27/04/2024

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Togo-Nouveau gouvernement: seul bonne nouvelle, la non-participation de l’UFC

Par Sénouvo Agbota Zinsou

D’abord, trois remarques dont chacun, selon son angle de vue peut mesurer l’importance.

Le rattachement du Ministère de la Défense à la présidence de la République, en l’absence de Kpatcha Gnassingbé dans le gouvernement. Cela signifie-t-il qu’il faut être Gnassingbé pour s’occuper des militaires, des affaires de l’armée au Togo? On arguera que du vivant d’Eyadema, après 1992, donc au bout de 25 années au cours desquelles il a exclusivement détenu ce ministère, il y a eu des ministres de la Défense qui ne portaient pas ce nom. Mais en fait, chacun savait qui réellement était le patron des hommes en uniforme depuis 1967 ou même depuis 1963. Cette absence de Kpatcha, l’homme qui veut défendre l’héritage de son père à cent pour cent » (sang pour sang?), cette absence qui fait déjà couler beaucoup de salive et d’encre (certains redoutent-ils qu’elle fasse aussi couler du sang?) mérite une réflexion à part.

La deuxième remarque (ce n’est pas une surprise maintenant que nous avons appris à connaître nos hommes politiques), c’est que des gens qui ont, à la suite de la proclamation des résultats des législatives, dénoncé la division scandaleuse du pays en deux en vue de gagner, ceux qui ont décrié l’achat de consciences pratiqué au cours de ces élections, se retrouvent bien assis (ou couchés) et à l’aise aux côtés des auteurs de ces actes graves qui non seulement hypothèquent l’avenir du pays, mais aussi avilissent le citoyen togolais. Mieux, ils s’émeuvent d’être introduits dans la chambre du Prince, alors qu’ils espéraient simplement être reçus dans ses salons ou dans son bureau. Ô, merveille de la politique togolaise! Une question: quelle différence y a-t-il entre achat de conscience et achat de conscience? Ou plutôt entre conscience et conscience? Certainement que certaines consciences s’achètent à mille francs, d’autres à 10.000 francs et d’autres, à prix de portefeuilles ministériels. À chaque conscience son prix et à chacun sa conscience. Que l’on me pardonne de répéter le mot « conscience », ce n’est pas sans dessein.

La troisième remarque concerne la suppression du ministère D’ÉTAT sans portefeuille que détenait Amah Gnassingbé, numéro deux du gouvernement précédent: cela signifie, soit que ce ministère dont beaucoup avaient raillé l’inutilité à l’époque est effectivement inutile, soit que la mission de Amah Gnassingbé n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Et quelle était cette mission? Exclure Gilchrist Olympio de l’UFC (si on peut interpréter en ce sens une déclaration du ministre d’État lui-même à l’époque) ou représenter symboliquement ce parti au sein du gouvernement? Et si Amah Gnassingbé n’avait été nommé ministre que pour ces belles déclarations d’exclusion dont il a le secret? Il s’était déjà rendu célèbre pour avoir exclu, à la Conférence nationale, Gnassingbé l’assassin, Eyadema s’entend, de la noble famille des « authentiques Gnassingbé » et recruté pour cela dans l’UFC, comme « numéro deux » du parti?). On peut dire que, la position de « numéro deux », ça le connaît, de même que les exclusions, jusqu’au jour où… c’est lui-même qui est exclu. On a besoin de rigoler de temps en temps.

