La haute sphère du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir) dont le président Gnassingbé Eyadéma est le fondateur, fait face depuis mars dernier à une toute première sérieuse crise. M. Dahuku Péré, ancien ministre et ancien président de l’Assemblée nationale, et actuellement député, a, dans une déclaration à l’endroit de ses collègues, souhaité des réformes au sein du parti.
L’ancien président du parlement togolais, Maurice Dahuku Péré, haut responsable du parti au pouvoir, a fini par rompre ce qu’il appelle « le silence coupable » au sein de son parti, en appelant les instances dirigeantes de sa formation et le président-fondateur, Gnassingbé ! Eyadéma, à mettre un terme au « leadership anachronique et obsolète ». « Le leadership ancien est révolu, définitivement révolu, celui basé sur le principe selon lequel la tête réfléchit, seule dans sa tour d’ivoire, et donne ensuite les instructions qu’elle juge nécessaires aux membres qui exécutent sans discuter », avait-il souligné, le 24 mars 2002, dans une longue réflexion adressée notamment au général Eyadéma.
Cet ancien ministre du régime, membre du bureau politique du parti, appelait à de profondes réformes dans la gestion de l’État par son parti où il estime que « l’égoïsme, l’orgueil et la fierté mal placée » sèment des « ravages » dans leurs propres rangs, dans les rapports avec les adversaires politiques et le peuple ainsi que dans leurs relations avec la communauté internationale, « hypothéquant dangereusement l’avenir de la patrie ». L’ancien séminariste, gêné qu’il était dans sa conscience de chrétien, comme il le disait, a! dmet que, par leur faute, le Togo « dépérit chaque jour économiquement, socialement et politiquement » et que le pays est marginalisé par la communauté internationale. Dans l’histoire du Rassemblement du peuple togolais (RPT), créé en 1969 par le général Eyadéma, une telle prise de position par un haut responsable du parti est sans précédant. Et la réaction du parti, peu habitué à ces contestations, ne s’est pas fait attendre.
L’acte posé par M. Péré est aussitôt considéré comme une « trahison », une « rébellion » et une « sédition » par les barons du RPT qui s’en sont pris à sa vie privée et à ses convictions religieuses. Une mise au point des membres du Comité central, à qui la réflexion était également adressée, s’était versée, début mai, dans l’insulte en indiquant entre autres que M. Péré doit sa réussite professionnelle « non pas par mérite personnel particulier mais tout simplement par nécessité professionnelle ». En clair, le parti estim! e qu’il a été le fruit des méthodes et pratiques qu’il prend plaisir à dénoncer. « Celui qui scie en effet la branche sur laquelle il est assis démontre par son acte qu’il se trouve, soit dans un état second, soit en proie à la folie, soit encore qu’il agit sous l’emprise de certaines forces invisibles », souligne la mise au point du parti.
Les membres du Comité central estiment même que la responsabilité de ce « sorcier de la maison » est « clairement engagée » dans le processus de destruction du parti et de déstabilisation du régime. Mais l’autre surprise au sein du parti viendra de l’actuel Premier ministre Gabriel Agbéyomé Kodjo, qui a apporté son soutien à M. Péré, en refusant, en tant que membre du Comité central, de signer la mise au point. A la rumeur qui fait croire qu’il serait le vrai rédacteur de la réflexion de Dahuku Péré, le Premier ministre répond au journal Le Reporter (proche de l’opposition) qu’il sait écrire, mais qu’il n’a p! as « la perspicacité d’un séminariste comme Péré dans l’écriture ». Il estime que c’est « une insulte » à la personne de Péré que de signer la mise au point du parti.
Crise ouverte
La crise est donc ouverte dans ce parti trentenaire qui, selon l’hebdomadaire Le Combat du peuple (proche de l’opposition), « a besoin de se ressourcer pour redéfinir ses orientations ». Mais le parti du général Eyadéma semble d’abord enlever les mauvaises graines en son sein. Et il n’y va pas de main morte. Début juin, ce sont les chefs des cantons de la circonscription électorale de Dahuku Péré qui l’ont publiquement, et sur les médias d’État, désavoué. Ils ont estimé, dans une lettre adressée au parti, que l’acte posé par M. Péré est « extrêmement » grave pour qu’ils ne puisse plus reconnaître en lui le défenseur des intérêts de leurs populations au sein du Parlement. Par rapport à cette manifestation des chefs cantons, il tout simplement répondu qu' »ils ont fait ce qu’on leur a demandé de faire; je reste touj! ours député ».
M. Péré, député à l’Assemblée nationale, continue par siéger. Mais il a été, au mépris du règlement intérieur du Parlement, relevé de ses responsabilités de président de la commission des Relations extérieures qu’il présidait. « Sans demander à revenir à la tête de cette commission, je déplore la manière dont le changement a été opérée, en violation du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Je pense que la dernière garante du respect du règlement intérieur est la plénière », a déclaré le député à la séance du jeudi 20 juin 2002 à laquelle il a participé. Il a également déploré une récente décision du Parlement de soumettre la sortie du territoire d’un député à une autorisation. « C’est regrettable car c’est un profond recul par rapport à la constitution, parce que le président de l’Assemblée nationale ne peut pas s’arroger le pouvoir de refuser aux députés de s’absenter du pays », a par ailleurs souligné M. Péré. Le député a déclaré! avoir été retourné le 29 mai dernier à la frontière Togo-Bénin, alors qu’il était muni des papiers de fonctionnaire international et d’une convocation à participer à Abuja à une réunion du Parlement de la CEDEAO où il représente le Togo. « Le plus vexant, le comble de l’absurdité dans tout cela, c’est qu’il est devenu difficile, au sein même du parti, de s’expliquer librement, de donner un avis sur le chemin à suivre que l’on pense meilleur, sans s’exposer à des menaces à peines voilées », avait déjà souligné le « rebelle » M. Péré dans sa déclaration.
(Guy Mario, Radio France internationale (RFI), 21 juin 2002)
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