Mgr Nicodème Barrigah, président de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), met en garde contre les arrestations et les conflits ouverts entre partis politiques qui ne cessent de perturber le pays.
Les partis politiques d’opposition avaient appelé à manifester vendredi 7 juin dans la capitale, Lomé. Comment ces manifestations se sont-elles déroulées ?
Mgr Nicodème Barrigah : Elles n’ont pas entraîné de violences graves. Seuls les quartiers de Bé et de Nyékonakpoé ont connu quelques échauffourées, mais tout était rentré dans l’ordre ce week-end. Toutefois, les élections législatives (1) ayant été enfin fixées samedi, par décret, au dimanche 21 juillet, on risque de voir la lutte pour l’alternance politique se radicaliser. En effet, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a annoncé, le 3 juin, que les candidats ne disposaient que d’une semaine pour déposer leur candidature, donc avant le 10 juin. Le surlendemain, les partis de l’opposition (regroupés au sein de la coalition Arc-en-ciel), jugeant ces conditions non satisfaisantes, ont décidé de ne pas présenter de listes. Dans ce contexte, je me positionne pour un dialogue préalable.
N’est-ce pas ce que demande « Arc-en-ciel » depuis l’automne 2012 ?
Mgr N. B. : Le collectif Arc-en-ciel, mais aussi les associations de défense des droits de l’homme et les organisations de la société civile (regroupés dans le collectif « Sauvons le Togo », CST) exigent en effet, avant la tenue des élections législatives, qu’un dialogue soit mené, non seulement sur le cadre électoral mais également sur les réformes préconisées par l’accord politique global de 2006 et rappelées par la Commission vérité, justice et réconciliation du Togo (CVJR). À l’inverse, le gouvernement et d’autres partis (notamment l’Union pour la République et l’Union des forces du changement) soutiennent que seules les élections législatives permettront de mettre en place le cadre pour ces réformes.
Craignez-vous de nouvelles vagues de violences, comme lors de l’élection présidentielle d’avril 2005 ?
Mgr N. B. : Il suffit d’une étincelle pour embraser tout un pays et le faire basculer dans l’horreur. Actuellement, les manifestations récurrentes, les grèves des syndicats, les propos belliqueux tenus dans les médias, etc., sont autant d’éléments qui font redouter ces vagues de violences. Il est donc urgent de chercher ensemble les solutions appropriées.
Les évêques ont-ils pris position face à ces violences ?
Mgr N. B. : Pas officiellement. Toutefois, après la mort des deux adolescents, le 15 avril dernier, tués à Dapaong (dans le nord du Togo) dans le cadre d’émeutes qui ont mal tourné, bon nombre de prêtres ont sévèrement dénoncé les violences policières et ont demandé des sanctions contre les forces de sécurité qui avaient tiré sur les lycéens.
Quelles étaient les principales recommandations, dans le rapport de la CVJR que vous aviez remis en avril 2012 au président du Togo, Faure Gnassingbé ?
Mgr N. B. : Les 68 recommandations de ce rapport ne concernent pas seulement la réforme de l’État ; elles s’adressent à toutes les institutions et aux citoyens, et toutes ont leur importance dans la dynamique de redressement et de consolidation de la réconciliation. Mais dans le contexte actuel, les réformes politiques, institutionnelles et constitutionnelles tout comme la lutte contre l’impunité sont prioritaires, car c’est autour d’elles que se cristallisent les tensions. Je suis convaincu qu’en mettant en œuvre les recommandations formulées, des situations pourront être redressées, le climat apaisé, l’impunité combattue et la réconciliation plus effective… même si les signaux que nous enregistrons actuellement sont plutôt préoccupants.
RECUEILLI PAR CLAIRE LESEGRETAIN
LACROIX
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