L’écrivain et éditeur Yves- Emmanuel Dogbé s’en est allé. Auteur de plusieurs écrits dont La crise de l’éducation, La Victime, L’Incarcéré, le créateur des Editions Akpagnon, est décédé le dimanche 7 novembre 2004 à Paris. Il était âgé de 65ans.
Par Ekoué SATCHIVI
La mort, cette hydre à mille têtes, insatiable, vorace, a frappé dans le milieu littéraire togolais. Elle y a enlevé Yves- Emmanuel Dogbé, à la fois enseignant, philosophe, sociologue, écrivain, poète et éditeur. L’histoire littéraire de l’ancienne colonie allemande que se trouve être le Togo, n’est pas si marquante, mais on y trouve de talentueux écrivains. En dehors du journaliste et écrivain Félix Couchoro, auteur des romans tels que l’Esclave publié en 1929 et L’héritage, cette peste que le Bénin et le Togo, n’ont cessé de réclamer, il faut remonter aux années cinquante pour y situer les prémices de la littérature francophone togolaise avec Le fils du fétiche de l’enseignant David Kuessan Ananou, publié pour la première fois en 1955 aux Nouvelles Editions Latines à Paris.
Yves- Emmanuel Dogbé, pour sa part, a eu le mérite d’avoir stimulé le mouvement littéraire togolais. Très dense, son œuvre a touché presque tous les genres littéraires.
Un passionné des belles lettres
Né le 10 mai 1939 à Lomé-Kpéhénou, Yves –Emmanuel Dogbé a fait ses études primaires et secondaires au Togo, au Bénin et au Ghana. Après quelques années passées dans le monde enseignant, il part en France où il a étudié à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales à la Sorbonne et à l’Université René Descartes où il obtint un doctorat de 3e cycle avec une thèse sur la Négritude. Auteur d’une étude sur la crise de l’éducation, Yves –Emmanuel Dogbé a également travaillé dans plusieurs organismes de recherche scientifique en France et au Togo.
La passion que l’homme a pour la lecture, a débouché sur l’envie d’écrire et le besoin de s’exprimer, de prendre position. Avec plus de trois décennies passées dans le monde littéraire, Yves –Emmanuel Dogbé a pris position dans la vie de son pays, le Togo. Ses écrits ont touché la politique, les problèmes sociaux, la sociologie, les conflits entre les gens, l’amour, la haine. ..
En prenant position, en écrivant sur la politique telle que menée au Togo, Yves-Emmanuel Dogbé, s’était attiré les foudres de l’establishment. En tant que Représentant de l’Association Togolaise des Gens de Lettres (ATGL), l’écrivain avait livré aux délégués de la Conférence nationale de juillet- août 1991, un témoignage ahurissant. En 1976, il avait dans le cadre du Festival des arts et de la culture (FESTAC) de Lagos, rédigé une communication en tant que responsable de la sous –commission du colloque sur le thème : « Civilisation noire et devenir de l’Afrique ».
Un passage du texte qui disait que « ceux qui nous gouvernent sont des hommes politiques de formation politique », n’avait pas plu aux autorités. Celles -ci l’ont pris pour de la subversion ; une audace qui ne pouvait rester impunie.
Arrêté, Yves – Emmanuel Dogbé avait transité par la Sûreté nationale, puis conduit au Camp RIT de Lomé-Tokoin, où il goûtera aux pires humiliations, coups, injures et intimidations d’usage à cause de cette phrase anodine. Il s’était même entendu dire « Tu vas aller en prison, on va faire des enquêtes et si nous avons tort,Dieu nous pardonnera ». Après cette expérience carcérale, l’écrivain partira pour une seconde fois en exil.
Une plume au service de la critique sociale
Le rôle premier d’un écrivain engagé, disait Yves-Emmanuel Dogbé est de faire en sorte que les choses aillent mieux au sein de sa communauté et ailleurs C’est ainsi que pendant plus de trois de décennies, toute sa littérature a été une flèche pour décrocher tous ceux qui ont tendance à tirer la couverture à eux, sans penser aux autres.
