/2024

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Les Rapetout du Togo

par Christophe Courtin

Un rustique proverbe togolais dit : « Ne mets pas bouche chez moi et je ne mettrai pas bouche chez toi. » En clair : laisse-moi manger tranquillement chez moi, je ne viendrai pas t’embêter. C’est ce que se sont certainement dit les frères Gnassingbé, fils d’Eyadéma Gnassingbé, le président togolais décédé en février 2005, en se partageant les dépouilles du pouvoir politique et mafieux de leur père. L’un a mis la main sur les prébendes de l’Etat (Faure, chef de l’Etat). L’autre (Kpatcha) a pris le contrôle de l’armée et de la défense ; plus avisé, il récupère aussi les bénéfices mafieux de la zone franche de Lomé. Le plus âgé (Ernest) manipule les réseaux affairistes de son père depuis la base arrière familiale du nord du pays et un dernier (Rock), un peu plus mal loti mais tout aussi empressé de vivre sur le dos de la bête, a récupéré la présidence de la Fédération de football.

Cette minable histoire des frères Rapetout prêterait à rire si elle ne concernait pas un Etat souverain, habité par 5 millions d’habitants dont l’immense majorité s’enfonce inexorablement dans la misère au profit d’une minorité familiale corrompue, affairiste et violente.

L’occupation brutale d’un pays depuis quarante ans par un clan et ses stipendiés qui s’autodésignent « Forces armées togolaises », cela pour la simple maîtrise des revenus financiers du pays, avec la bénédiction contrainte ou assumée de tous les gouvernements français, est un fait connu. Analysée et commentée très souvent, dénoncée parfois, la situation concrète n’a pas évolué avec la mort du président qui avait mis le pays en coupe réglée pour servir les intérêts de ses proches et de ses prébendiers. C’est là le drame.

On aurait pu croire que la mort du patriarche qui avait tissé un réseau de relations dans le monde et qui acceptait de jouer les utilités dans des crises africaines mineures, au nom d’une supposée sagesse liée à la longévité politique, aurait fait bouger les lignes des pratiques des acteurs politiques, togolais et étrangers, sur le pays. Il n’en a rien été. Les uns, par habitude et par cynisme, se disent que le statu quo est « moins pire » qu’autre chose qu’ils n’imaginent même pas ; les autres, poussés par la politique du ventre, souhaitent compulsivement participer à la distribution de la rente étatique. Quelques-uns, naïfs ou retors, font encore semblant d’analyser la situation en faisant croire que le brave et jeune arbitre Faure est capable de distribuer des cartons jaunes à ses vieux éperviers rapaces et galonnés, alors qu’en fait il leur a déjà donné un carton rouge pour gérer la partie à sa guise.

La réalité est que nous sommes face à un nouveau phénomène politique : une famille mafieuse, au sens sicilien du terme, a pris en otage un pays et l’exploite sans vergogne. Et un « Etat voyou » reproduit à un niveau familial le schéma des dictatures africaines classiques, en l’intégrant dans les circuits financiers des marchés internationaux des capitaux issus des fraudes à l’échelle mondiale. Cette famille gère ses affaires au mieux. Comme devant une contrainte de marché qu’elle ne peut éviter et pour endormir la communauté internationale, elle fait le service étatique international minimum. Elle montre les dents quand ses intérêts vitaux sont en jeu, lors des échéances électorales.

Quelques courageux, acteurs politiques et de la société civile, se disent que la communauté internationale se réveillera un jour et que, quand elle se rendra compte que ses cauchemars sont l’existence quotidienne des Togolais, elle les aidera à mettre de l’ordre dans la maison. Pour l’instant, ces justes s’organisent, débattent, font entendre leur voix et pensent que la construction d’une société démocratique au Togo est encore possible. Le soporifique dialogue intertogolais, sous les auspices de la France, montre que les autorités françaises ne se sont pas encore réveillées, qui appellent ces doux rêveurs « la communauté des bien-pensants ». On aimerait que les autorités françaises en fassent autant.

Christophe Courtin est directeur des projets et programmes du Comité catholique contre la faim.

Christophe Courtin
Article paru dans l’édition du 19.08.06