Mais, parlons de l’UFC. Quoi que l’on pense de l’UFC et de ses dirigeants, il faut des gens pour dire que tous les Togolais ne donnent pas leur caution à la fraude, aux massacres, à l’achat des consciences et surtout au régime monarchique du clan Gnassingbé. Aujourd’hui, l’UFC, avec son « non » au nouveau gouvernement, exprime tout cela, de manière concrète. Ce n’est pas que d’autres Togolais qui ne sont pas membres de l’UFC n’éprouvent pas le besoin d’exprimer la même chose, mais officiellement et publiquement, l’UFC l’a fait pour les Togolais de cette catégorie. Ils sont nombreux, ils constituent certainement la majorité. Ce « non », s’il est bien compris, investit les dirigeants de l’UFC d’une nouvelle responsabilité qu’il leur faudra assumer. Ils doivent d’abord, humblement reconnaître qu’aux dernières législatives, il y a eu des gens qui n’ont voté UFC que par défaut, des gens qui auraient pu voter CAR, CDPA, PDR, ADDI, etc., mais qui, voulant un vote utile, un vote qui leur évite de retrouver à l’Assemblée Nationale un émiettement des voix de l’opposition, avaient choisi de donner une force, une chance à l’UFC, pour contrer le projet des Gnassingbé de renforcer, de légitimer et de perpétuer leur pouvoir. Je crois que l’UFC, si elle veut vraiment répondre à l’attente de ces gens, si elle veut vraiment aller plus loin qu’un simple « non » à la dynastie Gnassingbé, et proposer un avenir aux Togolais dans le cadre d’un régime républicain, doit penser à tout ce qui rassemble les divers mouvements de la résistance, plutôt qu’à chercher simplement à faire de l’opposition pour gagner les présidentielles de 2010. Car, d’abord, il n’est pas sûr qu’elle retrouve toutes les voix qui se sont portées sur ses candidats en octobre 2007, et ensuite, il faut bien se rendre à l’évidence que si le RPT a tout fait pour avoir 50 sièges à l’Assemblée nationale, c’est bien parce qu’il a l’intention de ne pas permettre aux autres partis de remettre en cause un dispositif textuel et électoral qui lui a permis de gagner les législatives. Il va plutôt le renforcer. Les dirigeants de l’UFC doivent forcément faire leur autocritique: « Que nous reprochent les autres? », doivent-ils s’interroger. Ils doivent rassurer ceux qui pensent et disent: « Si ce n’est pas Gnassingbé, c’est Olympio, et si ce n’est pas Olympio, c’est Gnassingbé. Alors où est la différence? Et s’il y a Gilchrist, c’est tout simplement parce qu’il y a eu Sylvanus, tout comme il y a Faure parce qu’il y a eu Eyadema. » Inutile d’arguer du fait que Gilchrist a lutté personnellement, qu’il a risqué sa vie à un moment donné, qu’il ne s’est pas contenté de s’installer dans le nom de son père, comme l’autre s’est installé dans le fauteuil du sien et il faut le dire aussi, dans ses tactiques criminelles, ses réseaux mafieux et ses machines à répression et à fraude… Il faudra, au besoin, que Gilchrist Olympio oublie même qu’il est le fils de Sylvanus. D’ailleurs, à bien y réfléchir, cette filiation a souvent été pour lui plutôt un piège et un handicap qu’un avantage à proprement parler. Le piège, c’est quand cette filiation l’a amené à commettre la plus grave erreur de sa carrière politique, à mon avis: le soir du 24 avril 2005, alors que les militaires togolais, aidés des miliciens du RPT volaient les urnes et massacraient la population civile, il était à Abuja pour négocier avec le fils d’Eyadema, donner l’accolade au fils d’Eyadema, juste quelques heures avant que ce dernier ne soit proclamé vainqueur de cette sanglante mascarade. À quel titre Obasandjo l’avait-il invité à rencontrer F. Gnassingbé à Abuja? Il n’était pas le candidat désigné de l’opposition alors que F. Gnassingbé l’était, lui, pour le RPT. On voulait exclure l’opposition togolaise, exclure son candidat Bob Akitani, et même exclure le RPT du débat togolais, donc l’ensemble des Togolais du jeu politique et réduire la question togolaise à un conflit entre les Olympio et les Gnassingbé. Et Gilchrist s’était malheureusement prêté à ce jeu. Par vanité? Par mépris des autres, imbu de l’idée que seul, il représente une force face au pouvoir Gnassingbé aux yeux des Togolais et aux yeux de l’opinion publique internationale?…

