24/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Côte d’Ivoire: l’enquête sur l’attaque antifrançaise de Bouaké se focalise sur Robert Montoya

Le déplacement de la juge du Tribunal aux armées de Paris (TAP) Brigitte Raynaud au Togo, à la mi-janvier, s’est révélé fructueux. La magistrate, qui enquête sur le bombardement du camp militaire français de Bouaké par deux Soukhoï-25 des forces ivoiriennes, le 6 novembre 2004 — qui avait coûté la vie à neuf soldats français et un civil américain — a saisi à Lomé plusieurs documents mettant en cause un membre de la cellule antiterroriste fonctionnant à l’Elysée sous François Mitterrand, reconverti dans le négoce d’armes, Robert Montoya.

La juge, qui conduit une instruction pour « assassinats, tentative d’assassinats et destruction de biens », tente de réunir des preuves lui permettant éventuellement de poursuivre M. Montoya pour « complicité » de ces délits. L’embargo sur les armes à destination de la Côte d’Ivoire ayant été décrété par l’ONU le 15 novembre 2004, l’ex-gendarme estime qu’il était autorisé à vendre les Soukhoï. Mais la juge pourrait lui reprocher l’assistance qu’il aurait fournie aux mercenaires suspectés d’avoir bombardé le camp français. L’avocat des familles des victimes de Bouaké, Me Jean Balan, espère que « l’enquête de la juge va enfin permettre d’établir les responsabilités ».

Interrogé par Mme Raynaud — dès son retour du Togo — comme témoin, le général Michel Masson, responsable de la direction du renseignement militaire (DRM) au ministère de la défense, a renforcé, le 17 janvier, les soupçons de la magistrate : « Les recherches menées par la DRM ont permis de dire que c’est bien la société de M. Montoya (Darkwood) qui avait livré les deux avions Soukhoï impliqués dans les bombardements de Bouaké, y compris ceux de la journée du 6 novembre 2004. (…) M. Montoya a fourni les Soukhoï avec les munitions », a-t-il ajouté. Une conviction partagée par la gendarmerie de l’air de Lomé, au Togo, où M. Montoya a réuni l’essentiel de ses activités. Dans un rapport du 9 décembre 2005, elle assure que « les deux Soukhoï impliqués dans le bombardement du camp militaire de Bouaké provenaient d’une livraison par l’intéressé ». D’autre part, selon ce rapport, les ventes de matériel militaire auraient continué après le 15 novembre 2004 : « Robert Montoya possède à son actif la livraison d’armes de guerre à Laurent Gbagbo, violant ainsi l’embargo des Nations unies. »

« ENREGISTREMENT DU TRAFIC RADIO »

M. Montoya est surtout soupçonné par les services de renseignement d’avoir permis l' »exfiltration » des deux mercenaires biélorusses (chaque avion était composé d’un équipage mixte : un pilote slave et un copilote ivoirien) aux commandes des Soukhoï. Selon la juge Raynaud, qui l’a indiqué lors de l’interrogatoire du général Masson, le 17 janvier, « huit ressortissants slaves arrêtés à la frontière du Togo le 16 novembre 2004, venant de la Côte d’Ivoire par la voie terrestre, ont été pris en charge après leur période de rétention de 48 heures par une femme biélorusse qui n’est autre que la secrétaire de M. Montoya ». D’après la juge, le fait que ces mercenaires aient été conduits « par cette dernière à l’hôtel Novela Star à Lomé » confirmerait que M. Montoya a fourni, outre les deux Soukhoï, « les personnels techniques et de pilotage relatifs à ces appareils, puisqu’il a assuré le rapatriement de son équipe arrêtée à la frontière du Togo, quelques jours après le bombardement du 6 novembre 2004″.

D’après des notes du SCTIP (service de coopération technique de la police), l’un des deux pilotes a été identifié parmi les huit personnes exfiltrées au Togo. A ce sujet, le général Masson a confirmé à la juge qu' »au moins un enregistrement du trafic radio entre les Soukhoï et la tour de Yamoussoukro prouve que les pilotes parlaient entre eux en langue russe ».

Les activités de M. Montoya ont également éveillé l’attention de la justice togolaise, qui a ouvert une enquête le 2 décembre 2005. Dans un rapport de synthèse du 9 décembre 2005, la gendarmerie togolaise conclut que l’homme d’affaires français est « impliqué dans la livraison d’armes et de matériels de guerre à l’armée ivoirienne. Robert Montoya a agi en sa double qualité de conseiller spécial du chef de l’Etat ivoirien chargé des affaires militaires et diplomatiques, d’une part, et, d’autre part, représentant de la BSVT », une société biélorusse de ventes d’armes.

Inculpé par un juge de Lomé le 28 décembre 2005, pour « trafic illicite d’armes, munitions et matériels de guerre » entre 2002 et 2004, M. Montoya s’est expliqué lors d’un interrogatoire, le 4 janvier. « Le président Gbagbo m’a sollicité en 2002 en vue d’aider à la restructuration de son armée, en proie à une rébellion située dans le nord du pays », a-t-il indiqué.

« Etant en relation avec une société d’Etat biélorusse (BSVT) dont je suis le représentant, j’avais alors proposé au président Gbagbo de traiter de manière officielle, c’est-à-dire d’Etat à Etat (afin d’) aboutir à la fourniture de matériels de combat et d’assistance technique. Ces accords ont ainsi abouti à la livraison de matériels de combat et des techniciens devant assister les militaires ivoiriens. Des avions Soukhoï au nombre de deux, deux hélicoptères MI-24 et des véhicules de transport blindés, des armements légers et des munitions ont pu être acheminés en Côte d’Ivoire », a conclu M. Montoya.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Article paru dans l’édition du 01.02.06