20/04/2024

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Quelle justice transitionnelle pour le Togo ?

La justice transitionnelle est définie comme une gamme de mesures que les sociétés prennent pour faire face aux legs des violations massives et systématiques des droits humains, au sortir d’une période de violences politiques, d’oppression ou de conflit interne meurtrier pour entrer dans une période de paix, de démocratie, d’état de droit et de respect de ces droits humains.

Il peut s’agir de l’adoption directe d’une loi d’amnistie ou de création d’une commission vérité et réconciliation pour octroyer l’amnistie en vue de tourner la page.

L’amnistie désigne, dans l’ordre interne, la mesure exceptionnelle qui supprime les effets normaux de la loi pénale en prescrivant l’oubli officiel d’une ou de plusieurs infractions à celle-ci en vue de la réconciliation nationale.

Elle peut être décrétée par le gouvernement ou dans le cadre de Commission vérité et réconciliation, appelée aussi « Commission de clarification historique », « Instance équité et réconciliation » ou « Commission chargée de faire la lumière sur les actes de violence à caractère politique commis par le passé et d’étudier les modalités d’apaisement des victimes »[1].

Emblème de la justice transitionnelle et mise en œuvre pour la première fois sur le continent africain, en Afrique du Sud, la Commission vérité et réconciliation est devenue depuis quelques années l’un des moyens jugés les plus recommandables d’amnistier dans un pays ayant connu un conflit interne ou des répressions sanglantes avec des violations massives des droits de l’homme.

Quelle que soit sa dénomination, une telle commission a pour objet la connaissance et la diffusion de la vérité aux fins d’une thérapie collective favorisant la réconciliation nationale et la justice réparatrice. Elle a pour mission de faire la lumière sur un passé sombre, toujours dominé par de violations massives des droits humains, afin de clarifier l’histoire de pays ayant connu un conflit ou des violences politiques.

P. Hayner, définit la Commission vérité et réconciliation comme suit :

« – elle examine uniquement le passé ;

– elle examine les structures de violations commises pendant une période plus ou moins longue et ne se limite donc pas à des événements spécifiques ;

– il s’agit d’un organe temporaire finalisant son travail par la soumission d’un rapport qui comprend des conclusions et des recommandations d’actions ;

– cet organe est reconnu et autorisé par l’Etat (et parfois par l’opposition armée en cas d’accord de paix) ;

– elle est généralement établie par rapport à un contexte de violations massives ;

– et dans une période de transition politique ou post-conflit »[2].

Des critères à respecter lors de la mise en place d’une telle commission ont été identifiés par des auteurs, à savoir :

« – la mise en place de la commission est au mieux basée sur une large consultation populaire ;

– l’autorité qui met en place doit être légitime, ceci pour permettre à la commission de bénéficier d’un minimum de crédibilité ;

– les membres doivent être des personnes respectées, de haute moralité et jouissant d’une reconnaissance publique ou personnelle. Ils doivent être nommés à travers une procédure transparente, de préférence suite à un processus de consultation ;

– le budget moyen d’une commission de vérité varie aujourd’hui entre 5 et 10 de millions $ US bien que la majorité des commissions se plaignent de leur budget trop limité ;

– la durée de commission peut varier entre un an (quand elle n’organisa pas des audiences publiques) et deux ans (si elle en organise) ;

– la période examinée par la commission concerne un passé récent, sinon il s’agit d’une commission historique, bien que la date initiale de cette période puisse se situer dans un passé moins récent, pour autant qu’il s’agisse de la période pendant laquelle les violations les plus graves ont été commises ;

– la commission examinera d’habitude des crimes de répressions ou des crimes qui ont porté atteinte à l’intégrité physique, bien qu’elle puisse aussi examiner les crimes commis par tous les participants au conflit ;

– les objectifs prioritaires de la commission doivent être l’examen des crimes du passé et la prévention de crimes futurs. Outre ces deux objectifs, elle peut en envisager, tels que la réconciliation, les poursuites judiciaires, la restauration de la dignité des victimes ;

– ses activités principales seront la prise de déclaration des victimes, de témoins et d’auteurs des crimes. Certaines commissions organisent des conférences ou mènent des enquêtes quasi policières, des recherches pratiquement académiques, elles mettent en place des bases de données ou organisent des exhumations. »[3]

La commission vérité et réconciliation a été prévue dans plusieurs accords de paix en Afrique : Libéria, Sierra Leone, Burundi, RDC…

A l’instar des accords de paix, des accords politiques ont recours de plus en plus à des commissions de vérité dans les pays où des violations des droits humains ont été commises par le passé. Ainsi, au Maroc, il a été créé l’Instance équité et réconciliation par Dahir royal du 7 janvier 2004 après la mort de Hassan II qui avait instauré un régime de plomb. Au Togo, l’Accord politique global signé le 20 août 2006 prévoit la mise en place d’une « commission chargée de faire la lumière sur les actes de violence à caractère politique commis par le passé et d’étudier les modalités d’apaisement des victimes ».

Le Togo a eu le mérite d’avoir lancé depuis le 16 avril dernier, une consultation populaire dénommée « consultations nationales »[4] d’une durée de trois mois pour recueillir des avis sur la forme et la composition d’une telle Commission. Mais le risque est trop grand que ce débat soit mal orienté avec le fâcheux inconvénient que ce mécanisme soit dévoyé comme tant d’autres (l’observation internationale des élections avec des observateurs étrangers recrutés à coup de millions d’euros pour venir certifier de la régularité de nos élections).

Aussi est-il déplorable que le doute qui plane sur le Haut commissariat aux droits de l’homme qui coordonne cette consultation par l’entremise de Mme Ige Olatokumbo son ancienne représentante, censée être en fin de mission au Togo.

De plus, il est regrettable que la présidente de FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), de nationalité tunisienne cherche à imposer l’exemple marocain pour notre pays alors que nombreux sont ceux qui pensent au modèle sud-africain mieux élaboré, dans lequel l’amnistie était promise, à condition de reconnaître le crime ou le délit commis, d’en dire la stricte vérité et de demander pardon[5], et surtout que le Maroc est un royaume (Mohamed VI ayant succédé légitimement à son père) contrairement au Togo.

Après plusieurs amnisties à la française avec tarif « zéro » pour les crimes commis, il importe de mettre en place une véritable commission vérité et réconciliation pour régler définitivement la problématique de l’impunité dans notre pays. A défaut, une commission vérité et réconciliation dévoyée contribuera à l’adoption des amnisties dont les conséquences s’avéreront néfastes pour la stabilité de notre pays et favorisant la résurgence de la crise politique.

Me Komi TSAKADI
Juriste

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[1] Créée par l’Accord politique global du 20 août 2006 signé par partis politiques et la société civile du Togo pour sortir de la crise consécutive à prise de pouvoir par le fils de l’ancien président décédé.

[2] P. Hayner, Unspeakable Truths, Facing the Challenge of Truth Commission, New York and London, Routledge, 2002, p. 14, cité par Martiens Schotsmans, la justice transitionnelle pendant la période de la transition politique en RDC, in F. Reyntjens et S. Marysse (dir), L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2006-2007, Paris, l’Harmattan, 2007. pp 210-211.

[3] M. Freeman, Truth Commissions and procedural fairness, Cambridge University Press, Cambridge, 2008, pp. 27-37, cité par Martiens Schotsmans, op. cit. pp. 211-212

[4] www.consultations-nationales-togo.org

[5] Georges Dougueli, « Togo. L’heure de vérité », Jeune Afrique, www.jeuneafrique.com