20/04/2024

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L’impossible démocratisation togolaise

CAS D’ÉCOLE des ratés de la démocratisation en Afrique: le Togo, ce petit pays de 4 millions d’habitants qui, depuis quarante ans, navigue avec une désespérante persévérance de coup de force en coup de force. Au point de parvenir à incarner presque l’ensemble des maux dénoncés par l’ancien président malien, Alpha Oumar Konaré, à savoir: «La manipulation des Constitutions, le dévoiement du multipartisme, les putschs à répétition, les restaurations autoritaires, l’affaiblissement et la criminalisation de l’Etat» et le recours aux «mercenaires». Abonné aux rapports extrêmement critiques de l’ONU et de l’Union européenne, qui depuis le début des années 90 suivent avec attention l’évolution de ce pays, le Togo vient de faire l’objet d’une nouvelle enquête rédigée par le Haut Commissariat des Nations unies aux Droits de l’homme. L’objectif de cette enquête était d’abord de faire le point sur l’ampleur des violences constatées lors du scrutin présidentiel d’avril 2005, organisé à la suite du décès du général Gnassingbé Eyadéma. Cette élection qui vit accéder au pouvoir Faure Eyadéma, fils du défunt, était-elle ou non démocratique? Contredisant les affirmations des nouvelles autorités, les responsables des Nations unies relèvent qu’il y eut plus de quatre cents morts et des milliers de blessés.

La messe étant dite, les auteurs du rapport profitent de l’occasion qui leur est donnée pour dresser un sévère, mais amplement justifié, état des lieux.

Revenant sur la longue dictature du général Eyadéma, ils notent que celui-ci «a dirigé le Togo pendant trente-huit ans, avec fermeté et dans le non-respect de la bonne gouvernance, des droits de l’homme et des pratiques démocratiques. Selon de nombreux observateurs nationaux et internationaux, son règne est marqué par une gestion ethnique et clanique du pouvoir et le recours systématique à la violence politique contre toute forme ou velléité d’opposition. Ce climat a généré des contestations politiques et sociales permanentes et une détérioration continue de la situation des droits de l’homme».

Rappelant les nombreux rapports successifs ayant déjà dénoncé ce règne de terreur, les auteurs de l’enquête examinent longuement les circonstances de la crise de succession ouverte avec la mort du général Eyadéma. Sur la question de «la manipulation des Constitutions», leur constat sur le Togo est sans appel: «Tout ce montage juridique marqué par la précipitation, la maladresse et l’improvisation est l’illustration de la prégnance d’une culture d’impunité et de violation des droits de l’homme.»

Sans le dire ouvertement, les rapporteurs de l’ONU relèvent la présence dans le sérail du pouvoir togolais d’un homme dont on a du mal à se dire qu’il n’est pas un «mercenaire»: «L’attention de la mission a été attirée, à travers l’exemple du professeur Charles Debbasch, sur le rôle douteux dans ce montage d’experts étrangers compétents dans le domaine du droit constitutionnel.»

Les processus ayant abouti à l’explosion de violence constatée lors du scrutin présidentiel d’avril 2005 sont à leur tour scrutés: «Les forces de sécurité et les Forces armées togolaises ont joué un rôle majeur dans les actes de violation de droits de l’homme, est-il noté dans le rapport. Les réactions des forces de sécurité étaient largement excessives par rapport aux manifestations et aux actions des militants de l’opposition. L’utilisation des unités d’élites de combat (…) pour maintenir l’ordre dans toutes les villes importantes du pays témoigne de la volonté de réprimer.» Et la mission d’affirmer avoir «reçu des informations concordantes permettant de confirmer l’existence d’une réelle stratégie de répression».

L’éventuelle responsabilité politique de la France, puissance tutélaire du Togo depuis quarante ans, dans le cours dramatique du scrutin n’est pas ignorée: «Les déclarations d’«amitié» du président français au défunt président et l’appui de la France au processus électoral ont été politiquement interprétés comme la confirmation du soutien de la France au pouvoir togolais.»

Enfin, la question de la «criminalisation de l’Etat» togolais est abordée très directement: «Le Togo, notent les enquêteurs, est instrumentalisé dans plusieurs trafics, notamment les trafics d’armes légères, de drogues, d’enfants, de véhicules volés et d’alcool frelaté. La mission a eu des informations sur l’existence d’un important trafic de drogue en provenance de Colombie passant par Lomé.»

A ce rapport condensant autour du cas togolais l’ensemble des «maux de l’Afrique» dénoncés, les autorités togolaises ont répondu. Sur le ton, un peu court, de l’invective. «L’histoire démentira aisément ces prophètes de malheur», affirme dans ses conclusions une commission constituée par les autorités.

Le Figaro du 5 octobre 2005