La production littéraire de ce philosophe et écrivain engagé, demeure très dense et n’excepte aucun genre. Auteur de plus d’une quinzaine d’écrits, il reste une figure dominante de la littérature togolaise francophone. Affres, un recueil de poèmes publié en 1966,le fera connaître du grand public. Mais on peut aussi citer, Fables africaines, écrites sous l’influence subie de ses lectures des fabulistes français dont Jean de La Fontaine, Flamme Blême, Nouvelle anthologie de la poésie togolaise, Morne soliloque, La Victime, un roman écrit pour crever le silence sur le racisme ; l’Incarcéré, un deuxième publié pour fustiger tous ceux qui l’ont mis en prison, comptent parmi les ouvrages les plus célèbres de Yves – Emmanuel Dogbé, qui loin d’être entravé dans sa liberté de créateur, n’a jamais transigé avec sa prise de position socio-politique. On ne saurait lui oublier Le Miroir, publié en 1996,tout comme L ‘homme de Bè, qui à l’instar de La Victime, invitent les uns et les autres à se remettre en question Comme son collègue Sony Labou Tansy, il sait et a soutenu que « si on est intellectuel, on est appelé à parler. Il a également écrit de nombreux essais notamment « La crise de l’éducation » (1975), « Négritude, culture et civilisation » (1980), « Lettre ouverte aux pauvres d’Afrique suivi de participation populaire et développement »(1983),Le renouveau démocratique au Togo. Yves–Emmanuel Dogbé est aussi conteur. On lui doit Contes et légendes du Togo (Togo Gliwo kple Nutinyawo), ouvrage paru à la fois en Français et en Ewé.
Pionnier de l’édition togolaise
Ecrivain, Yves –Emmanuel Dogbé s’est aussi intéressé à l’édition. Revenu au Togo en 1973, après un premier exil en France, il avait crée avec le soutien des écrivains dont le poète Paul Akakpo Typamm, auteur de Rythmes et cadences,( premier prix littéraire France – Togo) en 1985 et David Ananou, l’Association des poètes et écrivains du Togo (APET),qui sera plus tard transformée en Association Togolaise des Gens de Lettres (ATGL) C’est dans le cadre des activités de cette association que lui était venue l’idée de mettre sur pied une maison d’édition.
Retourné pour une seconde fois en exil en France, il crée en 1977,les Editions Akpagnon. Un an plus tard, deux ouvrages à savoir l’Anthologie de la poésie togolaise et des Contes et légendes du Togo avec des textes de Jean Agblémagnon et de Paul Akakpo Typamm, seront publiés. D’autres auteurs comme Félix Couchoro, Nayé Inawissi Arzouma Lamboni Hilla –Lobé Améla, Augustin Batita Talakaena, David Ananou, Richard Dogbeh, Edwige Edorh, seront publiés par cette maison d’édition.
Un jour, disait Yves- Emmanuel Dogbé, nous nous en irons. Cet homme qui a reçu pour mission d’écrire, vient de déposer sa plume. Il s’en est allé, le dimanche 7 novembre 2004 à Paris, ville dans laquelle il avait étudié et vécu par deux fois, l’exil, avec sa sécurité et ses conséquences. Mission terminée pour ce mordu des belles lettres qui s’est tant investi dans la promotion culturelle, sans tomber dans le jeu du ralliement avec ses « avantages » de toutes sortes. Après avoir clamé et rappelé qu’ on ne dirige pas un pays pour soi, mais pour le peuple, pour les autres, Yves –Emmanuel Dogbé, va se reposer dans le ventre chaud de son pays, le Togo qui l’a vu naître. Derrière lui, toute une œuvre éternelle qui saura certainement consoler ceux qui l’ont connu et apprécié sa hauteur d’esprit.
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