Bien entendu, les rencontres entre lui et F. Gnassingbé sous l’égide de la Communauté Sant’ Egidio, de Compaoré, etc., sont à classer dans ce genre de piège auquel Gilchrist Olympio n’a pas su échapper. Et au sein de l’équipe dirigeante de l’UFC, envisage-t-on ce qui pourrait se passer un jour sans Gilchrist Olympio? Ce n’est pas lui souhaiter du mal que de rappeler qu’il est un mortel. Le handicap, dont ni lui-même, ni ses lieutenants n’ont pas encore l’air de se rendre compte, ce sont ces accueils à la frontière Togo-Ghana, ces ovations de la foule, ces messes populaires qu’on lui réserve quand il revient au Togo et qui ne sont pas sans rivaliser d’une certaine manière avec le culte de la personnalité qui entourait Eyadema. On pourrait, pour défendre G. Olympio, dire que cette manifestation de soutien populaire à sa personne était spontanée, qu’elle n’était nullement monnayée comme c’était souvent le cas pour Eyadema, qu’elle était même nécessaire à une époque où le peuple avait eu besoin d’un héros anti-Eyadema, à une époque où il fallait montrer par ce genre de mobilisation, à défaut d’élections crédibles, que le dictateur était rejeté au profit de son adversaire le plus redoutable, une époque qui suivait celle où Eyadema, dans toute sa gloire, ne manquait aucune occasion de déclarer aux journalistes que personne ne connaissait Gilchrist Olympio au Togo, ni les autres opposants togolais réfugiés à l’étranger. Mais, cette époque est révolue. Et si les lieutenants de Gilchrist continuent à offrir à leur chef ce genre grouillement de monde autour de sa personne, qu’il donne bien l’impression de savourer, cela ne relève-t-il pas simplement du folklore? Surtout si F. Gnassingbé, par tactique politique plutôt que par vraie modestie, se montre, pour le moment, moins friand que lui, sur ce plan. Et que feront les lieutenants de Gilchrist quand le nombre de manifestants diminuera? Et il diminue déjà, c’est évident. Offriront-ils bientôt de l’argent aux citoyens pour aller acclamer Gilchrist Olympio dans la rue, recourant en cela aux recettes d’Eyadema?

La question que les dirigeants de l’UFC doivent se poser est de savoir ce que devient cette foule de gens qui va acclamer Gilchrist, une fois le rassemblement dispersé, quand chacun se retrouve avec ses problèmes quotidiens de chômage, de débrouillardise pour survivre, de santé, d’éducation, etc. dans cette société aux structures et infrastructures en état de délabrement… ce que deviennent même ceux qui ont été molestés au cours des manifestations par les forces dites de l’ordre, ce que deviennent les victimes des exactions et leurs proches, ce que deviennent les réfugiés politiques au Bénin, au Ghana, en Europe, en Amérique…, ceux qui combattent pour la même cause que l’UFC (je le suppose) et qui de ce fait attendent beaucoup plus d’un parti de l’opposition qu’un simple folklore. Que fait l’UFC pour rester en contact avec les Togolais, tous les Togolais, en dehors des échéances électorales, en dehors des messes populaires offertes à Gilchrist? Que fait-elle pour au moins les écouter, à défaut de répondre dans l’immédiat à leurs attentes?

Si l’UFC ne va pas au-delà de son « non » au gouvernement, si elle ne se reforme de l’intérieur, si elle ne revoit pas sa stratégie, les relations entre simples militants ou sympathisants et Gilchrist, les rapports avec les autres composantes de l’opposition, les traitant, non pas en partis mineurs qui doivent s’aligner derrière elle, mais en partenaires égaux à respecter, à associer dans un vaste programme pour le salut du Togo, elle aura failli à sa mission. Cela durera peut-être plus longtemps si c’est un autre mouvement qui doit accomplir cette mission (qu’en savons-nous?), mais l’UFC telle qu’elle est et fonctionne actuellement ne peut pas résoudre le problème togolais: empêcher le clan Gnassingbé d’instaurer définitivement la monarchie à la place de la République et disposer ainsi de tous les pouvoirs pour faire ce que bon lui semble.

Allemagne, 17 décembre 2007
Sénouvo Agbota Zinsou