25/04/2024

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Du bon usage de la Constitution de Lomé à Abidjan

La France était enlisée en Côte d’Ivoire. La voici empêtrée dans une autre affaire qui n’est pas sans lien avec la première si l’on y regarde d’un peu près.

Le nouvel épisode concerne le Togo, un petit pays d’Afrique de l’Ouest dépourvu de ressources, tout en longueur, coincé entre le Ghana et le Bénin. Au Togo, le chef de l’Etat brutalement disparu, son fils s’est emparé du pouvoir avec la complicité des chefs de l’armée.

La Constitution togolaise était pourtant précise qui prévoyait, en cas de mort du président, un intérim de deux mois assuré par le président de l’Assemblée nationale, le temps d’organiser un nouveau scrutin.

Elle a été violée au prix de la modification d’un article, votée comme un seul homme par des parlementaires aux ordres : Faure Gnassingbé, le fils d’Eyadéma Gnassingbé, est devenu président de la République jusqu’en 2008, terme du mandat présidentiel de son père.

La communauté internationale refuse de cautionner ce « putsch familial ». Les Nations unies et l’Union européenne (UE) ont condamné le tour de passe-passe constitutionnel, tandis que les pays voisins du Togo menacent, à l’unisson avec l’Union africaine (UA), d’imposer des sanctions si Lomé persiste à bafouer la Constitution.

La France, ancienne puissance coloniale, campe sur une ligne identique. L’Elysée a demandé le retour à l’ordre constitutionnel et des élections « libres et transparentes ». Paris souhaite une élection présidentielle « dans les plus brefs délais » et, dans la foulée, des élections législatives.

Selon Paris, la date du scrutin doit obéir à deux impératifs contraires : être suffisamment proche pour ne pas laisser la crise perdurer et être assez éloignée dans le temps pour laisser à l’opposition le temps de faire campagne. La fin du premier semestre est la période limite demandée par Paris – jusqu’ici sans succès.

En Afrique de l’Ouest, pendant que la France et ses alliés du continent noir exhortent le Togo à appliquer au pied de la lettre la Constitution, un chef d’Etat, un seul, affiche sa satisfaction : Laurent Gbagbo, le président de la Côte d’Ivoire. « Je suis heureux de ce qui se passe au Togo », a-t-il lancé à quelques-uns de ses partisans, avant de s’étonner, faussement ingénu : « Ha ! bon, une Constitution, on la respecte ? »

Le président ivoirien a quelque raison d’ironiser sur la Loi fondamentale. Car les mêmes – la France et les pays africains – qui font pression sur Faure Eyadéma pour qu’il respecte la Constitution de son pays poussent depuis des mois M. Gbagbo à modifier celle de la Côte d’Ivoire. Tout se passe comme s’il y avait, selon les pays et les circonstances, les bonnes et les mauvaises Constitutions, celles auxquelles il ne faut pas toucher, et celles que l’on doit récrire.

RÈGLEMENT ACQUIS SUR LE PAPIER

Le paradoxe n’en est pas vraiment un. Au Togo, le maintien de la paix civile passe par le respect de la Loi fondamentale. En Côte d’Ivoire, c’est l’inverse : la Constitution bloque toute sortie de crise. La conserver en l’état interdit une réconciliation entre les habitants de ce pays coupé en deux depuis plus de deux ans.

En Côte d’Ivoire, les conditions d’éligibilité à la présidence sont en jeu. Jusqu’en décembre 2004, elles étaient telles que l’ex-premier ministre, Alassane Ouattara, porteur des espoirs des populations du nord de la Côte d’Ivoire, ne pouvait briguer le poste.

Au terme d’efforts diplomatiques exercés tant par le président sud-africain, Thabo Mbeki, que par ses pairs du continent, le Parlement ivoirien a amendé la Constitution. Désormais, il suffit d’être né de père ou de mère ivoirien (et non plus des deux) pour pouvoir faire acte de candidature. La voie des urnes est donc ouverte à M. Ouattara, dont la candidature était auparavant jugée « douteuse ».

Sur le papier, le règlement de la crise ivoirienne paraît donc acquis. Sauf que le régime en place à Abidjan est décidé à soumettre à référendum la modification de la Constitution. Les pays de l’Union africaine en ont accepté l’idée sans enthousiasme. Mais comment organiser une consultation dans un pays coupé en deux, où les extrémistes monopolisent la parole ?

La tâche apparaît quasiment impossible à huit mois de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. L’identification du corps électoral n’est pas faite. L’administration est aux abonnés absents dans le nord du pays. Le cantonnement et le désarmement des rebelles et des milices pro-gouvernementales est au point mort. Des escadrons de la mort sévissent à Abidjan, la plus grande agglomération du pays. L’insécurité règne un peu partout.

Cela donne l’impression que le président ivoirien et ses proches cherchaient à saboter une réforme de la Constitution qu’ils n’ont accepté de faire voter par le Parlement que du bout des lèvres. Le chef de l’Etat ne s’est pas privé de dire que, si le scrutin présidentiel devait être reporté, il resterait au pouvoir.

Dans cette période incertaine, chacun des protagonistes se prépare au pire. Les ex-rebelles qui contrôlent le Nord s’opposent à un désarmement qui les affaiblirait face aux forces armées loyalistes.

Au Sud, le régime arme ses miliciens, les « jeunes patriotes ». Selon des sources occidentales, 5 700 armes semi-automatiques cachées dans un conteneur ont été réceptionnées il y a quelques semaines par la présidence de la République, avant d’être distribuées en leur faisant emprunter des circuits obscurs. L’opération s’est faite en dépit de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies.

Comme quoi, face à l’envie d’en découdre, la Constitution, même amendée, est un outil inopérant. En ira-t-il de même au Togo ?

Jean-Pierre Tuquoi

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 18.02.05

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